Le chevalier à la Rose

Richard Strauss : Le chevalier à la Rose

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°805 Mai 2025
Par Marc DARMON (83)

Le Che­va­lier à la rose, en binôme avec Ariane à Naxos, marque un nou­veau virage dans le style de Strauss après les deux opé­ras post­ro­man­tiques, expres­sion­nistes et vio­lents que sont Salo­mé et Elek­tra. Ici (1911), il n’y a plus de vio­lence mais au contraire un esprit mozar­tien et un raf­fi­ne­ment « Âge des Lumières », où des per­son­nages vien­nois du XVIIIe siècle chantent autour des rythmes de valses du XIXe siècle sur une musique du XXe siècle. La maré­chale (on pense à la com­tesse des Noces de Figa­ro) se sacri­fie et laisse son jeune amant le che­va­lier Octa­vian (chan­té par une mez­zo, réfé­rence au Ché­ru­bin des Noces) par­tir avec la belle Sophie à qui il appor­tait la rose, sym­bole de la demande en mariage, pour le compte du gros­sier baron Ochs. Sur cette intrigue construite par le grand poète et dra­ma­turge Hof­manns­thal dans le style de Mari­vaux, Strauss met en musique trois voix de femme dans des airs et des ensembles magni­fiques (le réveil après la nuit d’amour à l’acte I, le coup de foudre à l’acte II, le trio final de l’acte III). Il fait aus­si tra­ver­ser l’opéra par une basse-bouffe comme Mozart ou Ros­si­ni les uti­li­sait, repré­sen­tant le gros­sier puis gro­tesque baron. Le trio puis le duo final résument tout Strauss à l’opéra et annoncent avec près de qua­rante ans d’anticipation les célèbres quatre der­niers Lie­der cré­pus­cu­laires de Strauss après la guerre. C’est pro­ba­ble­ment l’opéra par lequel on doit débu­ter sa décou­verte de l’univers lyrique de Strauss.

Pour cela, cinq DVD sont à conseiller, dont deux diri­gés par Kara­jan, deux diri­gés par Car­los Kleiber.

Le chevalier à la Rose

Le docu­ment le plus ancien est le film réa­li­sé en 1962 à Salz­bourg, où Kara­jan dirige la fameuse maré­chale d’Elisabeth Schwarz­kopf. Le film a été magni­fi­que­ment res­tau­ré, c’est un docu­ment pour l’histoire, mais le son est mono­pho­nique (même si les voix sont claires), le play-back par­fois visible et les sous-titres uni­que­ment en anglais.

Le chevalier à la RoseDe même que Kara­jan a réa­li­sé deux enre­gis­tre­ments offi­ciels sur disque du Che­va­lier à la Rose, en 1956 avec Eli­sa­beth Schwarz­kopf et en 1984 à Vienne, il y a éga­le­ment deux films. Au film de 1962 suc­cède la cap­ta­tion vidéo de l’enregistrement de 1984. Vingt-deux ans plus tard, l’orchestre est plus souple et le son est plus natu­rel, mais les chan­teurs sont moins répu­tés, même si les voix sont très belles (on com­prend ce qui a pu séduire dans ces voix un Kara­jan de vingt ans de plus).

Ce disque de 1984 est mépri­sé par les spé­cia­listes, notam­ment par rap­port à la réfé­rence qu’est l’enregistrement de 1956. Je l’ai tou­jours appré­cié pour­tant, il a été un de mes pre­miers achats en disque com­pact, et à la pro­jec­tion du film cor­res­pon­dant je main­tiens mon juge­ment : c’est très beau, très bien chan­té et diri­gé, et la pro­duc­tion est éga­le­ment très élé­gante (décors, costumes…).

Le chevalier à la RoseLe chevalier à la RoseIl y a éga­le­ment deux films de l’opéra diri­gés par Car­los Klei­ber, éloi­gnés de quinze ans, dans la même mise en scène d’Otto Schenk et des décors qui nous mettent dans l’ambiance de Fra­go­nard, à Munich puis à Vienne. Ce for­mi­dable chef, fan­tasque mais exi­geant, a lais­sé moins d’une dizaine de disques offi­ciels et encore moins de films. Magni­fique direc­tion de Klei­ber pleine d’inventivité, dans les deux docu­ments. Klei­ber heu­reux, rayon­nant, aux gestes amples et tendres, avec une pré­ci­sion et une incroyable indé­pen­dance des mains, dont la main gauche enro­bant l’orchestre par exemple pour une valse rete­nue à l’extrême ou enfin libé­rée. Faut-il que Klei­ber ait été amou­reux des femmes, pour rendre ain­si l’introduction (les ébats de la maré­chale et d’Octavian avant le lever de rideau) si sen­suelle. La maré­chale est suc­ces­si­ve­ment inter­pré­tée par Gwy­neth Jones puis Feli­ci­ty Lott, avec la même splen­deur vocale. En Octa­vian, les grandes Bri­gitte Fass­baen­der magni­fique voca­le­ment, plus cré­dible peut-être qu’Anne Sofie von Otter quinze ans plus tard, dont l’élégance innée sied par­ti­cu­liè­re­ment à la noblesse du che­va­lier mais moins à la pataude Marian­del en qui Octa­vian se déguise. Et, en Sophie, les for­mi­dables Bar­ba­ra Bon­ney et Lucia Popp. Et Ochs, per­son­nage très impor­tant car il a failli don­ner son nom à l’opéra, nous ado­rons Kurt Moll (comme pour Kara­jan 1984), au timbre somptueux.

Le chevalier à la Rose

Mais, après ces docu­ments ines­ti­mables, la ver­sion moderne que l’on conseille est la cap­ta­tion de 2009 à Baden-Baden, dans la plus belle dis­tri­bu­tion pos­sible aujourd’hui. Elle est dis­po­nible en un des plus beaux DVD du cata­logue, déjà com­men­té ici en avril 2010, avec des images et un son magni­fiques. Cette pro­duc­tion des années 90 (créée à Salz­bourg puis à l’Opéra Bas­tille, quel sou­ve­nir nous en gar­dons !) est tou­jours aus­si magni­fique. Le chef Chris­tian Thie­le­mann est un des plus grands chefs du moment et la dis­tri­bu­tion fait rêver : la belle Renée Fle­ming a pris le relai depuis vingt ans de Schwarz­kopf (années 50) et Kiri Te Kana­wa (années 70–80) comme la voix de réfé­rence pour ces grands rôles mozar­tiens ou straus­siens. Elle est une maré­chale abso­lu­ment excep­tion­nelle (les ensembles dans les pre­mier et troi­sième actes, et le célèbre air où, nos­tal­gique, elle regrette son âge). Sophie Koch est par­faite et très cré­dible en Octa­vian. Dia­na Dam­rau, dont la noto­rié­té est désor­mais bien assu­rée, est une très belle Sophie. Franz Haw­la­ta en balourd baron est idéal à la fois musi­ca­le­ment et dans le contraste qu’il fait res­sen­tir entre la gros­siè­re­té de son per­son­nage et le raf­fi­ne­ment de la maré­chale. D’ailleurs, tous les chan­teurs sont aus­si des acteurs très cré­dibles (y com­pris phy­si­que­ment) et rendent de façon natu­relle les com­por­te­ments des personnages. 


Eli­sa­beth Schwarz­kopf, Renée Fle­ming, Gwy­neth Jones, Feli­ci­ty Lott, Lucia Popp, Bar­ba­ra Bon­ney, Anne Sofie von Otter, Kurt Moll

Direc­tion : Her­bert von Kara­jan, Car­los Klei­ber, Chris­tian Thielemann

5 DVD ou Blu-ray, Deutsche Gram­mo­phon et Decca

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