RICHARD STRAUSS : ELEKTRA

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°673 Mars 2012Par : I. Theorin, W. Meier, R. Pape, Philharmonique de Vienne, dir. D. GattiRédacteur : Marc Darmon (83)

Elek­tra est un virage majeur de la car­rière de Strauss. Com­po­si­teur post­ro­man­tique ren­du célèbre par ses brillants poèmes sym­pho­niques (Don Juan, Till l’Espiègle , Don Qui­chotte, Zara­thous­tra), il s’était dis­tin­gué jusqu’alors à l’opéra uni­que­ment grâce à Salo­mé.

Coffret du DVD ELEKTRA de Richard STRAUSSEn met­tant en musique en 1908, sans en chan­ger une ligne, la pièce Elek­tra d’Hugo von Hof­manns­thal de 1903, Strauss allait à la fois ini­tier une coopé­ra­tion très fruc­tueuse avec Hof­manns­thal, poser une pierre de base de la car­rière d’auteur d’opéra la plus riche du XXe siècle, et lan­cer les bases de l’opéra expres­sion­niste alle­mand dont s’inspireraient ses contem­po­rains et suc­ces­seurs (Berg, Schoen­berg, Korn­gold, Hin­de­mith, Pfitzner).

Les excès d’Elek­tra, en termes d’agressivité et de vio­lence de la musique, après ceux de Salo­mé cinq ans aupa­ra­vant, ne pou­vaient conduire qu’à un assa­gis­se­ment dans ses opé­ras ulté­rieurs, Le Che­va­lier à la rose (1910) et Ariane à Naxos (1912). Les qua­li­tés d’Elek­tra, œuvre phé­no­mé­nale, dif­fi­cile d’accès, ne sont pas tou­jours bien ren­dues par le disque, car le théâtre en est une part prépondérante.

Théâtre est jus­te­ment le mot qui saute à l’esprit lorsque l’on voit ce spec­tacle du fes­ti­val de Salz­bourg en 2010, ren­du dans des condi­tions tech­niques excep­tion­nelles sur ce Blu-Ray Arthaus. La pièce de Hof­manns­thal, alors au som­met de sa car­rière de dra­ma­turge, s’inspire très for­te­ment de Sophocle. Sophocle reprend ce moment de l’histoire des Atrides, après Eschyle puis Euri­pide, en le concen­trant sur l’isolement d’Électre et son oppo­si­tion à son envi­ron­ne­ment (y com­pris sa sœur, per­son­nage ren­for­cé pour l’occasion, absente chez Eschyle). On connaît l’histoire de ce pas­sage de la malé­dic­tion des Atrides : Électre attend le retour de son frère Oreste pour ven­ger leur père Aga­mem­non, assas­si­né par leur mère Cly­tem­nestre et son amant. Oreste revient de son exil et venge leur père, satis­fai­sant Électre qui meurt dans une joie hystérique.

On com­prend que la pièce, comme l’opéra, demande aux acteurs une capa­ci­té d’interprétation hors du com­mun, car, au-delà des mots et des notes, c’est par la pré­sence phy­sique, par le jeu d’acteur, que les sen­ti­ments inté­rieurs des per­son­nages (Électre natu­rel­le­ment, mais aus­si Cly­tem­nestre ou Oreste) se font res­sen­tir. Notam­ment pour le per­son­nage d’Elektra, qui reste en scène les deux heures de l’opéra. C’est pour­quoi la conjonc­tion des décors et cos­tumes dépouillés, de la mise en scène expres­sive, du jeu des artistes constam­ment sur­sol­li­ci­té et d’une image super­la­tive tels qu’ils sont réunis sur ce Blu-Ray est déjà un évé­ne­ment : même sans tenir compte de la musique, on pour­rait consi­dé­rer que l’on assiste à une pièce de Sophocle, moder­ni­sée pour gagner en effi­ca­ci­té, dans des condi­tions idéales, avec un impact constam­ment sou­te­nu si bien qu’on ne peut relâ­cher son attention.

Mais il y a aus­si la musique, et là on est éga­le­ment com­blé, avec une dis­tri­bu­tion de rêve. Sous la direc­tion de Daniele Gat­ti, spé­cia­liste de ce réper­toire et de cette époque (écou­tez ses Mah­ler) sont réunis le Phil­har­mo­nique de Vienne, Iréne Theo­rin en Elek­tra, la magni­fique Wal­traud Meier dans le rôle de Cly­tem­nestre et l’Oreste de la grande basse René Pape. Musi­ca­le­ment, on a là une des meilleures ver­sions qu’on ait enten­dues. Avec l’image et l’impact de ce théâtre qui ajoute encore de la force à ce que l’on res­sent, absente au disque, le Blu-Ray devient indispensable.

Les connais­seurs appré­cie­ront dans cette pro­duc­tion quelques-uns des moments forts de l’opéra, notam­ment l’affrontement – il n’y a pas d’autres mots – entre Elek­tra et sa mère, jouée par la superbe, à tout point de vue, Wal­traud Meier, à la par­ti­tion presque ato­nale, et les retrou­vailles d’Elektra et d’Oreste, qui était arri­vé inco­gni­to (« les chiens dans la cour me recon­naissent, mais pas ma propre sœur »), retrou­vailles accom­pa­gnées d’un long pas­sage à l’orchestre qui résume tout ce que peuvent res­sen­tir les deux enfants d’Agamemnon. Citons aus­si une très bonne idée de la mise en scène, l’arrivée sur scène aux der­niers ins­tants de l’opéra des Eumé­nides, ces Bien­veillantes qui pour­chassent Oreste dans l’épisode sui­vant de l’histoire des Atrides.

Un spec­tacle pour hap­py few, natu­rel­le­ment, mais quel spec­tacle : on en sort exsangue, épui­sé mais émerveillé.

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