L’équipe de France au complet lors de la finale internationale à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, le 26 août 2022.

Rendre les Mathématiques attractives et ludiques

Dossier : ExpressionsMagazine N°785 Mai 2023
Par Michel CRITON
Par Antoine VANNEY (X85)

L’ambition de la Fédé­ra­tion fran­çaise de jeux mathé­ma­tiques (FFJM) est depuis plus de 35 ans de récon­ci­lier les Fran­çais avec les mathé­ma­tiques et de réen­chan­ter cette matière. Cela prend notam­ment la forme d’un Cham­pion­nat inter­na­tio­nal de jeux mathé­matiques et logiques, annuel. Si tu sou­haites en savoir plus sur la FFJM et contri­buer à son essor, contacte les auteurs : Michel Cri­ton, michel.criton@ffjm.org, et Antoine Van­ney, antoine.vanney@ffjm.org.

Le constat sur le niveau des mathé­ma­tiques en France est doré­na­vant par­ta­gé et ne fait plus débat. La situa­tion est pré­oc­cu­pante et s’est même dété­rio­rée ces der­nières années, alors que des recom­man­da­tions ont déjà été émises en 2018 avec la publi­ca­tion du rap­port Vil­la­ni-Toros­sian. Dans la conti­nui­té des Assises des mathé­ma­tiques de novembre 2022, le récent dos­sier consa­cré par La Jaune & la Rouge à l’excellence mathé­ma­tique dresse un tableau éclai­ré des enjeux et des pistes de solu­tion. Nous nous pro­po­sons d’apporter un témoi­gnage com­plé­men­taire et d’en appe­ler à la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne pour don­ner corps à cer­taines recom­man­da­tions du rap­port Vil­la­ni-Toros­sian. Les auteurs insistent sur la néces­si­té de « trou­ver les moyens de culti­ver la curio­si­té, la créa­ti­vi­té et le plai­sir dans l’activité mathé­ma­tique » et accordent une impor­tance répé­tée aux acti­vi­tés péri­sco­laires, à encou­ra­ger et à péren­ni­ser. Le thème est repris lors des Assises des mathé­ma­tiques, lorsque Bru­no Bon­nell s’interroge sur la façon de récon­ci­lier les Fran­çais avec les mathé­ma­tiques et de réen­chan­ter cette matière : « Faut-il des olym­piades ? Des concours ? Des publi­ci­tés à la télé ou sur les réseaux sociaux ? » 

La Fédération française de jeux mathématiques

La Fédé­ra­tion fran­çaise de jeux mathé­ma­tiques (FFJM) a été créée en 1987 par Gilles Cohen – auteur des récréa­tions mathé­ma­tiques du Monde – déjà avec cette même ambi­tion. L’objectif était de sor­tir d’un ensei­gne­ment par­fois méca­nique des mathé­ma­tiques – un théo­rème, des exer­cices d’application – et d’amener le plus grand nombre à décou­vrir le plai­sir de faire des mathé­ma­tiques, le plai­sir de trou­ver la solu­tion d’un pro­blème dont on ne connaît pas le che­mi­ne­ment à l’avance, le plai­sir qui fait briller les yeux des enfants. Pour cela, chaque année depuis 1987, la FFJM orga­nise un Cham­pion­nat inter­na­tio­nal de jeux mathé­ma­tiques et logiques, qui pro­pose lors de dif­fé­rentes phases qua­li­fi­ca­tives tout au long de l’année sco­laire un ensemble d’énigmes ori­gi­nales et ludiques à résoudre en temps limi­té et adap­tées au niveau de chaque par­ti­ci­pant, du CE1 jusqu’au grand public et aux experts. Ces épreuves sont un outil puis­sant pour déve­lop­per la créa­ti­vi­té, l’imagination chez les enfants, pour déve­lop­per éga­le­ment par le jeu leur goût de l’effort et de la com­pé­ti­tion et leur confiance en eux. Le Cham­pion­nat pré­sente aus­si d’autres avan­tages, qui méritent d’être soulignés. 

Le Championnat est organisé en partenariat avec les enseignants

La plu­part des par­ti­ci­pants sont des sco­laires invi­tés par leur pro­fes­seur. Les ensei­gnants orga­nisent la pre­mière phase qua­li­fi­ca­tive au sein de leur éta­blis­se­ment et cer­tains d’entre eux s’investissent au sein de la FFJM pour l’organisation des phases sui­vantes, qui rythment l’année sco­laire. La FFJM met aus­si gra­tui­te­ment à dis­po­si­tion ses archives d’épreuves – soit plus de 3 000 épreuves de tous niveaux – aux ensei­gnants comme aux sco­laires et étu­diants. Le Cham­pion­nat a un rôle péda­go­gique recon­nu par les ensei­gnants. Ce n’est ni un outil d’évaluation géné­rale de niveau ni un par­cours réser­vé aux plus brillants ; c’est un outil de déve­lop­pe­ment des com­pé­tences fon­da­men­tales atten­dues par l’Éducation natio­nale et trop peu tra­vaillées dans le cadre actuel. 

Le Championnat est le reflet de la diversité sociale et géographique française

La répar­ti­tion sur le ter­ri­toire des par­ti­ci­pants est très variée, beau­coup venant de petites com­munes, éloi­gnées des grandes villes uni­ver­si­taires. 40 % des par­ti­ci­pants sco­laires pro­viennent d’établissements situés dans des com­munes de moins de 20 000 habi­tants et seule­ment 6 % de com­munes de plus de 100 000 habi­tants. Les ter­ri­toires d’outre-mer (Nou­velle-Calé­do­nie, Guyane fran­çaise) comme des lycées fran­çais à l’étranger (Rome, Riga, Sofia) sont repré­sen­tés. Le Cham­pion­nat ne s’adresse pas aux jeunes les plus favo­ri­sés. La FFJM a mis en place un dis­po­si­tif de prise en charge par­tielle des frais de dépla­ce­ment, pour per­mettre aux moins favo­ri­sés de par­ti­ci­per jusqu’en finale internationale.

Le Championnat est international

Cela per­met aux meilleurs jeunes Fran­çais de se confron­ter en finale inter­na­tio­nale à d’autres jeunes venant de Suisse, d’Italie, de Bel­gique, de Tuni­sie, du Cana­da, de Pologne ou d’Ukraine et sélec­tion­nés sur les mêmes épreuves conçues par la FFJM. La com­pa­rai­son n’est pas tou­jours au béné­fice des jeunes Fran­çais. En 2022, les pre­mières places ont été raflées par la Pologne (8 médailles dont 4 en or) et la Suisse (7 médailles dont 2 en or), la France arri­vant troi­sième (5 médailles dont 1 en or chez les adultes en haute com­pé­ti­tion). Cette ouver­ture inter­na­tio­nale est une chance excep­tion­nelle pour de jeunes élèves, qui contri­bue à for­ger leur confiance en eux et en leur poten­tiel, dès le plus jeune âge.

Une jeune membre de l’équipe de France lors de la finale internationale à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, le 26 août 2022.
Une jeune membre de l’équipe de France lors de la finale inter­na­tio­nale à l’École poly­tech­nique fédé­rale de Lau­sanne, le 26 août 2022.

Le Championnat attire les jeunes filles

Leur par­ti­ci­pa­tion moyenne est de 33 %, nota­ble­ment plus éle­vée dans les classes pri­maires (45 % en CE1 et CE2) tout en res­tant supé­rieure à 30 % jusqu’au lycée. Mal­heu­reu­se­ment ce pour­cen­tage chute à 16 % en finale inter­na­tio­nale. La FFJM s’attache à accroître la par­ti­ci­pa­tion des élèves du pri­maire au Cham­pion­nat et à assu­rer depuis cette année un sui­vi des par­ti­ci­pantes pour main­te­nir leur engagement.

Le Championnat permet aux parents comme aux jeunes de participer

Se retrou­ver en famille ou entre ensei­gnant et élèves autour des mêmes épreuves est une expé­rience rare, sti­mu­lante et valo­ri­sante pour les plus jeunes, qui n’ont pas à rou­gir face à leurs aînés. Nom­breux sont les parents et les ensei­gnants qui, pour éprou­ver ce plai­sir de résoudre des énigmes mathé­ma­tiques et cette com­pli­ci­té avec leurs enfants, les accom­pagnent dans ce parcours.

L’engagement des bénévoles

L’initiative de la FFJM a donc beau­coup de valeur et confirme bien la convic­tion affi­chée par les auteurs du rap­port Vil­la­ni-Toros­sian. Cepen­dant, et comme ce même rap­port le sug­gé­rait, ces ini­tia­tives res­tent fra­giles et ont besoin d’être mieux sou­te­nues. La FFJM repose uni­que­ment sur l’engagement de per­sonnes béné­voles. Il faut noter à cet égard le mérite des pro­fes­seurs de mathé­ma­tiques. On a beau­coup par­lé du malaise des ensei­gnants, des dif­fi­cul­tés de recru­te­ment et des défec­tions, mais on n’a pas suf­fi­sam­ment sou­li­gné leur enga­ge­ment. Nom­breux sont ceux qui ne comptent pas leur temps pour s’investir de façon béné­vole dans des acti­vi­tés de pro­mo­tion des mathé­ma­tiques. Plu­sieurs d’entre eux incitent leurs élèves à par­ti­ci­per au Cham­pion­nat de la FFJM, s’investissent pour orga­ni­ser les quarts de finale et par­fois les demi-finales le same­di dans leurs éta­blis­se­ments, recherchent des spon­sors locaux pour récom­pen­ser les par­ti­ci­pants, mobi­lisent la presse locale. Quelques-uns sont même très actifs au sein des ins­tances de la FFJM. En dépit d’un contexte dif­fi­cile, la pas­sion des ensei­gnants reste vive ; il faut la recon­naître et l’entretenir comme une flamme fragile.

Une initiative à soutenir pour changer d’échelle

La ques­tion de la péren­ni­té de ces ini­tia­tives se pose inévi­ta­ble­ment. L’engagement béné­vole est puis­sant mais repose sou­vent sur quelques per­sonnes clés. Pour­tant il est fon­da­men­tal d’inscrire ces ini­tia­tives dans la durée, vis-à-vis de l’Éducation natio­nale, des adhé­rents et des poten­tiels sou­tiens pri­vés et publics. La FFJM et son Cham­pion­nat existent depuis plus de 35 ans ; leur assise inter­na­tio­nale est un gage de péren­ni­té. Cette der­nière tient aus­si à la taille de l’organisation, indis­so­cia­ble­ment liée à la taille du Cham­pion­nat qui doit encore croître. Convain­cus que notre démarche peut réel­le­ment inflé­chir la ten­dance, rame­ner de nom­breux jeunes vers les mathé­ma­tiques, décou­vrir des talents et par­ti­ci­per au déve­lop­pe­ment de leurs capa­ci­tés, la FFJM affiche, depuis le ren­for­ce­ment de son équipe diri­geante, une ambi­tion d’atteindre rapi­de­ment 50 000 par­ti­ci­pants chaque année, soit envi­ron 10 % des éta­blis­se­ments sco­laires fran­çais. 2023 marque un renou­veau et les résul­tats sont encou­ra­geants, avec un dou­ble­ment du nombre de par­ti­ci­pants sur près de 100 éta­blis­se­ments scolaires. 

Le passage à une nouvelle échelle du Championnat

Par manque de moyens humains et finan­ciers, la FFJM n’avait pas pu jusqu’à pré­sent don­ner au Cham­pion­nat la noto­rié­té et l’attractivité qu’il mérite et il était res­té rela­tivement confi­den­tiel. À titre de com­pa­rai­son, en Suisse où la fédé­ra­tion sœur dis­pose du sou­tien durable et des moyens de l’École poly­tech­nique fédé­rale de Lau­sanne, le nombre de par­ti­ci­pants au Cham­pion­nat était en 2022 cinq fois plus impor­tant qu’en France. Et il ne s’agit pas uni­que­ment d’accroître la capa­ci­té de com­mu­ni­ca­tion : pro­mou­voir les mathéma­tiques par l’organisation d’un Cham­pion­nat, c’est se doter d’une orga­ni­sa­tion effi­cace sur tout le ter­ri­toire fran­çais, de moyens infor­ma­tiques et humains, de par­te­naires, de pro­ces­sus garan­tis­sant la confor­mi­té à la réglementa­tion (RGPD, droit à l’image), de capa­ci­tés juri­diques et comp­tables… La pas­sion des mathé­ma­tiques ne suf­fit pas.

“La communauté polytechnicienne peut agir de multiples façons.”

L’implication des X et de l’École

La com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne n’est pas étran­gère à la FFJM. Cer­tains sont de fidèles par­ti­ci­pants depuis de nom­breuses années au Cham­pion­nat inter­na­tio­nal de jeux mathé­ma­tiques en caté­go­rie « haute com­pé­ti­tion », d’autres ont par­ti­ci­pé au col­lège et au lycée avant d’intégrer Poly­tech­nique. Par­mi les meilleurs Fran­çais aux mon­diaux de sudo­kus et jeux de grille, dont la FFJM assure aus­si la sélec­tion fran­çaise, on compte une jeune poly­tech­ni­cienne, Anne Limoges (X07). D’autres s’investissent direc­te­ment dans l’association et sont au cœur de la concep­tion des épreuves du Cham­pion­nat (cf. le recueil des pro­blèmes les plus dif­fi­ciles des années 2010–2019 : The Paris Puzzles). Jean Moreau de Saint-Mar­tin (X56) pro­pose régu­liè­re­ment des énon­cés et des solu­tions du Cham­pion­nat dans sa rubrique de pro­blèmes mathé­ma­tiques de La J&R. Même l’École poly­tech­nique est de la par­tie, puisqu’elle accueille­ra la finale inter­na­tio­nale de l’édition 2024, année des Jeux olym­piques à Paris. Cer­tai­ne­ment, la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, sou­cieuse de sau­ver la for­ma­tion mathé­ma­tique des jeunes Fran­çais, peut agir de mul­tiples façons et assu­rer à la FFJM les moyens de ren­for­cer son action en faveur de cette grande ambi­tion nationale.

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