Remora Biotech : Innover et financer l’immunothérapie autrement

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°804 Avril 2025
Par Jean-Marc LE DOUSSAL (X82)
Par Mickael MACHICOANE (X05)

Remo­ra Bio­tech est un Ven­ture Buil­der fran­co-suisse spé­cia­li­sé notam­ment dans les bio­mé­di­ca­ments et l’immunothérapie. Jean-Marc Le Dous­sal (X82), fon­da­teur et CEO, et Mickael Machi­coane (X05), res­pon­sable de l’innovation, expliquent leur vision et les enjeux de ce modèle innovant.

Pourquoi avoir créé Remora Biotech et quel est son positionnement ?

Jean-Marc Le Dous­sal : Remo­ra Bio­tech est une socié­té de ven­ture capi­tal pilo­tée par des entre­pre­neurs expé­ri­men­tés en bio­tech. Nous nous posi­tion­nons comme un Ven­ture Buil­der, c’est-à-dire un acteur qui ne se contente pas de finan­cer des star­tups, mais qui les conçoit dès leur ori­gine. De plus, contrai­re­ment à d’autres Ven­ture Buil­ders, nous res­tons aux manettes, en tant qu’équipe entre­pre­neu­riale, jusqu’à la vente de nos Ven­tures. 

L’idée est née du constat que l’innovation bio­tech ear­ly-stage – essen­tielle, car à la source d’une majo­ri­té des nou­veaux trai­te­ments – est dif­fi­cile à gérer par les fonds de ven­ture capi­tal géné­ra­listes, faute d’expertise scien­ti­fique et de capa­ci­tés d’exécution, et même par les fonds bio­tech pour des rai­sons d’organisation et/ou de régle­men­ta­tion. Son finan­ce­ment pri­vé dépend des busi­ness angels, plus concer­nés mais moins spé­cia­listes, ce qui est quand même paradoxal. 

Il est cri­tique pour l’industrie que des orga­ni­sa­tions spé­cia­li­sées reprennent la main sur le finan­ce­ment de la bio­tech ear­ly-stage. C’est la rai­son d’être de Remo­ra Biotech.

Comment fonctionne concrètement votre modèle de Venture Builder ?

Jean-Marc Le Dous­sal : Nous avons donc créé une pla­te­forme inté­grant des spé­cia­listes de la recherche, du déve­lop­pe­ment expé­ri­men­tal et cli­nique, de la pro­prié­té intel­lec­tuelle, du finan­ce­ment et des par­te­na­riats pour exé­cu­ter l’ensemble du cycle d’innovation, de la concep­tion d’un can­di­dat bio­mé­di­ca­ment à sa ces­sion à un par­te­naire de commercialisation.

Mickael Machi­coane : Contrai­re­ment à la démarche tra­di­tion­nelle push, où un cher­cheur fait une inven­tion dans son labo­ra­toire et cherche ensuite un entre­pre­neur et des inves­tis­seurs et pour en faire un médi­ca­ment, nous com­men­çons par le mar­ché (approche « pull »). Nous iden­ti­fions, avec nos asso­ciés scien­ti­fiques et méde­cins, un besoin médi­cal non encore ser­vi par nos concur­rents, pour lequel nous pour­rions appor­ter une solu­tion com­pé­ti­tive (plus effi­cace, mieux tolé­rée, moins chère, etc.) grâce aux tech­no­lo­gies que nous maî­tri­sons dans notre éco­sys­tème. Ensuite, nous nous lan­çons dans la concep­tion, qui peut être ité­ra­tive selon les résul­tats de la recherche expé­ri­men­tale et les retours des poten­tiels par­te­naires. Une fois que nous sommes convain­cus que nous tenons un can­di­dat bio­mé­di­ca­ment bien bre­ve­té, indus­tria­li­sable, et bien posi­tion­né dans l’arsenal thé­ra­peu­tique, alors seule­ment nous lan­çons son déve­lop­pe­ment indus­triel et réglementaire. 

Jean Marc Le Dous­sal : Notre savoir-faire est, je crois, de récon­ci­lier créa­ti­vi­té et prag­ma­tisme (« le chan­ge­ment sans le risque » pour citer un cama­rade célèbre), rapi­di­té d’exécution et maî­trise des coûts (par la mutua­li­sa­tion des équipes et la clar­té des objec­tifs). Atout sup­plé­men­taire, nous finan­çons nos Ven­tures avec notre propre capi­tal et avec quelques co-inves­tis­seurs par­te­naires qui adhèrent à notre modèle d’investissement. 

Pourquoi vous focaliser sur l’immunothérapie ?

Jean-Marc Le Dous­sal : Je suis, comme mon asso­cié entre­pre­neur et CEO France David Bechard, immu­no­lo­giste de for­ma­tion. C’était un bon choix de spé­cia­li­té, car l’immunothérapie est une révo­lu­tion en marche dans le trai­te­ment du can­cer, des mala­dies auto-immunes et poten­tiel­le­ment du vieillis­se­ment. Les anti­corps mono­clo­naux, par exemple, sont la classe de médi­ca­ments la plus per­for­mante depuis 30 ans. L’essor des thé­ra­pies cel­lu­laires, comme les CAR‑T cells en onco­lo­gie, témoigne aus­si du poten­tiel cura­tif de l’immunologie. Pour nous, l’immunothérapie est une oppor­tu­ni­té unique d’améliorer la sur­vie et la qua­li­té de vie des patients tout en béné­fi­ciant d’un mar­ché en forte croissance.

Quels sont les principaux défis du financement en biotech et comment y répondez-vous ?

Jean Marc Le Dous­sal : La bio­tech souffre d’une image de risque, notam­ment en ear­ly-stage, que je trouve lar­ge­ment exa­gé­rée. Ce qui compte ce n’est pas tant le pro­fil de risque d’un pro­jet indi­vi­duel, mais com­ment on gère ce risque. 

Mickael Machi­coane : La façon habi­tuelle de limi­ter ce risque, c’est d’investir par étape sur un por­te­feuille de pro­jets. Nous matu­rons chaque pro­jet avant d’y inves­tir des sommes plus impor­tantes ou l’abandonner le plus tôt pos­sible. Pour bien gérer cela, il faut maî­tri­ser l’investissement sur son cycle de vie, sans contraintes externes, d’où notre choix de finan­cer seul les pre­mières étapes de chaque pro­jet. Nous sol­li­ci­tons aus­si le finan­ce­ment public de la recherche, qui dimi­nue les besoins en capi­tal à risque et assure par­fois une par­tie du risque d’amorçage. C’est un levier utile, mais non déci­sif, car cela n’améliore pas la chance de suc­cès des pro­jets, qui reste le cri­tère essentiel. 

Jean Marc Le Dous­sal : Ce qui est déci­sif, c’est de conce­voir de meilleurs pro­jets avec des équipes mul­ti­dis­ci­pli­naires expé­ri­men­tées, avec un fort lea­der­ship. Pour cela, il faut atti­rer et rete­nir les entre­pre­neurs talen­tueux dans un rôle de lea­der­ship opé­ra­tion­nel, ce qui est un défi pour les fonds de Ven­ture Capi­tal mais repré­sente une oppor­tu­ni­té pour les Ven­ture Builders.

« Ce qui est décisif, c’est de concevoir de meilleurs projets avec des équipes multidisciplinaires expérimentées, avec un fort leadership. »

En effet, les entre­pre­neurs peuvent y trou­ver, après un pre­mier (ou plu­sieurs) suc­cès, une suite de car­rière tout aus­si pas­sion­nante, mais moins ris­quée et moins solitaire. 

L’organisation peut les déchar­ger des tâches peu pro­duc­tives et démul­ti­plier leur créa­ti­vi­té et leur effi­ca­ci­té grâce à un bud­get de finan­ce­ment et une équipe « clé en main » mutua­li­sant les com­pé­tences clés (tech­no­lo­gie, indus­tria­li­sa­tion, déve­lop­pe­ment cli­nique, pro­prié­té intel­lec­tuelle, busi­ness intelligence).

Chez Remo­ra, nous avons « pous­sé » ce modèle de Ven­ture Buil­der un peu plus loin, en inté­res­sant les entre­pre­neurs et leurs équipes à l’actionnariat des start-up créées aux condi­tions de mar­ché, et en lais­sant aux entre­pre­neurs une grande liber­té dans la ges­tion de leur por­te­feuille de pro­jets et de ventures. 

C’est une pra­tique peu habi­tuelle qui peut inquié­ter cer­tains inves­tis­seurs qui peuvent y voir de poten­tiels conflits d’intérêts. Mais sans cela, il est illu­soire de pou­voir rete­nir les meilleurs talents en ear­ly-stage. D’où l’importance que nous don­nons à une bonne gou­ver­nance et à l’alignement entre nos action­naires, nos entre­pre­neurs, nos équipes et nos experts scien­ti­fiques et médicaux. 

Avec l’expérience, je pense que nous avons créé un éco­sys­tème attrac­tif pour les meilleurs talents, notam­ment les entre­pre­neurs, qui peut appor­ter, à notre modeste échelle, un gain de pro­fi­ta­bi­li­té de la bio­tech fran­co-suisse aujourd’hui, et j’espère euro­péenne demain. 

Notre défi est main­te­nant de faire mieux connaître notre modèle de Ven­ture Buil­der Inté­gré, notam­ment aux grands inves­tis­seurs pri­vés et publics pour accé­lé­rer notre crois­sance, et pour­quoi pas, faire des émules. 

Comment concilier innovation et maîtrise des risques ?

Jean-Marc Le Dous­sal : L’innovation en bio­tech ear­ly-stage est, par nature, créa­tive, réac­tive et dif­fi­cile à pla­ni­fier. Nous avons donc mis en place un modèle de ges­tion de l’incertitude fon­dé sur l’adaptation per­ma­nente. Plu­tôt que de nous fixer sur un seul pro­jet, nous tra­vaillons sur plu­sieurs pistes en paral­lèle et nous avan­çons pro­gres­si­ve­ment en fonc­tion des résul­tats expé­ri­men­taux et de l’évolution (très rapide) des oppor­tu­ni­tés du mar­ché. Cette flexi­bi­li­té réduit l’impact des échecs et maxi­mise nos chances de succès.

Quels sont les marchés les plus prometteurs aujourd’hui ?

Mickael Machi­coane : En immu­no­thé­ra­pie, plu­sieurs seg­ments sont en plein essor. L’oncologie reste un domaine clé avec les immu­no-régu­la­teurs à la suite des anti­corps anti-PD1/PD-L1 et les CAR‑T cells. Les mala­dies auto-immunes et inflam­ma­toires sont aus­si un mar­ché majeur, avec des espoirs dans des mala­dies très inva­li­dantes, notam­ment en neu­ro­lo­gie. Enfin, l’anti-âge com­mence à émer­ger, même si c’est encore un ter­rain plus spé­cu­la­tif. Nous tra­vaillons actuel­le­ment sur des pro­jets dans ces trois domaines.

Quels sont les succès notables de Remora Biotech ?

Jean-Marc Le Dous­sal : Nous avons déjà ven­du trois socié­tés issues de notre Ven­ture Buil­der. Une à un groupe tchèque au stade pré­cli­nique dans les cyto­kines et les immu­no-régu­la­teurs, actuel­le­ment en Phase II ; une à une socié­té aus­tra­lienne au stade Phase II pré­coce, dans les radio­phar­ma­ceu­tiques, actuel­le­ment en Phase III. Et l’an der­nier, une dans le domaine de la toxine botu­lique, rache­tée en début d’étude cli­nique par un lea­der mon­dial amé­ri­cain. Forts de ces suc­cès, nous sommes pro­fi­tables depuis 2018, nous avons redis­tri­bué une par­tie de nos pro­fits à nos action­naires, et nous avons lan­cé depuis 2 ans plu­sieurs ven­tures en immu­no­thé­ra­pie, thé­ra­pie cel­lu­laire et méde­cine régénérative.

Quel est votre regard sur le financement en Europe et aux États-Unis ?

Jean-Marc Le Dous­sal : Les États-Unis offrent un meilleur accès aux capi­taux, un accès plus rapide au mar­ché et une meilleure valo­ri­sa­tion des inno­va­tions. En revanche, les coûts y sont plus éle­vés. L’Europe dis­pose d’excellents cher­cheurs et infra­struc­tures, mais souffre d’un envi­ron­ne­ment frag­men­té par la langue et les régle­men­ta­tions natio­nales. N’oublions pas la Chine qui est deve­nue un acteur majeur du mar­ché. Notre stra­té­gie est donc hybride : nous déve­lop­pons nos pro­jets loca­le­ment en Europe, où les coûts sont plus maî­tri­sés, puis nous cher­chons des acqué­reurs par­tout dans le monde pour accé­lé­rer la mise sur le mar­ché. Nous sommes très atten­tifs à ne vendre que nos actifs (bre­vets, molé­cules, don­nées, etc.) et à conser­ver nos talents pour de futurs projets.

Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?

Jean-Marc Le Dous­sal : Nous avons actuel­le­ment 9 ven­tures dans notre por­te­feuille et envi­ron autant de pro­jets en incu­ba­tion. Notre objec­tif est de conso­li­der encore davan­tage notre modèle et d’atteindre une taille cri­tique d’une tren­taine de ven­tures nous per­met­tant de conti­nuer de déga­ger des pro­fits chaque année. Nous pré­voyons de lever des fonds d’ici 2027, avec en ligne de mire une pos­sible intro­duc­tion en bourse. Nous sou­hai­tons trans­for­mer ce qui était encore une « bou­tique » il y a 2–3 ans en un acteur de réfé­rence dans l’écosystème bio­tech européen.


En bref

Avec son approche de Ven­ture Buil­der inté­gré, Remo­ra Bio­tech pro­pose une nou­velle manière d’innover et de finan­cer la bio­tech ear­ly-stage. En com­bi­nant exper­tise scien­ti­fique, struc­tu­ra­tion entre­pre­neu­riale et finan­ce­ment, Jean-Marc Le Dous­sal, Mickael Machi­coane et leur équipe ambi­tionnent de trans­for­mer l’investissement ear­ly-stage en biotechnologie.

https://www.remora-biotech.ch/

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