Remora Biotech : Innover et financer l’immunothérapie autrement


Remora Biotech est un Venture Builder franco-suisse spécialisé notamment dans les biomédicaments et l’immunothérapie. Jean-Marc Le Doussal (X82), fondateur et CEO, et Mickael Machicoane (X05), responsable de l’innovation, expliquent leur vision et les enjeux de ce modèle innovant.
Pourquoi avoir créé Remora Biotech et quel est son positionnement ?
Jean-Marc Le Doussal : Remora Biotech est une société de venture capital pilotée par des entrepreneurs expérimentés en biotech. Nous nous positionnons comme un Venture Builder, c’est-à-dire un acteur qui ne se contente pas de financer des startups, mais qui les conçoit dès leur origine. De plus, contrairement à d’autres Venture Builders, nous restons aux manettes, en tant qu’équipe entrepreneuriale, jusqu’à la vente de nos Ventures.
L’idée est née du constat que l’innovation biotech early-stage – essentielle, car à la source d’une majorité des nouveaux traitements – est difficile à gérer par les fonds de venture capital généralistes, faute d’expertise scientifique et de capacités d’exécution, et même par les fonds biotech pour des raisons d’organisation et/ou de réglementation. Son financement privé dépend des business angels, plus concernés mais moins spécialistes, ce qui est quand même paradoxal.
Il est critique pour l’industrie que des organisations spécialisées reprennent la main sur le financement de la biotech early-stage. C’est la raison d’être de Remora Biotech.
Comment fonctionne concrètement votre modèle de Venture Builder ?
Jean-Marc Le Doussal : Nous avons donc créé une plateforme intégrant des spécialistes de la recherche, du développement expérimental et clinique, de la propriété intellectuelle, du financement et des partenariats pour exécuter l’ensemble du cycle d’innovation, de la conception d’un candidat biomédicament à sa cession à un partenaire de commercialisation.
Mickael Machicoane : Contrairement à la démarche traditionnelle push, où un chercheur fait une invention dans son laboratoire et cherche ensuite un entrepreneur et des investisseurs et pour en faire un médicament, nous commençons par le marché (approche « pull »). Nous identifions, avec nos associés scientifiques et médecins, un besoin médical non encore servi par nos concurrents, pour lequel nous pourrions apporter une solution compétitive (plus efficace, mieux tolérée, moins chère, etc.) grâce aux technologies que nous maîtrisons dans notre écosystème. Ensuite, nous nous lançons dans la conception, qui peut être itérative selon les résultats de la recherche expérimentale et les retours des potentiels partenaires. Une fois que nous sommes convaincus que nous tenons un candidat biomédicament bien breveté, industrialisable, et bien positionné dans l’arsenal thérapeutique, alors seulement nous lançons son développement industriel et réglementaire.
Jean Marc Le Doussal : Notre savoir-faire est, je crois, de réconcilier créativité et pragmatisme (« le changement sans le risque » pour citer un camarade célèbre), rapidité d’exécution et maîtrise des coûts (par la mutualisation des équipes et la clarté des objectifs). Atout supplémentaire, nous finançons nos Ventures avec notre propre capital et avec quelques co-investisseurs partenaires qui adhèrent à notre modèle d’investissement.
Pourquoi vous focaliser sur l’immunothérapie ?
Jean-Marc Le Doussal : Je suis, comme mon associé entrepreneur et CEO France David Bechard, immunologiste de formation. C’était un bon choix de spécialité, car l’immunothérapie est une révolution en marche dans le traitement du cancer, des maladies auto-immunes et potentiellement du vieillissement. Les anticorps monoclonaux, par exemple, sont la classe de médicaments la plus performante depuis 30 ans. L’essor des thérapies cellulaires, comme les CAR‑T cells en oncologie, témoigne aussi du potentiel curatif de l’immunologie. Pour nous, l’immunothérapie est une opportunité unique d’améliorer la survie et la qualité de vie des patients tout en bénéficiant d’un marché en forte croissance.
Quels sont les principaux défis du financement en biotech et comment y répondez-vous ?
Jean Marc Le Doussal : La biotech souffre d’une image de risque, notamment en early-stage, que je trouve largement exagérée. Ce qui compte ce n’est pas tant le profil de risque d’un projet individuel, mais comment on gère ce risque.
Mickael Machicoane : La façon habituelle de limiter ce risque, c’est d’investir par étape sur un portefeuille de projets. Nous maturons chaque projet avant d’y investir des sommes plus importantes ou l’abandonner le plus tôt possible. Pour bien gérer cela, il faut maîtriser l’investissement sur son cycle de vie, sans contraintes externes, d’où notre choix de financer seul les premières étapes de chaque projet. Nous sollicitons aussi le financement public de la recherche, qui diminue les besoins en capital à risque et assure parfois une partie du risque d’amorçage. C’est un levier utile, mais non décisif, car cela n’améliore pas la chance de succès des projets, qui reste le critère essentiel.
Jean Marc Le Doussal : Ce qui est décisif, c’est de concevoir de meilleurs projets avec des équipes multidisciplinaires expérimentées, avec un fort leadership. Pour cela, il faut attirer et retenir les entrepreneurs talentueux dans un rôle de leadership opérationnel, ce qui est un défi pour les fonds de Venture Capital mais représente une opportunité pour les Venture Builders.
« Ce qui est décisif, c’est de concevoir de meilleurs projets avec des équipes multidisciplinaires expérimentées, avec un fort leadership. »
En effet, les entrepreneurs peuvent y trouver, après un premier (ou plusieurs) succès, une suite de carrière tout aussi passionnante, mais moins risquée et moins solitaire.
L’organisation peut les décharger des tâches peu productives et démultiplier leur créativité et leur efficacité grâce à un budget de financement et une équipe « clé en main » mutualisant les compétences clés (technologie, industrialisation, développement clinique, propriété intellectuelle, business intelligence).
Chez Remora, nous avons « poussé » ce modèle de Venture Builder un peu plus loin, en intéressant les entrepreneurs et leurs équipes à l’actionnariat des start-up créées aux conditions de marché, et en laissant aux entrepreneurs une grande liberté dans la gestion de leur portefeuille de projets et de ventures.
C’est une pratique peu habituelle qui peut inquiéter certains investisseurs qui peuvent y voir de potentiels conflits d’intérêts. Mais sans cela, il est illusoire de pouvoir retenir les meilleurs talents en early-stage. D’où l’importance que nous donnons à une bonne gouvernance et à l’alignement entre nos actionnaires, nos entrepreneurs, nos équipes et nos experts scientifiques et médicaux.
Avec l’expérience, je pense que nous avons créé un écosystème attractif pour les meilleurs talents, notamment les entrepreneurs, qui peut apporter, à notre modeste échelle, un gain de profitabilité de la biotech franco-suisse aujourd’hui, et j’espère européenne demain.
Notre défi est maintenant de faire mieux connaître notre modèle de Venture Builder Intégré, notamment aux grands investisseurs privés et publics pour accélérer notre croissance, et pourquoi pas, faire des émules.
Comment concilier innovation et maîtrise des risques ?
Jean-Marc Le Doussal : L’innovation en biotech early-stage est, par nature, créative, réactive et difficile à planifier. Nous avons donc mis en place un modèle de gestion de l’incertitude fondé sur l’adaptation permanente. Plutôt que de nous fixer sur un seul projet, nous travaillons sur plusieurs pistes en parallèle et nous avançons progressivement en fonction des résultats expérimentaux et de l’évolution (très rapide) des opportunités du marché. Cette flexibilité réduit l’impact des échecs et maximise nos chances de succès.
Quels sont les marchés les plus prometteurs aujourd’hui ?
Mickael Machicoane : En immunothérapie, plusieurs segments sont en plein essor. L’oncologie reste un domaine clé avec les immuno-régulateurs à la suite des anticorps anti-PD1/PD-L1 et les CAR‑T cells. Les maladies auto-immunes et inflammatoires sont aussi un marché majeur, avec des espoirs dans des maladies très invalidantes, notamment en neurologie. Enfin, l’anti-âge commence à émerger, même si c’est encore un terrain plus spéculatif. Nous travaillons actuellement sur des projets dans ces trois domaines.
Quels sont les succès notables de Remora Biotech ?
Jean-Marc Le Doussal : Nous avons déjà vendu trois sociétés issues de notre Venture Builder. Une à un groupe tchèque au stade préclinique dans les cytokines et les immuno-régulateurs, actuellement en Phase II ; une à une société australienne au stade Phase II précoce, dans les radiopharmaceutiques, actuellement en Phase III. Et l’an dernier, une dans le domaine de la toxine botulique, rachetée en début d’étude clinique par un leader mondial américain. Forts de ces succès, nous sommes profitables depuis 2018, nous avons redistribué une partie de nos profits à nos actionnaires, et nous avons lancé depuis 2 ans plusieurs ventures en immunothérapie, thérapie cellulaire et médecine régénérative.
Quel est votre regard sur le financement en Europe et aux États-Unis ?
Jean-Marc Le Doussal : Les États-Unis offrent un meilleur accès aux capitaux, un accès plus rapide au marché et une meilleure valorisation des innovations. En revanche, les coûts y sont plus élevés. L’Europe dispose d’excellents chercheurs et infrastructures, mais souffre d’un environnement fragmenté par la langue et les réglementations nationales. N’oublions pas la Chine qui est devenue un acteur majeur du marché. Notre stratégie est donc hybride : nous développons nos projets localement en Europe, où les coûts sont plus maîtrisés, puis nous cherchons des acquéreurs partout dans le monde pour accélérer la mise sur le marché. Nous sommes très attentifs à ne vendre que nos actifs (brevets, molécules, données, etc.) et à conserver nos talents pour de futurs projets.
Quels sont vos objectifs pour les prochaines années ?
Jean-Marc Le Doussal : Nous avons actuellement 9 ventures dans notre portefeuille et environ autant de projets en incubation. Notre objectif est de consolider encore davantage notre modèle et d’atteindre une taille critique d’une trentaine de ventures nous permettant de continuer de dégager des profits chaque année. Nous prévoyons de lever des fonds d’ici 2027, avec en ligne de mire une possible introduction en bourse. Nous souhaitons transformer ce qui était encore une « boutique » il y a 2–3 ans en un acteur de référence dans l’écosystème biotech européen.
En bref
Avec son approche de Venture Builder intégré, Remora Biotech propose une nouvelle manière d’innover et de financer la biotech early-stage. En combinant expertise scientifique, structuration entrepreneuriale et financement, Jean-Marc Le Doussal, Mickael Machicoane et leur équipe ambitionnent de transformer l’investissement early-stage en biotechnologie.
https://www.remora-biotech.ch/
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