Réinventer l’expérience du luxe

À la tête du réseau Luxe d’Auditoire, Jean-Baptiste Cabrera explore les mutations profondes qui redéfinissent les codes du secteur : entre hybridation des expériences, montée en puissance des technologies immersives et exigence accrue de durabilité, l’innovation se met au service de l’émotion, de la narration et de la transmission. Rencontre avec un passeur passionné, ancré dans l’histoire des Maisons comme dans les usages de demain.
Comment les attentes de la clientèle internationale du luxe ont-elles évolué ces dernières années, notamment avec l’émergence des usages digitaux ?
La clientèle du luxe a considérablement changé ces dernières années, notamment sous l’effet de la transformation numérique. Nous observons une attente croissante de fluidité entre le monde physique et le monde digital. L’expérience client doit être exclusive, personnalisée, mais aussi connectée. Ce qui est fondamental, c’est le basculement du pouvoir d’influence. Il y a encore quelques années, les marques dictaient les tendances. Aujourd’hui, ce sont les communautés et les consommateurs qui influencent les marques. C’est un changement de paradigme profond, notamment visible dans les marchés émergents comme le Moyen-Orient ou l’Asie, où la clientèle est plus jeune, plus connectée et plus attentive aux valeurs. Un autre élément important est la recherche croissante d’authenticité.
“Le luxe de demain : une alchimie entre héritage, innovation et responsabilité.”
Les consommateurs du luxe ne veulent plus simplement acheter un produit : ils veulent s’identifier à une histoire, à un univers, à une valeur. Cela change complètement la manière dont les marques doivent se présenter : elles doivent être culturelles, engagées, cohérentes. Et au-delà des usages numériques, c’est une vision globale de la relation client qui s’est transformée, avec un besoin accru de réciprocité, de transparence et d’engagement sincère de la part des marques.
Comment les marques de luxe peuvent-elles conjuguer innovation technologique et préservation de l’exclusivité ?
Je ne pense pas que ces deux notions soient opposées. Au contraire, la technologie peut amplifier l’exclusivité si elle est utilisée avec finesse. Par exemple, Christian Dior a intégré des puces dans ses chaussures afin de garantir leur traçabilité et leur authenticité via un smartphone. C’est une innovation au service de la rareté et de la transparence. L’IA, la réalité augmentée, les NFTs ou encore les cabines d’essayage virtuelles, toutes ces technologies permettent d’offrir des expériences clients immersives et ultra-personnalisées, sans pour autant banaliser l’accès au luxe. Certaines Maisons vont même plus loin, en créant des activations digitales d’une rareté extrême, disponibles uniquement pour quelques initiés ou pour une durée très limitée. L’essentiel est de faire de chaque interaction un moment d’exception. Dans le luxe, l’innovation ne doit jamais être démonstrative : elle doit se fondre dans l’expérience, être au service de la magie et non de la prouesse technique.
Quelle tendance vous semble aujourd’hui la plus prometteuse en matière d’expérience client dans le luxe ?
L’expérience hybride, sans hésiter. Nous avons observé une forte remontée de la demande pour les expériences « in real life ». La crise sanitaire a peut-être accéléré le digital, mais elle a aussi créé une soif de lien humain, de réel, de sensoriel. Chez Auditoire, nous parlons de « nostalgie prédigitale ». On voit des retours d’objets comme les téléphones à clapet, les appareils photo jetables, etc. Cela témoigne d’une envie de résonner avec des expériences tangibles. Le luxe devient alors un espace de reconnexion, où le vendeur n’est plus un simple vendeur mais un curateur, un conteur d’histoires. De plus en plus de flagships se transforment en destinations culturelles, où l’achat est secondaire. L’expérience devient un moment de contemplation, de découverte, voire d’introspection. Nous assistons aussi à une montée en puissance de formats événementiels hybrides, associant performance artistique, dimension immersive, et lien direct avec la communauté.
Quelles approches ou technologies transforment votre façon de concevoir les événements chez Auditoire Luxe ?
Chez Auditoire Luxe, notre démarche repose sur une écoute extrêmement fine de l’ADN de chaque Maison et de ses clients. Nos équipes de planning stratégique mènent des veilles constantes pour anticiper les tendances. Nous nous adressons à une clientèle qui a déjà tout, et il nous faut donc créer des événements qui les marquent par l’émotion, la culture, l’érudition. L’obsession du détail est primordiale. Le moindre mot, la moindre lumière, l’odeur, le choix musical : tout concourt à raconter une histoire. Nous sommes des passeurs de patrimoine. Par exemple, pour un événement Cartier à Dubaï, nous avons retrouvé dans les archives une note de Jacques Cartier parlant du « mirage » de la ville.
Ce mot est devenu le fil conducteur du projet. Cette manière de concevoir l’expérience s’appuie aussi sur une intelligence collective. Nous avons des bureaux dans toutes les grandes capitales du luxe, de Shanghai à New York, en passant par Milan, Paris, Doha ou Riyad. Cela nous permet de capter en temps réel les signaux faibles du marché. Nous travaillons également avec des artistes, des designers, des chercheurs. Ce croisement des disciplines nous permet d’imaginer des dispositifs narratifs inattendus.
Comment les enjeux de durabilité et de responsabilité s’intègrent-ils dans votre stratégie sans dénaturer l’ADN du luxe ?
Le luxe est, par essence, durable. Une montre Patek Philippe, par exemple, est transmise de génération en génération. Aujourd’hui, il s’agit de renforcer cette valeur en réintégrant la circularité, la transparence, l’artisanat responsable dans les pratiques. Beaucoup de Maisons intègrent des matières recyclées, des processus de production écoconçus. Hermès, par exemple, a créé sa ligne Petit H à partir des matières dont les autres métiers d’Hermès n’ont pas d’usage. D’autres s’engagent dans la traçabilité via la blockchain.
Chez Auditoire, nous essayons d’adopter au maximum une approche écoresponsable dans nos événements (sans plastique, recyclage de matériaux, réutilisation de décors, etc.). La durabilité est une exigence croissante de nos clients. Mais la responsabilité va au-delà de l’environnement. Il s’agit aussi d’inclusivité, de respect du travail artisanal, de transmission des savoirs. Nous croyons aussi beaucoup à la pédagogie : expliquer nos choix de production, documenter nos démarches, partager nos engagements. Cela crée une forme de complicité nouvelle entre les marques, les agences et les publics.
Quel conseil donneriez-vous à un jeune diplômé qui souhaite s’orienter vers le luxe ?
Soyez passionnés. Apprenez l’histoire des Maisons. Le luxe est un langage, un patrimoine, un savoir-faire. Si vous ne connaissez pas Jeanne Toussaint, la directrice artistique de Cartier surnommée la Panthère, si vous ne savez pas pourquoi on dit que Joséphine était l’impératrice du style chez Chaumet, vous pouvez passer à côté de l’essentiel. Faites des stages, lisez, cultivez-vous. Il ne s’agit pas d’avoir la réponse parfaite, mais une réponse habitée. Et surtout, soyez curieux.
Le luxe est un univers d’histoires, d’anecdotes, de passion. Et n’oubliez jamais que la culture personnelle est un atout inestimable. Lire Pagnol, relire La Bruyère, comprendre les mots, les origines, les contextes, tout cela donne de la profondeur à votre regard. Le luxe ne se limite pas à ce qu’on montre : il est aussi dans ce qu’on comprend, ce qu’on ressent, ce qu’on transmet. Enfin, soyez humbles. Le luxe, c’est aussi une affaire d’écoute, de silence, de mesure. Ce n’est pas un domaine de démonstration, mais d’attention. Ceux qui excellent dans cet univers sont souvent ceux qui observent avant de parler, qui savent lire entre les lignes, et qui aiment sincèrement ce qu’ils font.
Pour en savoir plus : https://www.auditoire.com/