Auditoire : Réinventer l’expérience du luxe

Réinventer l’expérience du luxe

Dossier : Vie des entreprises - LuxeMagazine N°805 Mai 2025
Par Jean-Baptiste CABRERA

À la tête du réseau Luxe d’Audi­toire, Jean-Bap­tiste Cabre­ra explore les muta­tions pro­fondes qui redé­fi­nissent les codes du sec­teur : entre hybri­da­tion des expé­riences, mon­tée en puis­sance des tech­no­lo­gies immer­sives et exi­gence accrue de dura­bi­li­té, l’innovation se met au ser­vice de l’émotion, de la nar­ra­tion et de la trans­mis­sion. Ren­contre avec un pas­seur pas­sion­né, ancré dans l’histoire des Mai­sons comme dans les usages de demain.

Comment les attentes de la clientèle internationale du luxe ont-elles évolué ces dernières années, notamment avec l’émergence des usages digitaux ?

La clien­tèle du luxe a consi­dé­ra­ble­ment chan­gé ces der­nières années, notam­ment sous l’effet de la trans­for­ma­tion numé­rique. Nous obser­vons une attente crois­sante de flui­di­té entre le monde phy­sique et le monde digi­tal. L’expérience client doit être exclu­sive, per­son­na­li­sée, mais aus­si connec­tée. Ce qui est fon­da­men­tal, c’est le bas­cu­le­ment du pou­voir d’influence. Il y a encore quelques années, les marques dic­taient les ten­dances. Aujourd’hui, ce sont les com­mu­nau­tés et les consom­ma­teurs qui influencent les marques. C’est un chan­ge­ment de para­digme pro­fond, notam­ment visible dans les mar­chés émer­gents comme le Moyen-Orient ou l’Asie, où la clien­tèle est plus jeune, plus connec­tée et plus atten­tive aux valeurs. Un autre élé­ment impor­tant est la recherche crois­sante d’authenticité.

“Le luxe de demain : une alchimie entre héritage, innovation et responsabilité.”

Les consom­ma­teurs du luxe ne veulent plus sim­ple­ment ache­ter un pro­duit : ils veulent s’identifier à une his­toire, à un uni­vers, à une valeur. Cela change com­plè­te­ment la manière dont les marques doivent se pré­sen­ter : elles doivent être cultu­relles, enga­gées, cohé­rentes. Et au-delà des usages numé­riques, c’est une vision glo­bale de la rela­tion client qui s’est trans­for­mée, avec un besoin accru de réci­pro­ci­té, de trans­pa­rence et d’engagement sin­cère de la part des marques.

Comment les marques de luxe peuvent-elles conjuguer innovation technologique et préservation de l’exclusivité ?

Je ne pense pas que ces deux notions soient oppo­sées. Au contraire, la tech­no­lo­gie peut ampli­fier l’exclusivité si elle est uti­li­sée avec finesse. Par exemple, Chris­tian Dior a inté­gré des puces dans ses chaus­sures afin de garan­tir leur tra­ça­bi­li­té et leur authen­ti­ci­té via un smart­phone. C’est une inno­va­tion au ser­vice de la rare­té et de la trans­pa­rence. L’IA, la réa­li­té aug­men­tée, les NFTs ou encore les cabines d’essayage vir­tuelles, toutes ces tech­no­lo­gies per­mettent d’offrir des expé­riences clients immer­sives et ultra-per­son­na­li­sées, sans pour autant bana­li­ser l’accès au luxe. Cer­taines Mai­sons vont même plus loin, en créant des acti­va­tions digi­tales d’une rare­té extrême, dis­po­nibles uni­que­ment pour quelques ini­tiés ou pour une durée très limi­tée. L’essentiel est de faire de chaque inter­ac­tion un moment d’exception. Dans le luxe, l’innovation ne doit jamais être démons­tra­tive : elle doit se fondre dans l’expérience, être au ser­vice de la magie et non de la prouesse technique.

Quelle tendance vous semble aujourd’hui la plus prometteuse en matière d’expérience client dans le luxe ?

L’expérience hybride, sans hési­ter. Nous avons obser­vé une forte remon­tée de la demande pour les expé­riences « in real life ». La crise sani­taire a peut-être accé­lé­ré le digi­tal, mais elle a aus­si créé une soif de lien humain, de réel, de sen­so­riel. Chez Audi­toire, nous par­lons de « nos­tal­gie pré­di­gi­tale ». On voit des retours d’objets comme les télé­phones à cla­pet, les appa­reils pho­to jetables, etc. Cela témoigne d’une envie de réson­ner avec des expé­riences tan­gibles. Le luxe devient alors un espace de recon­nexion, où le ven­deur n’est plus un simple ven­deur mais un cura­teur, un conteur d’histoires. De plus en plus de flag­ships se trans­forment en des­ti­na­tions cultu­relles, où l’achat est secon­daire. L’expérience devient un moment de contem­pla­tion, de décou­verte, voire d’introspection. Nous assis­tons aus­si à une mon­tée en puis­sance de for­mats évé­ne­men­tiels hybrides, asso­ciant per­for­mance artis­tique, dimen­sion immer­sive, et lien direct avec la communauté.

Quelles approches ou technologies transforment votre façon de concevoir les événements chez Auditoire Luxe ?

Chez Audi­toire Luxe, notre démarche repose sur une écoute extrê­me­ment fine de l’ADN de chaque Mai­son et de ses clients. Nos équipes de plan­ning stra­té­gique mènent des veilles constantes pour anti­ci­per les ten­dances. Nous nous adres­sons à une clien­tèle qui a déjà tout, et il nous faut donc créer des évé­ne­ments qui les marquent par l’émotion, la culture, l’érudition. L’obsession du détail est pri­mor­diale. Le moindre mot, la moindre lumière, l’odeur, le choix musi­cal : tout concourt à racon­ter une his­toire. Nous sommes des pas­seurs de patri­moine. Par exemple, pour un évé­ne­ment Car­tier à Dubaï, nous avons retrou­vé dans les archives une note de Jacques Car­tier par­lant du « mirage » de la ville.

Ce mot est deve­nu le fil conduc­teur du pro­jet. Cette manière de conce­voir l’expérience s’appuie aus­si sur une intel­li­gence col­lec­tive. Nous avons des bureaux dans toutes les grandes capi­tales du luxe, de Shan­ghai à New York, en pas­sant par Milan, Paris, Doha ou Riyad. Cela nous per­met de cap­ter en temps réel les signaux faibles du mar­ché. Nous tra­vaillons éga­le­ment avec des artistes, des desi­gners, des cher­cheurs. Ce croi­se­ment des dis­ci­plines nous per­met d’imaginer des dis­po­si­tifs nar­ra­tifs inattendus.

Comment les enjeux de durabilité et de responsabilité s’intègrent-ils dans votre stratégie sans dénaturer l’ADN du luxe ?

Le luxe est, par essence, durable. Une montre Patek Phi­lippe, par exemple, est trans­mise de géné­ra­tion en géné­ra­tion. Aujourd’hui, il s’agit de ren­for­cer cette valeur en réin­té­grant la cir­cu­la­ri­té, la trans­pa­rence, l’artisanat res­pon­sable dans les pra­tiques. Beau­coup de Mai­sons intègrent des matières recy­clées, des pro­ces­sus de pro­duc­tion éco­con­çus. Her­mès, par exemple, a créé sa ligne Petit H à par­tir des matières dont les autres métiers d’Hermès n’ont pas d’usage. D’autres s’engagent dans la tra­ça­bi­li­té via la blockchain.

Chez Audi­toire, nous essayons d’adopter au maxi­mum une approche éco­res­pon­sable dans nos évé­ne­ments (sans plas­tique, recy­clage de maté­riaux, réuti­li­sa­tion de décors, etc.). La dura­bi­li­té est une exi­gence crois­sante de nos clients. Mais la res­pon­sa­bi­li­té va au-delà de l’environnement. Il s’agit aus­si d’inclusivité, de res­pect du tra­vail arti­sa­nal, de trans­mis­sion des savoirs. Nous croyons aus­si beau­coup à la péda­go­gie : expli­quer nos choix de pro­duc­tion, docu­men­ter nos démarches, par­ta­ger nos enga­ge­ments. Cela crée une forme de com­pli­ci­té nou­velle entre les marques, les agences et les publics.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune diplômé qui souhaite s’orienter vers le luxe ?

Soyez pas­sion­nés. Appre­nez l’histoire des Mai­sons. Le luxe est un lan­gage, un patri­moine, un savoir-faire. Si vous ne connais­sez pas Jeanne Tous­saint, la direc­trice artis­tique de Car­tier sur­nom­mée la Pan­thère, si vous ne savez pas pour­quoi on dit que José­phine était l’impératrice du style chez Chau­met, vous pou­vez pas­ser à côté de l’essentiel. Faites des stages, lisez, culti­vez-vous. Il ne s’agit pas d’avoir la réponse par­faite, mais une réponse habi­tée. Et sur­tout, soyez curieux.

Le luxe est un uni­vers d’histoires, d’anecdotes, de pas­sion. Et n’oubliez jamais que la culture per­son­nelle est un atout ines­ti­mable. Lire Pagnol, relire La Bruyère, com­prendre les mots, les ori­gines, les contextes, tout cela donne de la pro­fon­deur à votre regard. Le luxe ne se limite pas à ce qu’on montre : il est aus­si dans ce qu’on com­prend, ce qu’on res­sent, ce qu’on trans­met. Enfin, soyez humbles. Le luxe, c’est aus­si une affaire d’écoute, de silence, de mesure. Ce n’est pas un domaine de démons­tra­tion, mais d’attention. Ceux qui excellent dans cet uni­vers sont sou­vent ceux qui observent avant de par­ler, qui savent lire entre les lignes, et qui aiment sin­cè­re­ment ce qu’ils font.


Pour en savoir plus : https://www.auditoire.com/

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