Régénérer la moelle épinière : une révolution médicale en marche

Régénérer la moelle épinière : une révolution médicale en marche

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°804 Avril 2025
Par Jean-Yves NOTHIAS

Jusqu’à pré­sent, une lésion de la moelle épi­nière condamne les patients les plus graves à une perte irré­ver­sible de leurs fonc­tions motrices et sen­so­rielles. Mais une avan­cée scien­ti­fique inédite, issue des tra­vaux du CNRS et de Sor­bonne Uni­ver­si­té, pour­rait chan­ger la donne. Grâce à un bio­ma­té­riau bre­ve­té capable de sti­mu­ler la régé­né­ra­tion du tis­su ner­veux cen­tral, cette inno­va­tion offre une lueur d’espoir aux para­plé­giques et tétra­plé­giques. Entre­tien avec Jean-Yves Nothias, PDG de Med­je­duse.

Quel est votre parcours ?

Je suis doc­teur en bio­lo­gie molé­cu­laire de Sor­bonne Uni­ver­si­té et titu­laire d’un mas­ter en ges­tion d’affaires. Après un post-doc­to­rat dans un centre de recherche amé­ri­cain du groupe phar­ma­ceu­tique Roche, j’ai évo­lué vers l’analyse finan­cière, en me spé­cia­li­sant dans l’évaluation des entre­prises bio­phar­ma­ceu­tiques et medtech.

En 2001, j’ai pris la direc­tion d’une équipe d’investissement en capi­tal-risque à la Socié­té Géné­rale, avant de créer ma propre socié­té de ges­tion spé­cia­li­sée dans ce domaine. En 2019, j’ai fon­dé Med­je­duse, une star­tup med­tech spé­cia­li­sée dans les neu­ros­ciences, sur la base des recherches menées par mon épouse et ses col­lègues du CNRS et de Sor­bonne Uni­ver­si­té. Mon par­cours, à la croi­sée des sciences et du monde des affaires, me per­met d’avoir une vision à la fois tech­nique et stra­té­gique du déve­lop­pe­ment de cette innovation.

Quelle est votre innovation principale ?

Les lésions trau­ma­tiques du sys­tème ner­veux cen­tral entraînent une perte irré­ver­sible des fonc­tions neu­ro­lo­giques, comme la loco­mo­tion et la sen­sa­tion. Ces neu­ro­dé­gé­né­res­cences inter­rompent le « cou­rant », per­met­tant au cer­veau d’interagir avec de nom­breux organes. Elles pro­voquent dans les cas les plus graves une bles­sure chro­nique qui empêche l’autoréparation des connexions ner­veuses par neu­ro­plas­ti­ci­té. Nous nous concen­trons d’abord sur les bles­sures de la moelle épi­nière, res­pon­sables des para­plé­gies et tétra­plé­gies. Notre inno­va­tion de rup­ture, bre­ve­tée par les éta­blis­se­ments publics (CNRS et Sor­bonne Uni­ver­si­té) apporte une solu­tion à ce pro­blème médi­cal pour lequel aucune approche ne s’est révé­lée efficace.

“Nous nous concentrons spécifiquement sur les blessures de la moelle épinière, responsables de paraplégies et tétraplégies.”

En quoi votre approche se distingue-t-elle des traitements actuels ?

À ce jour, toutes les ten­ta­tives pour trai­ter les lésions de la moelle épi­nière ont échoué en essais cli­niques. Les médi­ca­ments tes­tés n’ont pas don­né de résul­tats concluants, et les tech­niques de sti­mu­la­tion élec­trique, bien que per­met­tant d’activer cer­tains muscles, ne réparent pas la lésion. Les thé­ra­pies fon­dées sur l’implantation de bio­ma­té­riaux ou de cel­lules souches montrent elles aus­si une effi­ca­ci­té limi­tée, notam­ment à cause de l’inflammation chro­nique qui rend très toxique l’environnement de la blessure.

Notre inno­va­tion est dif­fé­rente, car elle réduit la toxi­ci­té et sou­tient la repousse des connexions. Nos essais pré­cli­niques, réa­li­sés sur des modèles ani­maux, ont mon­tré une amé­lio­ra­tion signi­fi­ca­tive de la récu­pé­ra­tion motrice et sen­so­rielle. Notre tech­no­lo­gie est com­pa­tible avec d’autres approches, comme la greffe de cel­lules souches, ce qui ouvre la voie à des thé­ra­pies com­bi­nées encore plus efficaces.

Quelles ont été les principales étapes scientifiques et techniques de votre développement ?

Le déve­lop­pe­ment de notre solu­tion repose sur la forme bre­ve­tée d’un bio­ma­té­riau déjà connu pour ses pro­prié­tés médi­cales (effets anti­bio­tique, hémo­sta­tique, cica­tri­sant ou de sti­mu­la­tion de la repousse des nerfs péri­phé­riques). Ce maté­riau, uti­li­sé sous forme de micro­par­ti­cules, a mon­tré une effi­ca­ci­té remar­quable pour sti­mu­ler la régé­né­ra­tion du tis­su ner­veux cen­tral. Les pre­miers résul­tats obte­nus sur le rat ont été vali­dés sur un modèle por­cin plus proche de l’humain, ce qui consti­tue une étape cru­ciale avant d’envisager des essais cli­niques sur l’Homme.

Votre technologie semble prometteuse pour les patients atteints de lésions de la moelle épinière. Quels sont les bénéfices concrets que vous espérez apporter aux patients ?

Notre objec­tif est d’améliorer la récu­pé­ra­tion neu­ro­lo­gique des patients atteints de lésions de la moelle épi­nière, en par­ti­cu­lier dans les cas où les pers­pec­tives de récu­pé­ra­tion sont faibles mais aus­si dans les cas où la dou­leur est impor­tante. Si notre solu­tion se montre effi­cace chez l’Homme, elle trans­for­me­rait la prise en charge de ces patients en éta­blis­sant un nou­veau stan­dard de soin.

Quelles sont les prochaines étapes avant les essais cliniques ?

La pro­chaine étape est la pré­pa­ra­tion du lan­ce­ment d’un essai cli­nique visant à éva­luer la fai­sa­bi­li­té et la sécu­ri­té de notre tech­no­lo­gie chez l’Homme. Cette phase pré­pa­ra­toire néces­site un inves­tis­se­ment de 2 mil­lions d’euros sur deux ans afin d’obtenir les auto­ri­sa­tions régle­men­taires et d’engager une pre­mière étude clinique.

Votre technologie pourrait-elle être adaptée à d’autres pathologies neurologiques ?

Dans un pre­mier temps, nous nous concen­trons sur les neu­ro­dé­gé­né­res­cences induites par trau­ma­tisme, au niveau de la moelle épi­nière. Nous avons déjà iden­ti­fié des appli­ca­tions pro­met­teuses, que ce soit pour les trau­ma­tismes crâ­niens ou les acci­dents vas­cu­laires céré­braux (AVC), dans un cadre civil ou mili­taire et pour des patients de tout âge.

“Convaincre les neurologues et adapter notre solution à leurs pratiques et leurs besoins sera un enjeu clé pour son adoption à grande échelle.”

Notre bio­ma­té­riau étant simple à pro­duire et son implan­ta­tion com­pa­rable à celle des thé­ra­pies cel­lu­laires, il s’intègre aux pra­tiques médi­cales exis­tantes. Convaincre les neu­ro­logues et adap­ter notre solu­tion à leurs pra­tiques et leurs besoins est un enjeu clé pour son adop­tion à grande échelle.

Comment votre solution sera-t-elle appliquée concrètement ?

On peut com­pa­rer notre approche à la pose d’un pan­se­ment après ou lors de l’intervention chi­rur­gi­cale des­ti­née à sta­bi­li­ser la colonne ver­té­brale après un traumatisme.

L’administration de notre bio­ma­té­riau sera pres­crite après un diag­nos­tic pré­cis de la gra­vi­té de la lésion et de son poten­tiel de récu­pé­ra­tion. Dans les cas les plus com­plexes, l’évolution neu­ro­lo­gique du patient néces­site un sui­vi cli­nique sur plu­sieurs mois. Notre tech­no­lo­gie per­met une prise en charge adap­tée à chaque situa­tion, en fonc­tion de la gra­vi­té de la blessure.

Quelle est votre vision à long terme pour Medjeduse ?

Notre ambi­tion est de créer un labo­ra­toire spé­cia­li­sé dans les trau­ma­tismes du sys­tème ner­veux cen­tral. Ce centre d’expertise nous per­met­tra de déve­lop­per de nou­velles thé­ra­pies, de suivre leur impact cli­nique et d’explorer des syner­gies avec d’autres approches thé­ra­peu­tiques. À long terme, nous vou­lons faire de Med­je­duse une réfé­rence dans le domaine des neu­ros­ciences appli­quées, en éta­blis­sant un nou­veau stan­dard de soin pour un pro­blème médi­cal qui, jusqu’à pré­sent, échap­pait à toute approche de méde­cine régénérative. 

https://www.medjeduse.com/

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