Régénérer la moelle épinière : une révolution médicale en marche

Jusqu’à présent, une lésion de la moelle épinière condamne les patients les plus graves à une perte irréversible de leurs fonctions motrices et sensorielles. Mais une avancée scientifique inédite, issue des travaux du CNRS et de Sorbonne Université, pourrait changer la donne. Grâce à un biomatériau breveté capable de stimuler la régénération du tissu nerveux central, cette innovation offre une lueur d’espoir aux paraplégiques et tétraplégiques. Entretien avec Jean-Yves Nothias, PDG de Medjeduse.
Quel est votre parcours ?
Je suis docteur en biologie moléculaire de Sorbonne Université et titulaire d’un master en gestion d’affaires. Après un post-doctorat dans un centre de recherche américain du groupe pharmaceutique Roche, j’ai évolué vers l’analyse financière, en me spécialisant dans l’évaluation des entreprises biopharmaceutiques et medtech.
En 2001, j’ai pris la direction d’une équipe d’investissement en capital-risque à la Société Générale, avant de créer ma propre société de gestion spécialisée dans ce domaine. En 2019, j’ai fondé Medjeduse, une startup medtech spécialisée dans les neurosciences, sur la base des recherches menées par mon épouse et ses collègues du CNRS et de Sorbonne Université. Mon parcours, à la croisée des sciences et du monde des affaires, me permet d’avoir une vision à la fois technique et stratégique du développement de cette innovation.
Quelle est votre innovation principale ?
Les lésions traumatiques du système nerveux central entraînent une perte irréversible des fonctions neurologiques, comme la locomotion et la sensation. Ces neurodégénérescences interrompent le « courant », permettant au cerveau d’interagir avec de nombreux organes. Elles provoquent dans les cas les plus graves une blessure chronique qui empêche l’autoréparation des connexions nerveuses par neuroplasticité. Nous nous concentrons d’abord sur les blessures de la moelle épinière, responsables des paraplégies et tétraplégies. Notre innovation de rupture, brevetée par les établissements publics (CNRS et Sorbonne Université) apporte une solution à ce problème médical pour lequel aucune approche ne s’est révélée efficace.
“Nous nous concentrons spécifiquement sur les blessures de la moelle épinière, responsables de paraplégies et tétraplégies.”
En quoi votre approche se distingue-t-elle des traitements actuels ?
À ce jour, toutes les tentatives pour traiter les lésions de la moelle épinière ont échoué en essais cliniques. Les médicaments testés n’ont pas donné de résultats concluants, et les techniques de stimulation électrique, bien que permettant d’activer certains muscles, ne réparent pas la lésion. Les thérapies fondées sur l’implantation de biomatériaux ou de cellules souches montrent elles aussi une efficacité limitée, notamment à cause de l’inflammation chronique qui rend très toxique l’environnement de la blessure.
Notre innovation est différente, car elle réduit la toxicité et soutient la repousse des connexions. Nos essais précliniques, réalisés sur des modèles animaux, ont montré une amélioration significative de la récupération motrice et sensorielle. Notre technologie est compatible avec d’autres approches, comme la greffe de cellules souches, ce qui ouvre la voie à des thérapies combinées encore plus efficaces.
Quelles ont été les principales étapes scientifiques et techniques de votre développement ?
Le développement de notre solution repose sur la forme brevetée d’un biomatériau déjà connu pour ses propriétés médicales (effets antibiotique, hémostatique, cicatrisant ou de stimulation de la repousse des nerfs périphériques). Ce matériau, utilisé sous forme de microparticules, a montré une efficacité remarquable pour stimuler la régénération du tissu nerveux central. Les premiers résultats obtenus sur le rat ont été validés sur un modèle porcin plus proche de l’humain, ce qui constitue une étape cruciale avant d’envisager des essais cliniques sur l’Homme.
Votre technologie semble prometteuse pour les patients atteints de lésions de la moelle épinière. Quels sont les bénéfices concrets que vous espérez apporter aux patients ?
Notre objectif est d’améliorer la récupération neurologique des patients atteints de lésions de la moelle épinière, en particulier dans les cas où les perspectives de récupération sont faibles mais aussi dans les cas où la douleur est importante. Si notre solution se montre efficace chez l’Homme, elle transformerait la prise en charge de ces patients en établissant un nouveau standard de soin.
Quelles sont les prochaines étapes avant les essais cliniques ?
La prochaine étape est la préparation du lancement d’un essai clinique visant à évaluer la faisabilité et la sécurité de notre technologie chez l’Homme. Cette phase préparatoire nécessite un investissement de 2 millions d’euros sur deux ans afin d’obtenir les autorisations réglementaires et d’engager une première étude clinique.
Votre technologie pourrait-elle être adaptée à d’autres pathologies neurologiques ?
Dans un premier temps, nous nous concentrons sur les neurodégénérescences induites par traumatisme, au niveau de la moelle épinière. Nous avons déjà identifié des applications prometteuses, que ce soit pour les traumatismes crâniens ou les accidents vasculaires cérébraux (AVC), dans un cadre civil ou militaire et pour des patients de tout âge.
“Convaincre les neurologues et adapter notre solution à leurs pratiques et leurs besoins sera un enjeu clé pour son adoption à grande échelle.”
Notre biomatériau étant simple à produire et son implantation comparable à celle des thérapies cellulaires, il s’intègre aux pratiques médicales existantes. Convaincre les neurologues et adapter notre solution à leurs pratiques et leurs besoins est un enjeu clé pour son adoption à grande échelle.
Comment votre solution sera-t-elle appliquée concrètement ?
On peut comparer notre approche à la pose d’un pansement après ou lors de l’intervention chirurgicale destinée à stabiliser la colonne vertébrale après un traumatisme.
L’administration de notre biomatériau sera prescrite après un diagnostic précis de la gravité de la lésion et de son potentiel de récupération. Dans les cas les plus complexes, l’évolution neurologique du patient nécessite un suivi clinique sur plusieurs mois. Notre technologie permet une prise en charge adaptée à chaque situation, en fonction de la gravité de la blessure.
Quelle est votre vision à long terme pour Medjeduse ?
Notre ambition est de créer un laboratoire spécialisé dans les traumatismes du système nerveux central. Ce centre d’expertise nous permettra de développer de nouvelles thérapies, de suivre leur impact clinique et d’explorer des synergies avec d’autres approches thérapeutiques. À long terme, nous voulons faire de Medjeduse une référence dans le domaine des neurosciences appliquées, en établissant un nouveau standard de soin pour un problème médical qui, jusqu’à présent, échappait à toute approche de médecine régénérative.