Colonel Tourneur

Regard sur trois ans à l’X avec le colonel Bernard TOURNEUR

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°738 Octobre 2018
Par Robert RANQUET (72)

Mon colonel, vous quittez l’École après trois années à la tête de la direction de la formation humaine et militaire. Que retenez-vous de ces trois années ?

D’abord, d’avoir par­ti­ci­pé à un grand chan­tier de trans­for­ma­tion. Je suis arri­vé à l’École au len­de­main de la sor­tie du rap­port Atta­li. Le direc­teur géné­ral Yves Demay m’a tout de suite dési­gné pour un des groupes de tra­vail qui se met­taient en place pour pré­pa­rer les évo­lu­tions consé­cu­tives à ce rap­port. Je me suis ain­si retrou­vé dans un groupe char­gé de réflé­chir à la rela­tion de l’École avec l’État. Autant dire que, arri­vant de mon temps de com­man­de­ment aux Pom­piers de Paris, je n’avais pas spé­cia­le­ment tra­vaillé le sujet… Mais je me suis tout de suite ren­du compte qu’il allait se pas­ser des choses impor­tantes, notam­ment du côté de la créa­tion des nou­veaux cur­sus. Je me suis donc deman­dé ce que je pou­vais faire, moi, à la tête de la DFHM, dans ce mou­ve­ment de trans­for­ma­tion. Et j’ai choi­si de me concen­trer sur la pré­pa­ra­tion du nou­veau pro­gramme des bache­lors. C’était un enjeu très fort pour l’École : on ne pou­vait abso­lu­ment pas rater leur arri­vée pré­vue en 2017 ! 

J’ai donc mis en place une petite équipe de 4 cadres volon­taires, avec à leur tête un « com­man­dant de pro­mo », qui était d’ailleurs une X. Ces bache­lors étaient vrai­ment une popu­la­tion toute nou­velle pour l’École, une popu­la­tion qui n’entrait pas dans les modèles exis­tants. Ils étaient très inter­na­tio­naux, pour cer­tains venant de très loin, sans attaches ici. Beau­coup d’entre eux étaient mineurs, au moins la pre­mière année. En fait, ce sont pour la plu­part de grands ados. Il fal­lait donc orga­ni­ser pour eux un modèle de for­ma­tion humaine adap­tée avec un accueil et un accom­pa­gne­ment sur mesure, dif­fé­rent du pro­gramme bien éprou­vé du cur­sus ingé­nieur mais repo­sant sur les mêmes fon­da­men­taux si bien syn­thé­ti­sés dans la belle devise de l’X. Nous leur avons donc pro­po­sé bien sûr un enca­dre­ment, du sport, mais aus­si des acti­vi­tés le week-end (sor­ties cultu­relles, visites de Paris, sor­ties en forêt…). Ils ont eu un moment d’intégration sur cinq jours en Nor­man­die, et un pas­sage au centre d’entraînement com­man­do de Mont-Louis (en ver­sion adou­cie !) pen­dant l’hiver. Ils ont pu cra­pa­hu­ter dans la neige : ils ont adoré ! 

Tout ceci n’a pas été sans mal : l’arrivée de ces grands ados bous­cu­lait beau­coup d’habitudes sur le Pla­tâl, aus­si bien au sein du per­son­nel de la DFHM elle-même, davan­tage habi­tuée à gérer le par­cours spé­ci­fique des élèves ingé­nieurs poly­tech­ni­ciens, que par­mi ces der­niers, qui ont vu avec quelque inquié­tude – au moins au départ – arri­ver ces nou­veaux venus, avec qui ils devaient par­ta­ger nos res­sources (sports, salles, moni­teurs…). Mais, bon, au bout de deux ou trois ans à l’École, ces bache­lors auront cer­tai­ne­ment bien trou­vé toute leur place. 

Dans votre expérience de commandement, que représente ce passage à l’X ?

En fait, je n’étais jamais repas­sé par la case « école » depuis Saint-Cyr. Il a donc fal­lu que je me remette « dans la tête » d’un jeune de vingt ans pour essayer de com­prendre ce qui se pas­sait autour de moi. Il y a eu des moments dif­fi­ciles. Début 2016, nous avons eu à faire face au moment dra­ma­tique du double sui­cide, qui a évi­dem­ment beau­coup mar­qué les élèves, tout comme la direc­tion : ce moment a été très dur. S’en est sui­vi un épi­sode de ten­sion mar­quée entre les élèves et la direc­tion, qui leur a un peu ser­vi d’exutoire, et c’était nor­mal. Il nous a quand même fal­lu plu­sieurs mois pour réta­blir la confiance avec les élèves. 

Et il y a eu ensuite l’affaire du har­cè­le­ment sexuel qui a écla­té en 2017, reprise lar­ge­ment dans les médias, avec enquête de com­man­de­ment, sanc­tions, etc. J’étais bien sûr concer­né, aus­si bien comme chef de corps que comme res­pon­sable de la for­ma­tion humaine. C’est un pro­blème qui a beau­coup de com­po­santes, l’emprise des réseaux sociaux n’étant pas la moindre. Je me suis gar­dé de m’aventurer sur le ter­rain du sexisme, où on peut faci­le­ment déri­ver, pour me tenir fer­me­ment à la lutte contre le risque HDVS (har­cè­le­ment, dis­cri­mi­na­tion, vio­lences sexuelles), telle qu’elle est mise en œuvre au sein des armées. Là, on est sur un ter­rain mieux bali­sé et plus solide : on lutte contre ce qui relève du délit ou du crime. 

Et je n’oublie pas mes démê­lés per­son­nels avec la Khô­miss, même si je garde glo­ba­le­ment un excellent sou­ve­nir de mes rela­tions avec les Géné K successifs ! 

Le colonel Tourneur et le directeur général lors de la cérémonie d’adieu à l’X.
Le colo­nel Tour­neur et le direc­teur géné­ral lors de la céré­mo­nie d’adieu à l’X.

S’il fallait résumer votre sentiment en trois points ?

D’abord, je suis frap­pé par ce modèle édu­ca­tif de liber­té abso­lue pro­po­sé aux X (très loin de celui que j’ai connu pour la for­ma­tion des offi­ciers à Saint-Cyr…) : c’est vrai­ment un modèle à la carte taillé sur mesure, pour ceux qui ont la capa­ci­té de l’absorber. Mais autant ceux qui ont la matu­ri­té psy­cho­lo­gique et humaine suf­fi­sante en pro­fitent à plein et y fleu­rissent, autant ceux qui sont moins mûrs peuvent faci­le­ment y perdre pied et se perdre. Ceux-là, le sys­tème a du mal à les repé­rer et à les « accompagner ». 

Ensuite, je reste fas­ci­né par la capa­ci­té et la rapi­di­té d’apprentissage des X : c’est vrai­ment fabuleux ! 

Enfin, et là encore cela tranche avec ce que j’ai moi-même connu dans mon par­cours, quelle diver­si­té de pro­fils et d’aptitude ! Je suis tou­jours épa­té de voir à quel point ces jeunes sont dif­fé­rents les uns des autres et partent en flèche vers des tra­jec­toires aus­si éton­nantes et variées. 

Commentaire

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didierrépondre
16 octobre 2018 à 18 h 16 min

colo­nel Ber­nard Tour­neur
Bra­vo pour ce beau parcours. 

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