Que fait la Banque centrale européenne dans la finance durable ?

Que fait la Banque centrale européenne dans la finance durable ?

Dossier : La finance durableMagazine N°804 Avril 2025
Par Benjamin SAHEL (X90)

Une banque cen­trale comme la BCE est impli­quée dans la finance durable à tra­vers l’ensemble de ses mis­sions. Elle vise à réduire son empreinte envi­ron­ne­men­tale dans la pro­duc­tion de billets et à consti­tuer les por­te­feuilles qu’elle gère autant que pos­sible avec des titres res­pon­sables. Sa poli­tique moné­taire et sa super­vi­sion ban­caire sont ali­gnées avec les objec­tifs de l’Union en matière sociale et environnementale.

La ques­tion de ce que fait la BCE dans la finance durable peut être com­prise de deux manières : quelles sont les actions menées par la BCE et leurs effets ? Pour­quoi est-ce qu’une banque cen­trale prend des déci­sions dans ce domaine, qui fait par­tie de la sphère poli­tique ? Com­men­çons par la pre­mière ques­tion. La réponse à la seconde ques­tion appa­raî­tra en fili­grane vers la fin de l’article. Les opi­nions expri­mées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas néces­sai­re­ment les vues de la BCE ou de l’Eurosystème.

Graphique 1 : comparaison de l’empreinte environnementale des billets en euros mesurée en 2019 et d’autres produits courants. Note : une équivalence de trajet en voiture est proposée pour chaque catégorie. Source : BCE
Gra­phique 1 : com­pa­rai­son de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale des billets en euros mesu­rée en 2019 et d’autres pro­duits cou­rants.
Note : une équi­va­lence de tra­jet en voi­ture est pro­po­sée pour chaque caté­go­rie. Source : BCE

Le produit tangible de la BCE, les billets de banque

Peu après la mise en cir­cu­la­tion des billets et pièces en euros le 1er jan­vier 2002, la BCE avait conduit une ana­lyse du cycle de vie cash. Cette ana­lyse avait consis­té à mesu­rer l’impact total sur l’environnement des billets en euros, com­pre­nant la pro­duc­tion des billets, leur uti­li­sa­tion et leur fin de vie. L’analyse avait mon­tré que les impacts pro­ve­naient prin­ci­pa­le­ment de l’énergie néces­saire à la pro­duc­tion, au trans­port et à la mise à dis­po­si­tion dans les dis­tri­bu­teurs. Diverses actions avaient été menées ensuite, dès 2004, notam­ment le pas­sage au coton durable pour la pro­duc­tion du papier sur lequel les billets sont impri­més, qui a conduit à une réduc­tion de 75 % sur quinze ans de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale du coton utilisé.

Des ana­lyses d’empreinte envi­ron­ne­men­tale ont été répé­tées depuis, sur le fon­de­ment d’une métho­do­lo­gie mise en place par la Com­mis­sion euro­péenne (voir gra­phique 1, ci-des­sus), et diverses réduc­tions signi­fi­ca­tives ont été obser­vées, notam­ment en ce qui concerne la consom­ma­tion d’énergie (-35 % sur quinze ans pour les dis­tri­bu­teurs de billets) et le recy­clage des billets en fin de cycle (impact envi­ron­ne­men­tal pas­sé de néga­tif à posi­tif). Cette métho­do­lo­gie est appli­cable dans d’autres domaines à la BCE, par exemple les sys­tèmes de paie­ment et de règle­ment de titres.

Le fonds de pension

Le par­cours de la BCE dans la finance durable passe ensuite par la ges­tion du fonds de pen­sion de ses employés. Il s’agit d’un sys­tème par capi­ta­li­sa­tion : les contri­bu­tions des employés et de la BCE en tant qu’employeur sont inves­ties de façon à consti­tuer le capi­tal qui ser­vi­ra à payer la retraite men­suelle de chaque employé. Le por­te­feuille d’investissement est petit si on le com­pare aux espèces en cir­cu­la­tion ou aux opé­ra­tions de poli­tique moné­taire, mais se monte tout de même actuel­le­ment à plus de 2 mil­liards d’euros. Il est inves­ti dans des actifs diver­si­fiés au niveau glo­bal en sui­vant des indices de marché.

Une réflexion enga­gée en 2016 a conduit à chan­ger les indices de réfé­rence pour réduire la signa­ture car­bone des actifs déte­nus et à appli­quer, via le dépo­si­taire de titres et les ges­tion­naires de por­te­feuille, une poli­tique active de votes aux assem­blées d’actionnaires (voir gra­phique 2, ci-des­sous). Ces mesures appli­quées à par­tir de 2018 com­prennent aus­si une exclu­sion des émet­teurs non ver­tueux en ce qui concerne le res­pect des trai­tés et conven­tions inter­na­tio­naux. L’approche sui­vie entre ain­si dans les caté­go­ries SRI et ESG (Social­ly Res­pon­sible Invest­ment et Envi­ron­men­tal, Social and Gover­nance) ain­si que UNPRI et GC (Uni­ted Nations’ Prin­ciples for Res­pon­sible Invest­ment et UN Glo­bal Compact).

Les actions menées par la BCE dans ce domaine accom­pagnent les évo­lu­tions de mar­ché. C’est ain­si que la BCE a rem­pla­cé ses indices de réfé­rence « bas car­bone » par des indices « ali­gnés sur les objec­tifs de Paris » dès que de tels indices sont deve­nus dis­po­nibles : ils per­mettent un fil­trage plus fin et plus dyna­mique. Ces chan­ge­ments de poli­tique d’investis­sement amé­liorent signi­fi­ca­ti­ve­ment le pro­fil per­for­mance-risque du por­te­feuille d’investissement.

Graphique 2.
Gra­phique 2.

Les autres portefeuilles

Ce type d’approche a ensuite été appli­qué aux autres por­te­feuilles de la BCE et de l’Eurosystème (la BCE et les banques cen­trales natio­nales de la zone euro), y com­pris le por­te­feuille des fonds propres de la BCE et les por­te­feuilles de poli­tique moné­taire, notam­ment le por­te­feuille de titres de dette d’entreprise. Dans ce der­nier por­te­feuille se mon­tant alors à envi­ron 400 mil­liards d’euros, une approche dite til­ting (incli­nai­son) a été appli­quée à par­tir d’octobre 2022.

L’approche consiste à sur­pon­dé­rer les entre­prises ayant une meilleure per­for­mance cli­mat lors du rem­pla­ce­ment des titres arri­vant à échéance. Cela conduit à un ver­dis­se­ment, c’est-à-dire une baisse de l’empreinte du por­te­feuille, visible dès 2022 (gra­phique 3, ci-des­sous). Grâce au til­ting, ce por­te­feuille rem­plit non seule­ment son objec­tif de mise en œuvre de la poli­tique moné­taire, mais encore sou­tient les objec­tifs de l’Union euro­péenne en matière de lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique et de pro­tec­tion de la nature.

Graphique 3.
Gra­phique 3.

La stratégie de politique monétaire

Le ver­dis­se­ment des actifs de poli­tique moné­taire se fonde sur la nou­velle stra­té­gie de poli­tique moné­taire adop­tée en 2021. C’est ici que nous pou­vons com­men­cer à répondre à la seconde ques­tion : pour­quoi est-ce qu’une banque cen­trale prend des déci­sions dans le domaine de la finance durable ? Le chan­ge­ment cli­ma­tique a de pro­fondes consé­quences sur la sta­bi­li­té des prix, en rai­son de ses effets struc­tu­rels et conjonc­tu­rels sur l’économie et le sys­tème finan­cier. Les éva­lua­tions de la poli­tique moné­taire intègrent désor­mais l’ensemble des fac­teurs liés au cli­mat, y com­pris les effets de la tran­si­tion vers une éco­no­mie sobre en carbone.

“Le changement climatique a de profondes conséquences sur la stabilité des prix.”

Les modèles de pré­vi­sion et les pro­jec­tions de la BCE intègrent aus­si ces fac­teurs. Et la mise en œuvre de la poli­tique moné­taire est para­mé­trée de telle sorte qu’elle sou­tienne non seule­ment l’objectif de poli­tique moné­taire, la sta­bi­li­té des prix, mais aus­si les objec­tifs géné­raux de l’Union euro­péenne. Le til­ting des por­te­feuilles d’actifs est l’un de ces para­mètres. Un autre ensemble de para­mètres concerne les actifs appor­tés en garan­tie (nan­tis­se­ment) lors des opé­ra­tions de prêts aux banques. Chaque prêt consen­ti par l’Eurosystème doit être cou­vert par des actifs ayant une qua­li­té de cré­dit suffisante.

La BCE requiert doré­na­vant que les émet­teurs et débi­teurs de ces actifs publient des infor­ma­tions détaillées sur leur expo­si­tion aux risques cli­ma­tiques, en accord avec les pré­co­ni­sa­tions de la direc­tive CSRD (direc­tive euro­péenne rela­tive à la publi­ca­tion d’informations en matière de dura­bi­li­té par les entre­prises), et que les éva­lua­tions de la qua­li­té de cré­dit tiennent compte de ces risques. En outre, la BCE s’assure que la per­for­mance cli­ma­tique est reflé­tée dans la valo­ri­sa­tion et les marges appli­quées à chaque actif. Tout cela amé­liore le pro­fil de risque des actifs reçus en garan­tie par l’Eurosystème.

Graphique 4.
Gra­phique 4.

La supervision bancaire

L’autre (grosse) moi­tié de la BCE, qui a fêté ses dix ans en 2024, est res­pon­sable de la super­vi­sion des banques de la zone euro. L’action de la BCE en faveur de la finance durable est rela­ti­ve­ment directe dans ce domaine : la BCE s’est en effet fixé pour objec­tif que chaque banque incor­pore les risques cli­ma­tiques et natu­rels dans sa stra­té­gie d’entreprise, sa ges­tion et son sys­tème de contrôle des risques. Elle a éta­bli en 2020 des attentes pru­den­tielles que les banques devaient réa­li­ser par étapes allant jusqu’à la fin de l’année 2024, sous peine de sanctions.

En 2022, les por­te­feuilles d’actifs de la plu­part des banques n’étaient pas encore ali­gnés avec les objec­tifs de l’Accord de Paris sur le cli­mat. Cela concer­nait aus­si des banques qui s’étaient enga­gées à res­pec­ter ces objec­tifs (gra­phique 4, ci-des­sus). Le méca­nisme de super­vi­sion unique (la BCE et les auto­ri­tés natio­nales de super­vi­sion) a conduit un cli­mate stress test (test de résis­tance aux risques cli­ma­tiques), des ana­lyses sur les risques cli­ma­tiques et envi­ron­ne­men­taux, des revues de la confor­mi­té des infor­ma­tions publiées par les banques sur ces risques, ain­si que des ana­lyses des por­te­feuilles d’actifs lors d’inspections sur pièces ou sur place dans les banques. Ces mesures devraient contri­buer à un ajus­te­ment et ain­si ren­for­cer la rési­lience du sys­tème ban­caire de la zone euro.

Bien faire fait taire

Les actions de la BCE font par­tie d’un mou­ve­ment sui­vi par de nom­breuses banques cen­trales et super­vi­seurs ban­caires au niveau mon­dial, qui échangent notam­ment dans le Net­work for Gree­ning the Finan­cial Sys­tem (NGFS, réseau pour le ver­dis­se­ment du sys­tème finan­cier). Le NGFS a émis diverses recom­man­da­tions depuis 2019, notam­ment une exi­gence de trans­pa­rence et de mise à dis­po­si­tion de don­nées. La BCE publie des infor­ma­tions dans ses rap­ports annuels et men­suels ain­si que d’autres publi­ca­tions, notam­ment ses Cli­mate-Rela­ted Finan­cial Dis­clo­sures (les gra­phiques 2 et 3 en sont extraits) ; et la BCE enjoint aux banques de la zone euro, qu’elle super­vise, de publier régu­liè­re­ment de telles infor­ma­tions. Au-delà des annonces et dis­cours, une telle trans­pa­rence per­met aux par­ties concer­nées, que ce soit le public ou les action­naires et clients des banques, de connaître les enjeux et de se faire une opinion.

Pour la BCE, la sou­te­na­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale est un impé­ra­tif pour une bonne poli­tique moné­taire et une bonne super­vi­sion pru­den­tielle ; et c’est aus­si une contri­bu­tion à la réa­li­sa­tion des objec­tifs géné­raux de l’Union européenne.


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