Que fait la Banque centrale européenne dans la finance durable ?

Une banque centrale comme la BCE est impliquée dans la finance durable à travers l’ensemble de ses missions. Elle vise à réduire son empreinte environnementale dans la production de billets et à constituer les portefeuilles qu’elle gère autant que possible avec des titres responsables. Sa politique monétaire et sa supervision bancaire sont alignées avec les objectifs de l’Union en matière sociale et environnementale.
La question de ce que fait la BCE dans la finance durable peut être comprise de deux manières : quelles sont les actions menées par la BCE et leurs effets ? Pourquoi est-ce qu’une banque centrale prend des décisions dans ce domaine, qui fait partie de la sphère politique ? Commençons par la première question. La réponse à la seconde question apparaîtra en filigrane vers la fin de l’article. Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les vues de la BCE ou de l’Eurosystème.

Note : une équivalence de trajet en voiture est proposée pour chaque catégorie. Source : BCE
Le produit tangible de la BCE, les billets de banque
Peu après la mise en circulation des billets et pièces en euros le 1er janvier 2002, la BCE avait conduit une analyse du cycle de vie cash. Cette analyse avait consisté à mesurer l’impact total sur l’environnement des billets en euros, comprenant la production des billets, leur utilisation et leur fin de vie. L’analyse avait montré que les impacts provenaient principalement de l’énergie nécessaire à la production, au transport et à la mise à disposition dans les distributeurs. Diverses actions avaient été menées ensuite, dès 2004, notamment le passage au coton durable pour la production du papier sur lequel les billets sont imprimés, qui a conduit à une réduction de 75 % sur quinze ans de l’empreinte environnementale du coton utilisé.
Des analyses d’empreinte environnementale ont été répétées depuis, sur le fondement d’une méthodologie mise en place par la Commission européenne (voir graphique 1, ci-dessus), et diverses réductions significatives ont été observées, notamment en ce qui concerne la consommation d’énergie (-35 % sur quinze ans pour les distributeurs de billets) et le recyclage des billets en fin de cycle (impact environnemental passé de négatif à positif). Cette méthodologie est applicable dans d’autres domaines à la BCE, par exemple les systèmes de paiement et de règlement de titres.
Le fonds de pension
Le parcours de la BCE dans la finance durable passe ensuite par la gestion du fonds de pension de ses employés. Il s’agit d’un système par capitalisation : les contributions des employés et de la BCE en tant qu’employeur sont investies de façon à constituer le capital qui servira à payer la retraite mensuelle de chaque employé. Le portefeuille d’investissement est petit si on le compare aux espèces en circulation ou aux opérations de politique monétaire, mais se monte tout de même actuellement à plus de 2 milliards d’euros. Il est investi dans des actifs diversifiés au niveau global en suivant des indices de marché.
Une réflexion engagée en 2016 a conduit à changer les indices de référence pour réduire la signature carbone des actifs détenus et à appliquer, via le dépositaire de titres et les gestionnaires de portefeuille, une politique active de votes aux assemblées d’actionnaires (voir graphique 2, ci-dessous). Ces mesures appliquées à partir de 2018 comprennent aussi une exclusion des émetteurs non vertueux en ce qui concerne le respect des traités et conventions internationaux. L’approche suivie entre ainsi dans les catégories SRI et ESG (Socially Responsible Investment et Environmental, Social and Governance) ainsi que UNPRI et GC (United Nations’ Principles for Responsible Investment et UN Global Compact).
Les actions menées par la BCE dans ce domaine accompagnent les évolutions de marché. C’est ainsi que la BCE a remplacé ses indices de référence « bas carbone » par des indices « alignés sur les objectifs de Paris » dès que de tels indices sont devenus disponibles : ils permettent un filtrage plus fin et plus dynamique. Ces changements de politique d’investissement améliorent significativement le profil performance-risque du portefeuille d’investissement.

Les autres portefeuilles
Ce type d’approche a ensuite été appliqué aux autres portefeuilles de la BCE et de l’Eurosystème (la BCE et les banques centrales nationales de la zone euro), y compris le portefeuille des fonds propres de la BCE et les portefeuilles de politique monétaire, notamment le portefeuille de titres de dette d’entreprise. Dans ce dernier portefeuille se montant alors à environ 400 milliards d’euros, une approche dite tilting (inclinaison) a été appliquée à partir d’octobre 2022.
L’approche consiste à surpondérer les entreprises ayant une meilleure performance climat lors du remplacement des titres arrivant à échéance. Cela conduit à un verdissement, c’est-à-dire une baisse de l’empreinte du portefeuille, visible dès 2022 (graphique 3, ci-dessous). Grâce au tilting, ce portefeuille remplit non seulement son objectif de mise en œuvre de la politique monétaire, mais encore soutient les objectifs de l’Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique et de protection de la nature.

La stratégie de politique monétaire
Le verdissement des actifs de politique monétaire se fonde sur la nouvelle stratégie de politique monétaire adoptée en 2021. C’est ici que nous pouvons commencer à répondre à la seconde question : pourquoi est-ce qu’une banque centrale prend des décisions dans le domaine de la finance durable ? Le changement climatique a de profondes conséquences sur la stabilité des prix, en raison de ses effets structurels et conjoncturels sur l’économie et le système financier. Les évaluations de la politique monétaire intègrent désormais l’ensemble des facteurs liés au climat, y compris les effets de la transition vers une économie sobre en carbone.
“Le changement climatique a de profondes conséquences sur la stabilité des prix.”
Les modèles de prévision et les projections de la BCE intègrent aussi ces facteurs. Et la mise en œuvre de la politique monétaire est paramétrée de telle sorte qu’elle soutienne non seulement l’objectif de politique monétaire, la stabilité des prix, mais aussi les objectifs généraux de l’Union européenne. Le tilting des portefeuilles d’actifs est l’un de ces paramètres. Un autre ensemble de paramètres concerne les actifs apportés en garantie (nantissement) lors des opérations de prêts aux banques. Chaque prêt consenti par l’Eurosystème doit être couvert par des actifs ayant une qualité de crédit suffisante.
La BCE requiert dorénavant que les émetteurs et débiteurs de ces actifs publient des informations détaillées sur leur exposition aux risques climatiques, en accord avec les préconisations de la directive CSRD (directive européenne relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises), et que les évaluations de la qualité de crédit tiennent compte de ces risques. En outre, la BCE s’assure que la performance climatique est reflétée dans la valorisation et les marges appliquées à chaque actif. Tout cela améliore le profil de risque des actifs reçus en garantie par l’Eurosystème.

La supervision bancaire
L’autre (grosse) moitié de la BCE, qui a fêté ses dix ans en 2024, est responsable de la supervision des banques de la zone euro. L’action de la BCE en faveur de la finance durable est relativement directe dans ce domaine : la BCE s’est en effet fixé pour objectif que chaque banque incorpore les risques climatiques et naturels dans sa stratégie d’entreprise, sa gestion et son système de contrôle des risques. Elle a établi en 2020 des attentes prudentielles que les banques devaient réaliser par étapes allant jusqu’à la fin de l’année 2024, sous peine de sanctions.
En 2022, les portefeuilles d’actifs de la plupart des banques n’étaient pas encore alignés avec les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat. Cela concernait aussi des banques qui s’étaient engagées à respecter ces objectifs (graphique 4, ci-dessus). Le mécanisme de supervision unique (la BCE et les autorités nationales de supervision) a conduit un climate stress test (test de résistance aux risques climatiques), des analyses sur les risques climatiques et environnementaux, des revues de la conformité des informations publiées par les banques sur ces risques, ainsi que des analyses des portefeuilles d’actifs lors d’inspections sur pièces ou sur place dans les banques. Ces mesures devraient contribuer à un ajustement et ainsi renforcer la résilience du système bancaire de la zone euro.
Bien faire fait taire
Les actions de la BCE font partie d’un mouvement suivi par de nombreuses banques centrales et superviseurs bancaires au niveau mondial, qui échangent notamment dans le Network for Greening the Financial System (NGFS, réseau pour le verdissement du système financier). Le NGFS a émis diverses recommandations depuis 2019, notamment une exigence de transparence et de mise à disposition de données. La BCE publie des informations dans ses rapports annuels et mensuels ainsi que d’autres publications, notamment ses Climate-Related Financial Disclosures (les graphiques 2 et 3 en sont extraits) ; et la BCE enjoint aux banques de la zone euro, qu’elle supervise, de publier régulièrement de telles informations. Au-delà des annonces et discours, une telle transparence permet aux parties concernées, que ce soit le public ou les actionnaires et clients des banques, de connaître les enjeux et de se faire une opinion.
Pour la BCE, la soutenabilité environnementale est un impératif pour une bonne politique monétaire et une bonne supervision prudentielle ; et c’est aussi une contribution à la réalisation des objectifs généraux de l’Union européenne.
Ressources :
- https://www.ecb.europa.eu/press/pubbydate/2023/html/ecb.pefreport202312~81e945e7aa.fr.html#toc11
- https://www.ecb.europa.eu/ecb/climate/climate-related-financial-disclosures/shared/pdf/ecb.crfd2024_NMPPs.fr.pdf
- https://www.ecb.europa.eu/ecb/climate/climate-related-financial-disclosures/shared/pdf/ecb.crfd2024_MPPs.fr.pdf
- https://www.bankingsupervision.europa.eu/ecb/pub/pdf/ssm.bankingsectoralignmentreport202401~49c6513e71.fr.pdf