Qube Research & technologies : la start-up de l’ombre qui vient bousculer les géants de la finance quantitative


En sept ans, Qube Research & Technologies (QRT) est passée discrètement de spin-off à acteur majeur de la gestion quantitative avec 33 milliards de dollars d’actifs sous gestion. Rencontre avec deux de ses têtes pensantes, les polytechniciens Laurent Laizet (X91), cofondateur et Jad Saab (X01), associé, pour comprendre les ressorts de ce succès hors normes.
En quelques années, votre société a connu une ascension fulgurante. Comment l’expliquez-vous ?
Laurent Laizet : QRT est née d’un spin-off de Crédit Suisse en 2018, ce qui signifie que nous n’avons pas démarré de zéro : nous avons pu nous appuyer sur une équipe existante solide, des outils déjà opérationnels et une base d’investisseurs. Dès l’origine, notre ambition était de bâtir une société de gestion disruptive, fondée sur l’humain, la discipline scientifique et capable de délivrer des performances élevées. Ce positionnement a rapidement séduit des investisseurs institutionnels majeurs. En quelques chiffres de 2018 à nos jours, nous sommes passés de :
- 800 millions à 33 milliards de dollars d’actifs sous gestion,
- 80 à +1 800 collaborateurs et +70 nationalités
- 3 à 13 bureaux en Europe, Moyen-Orient et Asie Pacifique.
Pour ce faire, nous avons exclusivement investi dans la technologie, l’innovation et les talents, tout en maintenant une rigueur extrême sur nos stratégies d’investissement.
Comment naviguez-vous dans l’océan de données disponibles aujourd’hui ?
Jad Saab : Dans le monde actuel, les données affluent de toutes parts, à un rythme exponentiel. Pour nous, chaque donnée nouvelle est une source potentielle d’information utile, une nouvelle opportunité. Cela peut aller de données satellites à des signaux faibles détectés dans la presse ou sur les réseaux sociaux.
Notre démarche consiste à comprendre chaque donnée : d’où elle vient, ce qu’elle représente, ce qu’elle peut dire ou pas et à quoi elle peut servir pour nous aider à anticiper les mouvements de marché. L’objectif est de transformer une information brute en outil de décision, en employant des modèles mathématiques, à base d’intelligence artificielle ou de statistiques. Ce processus exige à la fois de la rigueur scientifique, une grande part de créativité mais également une forte collaboration entre nos experts qu’ils soient experts d’un domaine/d’un actif donnée climat, commodités, liquidités ou experts tech en machine learning par exemple.
Quel impact a eu l’essor de l’intelligence artificielle sur vos activités ?
Jad Saab : Notre métier est à la croisée de la tech et de la finance. Nos quatre expertises complémentaires s’appuient sur l’IA : expertises en data, recherche, trading et technologie. L’IA a clairement transformé notre secteur à une vitesse fulgurante : qui aurait prédit l’explosion des LLM en 2023 ? Chez QRT, nous avons adopté très tôt ces outils, mais investissons dans l’IA comme dans n’importe quel levier stratégique : avec méthode. Il nécessite d’abord des données et des infrastructures technologiques, de la puissance de calcul de haut niveau, et surtout des compétences de haut niveau. Nous investissons fortement sur ces composantes, et développons des partenariats avec des universités de pointe pour continuer d’apprendre, de se nourrir et de s’adapter en permanence.
Qui sont vos investisseurs et quel est leur niveau d’implication ?
Laurent Laizet : Nos investisseurs sont principalement des fonds souverains, des grands investisseurs institutionnels et de grandes fondations. Nos stratégies ne sont pas personnalisées : les investisseurs choisissent d’entrer dans un ou plusieurs de nos cinq fonds puis ils nous font confiance. Il n’y a pas de gestion sur mesure ni de produits adaptés à une demande précise, nous restons concentrés sur la performance collective.
Quelle est votre stratégie face à une concurrence de plus en plus sophistiquée ?
Laurent Laizet : Ce marché est historiquement dominé par des acteurs américains qui ont souvent choisi un camp : soit la diversification extrême via des équipes indépendantes (modèle dit à pod), soit l’expertise pointue sur une niche. Nous avons opté pour une approche hybride plus collaborative. Nous investissons à la fois dans la diversification et la spécialisation des classes d’actifs — des cryptos aux produits d’assurance — mais surtout dans l’intelligence humaine, pour partager au mieux les bonnes pratiques et le savoir de la structure. Ce modèle collaboratif nous permet de pivoter rapidement et de rester agiles.
Sur quels axes de recherche vous concentrez-vous ?
Jad Saab : Trois grands axes guident notre recherche : la donnée, la puissance de calcul, et l’humain. Chaque avancée technologique ouvre de nouvelles possibilités, à condition d’avoir une bonne collaboration et de bons cerveaux pour l’exploiter. C’est pourquoi nous embauchons et collaborons avec les plus grandes écoles et universités à travers le monde, notamment avec l’école polytechnique.
Quels sont vos projets d’expansion ?
Laurent Laizet : Nous ouvrons de nouveaux bureaux là où le vivier de talents est le plus riche. C’est le cas du bureau de Sydney, que nous avons ouvert fin 2024, qui rassemble de belles compétences en technologie. Notre logique est simple : là où se trouvent les meilleurs, nous allons. L’enjeu est d’attirer, fidéliser et faire grandir ces talents dans un environnement collaboratif.
Côté recrutement pour 2025, nous prévoyons d’accueillir près de 300 stagiaires dans le monde, dont une trentaine venant de Polytechnique. Mais au-delà des chiffres, ce qui compte pour nous, c’est l’adéquation avec notre culture. Nous cherchons des esprits rigoureux, créatifs, capables de travailler en équipe et de naviguer dans l’incertitude. L’avenir de la tech et de la finance ne sera pas écrit par les plus gros, mais par les plus agiles.



