Qu’attendre de la réforme du contrôle des exportations américaines ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°682 Février 2013
Par Olivier-Pierre JACQUOTTE (77)

Con­duite par la Mai­son-Blanche, soutenue par de nom­breuses branch­es du gou­verne­ment, la réforme du con­trôle des expor­ta­tions est depuis plus de vingt ans la ten­ta­tive la plus appro­fondie de réno­va­tion d’un sys­tème mod­i­fié à la marge depuis des années : elle pour­rait donc con­duire aux change­ments les plus profonds.

Un peu plus de deux ans après ces annonces, de nom­breuses actions sont entre­pris­es par le gou­verne­ment améri­cain et il est donc intéres­sant de se deman­der où en est la réforme, et ce que nous, acteurs éta­tiques ou indus­triels, pou­vons en attendre.

Unifier un système bicéphale

Le sys­tème améri­cain de con­trôle dis­tingue les arti­cles, tech­nolo­gies, logi­ciels, don­nées tech­niques, ser­vices, for­ma­tions, etc.) « com­mer­ci­aux » et « mil­i­taires », les lois, règle­ments, clas­si­fi­ca­tions et régu­la­teurs étant dif­férents pour cha­cune des deux classes.

Se con­cen­tr­er sur les 5% dif­fi­ciles représen­tant les cas sensibles

La réforme entend résoudre les défauts du sys­tème en s’attaquant à sa bicéphalie, et en pre­mier lieu à son point d’entrée, les listes com­mer­ciale (CCL) et mil­i­taire (USML), qui déter­mi­nent la nature des arti­cles à exporter et le régime qui en régulera les trans­ferts. La déter­mi­na­tion de la liste à con­sid­ér­er peut être dif­fi­cile et source de doute.

Ces listes sont par ailleurs accom­pa­g­nées de nom­breux niveaux de con­trôle liés aux pays des­ti­nataires des articles.

Glob­ale­ment, le sys­tème est sur­chargé par ces deux listes exhaus­tives d’articles à con­trôler : 95% des deman­des de licences sont des cas faciles à traiter ou accordées car issues de pays européens ou de l’OTAN.

Une pomme de discorde
Depuis sa mise en place dans les années 1970 dans un con­texte de guerre froide, le con­trôle exer­cé par le gou­verne­ment1 améri­cain sur les expor­ta­tions, de matériels de défense en par­ti­c­uli­er, a tou­jours été une pomme de dis­corde dans la rela­tion transat­lan­tique. Annon­cée par le prési­dent Oba­ma en jan­vi­er 2010 dans le cadre de la Nation­al Export Ini­tia­tive, reprise par le secré­taire à la Défense, R. Gates, trois mois plus tard, la réforme du sys­tème de con­trôle a été lancée avec pour dou­ble objec­tif d’améliorer la com­péti­tiv­ité et de ren­forcer la sécu­rité des États-Unis, et ain­si de pal­li­er les défauts d’un sys­tème jugé peu effi­cace et redondant.

La réforme se pro­pose donc de se con­cen­tr­er sur les 5% dif­fi­ciles représen­tant les cas – arti­cles ou des­ti­na­tions – sen­si­bles afin d’éviter un gaspillage impor­tant en ressources et de pou­voir tra­vailler en pri­or­ité sur les trans­ferts de tech­nolo­gie ayant un réel impact pour la sécu­rité nationale. Pour cela, il est envis­agé d’identifier une liste unique hiérar­chisée (tiered) en fonc­tion de la sen­si­bil­ité des arti­cles qui per­me­t­trait de pro­téger les « joy­aux de la couronne » et sur laque­lle s’appuiera le sys­tème de contrôle.

Autres objec­tifs de la réforme : la mise en place d’une entité de licence unique en charge de la juri­dic­tion des biens tout autant mil­i­taires que civi­lo- mil­i­taires, ain­si que celle d’une entité de con­trôle unique.

Enfin, DoC et DoS dis­posent de bases de don­nées dif­férentes, de sys­tèmes pro­pres d’information et de traite­ment des deman­des de licences, égale­ment tout autant incom­pat­i­bles et peu interopérables avec le sys­tème util­isé par les douanes : il est pro­posé de met­tre en place un sys­tème d’information unique per­me­t­tant de con­solid­er les infor­ma­tions, en par­ti­c­uli­er eu égard aux util­isa­teurs impliqués dans les activ­ités con­traires à la sécu­rité du pays.

La difficile fusion des listes

Les objec­tifs envis­agés sont extrême­ment ambitieux, celui relatif à la liste unique prin­ci­pale­ment. Les listes ont des struc­tures totale­ment dif­férentes, la liste com­mer­ciale étant classée suiv­ant les tech­nolo­gies, et la liste mil­i­taire selon les appli­ca­tions pour l’USML. D’où un tra­vail d’alignement com­plet avant toute fusion éventuelle.

Admin­is­tra­tion byzantine
Robert Gates, dans un rap­port d’avril 2010, déplo­rait « l’amalgame byzan­tin d’autorités, de rôles et de mis­sions éparpil­lés au sein du gou­verne­ment, appareil bureau­cra­tique qui a poussé sur le dos du con­trôle des expor­ta­tions, dif­fus et con­fus, induisant erreurs et con­flits internes et qui favorise les lacunes dans le dis­posi­tif dont prof­i­tent cer­tains intérêts con­traires à la sécu­rité du pays. »

L’objectif de liste unique hiérar­chisée a été pro­vi­soire­ment aban­don­né et il a été décidé fin 2011 de procéder à une étape inter­mé­di­aire où les listes seraient amendées selon les deux principes suiv­ants afin de pré­par­er une fusion ultérieure des listes, aujourd’hui qual­i­fiée d’éventuelle : clar­i­fi­ca­tion des fron­tières entre listes pour réduire les incer­ti­tudes tant du côté de l’industrie que du gou­verne­ment et faciliter l’accord des licences, liste mil­i­taire qual­i­fiée de more pos­i­tive où les arti­cles inclus sont pré­cisé­ment décrits en lieu et place des descrip­tions génériques actuelles, inclu­ant automa­tique­ment tous les sous-sys­tèmes, com­posants et accessoires.

Dans cet esprit, le gou­verne­ment améri­cain tra­vaille sur une sim­pli­fi­ca­tion de l’USML. Il met en œuvre une méth­ode orig­i­nale de con­cer­ta­tion avec l’industrie, par pub­li­ca­tion des propo­si­tions de mod­i­fi­ca­tions et appel à com­men­taires. Le tra­vail effec­tué devrait con­duire, à terme, à une réelle sim­pli­fi­ca­tion de l’USML, mais lais­sera les listes dans leur struc­ture initiale.

Un tra­vail com­plé­men­taire d’harmonisation sera encore néces­saire pour pou­voir fusion­ner les listes en cette liste unique souhaitée.

Règles, pratiques et gouvernance

Redy­namiser l’économie améri­caine et lui per­me­t­tre d’exporter plus largement

Afin de pro­gress­er vers la con­ver­gence des entités de licence, le gou­verne­ment s’est attaché à une homogénéi­sa­tion et une sim­pli­fi­ca­tion des pra­tiques et des règles d’accord de ces licences de manière à ratio­nalis­er et flu­id­i­fi­er le processus.

DoC et DoS dis­posent cha­cun d’entités en charge du suivi de con­for­mité. En revanche, le con­trôle et le relevé d’infractions sont aujourd’hui du ressort d’une mul­ti­tude d’agences.

Créé en novem­bre 2010, mis en place en mars 2012, l’Export Enforce­ment Coor­di­na­tion Cen­ter est sous tutelle du DHS, le précurseur de l’entité de con­trôle unique envis­agée ; il coor­donne l’action des dif­férentes agences dans leurs domaines et résout les con­flits éventuels dans leurs enquêtes.

Sécurité et avantages économiques

Beau­coup a été accom­pli depuis dix-huit mois, sûre­ment plus qu’en trente ans d’existence de ces lois. Un effort de trans­parence et un souci de l’utilisateur indus­triel de ces lois doivent être mis au crédit de l’administration et du gouvernement.

Cepen­dant, la final­i­sa­tion de cette réforme sera longue et dif­fi­cile. La con­trainte sur la sécu­rité nationale est forte et le gou­verne­ment devra bien veiller à répon­dre à ce que l’objectif de sim­pli­fi­ca­tion fixé lors du lance­ment de la démarche soit respec­té dans ce con­texte contraint.

Extrater­ri­to­ri­al­ité
Un des tra­vers du sys­tème de con­trôle améri­cain, bien con­nu et subi à l’étranger, est le car­ac­tère extrater­ri­to­r­i­al voulu par ces lois ; cela con­cerne les trans­ferts internes au sein d’un pays tiers, la réex­por­ta­tion, les pro­duits man­u­fac­turés à l’étranger avec con­tenu améri­cain, les activ­ités de courtage. Même si cette extrater­ri­to­ri­al­ité ne s’applique pas, le pou­voir de rétor­sion du gou­verne­ment améri­cain reste suff­isam­ment dis­suasif pour chercher à rester en accord. La réforme n’y chang­era vraisem­blable­ment rien.

Il ne faut pas s’y tromper, la réforme est un out­il de sécu­rité nationale, mais aus­si de guerre économique : en remon­tant les murs autour des tech­nolo­gies sen­si­bles, il pro­tège les États-Unis de leur pro­liféra­tion et con­tribue à éviter de les retrou­ver un jour con­tre eux sur un théâtre d’opérations.

En abais­sant ces mêmes murs autour de tech­nolo­gies com­mer­ciales, il per­met de redy­namiser l’économie améri­caine et lui per­met d’exporter plus large­ment ces tech­nolo­gies : la libéral­i­sa­tion de l’exportation des satel­lites votée par le Con­grès en 2012 en est l’exemple le plus fla­grant. La réforme sim­pli­fiera et facilit­era indé­ni­able­ment le trans­fert de technologie.

Cepen­dant, mal­gré les clar­i­fi­ca­tions engagées, un cer­tain flou et une dose d’arbitraire seront tou­jours entretenus afin de mieux con­trôler les tech­nolo­gies les plus sen­si­bles au gré des intérêts économiques ou politi­co-diplo­ma­tiques des États-Unis. La route vers le sys­tème plus agile, trans­par­ent, pré­dictible et effi­cace voulu par Robert Gates est encore longue.

À terme, la réforme sera source de men­aces et d’opportunités : il est donc impor­tant de rester atten­tif et vig­i­lant et de suiv­re son avance­ment afin de con­tr­er les pre­mières et de prof­iter des sec­on­des, et act­if en suiv­ant les évo­lu­tions, voire en par­tic­i­pant par des con­tri­bu­tions aux propo­si­tions de modifications.

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1. On utilis­era ici pour « admin­is­tra­tion » et « gou­verne­ment » les sig­ni­fi­ca­tions améri­caines, invers­es par rap­port aux françaises.

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