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Prouver l’égalité de deux infinis : une avancée marquante

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°731 Janvier 2018Par : Jean MOREAU de SAINT-MARTIN (56)

Compar­er deux infi­nis n’a rien de triv­ial. Dans un ensem­ble fini, on a un nom­bre d’éléments qui change si on ajoute ou retranche des ter­mes. Pour un ensem­ble infi­ni, c’est le car­di­nal qui généralise cette notion d’ensemble plus ou moins grand. 

L’exemple bien con­nu des entiers relat­ifs et posi­tifs mon­tre qu’une par­tie d’un ensem­ble peut avoir même car­di­nal que tout l’ensemble, en dépit des élé­ments qui en sont absents. 

Il y a néan­moins des infi­nis de dif­férentes tailles, car quand on forme l’ensemble des par­ties d’un ensem­ble E, le car­di­nal de ce nou­v­el ensem­ble est stricte­ment supérieur à celui de E. Si E a n élé­ments, on peut for­mer 2n par­ties (de l’ensemble vide à E tout entier), ce qui est plus que n. Cela reste val­able pour tout ensem­ble infi­ni, comme l’a mon­tré Cantor. 

Ain­si, l’ensemble des nom­bres réels de l’intervalle (0, 1) a un car­di­nal C stricte­ment supérieur au dénom­brable (celui des nom­bres entiers) : on l’appelle puis­sance du con­tinu. Divers procédés de cor­re­spon­dance mon­trent que c’est aus­si le car­di­nal de la droite réelle, du plan réel, etc. 

On s’est posé dès 1878 la ques­tion : quand on range les car­dinaux infi­nis par ordre crois­sant, à par­tir du dénom­brable (noté aus­si aleph0), le pre­mier qui va suiv­re (aleph1) est-il C ? C’est la fameuse hypothèse du con­tinu, que David Hilbert avait mise en tête de la fameuse liste de 23 prob­lèmes présen­tée au Con­grès des math­é­mati­ciens de 1900. 

Les logi­ciens du XXe siè­cle ont fait avancer cette ques­tion dans un sens inat­ten­du, en la con­frontant au sys­tème d’axiomes (Zer­me­lo-Fraenkel) de la théorie des ensembles. 

Gödel a mon­tré en 1940 qu’on pou­vait accepter cette hypothèse, sans pro­duire de con­tra­dic­tion avec les axiomes. Mais Paul J. Cohen (1934- 2007) a bâti en 1964 un autre mod­èle, où l’hypothèse est fausse, et lui aus­si a mon­tré que cela n’entraînait pas de con­tra­dic­tion ! L’hypothèse du con­tinu reste donc indécidable. 

Sans remet­tre en cause ces acquis, une avancée dans ce domaine vient d’être obtenue par l’Américaine Maryan­the Malliaris et l’Israélien Saharon She­lah. Leur objet d’étude est con­sti­tué par deux ensem­bles de par­ties de N, qui se situent « quelque part » entre N et C. 

Pour con­stituer l’ensemble P, on prend des par­ties infinies de N qui ont des élé­ments en com­mun, avec P aus­si petit que pos­si­ble, mais sans « pseu­do-inter­sec­tion » (cas où chaque par­tie est sim­ple­ment N privé d’un nom­bre fini d’entiers).

Pour l’ensemble T, on prend des par­ties infinies de N qui sont ordon­nées par inclu­sion (de deux élé­ments de T, l’un est inclus dans l’autre), avec T aus­si petit que pos­si­ble, tou­jours sans pseu­do-inter­sec­tion. On avait déjà mon­tré que le car­di­nal de N était stricte­ment plus petit que celui de P, lui-même au plus égal à celui de T. 

Malliaris et She­lah ont mon­tré l’égalité des car­dinaux de P et T, ce qui respecte la pos­si­bil­ité de l’hypothèse du con­tinu : si ces car­dinaux étaient dif­férents, aleph1 serait au plus égal au plus petit, et C au moins égal au plus grand, « démolis­sant » l’hypothèse du con­tinu ; néan­moins, cela n’infirmerait pas le tra­vail de Gödel, mais aurait pu mon­tr­er une con­tra­dic­tion entre l’hypothèse du con­tinu et les axiomes et théories util­isés par les chercheurs. 

Selon les spé­cial­istes de ces ques­tions, ce résul­tat est assez impor­tant pour jus­ti­fi­er une médaille Fields en 2018, tout comme le résul­tat de Paul J. Cohen lui avait valu la médaille Fields en 1966 ; la lim­ite d’âge (40 ans) en exclut néan­moins Saharon Shelah.

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