A330 pour aller en Amérique

Pour un vrai capital-risque au service des créateurs d’entreprises

Dossier : La France a besoin d'entrepreneursMagazine N°549 Novembre 1999
Par Philippe GIRARDOT (72)

Si la France avait la même den­sité entre­pre­neuri­ale que la Grande-Bre­tagne, nous compte­ri­ons un mil­lion d’en­tre­pris­es sup­plé­men­taires. C’est ce qu’à déclaré notre secré­taire d’É­tat aux PME, madame Lebranchu, au mois de mai dernier ; lors des assis­es de la créa­tion d’entreprise.

Or ces créa­tions, non seule­ment ne décol­lent pas mais, pire, sont en baisse régulière depuis qua­tre ans. À peine 13 000 affaires ont été lancées pen­dant le mois de mai 1999. Ce n’est pour­tant pas l’en­vi­ron­nement économique qui est en cause : il est excep­tion­nelle­ment favorable.

Les experts les plus qual­i­fiés1 ont fait le tour des caus­es pos­si­bles de cette carence : procé­dures admin­is­tra­tives trop lour­des, charges exces­sives, for­ma­tion insuff­isante, cul­ture entre­pre­neuri­ale peu répan­due, aver­sion pour la prise de risque. Ils ont même recom­mandé des remèdes énergiques.

Ma con­tri­bu­tion se lim­it­era donc à présen­ter deux chantiers d’in­no­va­tion finan­cière sur lesquels je me suis engagé : le finance­ment d’amorçage pour créa­tion d’en­tre­pris­es inno­vantes, et l’of­fre micro­crédits aux créa­teurs totale­ment “sans argent”, frap­pés d’ex­clu­sion financière.

Pour la création de fonds d’amorçage privés

C’est à des­sein que j’évit­erai le terme de “cap­i­tal-risque” dans lequel on range par­fois pêle-mêle le cap­i­tal-risque stric­to sen­su (le seed cap­i­tal anglo-sax­on), le cap­i­tal développe­ment et même le cap­i­tal transmission.

Cette con­fu­sion a pour effet fâcheux de dis­simuler une carence bien française : l’ex­trême rareté des fonds d’in­vestisse­ments spé­cial­isés dans la créa­tion d’en­tre­prise. Cette sit­u­a­tion est un lourd hand­i­cap lorsqu’il s’ag­it d’en­tre­pris­es de nou­velles tech­nolo­gies, offrant des pos­si­bil­ités nom­breuses et crois­santes de créer des emplois qual­i­fiés sur le territoire.

C’est pourquoi les créa­teurs s’ex­pa­tri­ent ; ils trou­vent à l’é­tranger des investis­seurs financiers plus dynamiques. On estime à 50 000 le nom­bre de chercheurs et entre­pre­neurs français dans la Sil­i­con Valley.


Tra­vers­er l’Atlantique est d’emblée une néces­sité. © AÉROSPATIALE

Les États-Unis sont en matière de créa­tions d’en­tre­pris­es, comme en matière de nou­velles tech­nolo­gies, une référence mon­di­ale peu dis­cutable2. Quelles leçons pou­vons-nous tir­er de leur exemple ?

675 fonds de cap­i­tal-risque (177 dans la seule Sil­i­con Val­ley) ori­en­tés de plus en plus vers des entre­pris­es nais­santes, 40 mil­liards de francs investis, 1 mil­liard de dol­lars sur un seul trimestre (la moitié dans les logi­ciels et les com­mu­ni­ca­tions), 250 000 busi­ness angels ayant investi dans des entre­pris­es générale­ment en phase de démarrage…

À côté, la France fait pâle fig­ure : les fonds d’amorçage y sont rares (une dizaine, en comp­tant large), et même car­ac­térisés par une “qua­si-inex­is­tence” pour repren­dre l’ex­pres­sion d’un récent et célèbre rap­port d’Hen­ri Guil­laume (1998). Les busi­ness angels ne seraient que 100 à 400 et inve­sti­raient 10 à 40 mil­lions d’euros.

Or il s’in­vestit dans la seule Sil­i­con Val­ley qua­tre fois plus que dans la France entière…

Notre sous-investisse­ment dans les entre­pris­es en créa­tion est un enjeu économique de pre­mier ordre.

Encore faut-il réa­gir sans se tromper sur les moyens. Les étab­lisse­ments financiers spé­cial­isés dans le cap­i­tal investisse­ment délais­sent sci­em­ment (même s’ils ne le recon­nais­sent pas tou­jours) le cap­i­tal d’amorçage : la créa­tion d’en­tre­prise serait très risquée, ce serait même un mau­vais risque, insuff­isam­ment rémunéra­teur en rai­son des coûts d’in­struc­tion élevés pour des mon­tants d’in­vestisse­ments faibles… Cela ne suf­fit pas à démon­tr­er l’im­pos­si­bil­ité de trans­pos­er en France des pra­tiques éprou­vées ailleurs, en par­ti­c­uli­er celles qui ont réus­si aux États-Unis (seed cap­i­tal).

C’est pré­cisé­ment le défi qui reste à relever avec des équipes nou­velles. À cet égard, les références du fameux “track record” exigées pour le cap­i­tal développe­ment sont peu utiles, moins que la maîtrise des secteurs cibles des investisse­ments et surtout une expéri­ence con­fir­mée des hommes engagés dans la créa­tion d’en­tre­prise pour répon­dre aux besoins d’ac­com­pa­g­ne­ment des nou­veaux créa­teurs.

Ces fonds d’amorçage, je par­le d’ex­péri­ence, peu­vent attein­dre en France des rentabil­ités élevées, com­pa­ra­bles à celles des meilleurs fonds améri­cains, con­traire­ment à ce qu’af­fir­ment incon­sid­éré­ment quelques pré­ten­dus experts.

Pour réus­sir cette évo­lu­tion, dont pro­gres­sive­ment on se per­suade enfin de l’ur­gence, deux erreurs, me sem­ble-t-il, sont à éviter :

  • trop miser sur les busi­ness angels ; certes, ces derniers sont présents sur l’échiquier et occu­per­ont une place crois­sante dans l’avenir ; mais il faut se ren­dre à l’év­i­dence : en France, ils sont mille fois moins nom­breux qu’aux États-Unis, beau­coup moins for­tunés que leurs homo­logues améri­cains, plus indi­vid­u­al­istes et donc moins organ­isés (même si des réseaux se met­tent en place). Faire repos­er sur eux la solu­tion française du finance­ment de l’amorçage serait bien impru­dent ; il ne peut s’a­gir, à brève et aus­si à moyenne échéance, que d’une solu­tion partielle ;
     
  • mul­ti­pli­er des fonds publics (par exem­ple des fonds régionaux à l’ini­tia­tive de col­lec­tiv­ités publiques) même en sup­posant les équipes de ges­tion toutes de qual­ité et recon­nues, les mon­tants investis dans de tels fonds sont rarement suff­isants (je cite le cas extrême d’un fonds de “pays” doté de 1,6 mil­lion de francs…). En out­re, les périmètres d’in­ter­ven­tion sont déter­minés par des con­sid­éra­tions poli­tiques et donc lim­ités à une toute petite par­tie du ter­ri­toire nation­al, alors que dans de nom­breux secteurs économiques, surtout dans les nou­velles tech­nolo­gies, tra­vers­er les fron­tières ou l’At­lan­tique est d’emblée une nécessité.


    Les ini­tia­tives des organ­ismes publics inter­venant directe­ment, même avec les meilleurs inten­tions, n’ont pas tou­jours don­né par le passé les résul­tats espérés. Ce n’est pas ain­si que les créa­tions se sont dévelop­pées aux États-Unis.

    En con­clu­sion, ce sont bien des fonds d’amorçage privés “à l’améri­caine” qu’il faut encour­ager, comme le recom­mande d’ailleurs le rap­port Guil­laume de 1998 et comme les pou­voirs publics ont entre­pris de le faire en s’ap­puyant sur la Caisse des Dépôts.

    Quelques pre­mières réal­i­sa­tions sont en cours ; le mou­ve­ment doit s’accélérer.

    Pour des financements adaptés aux personnes touchées par “l’exclusion financière” et qui veulent créer néanmoins leur entreprise

    Là encore, le con­stat peut réserv­er quelques sur­pris­es : en France, près de 40 % des entre­pris­es sont créées par des chômeurs, 20 % par des per­son­nes touchant le RMI. Il exis­terait une pop­u­la­tion éval­uée entre 50 000 et 200 000 per­son­nes dému­nies capa­bles de créer leur pro­pre emploi.

    Or, les ban­ques n’ac­cor­dent pas de crédit aux per­son­nes qui n’ont pas d’ap­port per­son­nel et ne présen­tent pas de garanties. Elles ne sont pas non plus en mesure de pren­dre en charge la ges­tion, l’ac­com­pa­g­ne­ment et le risque lié à la fragilité. Frap­pées “d’ex­clu­sion finan­cière“3 ces per­son­nes risquent donc de s’en­fon­cer irréversible­ment dans l’ex­clu­sion sociale.

    Par ailleurs, le coût de l’aide à la créa­tion d’en­tre­prise par un chômeur est en moyenne inférieur à la moitié du coût annuel d’in­dem­ni­sa­tion ; c’est donc un excel­lent investisse­ment pour la collectivité.

    La créa­tion d’en­tre­prise par des chômeurs et des Rmistes, loin d’être un gad­get, relève donc d’une grande cause nationale. Il n’y a que des avan­tages humains, soci­aux, financiers, à sus­citer une dynamique per­son­nelle, per­me­t­tre la réin­ser­tion, et pro­cur­er des économies sig­ni­fica­tives pour les finances publiques.

    Maria Nowak, présidente de l’ADIE.
    Maria Nowak, prési­dente de l’ADIE.

  • C’est le défi qu’ont relevé plusieurs asso­ci­a­tions, au pre­mier rang desquelles l’ADIE (Asso­ci­a­tion pour le droit à l’ini­tia­tive économique)4 créée il y a neuf ans par Maria Nowak en s’in­spi­rant au départ du mod­èle de la “banque des pau­vres” (Grameen Bank, lancée en 1977 au Bangladesh par le pro­fesseur Yunus).

    L’ADIE a entre­pris, à par­tir d’un réseau de dis­tri­b­u­tion décen­tral­isé qu’elle a elle-même con­sti­tué, de pro­pos­er aux per­son­nes les plus dému­nies, can­di­dates pour créer leur entre­prise, des prêts de faible mon­tant (30 000 F sur deux ans).

    L’As­so­ci­a­tion s’ap­puie sur des bénév­oles qui exper­tisent les dossiers, par­rainent les can­di­dats retenus et suiv­ent les affaires.

    Les résul­tats de l’ADIE après neuf ans sont assez mod­estes, mais con­va­in­cants et promet­teurs : 3 000 entre­pris­es et 7 000 emplois créés, avec une crois­sance de 20 % par an.

    Qua­tre-vingts pour cent des pro­jets financés ont été apportés par des chômeurs de plus de six mois, dont 50 % au RMI. La mor­tal­ité des entre­pris­es créées n’a pas été supérieure à la moyenne générale, et le taux de rem­bourse­ment des prêts a tou­jours été supérieur à 75 %, il approche main­tenant de 90 %.

    Néan­moins l’ADIE, mal­gré quelques sou­tiens offi­ciels, vit dans la pré­car­ité, et une grande par­tie de son énergie est con­sacrée à faire la chas­se aux subventions.

    La sit­u­a­tion des autres asso­ci­a­tions à voca­tion sim­i­laire — par exem­ple les Cigales — est générale­ment encore plus pré­caire. Au total les besoins ne sont cou­verts qu’à moins de 10 %. Les efforts actuels doivent donc être décuplés.

    L’im­por­tance de l’en­jeu a été perçue par les pou­voirs publics qui ont encour­agé par une dis­po­si­tion fis­cale les dons à ces asso­ci­a­tions, mais il faudrait que les Fon­da­tions agis­sant con­tre l’ex­clu­sion lan­cent des cam­pagnes sim­i­laires à celles du téléthon, pour sus­citer des équipes d’ac­cueil et d’ac­com­pa­g­ne­ment et pour cou­vrir les frais de fonc­tion­nement des associations.

    Quant au finance­ment des prêts eux-mêmes, une réponse naturelle con­sis­terait à lever la con­trainte de la charge de tré­sorerie pesant sur ces asso­ci­a­tions en la repor­tant sur des parte­naires ban­caires (Caisse des Dépôts, Crédit Mutuel, Crédit Coopératif…).

    En con­clu­sion, il y a bien matière à innover dans le monde de la finance. Certes, l’in­no­va­tion dans les deux chantiers précé­dents est bien lim­itée, puisqu’il s’ag­it de trans­pos­er en France deux solu­tions ayant déjà fait leurs preuves ailleurs, la pre­mière aux États-Unis, la sec­onde au Bangladesh (et aus­si dans des pays développés).

    Mais que d’efforts pour lever nos blocages et réus­sir ces transpositions !

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    1. Par exem­ple : Hen­ri Guil­laume (1998), les séna­teurs Pierre Laf­fitte (1996), et René Tré­gouët (1997), J.-M. Yolin (min­istère des Finances, 1999), Thier­ry Jacquil­lat (CCI de Paris, 1998).
    2. Voir le rap­port “Aider les PME : l’ex­em­ple améri­cain” (Fran­cis Grignon, séna­teur, 1999).
    3. Daniel Lebègue, directeur général de la Caisse des Dépôts (Le Monde, mai 1999).
    4. ADIE, 14, rue Delam­bre, 75014 Paris (01.42.18.57.87).

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