Pour que la Terre reste humaine

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°559 Novembre 2000Par : Nicolas HULOT, Robert BARBOT et Dominique BOURGRédacteur : Jacques BOURDILLON (45)

Ce livre doit être lu comme un cri d’alarme à pro­pos des out­rages qu’aura subi notre planète au cours du XXe siè­cle : déforesta­tions mas­sives, pol­lu­tion et épuise­ment des réserves d’eau douce, pol­lu­tion de la mer et de l’air (y com­pris l’effet de serre), etc. La ques­tion suiv­ante est posée : au troisième mil­lé­naire, la terre devien­dra-t-elle inhu­maine et inhos­pi­tal­ière pour l’homme par la faute de l’homme ?

  • Le titre même du livre Pour que la Terre reste humaine mon­tre que nous avons affaire à de véri­ta­bles human­istes, ce qui est con­fir­mé par leurs affir­ma­tions très claires : l’homme occupe une place émi­nente dans la nature… il y a urgence objec­tive à veiller à ce que la terre demeure belle et bonne à vivre par le plus grand nom­bre d’individus. On n’y trou­ve bien évidem­ment aucune propo­si­tion ten­dant à réduire de façon dras­tique la pop­u­la­tion du monde pas plus que son niveau de vie.
  • Les auteurs se démar­quent très vite et très net­te­ment des idéolo­gies anglo-sax­onnes sur les droits de la nature et des ani­maux : Non ! on ne peut pas par­ler d’un droit de la nature, le droit est créé par les hommes pour les hommes… Les droits des ani­maux ? cela n’a guère de sens ! mais dire que la nature n’a pas de droits ne sig­ni­fie absol­u­ment pas que la nature et la biosphère soient cor­recte­ment défendues. On retrou­ve beau­coup d’idées avancées par Luc Fer­ry dans son ouvrage désor­mais célèbre Le nou­v­el ordre écologique, l’arbre, l’animal et l’homme (Gras­set, 1994).
  • Ils se livrent à des cri­tiques acerbes des ori­en­ta­tions dis­cuta­bles voire des excès de cer­tains défenseurs de l’environnement. Ils refusent l’idéologie et de la peur, et veu­lent sor­tir des rumeurs, des à peu près et du manichéisme qui car­ac­térisent sou­vent les mil­i­tants éco­lo et leurs adver­saires. Les mil­i­tants de la deep ecol­o­gy qui met­tent la nature avant l’homme dans la hiérar­chie de leurs préoc­cu­pa­tions con­sid­èrent que la dis­pari­tion de l’espèce humaine ne serait pas une cat­a­stro­phe, et même que les autres vivants pour­raient s’en réjouir. Pour Nico­las Hulot, la vie est une valeur suprême.
  • Ils sont sévères à l’égard des Verts qui : con­stituent un mou­ve­ment social très divers, ont ren­du et ren­dent encore de grands ser­vices, en jouant les mouch­es du coche de l’information et de la dénon­ci­a­tion de cer­taines pol­lu­tions, mais ont ten­dance à croire qu’ils sont seuls à défendre l’environnement et qu’ils ont tout inven­té… pour­tant, avant eux, les analy­ses sci­en­tifiques exis­taient déjà… les écol­o­gistes sont venus après, et il n’y a pas de pro­prié­taires de la lutte pour l’environnement… une des mis­ères de l’environnement sur le plan poli­tique, c’est de réserv­er ces prob­lèmes à un par­ti “ Vert ” et à un min­istère “ Vert ”, pen­dant que les grands par­tis et le gou­verne­ment s’occupent des choses sérieuses… d’une façon générale, les par­tis écol­o­gistes pèchent par jusqu’au-boutisme.
  • Ils ont le courage d’aborder sans com­plexe un sujet devenu tabou, le nucléaire : L’action poli­tique des par­tis écol­o­gistes laisse plus d’une fois per­plexe : sur le nucléaire, on peut penser qu’il est pour le moins impru­dent de deman­der à tous les pays occi­den­taux d’en sor­tir rapi­de­ment : une telle mesure ris­querait de ren­dre plus dif­fi­cile la con­jonc­ture économique des prochaines décen­nies mar­quées par une forte hausse de la con­som­ma­tion mon­di­ale et par de fortes ten­sions sur le pét­role, sans par­ler de l’effet de serre… Qu’on se sou­vi­enne de la guerre du Golfe : si le pét­role rede­ve­nait la prin­ci­pale source d’énergie, nous seri­ons dans une sit­u­a­tion encore plus dan­gereuse que celle d’aujourd’hui. Les périls liés au nucléaire sont certes réels mais si on veut le sup­primer, il faut se don­ner des délais et ne pas oubli­er que le pét­role et les autres sources d’énergie met­tent aus­si à mal l’environnement. Pour ma part, je vais beau­coup plus loin esti­mant avec Bruno Com­by que le nucléaire pour­rait bien être l’avenir de l’écologie.
  • J’ai eu un grand plaisir à décou­vrir les idées de Dominique Bourg (auteur d’un autre livre que je recom­mande au pas­sage : L’homme arti­fice, Gal­li­mard, 1996). Dominique Bourg s’exprime ain­si : Je ne partage pas les idées “ new age ” d’un réen­chante­ment du monde et de la nature : cette résur­gence d’une sorte de vague pagan­isme, sans intérêt pour la réflex­ion et l’action écologique, m’est totale­ment étrangère… Je ne pense pas bien que je trou­ve admirable le livre Pieds nus dans la terre sacrée que les idées qu’il con­tient (la philoso­phie des Indi­ens d’Amérique du Nord par rap­port à la nature) puis­sent nous aider, on oublie trop que les Indi­ens brûlaient des sur­faces de prairie énormes pour la chasse…

Je suis pour­tant en désac­cord avec cer­taines idées exprimées dans l’ouvrage :

Il y a, selon moi, des con­tra­dic­tions impor­tantes entre les chapitres V (la pol­lu­tion de la terre) et VI (les plantes trans­géniques dan­gereuse­ment inutiles ?), si les OGM sont vrai­ment capa­bles de nous délivr­er des pes­ti­cides et de cer­tains engrais il me sem­ble oppor­tun de les expéri­menter et de les met­tre en oeu­vre sans tarder…, l’argument selon lequel leur util­i­sa­tion risque de faire appa­raître des espèces résis­tantes ne me sem­ble pas suff­isant pour y renon­cer : un tel raison­nement con­duirait à renon­cer aus­si aux antibi­o­tiques, ce que l’on s’est bien gardé de faire (et on a eu rai­son). Je pense a con­trario que les OGM (comme le nucléaire) représen­tent un espoir for­mi­da­ble pour l’humanité.

Je ne suis pas d’accord non plus sur un véri­ta­ble tol­lé lancé con­tre les sci­en­tifiques sig­nataires de l’appel d’Heidelberg, ces sci­en­tifiques ont, selon moi, bel et bien mis le doigt sur une dérive réelle et inquié­tante de cer­tains mil­i­tants écol­o­gistes : il y a et il y aura tou­jours beau­coup d’irrationnel et de super­sti­tion dans l’attitude de ces mil­i­tants. Nos trois auteurs recon­nais­sent d’ailleurs spon­tané­ment cette dérive en écrivant à pro­pos des par­tis écol­o­gistes : Ils fonc­tion­nent facile­ment à l’obsession, ils sont rad­i­caux et cet extrémisme explique leurs divi­sions.

En fin de compte, mal­gré ces quelques réserves, un livre intéres­sant et stim­u­lant qui pro­pose dans un con­texte de très grande lib­erté une réflex­ion glob­ale sur des ques­tions essen­tielles : la place de l’homme sur la terre, son envi­ron­nement, le devenir de notre planète (les généra­tions futures sont con­cernées). Les prob­lèmes sont abor­dés avec rigueur, fer­meté et une grande ouver­ture d’esprit. Il est grand temps de s’en occu­per : si nous voulons que la terre rede­vi­enne humaine il con­vient, selon moi, non pas seule­ment de la “ pro­téger ” mais bel et bien de “ l’aménager ” en fonc­tion des besoins des généra­tions futures et des moyens dont nous pou­vons nous dot­er grâce à la sci­ence et à la technique

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