Pour l’égalité des chances, priorité à la culture

Dossier : ExpressionsMagazine N°747 Septembre 2019
Par Jacques DENANTES (49)
Par Christine GENIN

Le sys­tème édu­catif n’est pas en mesure de com­penser pour tous les élèves l’accès à la cul­ture et les réseaux de rela­tion dont béné­fi­cient dans leurs familles ceux dont les par­ents ont fait des études supérieures. C’est pour lut­ter con­tre les iné­gal­ités qui en résul­tent que l’association Cul­ture Pri­or­i­taire inter­vient dès le col­lège puis au lycée pour pro­pos­er des activ­ités cul­turelles aux élèves des quartiers pop­u­laires, pour accom­pa­g­n­er la sco­lar­ité de ceux en dif­fi­culté et pour assur­er à tous les con­di­tions d’une bonne ori­en­ta­tion d’abord en fin de troisième, puis en terminale.

En 1964, Pierre Bour­dieu et Jean-Claude Passeron ont pub­lié Les héri­tiers, un ouvrage où ils rendaient compte des résul­tats d’une enquête d’où ressor­tait l’inégalité des chances en édu­ca­tion. Cela résul­tait du priv­ilège dont béné­fi­ci­aient les enfants de par­ents diplômés de l’enseignement supérieur : ils trou­vent dans leurs familles, écrivaient-ils, « un ensem­ble de dons soci­aux qui con­stituent la réal­ité du priv­ilège cul­turel ». Les réformes effec­tuées depuis 1964 n’ont pas vrai­ment mod­i­fié la sit­u­a­tion. Pire, selon les enquêtes Pisa pub­liées péri­odique­ment par l’OCDE, le sys­tème édu­catif français se révèle l’un des plus iné­gal­i­taires et con­firme la per­sis­tance de ce priv­ilège des enfants de par­ents éduqués.

Culture générale et culture des métiers 

C’est en par­tant de ce con­stat qu’en 2013 Chris­tine Genin a créé l’association Cul­ture Pri­or­i­taire dont l’activité con­siste, en parte­nar­i­at avec des col­lèges et des lycées situés dans les zones sen­si­bles des 17e, 18e et 20e arrondisse­ments de Paris et, plus récem­ment à Colombes dans les Hauts-de-Seine et en Seine-Saint-Denis, à pro­pos­er aux élèves issus de milieux pop­u­laires des par­cours d’accompagnement axés sur la cul­ture générale et sur la cul­ture des métiers. Les inter­ven­tions ont lieu en dehors du temps sco­laire et pen­dant les vacances.

Pour les élèves de classe de troisième, il s’agit de 14 séances col­lec­tives de deux heures qui por­tent sur la recherche du stage d’observation – dont la per­ti­nence et la qual­ité dépen­dent le plus sou­vent du réseau des par­ents de l’enfant –, sur l’ori­en­ta­tion en fin de troisième et sur l’expression écrite et orale.

Pour les élèves de sec­onde, il s’agit de 20 séances col­lec­tives de deux heures autour de cinq mod­ules : his­toire de l’art, lit­téra­ture, musique, insti­tu­tions poli­tiques et économiques, his­toire des sci­ences, ain­si que des tests de per­son­nal­ité axés sur les choix d’avenir.

Pour les élèves de pre­mière, il s’agit de 20 séances col­lec­tives de deux heures qui por­tent sur la pré­pa­ra­tion du bac de français (cul­ture générale, expres­sion écrite et orale) et sur l’orientation (con­nais­sances des voies dans l’enseignement supérieur, ren­con­tres avec des professionnels).

Pour les élèves de ter­mi­nale, il s’agit de 18 séances col­lec­tives de deux heures sur la pré­pa­ra­tion au bac et sur l’orientation dans l’enseignement supérieur via la plate­forme Par­cour­sup. De plus, pour cha­cun de ces niveaux, l’association organ­ise chaque année dix sor­ties cul­turelles : théâtres, ciné­mas, con­certs, musées, mon­u­ments his­toriques et aus­si une vis­ite d’entreprise.

“Compenser l’inégalité des chances pour les élèves issus de milieux défavorisés”

Voyages à l’étranger et orientation

En fin d’année, elle pro­pose des voy­ages en province pour les col­légiens et à l’étranger pour les lycéens (vis­ite de Barcelone, Venise, Lis­bonne, Naples, Ams­ter­dam…). Enfin aux élèves qui le deman­dent, l’association dis­pense des presta­tions indi­vidu­elles : tutorat pour le tra­vail sco­laire, mise en con­tact avec des entre­pris­es pour le stage de troisième, suivi du Pro­jet Voltaire pour l’orthographe, aide à l’orientation pour les élèves de pre­mière et de ter­mi­nale avec l’utilisation de l’outil numérique Pass’Avenir.

Inter­ven­tion de Chris­tine Genin en REP à Colombes en présence du min­istre de l’É­d­u­ca­tion nationale Jean-Michel Blanquer.

Une initiative privée au chevet du service du public

En 2013, Chris­tine Genin fonde Cul­ture Pri­or­i­taire avec huit cadres dirigeants d’entreprises qui siè­gent au con­seil d’administration, l’une d’entre eux en assur­ant la prési­dence et Chris­tine Genin la direc­tion. L’association a pour objec­tif de com­penser l’inégalité des chances pour les élèves issus de milieux défa­vorisés en leur appor­tant une val­ori­sa­tion et un enrichisse­ment de la dimen­sion cul­turelle des pro­grammes d’enseignement ; et un accom­pa­g­ne­ment de l’orientation avec la mobil­i­sa­tion de réseaux qui don­nent accès au monde du travail.

Pour se lancer, l’association a pris con­tact avec les équipes de développe­ment local de la Ville de Paris, qui, dans le cadre de la poli­tique de la ville, ont pour mis­sion de réduire les iné­gal­ités ter­ri­to­ri­ales en aidant les pro­jets qui répon­dent aux besoins des habi­tants. Ces équipes ont intro­duit l’association auprès des col­lèges et des lycées du 17e, puis du 18e et du 20e, tous situés dans des quartiers sen­si­bles. Il y a deux ans, l’association a aus­si répon­du à la demande d’établissements de Colombes pour inter­venir dans un col­lège REP (Réseau d’éducation pri­or­i­taire) de cette ville puis dans le lycée voisin.


Christine Genin, fondatrice de Culture Prioritaire

Anci­enne élève de Sci­ences Po Paris, Chris­tine Genin a tra­vail­lé en entre­prise, puis elle a obtenu un mas­ter en his­toire de l’art à l’École du Lou­vre avec un mémoire sur les rela­tions à la cul­ture des publics ado­les­cents. Après quelques années d’exercice de la pro­fes­sion de guide con­féren­cière, elle a pris la direc­tion d’une asso­ci­a­tion famil­iale où elle a pu con­stater le hand­i­cap des jeunes qui n’ont hérité ni d’un bagage cul­turel, ni d’un réseau social dans le monde du travail.


Un fonctionnement qui s’appuie sur le volontariat et le bénévolat

Les élèves sont volon­taires : cha­cun doit s’engager à une présence assidue aux activ­ités de son pro­gramme. Le nom­bre de ceux pris en charge pro­gresse chaque année : durant l’année 2018–2019, elle a pris en charge 167 jeunes en 9 groupes de niveau et, pour répon­dre à une demande crois­sante, elle prévoit d’en accueil­lir 200 en 2019–2020.

L’association exerce ses activ­ités dans des locaux situés dans le 17e arrondisse­ment, mais elle inter­vient aus­si dans les étab­lisse­ments sco­laires, notam­ment à Colombes. Elle emploie dix salariés dont trois à temps plein, qui, avec une cinquan­taine de bénév­oles et trois inter­venants rémunérés sur hon­o­raires (tests de per­son­nal­ité, Pro­jet Voltaire, Pass’Avenir), assurent les presta­tions aux élèves.

Financement public et privé

Au démar­rage, le finance­ment était assuré sur fonds publics, mais le mon­tant de leur con­tri­bu­tion a cessé de croître en 2016, mal­gré l’accroissement du nom­bre d’élèves pris en charge. Le relai a été pris par des dona­tions d’entreprises, de fon­da­tions d’entreprises et de par­ti­c­uliers. En 2018, le bud­get s’est élevé à 160 000 € financés à 44 % sur fonds publics et à 46 % par des dona­tions de fon­da­tions ou d’entreprises, le reste provenant de coti­sa­tions et de dons de particuliers.

Une réponse devant un constat alarmant

Il y a près de cinquante ans que se posent en France le prob­lème des jeunes qui ter­mi­nent leur sco­lar­ité en sit­u­a­tion d’échec sco­laire et celui du chô­mage qui en résulte. N’ayant moi-même pas réus­si à assur­er le développe­ment d’une action que j’avais lancée en 1972 en Seine-Saint-Denis pour assur­er l’insertion pro­fes­sion­nelle de ces jeunes, j’ai recher­ché dans l’aventure de Cul­ture Pri­or­i­taire ce qui m’avait man­qué ou que je n’avais pas su trou­ver pour assur­er le développe­ment et la péren­nité d’une action dont l’utilité sociale était pour­tant évidente.

“Autour d’un noyau de salariés,
l’association a su mobiliser
l’engagement militant
d’une cinquantaine de bénévoles”

Les raisons de la réussite de Culture Prioritaire

Dans son ter­ri­toire d’intervention, Cul­ture Pri­or­i­taire a su se faire recon­naître comme parte­naire par les étab­lisse­ments, col­lèges et lycées, où sont sco­lar­isés les élèves béné­fi­ciant de ses presta­tions. À Colombes, ce sont un col­lège et un lycée qui, ayant vu tra­vailler l’association dans les arrondisse­ments nord de Paris, ont sol­lic­ité son inter­ven­tion, laque­lle a lieu dans leurs locaux. Le min­istre de l’Éducation s’est déplacé pour mar­quer son intérêt et c’est main­tenant un col­lège de La Courneuve en Seine-Saint-Denis qui sol­licite l’intervention de Cul­ture Prioritaire.

Autour d’un noy­au de salariés, l’association a su mobilis­er l’engagement mil­i­tant d’une cinquan­taine de bénév­oles pour l’emploi desquels aucun salaire ne pèse sur les coûts et dont cer­tains sont disponibles pour inter­venir avec les salariés dans les temps d’inactivité des étab­lisse­ments sco­laires, les samedis et pen­dant les vacances. Les dirigeants et les cadres d’entreprise qui ont par­ticipé à la créa­tion de Cul­ture Pri­or­i­taire et qui sont main­tenant au con­seil d’administration ont facil­ité la prise de con­tact avec les entre­pris­es. Celles-ci ont ouvert leurs portes aux élèves et par­mi elles, l’association a trou­vé des mécènes dont les dona­tions l’ont mise à l’abri des fluc­tu­a­tions des poli­tiques publiques.

Une action à soutenir

Cette action est exem­plaire en ce qu’elle mon­tre com­ment, pour assur­er une meilleure égal­ité des chances et la préven­tion de l’échec, il a été pos­si­ble de com­pléter les presta­tions du ser­vice pub­lic de l’éducation en mobil­isant au plan local des acteurs dont l’intervention s’inscrivait dans le cadre de l’économie sociale et sol­idaire. La crois­sance du nom­bre d’élèves depuis 2013 et l’appel de respon­s­ables d’établissements sco­laires en Seine-Saint-Denis mon­trent à quel point l’intervention de Cul­ture Pri­or­i­taire répond à un pro­fond besoin. Dans la sit­u­a­tion actuelle, il en résulte une très forte sur­charge de tra­vail pour Chris­tine Genin et pour sa petite équipe de salariés. L’association est con­fron­tée à une crise de crois­sance dont il faut souhaiter qu’elle trou­ve rapi­de­ment la solution.


Ressources

Les héri­tiers, Pierre Bour­dieu et Jean-Claude Passeron, Les Édi­tions de Minu­it, Paris, 1985. 

Le Pro­jet Voltaire est un site inter­net qui met à la dis­po­si­tion des abon­nés un par­cours de remise à niveau en orthographe.

Pass’Avenir est un site inter­net qui met à la dis­po­si­tion des abon­nés un par­cours d’aide à l’orientation.

Vis­itez le site : www.cultureprioritaire.org

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