Population et naissances : trop ou pas assez ?

Dossier : La ChineMagazine N°684 Avril 2013
Par Gilles PISON

La pop­u­la­tion chi­noise a été mul­ti­pliée par trois depuis soix­ante-quinze ans et con­tin­ue d’augmenter. Pour­tant, les démo­graphes locaux s’inquiètent d’un nom­bre de nais­sances trop faible et pressent le gou­verne­ment de sup­primer la poli­tique de l’enfant unique. Son objec­tif était de lut­ter con­tre la sur­pop­u­la­tion, une des prin­ci­pales craintes à l’époque et encore aujourd’hui.

Mais les pro­jec­tions annon­cent que la pop­u­la­tion va bien­tôt cess­er de croître et qu’elle pour­rait dimin­uer d’un tiers d’ici à la fin du siè­cle. À quoi ressem­blera demain la pop­u­la­tion chinoise ?

REPÈRES
1,3 mil­liard de Chi­nois aujourd’hui. 15 mil­lions de nais­sances et 10 mil­lions de décès par an. Il naît 121 garçons pour 100 filles. La Chine devrait être dépassée par l’Inde vers 2020, et repass­er sous le mil­liard d’habitants à la fin du siècle.

La Chine bientôt dépassée par l’Inde

La com­para­i­son des pyra­mides des âges de 1950 et de 2000 révèle l’ampleur des change­ments sur­venus en Chine.

En 1950, la pyra­mide a une base élargie et se rétréc­it régulière­ment vers le haut, car­ac­térisant une pop­u­la­tion où natal­ité et mor­tal­ité sont élevées.

Des petites familles aus­si en Thaï­lande et en Inde
Des baiss­es rapi­des de fécon­dité sans poli­tique coerci­tive ont sou­vent été observées ailleurs, comme en Thaïlande.
Les pre­mières poli­tiques indi­ennes de con­trôle des nais­sances, dans les années 1950–1970, ont échoué en par­tie parce que les familles n’étaient pas prêtes au change­ment. Elles le sont dev­enues plus tard et se sont con­ver­ties à la famille de petite taille.

En 2000, sa base a rétré­ci en rai­son de la diminu­tion de la fécon­dité : alors que les femmes avaient encore près de 6 enfants en moyenne à la fin des années 1960, elles n’en avaient plus que 1,5 vers 2010.

La pyra­mide a par ailleurs crû en hau­teur : l’espérance de vie est passée de près de 45 ans en 1950 à plus de 70 ans en 2000.

En 2050, la pyra­mide est assez proche de celle de l’Europe.

Aujourd’hui, la fécon­dité est aus­si basse en Chine qu’en Europe, mais la pop­u­la­tion compte encore beau­coup d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécon­dité était encore forte, ce qui entraîne un nom­bre encore élevé de naissances.

Les per­son­nes âgées sont en revanche peu nom­breuses, et le nom­bre de décès est faible.

La pop­u­la­tion, 1,3 mil­liard en 2010, devrait donc croître encore pen­dant quelques années. Selon les pro­jec­tions des Nations unies, elle pour­rait aug­menter jusqu’à près de 1,4 mil­liard vers 2025, puis revenir à 1,3 mil­liard en 2050 et à moins d’un mil­liard en 2100.

1,5 enfant en moyenne par femme en 2010

La baisse très rapi­de de la fécon­dité en Chine dans les années 1970 est sou­vent attribuée à la poli­tique de l’enfant unique. Les poli­tiques de con­trôle des nais­sances jouent certes un rôle impor­tant, mais ne sont effi­caces que si elles ren­con­trent le souhait des cou­ples d’avoir moins d’enfants.

Si la fécon­dité chi­noise a bais­sé si vite dans les années 1970, c’est parce que la poli­tique offi­cielle a coïn­cidé avec une mod­i­fi­ca­tion des désirs des familles.

Plus de garçons que de filles

ÉVOLUTION DES POPULATIONS CHINOISE ET INDIENNE DEPUIS 1950 ET PROJECTIONS JUSQU’EN 2100

L’une des incer­ti­tudes con­cer­nant les évo­lu­tions démo­graphiques futures vient du déséquili­bre des sex­es à la nais­sance. Il naît nor­male­ment un peu plus de garçons que de filles, 105 garçons pour 100 filles. Pour­tant, cette pro­por­tion a aug­men­té en Chine depuis les années 1980 jusqu’à dépass­er 120 pour 100 en 2010 en rai­son des avorte­ments sélec­tifs. On attribue cette hausse, là aus­si, à la poli­tique de l’en­fant unique. Certes, les familles répug­naient à avoir une fille unique, mais la poli­tique offi­cielle cor­re­spondait aus­si à leur souhait d’avoir peu d’en­fants. L’aug­men­ta­tion de la mas­culin­ité des nais­sances depuis les années 1980 tient à la con­jonc­tion de trois phénomènes : réduc­tion de la taille des familles, volon­té d’avoir un garçon à tout prix et dif­fu­sion de l’échographie.

Le déséquili­bre va-t-il s’ag­graver ? D’après le recense­ment chi­nois de 2010, la mas­culin­ité des nais­sances a encore légère­ment aug­men­té : 121 garçons pour 100 filles. Mais il n’est pas exclu qu’après avoir atteint un max­i­mum, elle régresse comme en Corée du Sud.

Célibat et recul de l’âge du mariage

Même si le déséquili­bre des sex­es à la nais­sance est tem­po­raire, des généra­tions sont déjà nées avec une sur­représen­ta­tion de garçons.

Faire des études et avoir un emploi avant de fonder une famille

Elles risquent d’en subir les effets : les filles trou­veront facile­ment un con­joint, mais de nom­breux garçons res­teront sans parte­naire. Le marché mat­ri­mo­ni­al pour­rait s’adapter par un céli­bat plus impor­tant des hommes et un creuse­ment de l’é­cart d’âge entre con­joints, les hommes se mari­ant plus tard, avec des femmes plus jeunes. La ten­dance actuelle, comme presque partout, est au recul de l’âge du mariage et de la pre­mière nais­sance, les jeunes souhai­tant faire des études et avoir un emploi avant de fonder une famille. Cette évo­lu­tion pour­rait être con­tre­car­rée chez les femmes.

Avorte­ments sélec­tifs en Corée
Ayant pris la mesure du prob­lème que posait le déséquili­bre des sex­es, les autorités ont inter­dit dès 1990 les exa­m­ens visant à déter­min­er le sexe du fœtus pen­dant la grossesse et les avorte­ments sélec­tifs, prévoy­ant de fortes peines, effec­tive­ment appliquées, pour les médecins fau­tifs. La répres­sion s’est accom­pa­g­née de cam­pagnes visant à chang­er les men­tal­ités et à rehauss­er le statut des femmes. Le rap­port de mas­culin­ité, après avoir atteint un pic de 116 pour 100 en 1990, est revenu à un niveau nor­mal en 2011 (105).
L’agriculture man­quera-t-elle de bras ?
Les 500 mil­lions d’agriculteurs chi­nois con­stituent 60 % de la pop­u­la­tion active. L’amélioration de la pro­duc­tiv­ité agri­cole, accom­pa­g­née d’un plan de développe­ment des zones rurales prévu dans le Plan quin­quen­nal, pour­ra com­penser sig­ni­fica­tive­ment une main‑d’œuvre poten­tielle­ment défi­ciente à l’avenir.

Croissance ralentie et vieillissement accru

Les per­spec­tives démo­graphiques sont à revoir : les femmes, peu nom­breuses, met­tront trop peu d’en­fants au monde pour rem­plac­er leur généra­tion — avec 105 garçons pour 100 filles, il faut déjà 2,1 enfants en moyenne par femme pour assur­er le rem­place­ment, avec 120, il en faut 2,25. La crois­sance démo­graphique pour­rait ralen­tir plus vite qu’an­non­cé et le vieil­lisse­ment démo­graphique être très rapide.

Con­scients des évo­lu­tions en germe, les démo­graphes chi­nois pressent leur gou­verne­ment de sup­primer la poli­tique de l’en­fant unique. S’il le fait, il n’est pas sûr que la fécon­dité remonte, elle pour­rait même con­tin­uer de diminuer.

Cer­taines provinces ou grandes villes met­tent déjà en place des poli­tiques natal­istes. Leurs effets risquent de tarder à se faire sen­tir, étant don­né les aspi­ra­tions des jeunes généra­tions. La Chine n’échap­pera pas au vieil­lisse­ment rapi­de de sa pop­u­la­tion ; tout au plus peut-elle s’y pré­par­er dès maintenant.

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