Pollution industrielle : la réglementation face aux nouveaux défis 

Dossier : Vie des entreprises | Magazine N°808 Octobre 2025
Par Anne-Cécile RIGAIL (X02)

Substances émergentes, vieillissement des installations, attentes sociétales… La prévention des pollutions industrielles entre dans une nouvelle ère, au regard de la réglementation ICPE (Installations classées pour la protection de l’environnement), pilier du droit français de l’environnement. Entretien avec Anne-Cécile Rigail (X02), cheffe du service des risques technologiques à la DGPR (Direction générale de la prévention des risques).

Quel est le rôle de la DGPR, où vous travaillez, dans le système français de prévention des risques ?

La DGPR, Direction générale de la prévention des risques, est une direction du ministère de la Transition écologique. Elle pilote la politique française de prévention des risques industriels, naturels, sanitaires ou technologiques. Cela comprend la connaissance et l’évaluation des risques, la réglementation, le contrôle des installations, le suivi environnemental, l’accompagnement des parties-prenantes et l’information du public, mais aussi l’animation de réseaux d’inspecteurs et le pilotage des opérateurs de l’État.

Quelle est votre mission personnelle dans cette organisation ?

Je dirige le service des risques technologiques. Cela signifie que je coordonne les équipes chargées des installations classées, de la pollution industrielle, de la sûreté des procédés, afin d’assurer la bonne cohabitation entre industrie et population, ainsi que la protection de l’environnement. C’est un poste technique et stratégique, en lien constant avec les industriels, les préfets, les parlementaires, les ONG et les collectivités.

En quoi la pollution industrielle est-elle un sujet différent aujourd’hui de ce qu’il était il y a 20 ans ?

Il y a 20 ans, la préoccupation principale était la pollution visible : les fumées, les déversements, les incidents graves. Aujourd’hui, on est davantage confrontés à des pollutions diffuses, à des effets à long terme, à des substances dont on découvre la dangerosité avec le temps. Le niveau d’exigence a changé, avec une société qui a de plus en plus d’attentes.

Pourquoi cette réglementation ICPE est-elle devenue aussi centrale ?

Aujourd’hui, elle structure la relation entre l’industrie et l’environnement. Elle permet à l’État de définir ce qu’un site peut faire, rejeter, stocker, produire, où il peut s’implanter et à quelles conditions. Elle fixe un cadre d’autorisation, impose des moyens de prévention, contrôle les rejets, et prévoit des sanctions en cas de manquement. C’est un outil de police environnementale, mais aussi d’accompagnement des transitions.

Quel regard portent les citoyens sur votre action ?

Ils attendent de nous que nous soyons sur le terrain, avec une bonne connaissance des risques. Ils attendent encore plus de transparence, de réactivité en cas d’anomalie. Après certains accidents médiatisés, comme celui de Lubrizol et Normandie Logistique, il y a eu une exigence très forte d’amélioration. Et c’est légitime. Mais nous devons aussi être aussi pédagogues : expliquer ce que nous faisons, comment fonctionne une usine, pourquoi certains risques sont acceptés. La culture du risque doit se construire collectivement.

Quel est aujourd’hui le rôle de la réglementation ICPE dans la prévention des pollutions industrielles ?

La réglementation est un outil au service d’un but, qui est la protection des personnes et de l’environnement. Nous travaillons aussi en amont avec les industriels, par la pédagogie et l’influence. La réglementation, c’est le socle commun. Elle encadre précisément les moyens de prévention, depuis la conception des installations, pour leur exploitation et jusqu’à la cessation de leur activité industrielle. Elle impose des rétentions autour des cuves, des systèmes de détection de fuites, des fréquences de vérifications. Pour les pollutions diffuses, elle fixe des valeurs limites d’émission (dans l’air, l’eau) selon des normes nationales ou européennes. Chaque exploitant doit se conformer à ces exigences, avec un système de contrôles croisés.


“La réglementation ICPE structure la relation entre l’industrie et l’environnement, en fixant un cadre d’autorisation et des moyens de prévention adaptés.”

Malgré ces outils, certaines pollutions persistent. Comment y répondre ?

Les pollutions chroniques ou diffuses, moins spectaculaires mais plus insidieuses, nécessitent une vigilance accrue. Cela passe par l’autocontrôle renforcé des exploitants, la transparence des données environnementales, et des inspections ciblées. Nous renforçons les exigences pour tenir compte des nouvelles connaissances scientifiques sur les effets de certaines substances.

Peut-on concilier exigences environnementales et compétitivité industrielle ?

C’est notre quotidien. Le droit européen impose la prise en compte des meilleures techniques disponibles (les « BREF »), avec un équilibre entre ambition environnementale et faisabilité économique. Nous ne cherchons pas à imposer l’inatteignable, mais le raisonnable et le progressif. Notre rôle est dans le dialogue avec les industriels, pour traduire concrètement les exigences dans chaque secteur.

Quel bilan tirez-vous des contrôles réalisés sur le terrain ?

Nous avons environ 1600 inspecteurs pour plus de 500 000 installations. Évidemment, notre institution ne peut pas tout vérifier en continu. L’enjeu, c’est de prioriser, d’orienter les inspections sur les installations à risques, celles qui sont à l’origine de nuisances pour les riverains, ou sur un certain nombre de thématiques sensibles. Le bilan est globalement satisfaisant, mais des marges de progrès sont possibles, notamment sur la maintenance des équipements et la réactivité en cas d’anomalie.

Lubrizol a été un tournant. Quelles leçons en avez-vous tirées ?

Beaucoup. Sur le stockage des produits, la connaissance des risques, la coordination avec les secours, la communication en cas d’accident. Notre direction a revu les protocoles de stockage des matières inflammables, renforcé les exigences sur les plans d’urgence, et amélioré la transparence envers les riverains. Le message est clair : plus personne ne doit découvrir la nature des substances présentes sur un site après un accident.

Les industriels ont-ils les moyens de suivre cette complexité réglementaire ?

Les grands groupes sont souvent bien équipés. Pour les plus petites structures, cela suppose un accompagnement. C’est notre rôle aussi : proposer des guides, des modèles, susciter l’émergence de formations. Mais la responsabilité reste chez l’exploitant. Il s’agit de pollution, donc du principe pollueur-payeur.

Comment renforcer le dialogue avec les populations concernées ?

La transparence est centrale. Nous encourageons les industriels à publier leurs données d’émissions, à participer aux commissions de suivi de site et à échanger avec les riverains. La méfiance vient souvent du silence. La parole préventive, les explications simples, les visites de site peuvent apaiser beaucoup de tensions.

Les technologies peuvent-elles améliorer la prévention ?

Clairement. Les capteurs connectés, les systèmes de surveillance en temps réel, les jumeaux numériques pour simuler les incidents : tout cela permet d’anticiper, de réagir plus vite, de fiabiliser les données. Nous poussons les industriels à s’en emparer, et certaines réglementations les y incitent déjà.

Quels sont les principaux défis pour les années à venir ?

Les substances émergentes comme les PFAS, le vieillissement de certains sites, les interconnexions croissantes entre réseaux (eau, énergie, data) et les vulnérabilités associées. Il faudra aussi gérer l’acceptabilité sociale, qui devient un facteur clé pour maintenir des activités industrielles en France. 

Comment mieux articuler contrôle a priori et contrôle a posteriori ?

Les deux sont indispensables. L’autorisation préalable permet de fixer un cadre clair. L’inspection contrôle son respect. Mais on va aussi vers plus de surveillance en continu, plus de données en « open access » et des réponses graduées. Le but n’est pas la sanction automatique, mais la mise en conformité rapide. C’est là que réside l’efficacité.  

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