Dessin des enfants réfugiés du CADA

Philia, l’art-thérapie au secours des enfants réfugiés

Dossier : ExpressionsMagazine N°732 Février 2018
Par Jean-Pierre GRUNSPAN (58)
Par Maurice BOIVIN

Entre autres acti­vi­tés, Phi­lia gère deux centres d’ac­cueil de deman­deurs d’a­sile (CADA). Récem­ment devant l’af­flux de familles avec des enfants qui ont beau­coup souf­fert, l’association s’est lan­cée dans des accom­pa­gne­ments ciblés, dans un centre avec une psy­cho­logue, dans l’autre avec de l’art-thé­ra­pie et des ate­liers de marionnettes. 

Note, j’ai trou­vé le scé­na­rio de notre his­toire de marion­nettes ! Un petit Congo­lais de 8 ans vient trou­ver l’animateur de l’atelier d’art-thérapie : « Tu as du papier, alors note ! » Il com­mence son récit : « Il y a le gentil/le méchant, le bien/le mal, tout le monde parle et s’entend par­ler avec les ani­maux et les plantes, le bien a plus de pou­voir que le mal – le mal il est jaloux – le mal il trans­forme tout en noir, le matin, la nuit, les chauves-sou­ris – le bien, c’est le soleil… » Mots d’enfant réfu­gié, simples et pour­tant bien lourds de sens. 

La scène se passe au Centre d’accueil pour deman­deurs d’asile (CADA) de L’Haÿ-les- Roses qui héberge et accom­pagne une cen­taine de deman­deurs d’asile.

SOUFFRANCES INDICIBLES DES RÉFUGIÉS

CADA, OFPRA ET CNDA

Un CADA est pris en charge par l’État. Il accompagne les demandeurs d’asile dans la préparation de leur demande auprès de l’Office français pour les réfugiés et apatrides (OFPRA) relevant du ministère de l’Intérieur ou, s’ils sont déboutés de l’OFPRA, auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), instance d’appel relevant du ministère de la Justice.
Autres missions : scolariser les enfants, faciliter l’accès aux soins et préparer la sortie du Centre. Car, qu’ils obtiennent le statut de réfugié (carte de séjour de dix ans), une protection subsidiaire (carte de séjour d’un an renouvelable) ou qu’ils soient déboutés de leur demande d’asile (c’est le cas pour 69 % d’entre eux), les résidents doivent partir.
Au total, le nombre de décisions d’accord d’un statut de protection (réfugié et protection subsidiaire) prises par l’OFPRA et la CNDA s’établit en 2016 à 26 500.

La pre­mière fois que j’ai décou­vert ce CADA géré par l’association à voca­tion sociale Phi­lia (ex-PSTI) dont Jean-Pierre Gruns­pan (58) est le pré­sident béné­vole depuis 1996, j’ai ren­con­tré une petite Syrienne arri­vant d’Alep.

Lorsque je lui ai dit que je connais­sais sa ville et son magni­fique souk al-Madi­na, la petite fille a arbo­ré un mer­veilleux sou­rire : « Le mon­sieur connaît Alep ! » a‑t-elle tra­duit à son père enfer­mé dans son malheur. 

Tous ont fui un conflit, des per­sé­cu­tions, des vio­lences poli­tiques et viennent comme on le sait en nombre en Europe. Selon Euro­stat, 1 260 910 pri­mo-deman­deurs d’asile ont intro­duit une demande de pro­tec­tion inter­na­tio­nale dans l’un des États membres de l’Union euro­péenne en 2016. 

Au cours de la même année, 86 000 demandes en France ont été enre­gis­trées à l’OFPRA. 38 % des per­sonnes étaient héber­gées en CADA. Les autres en loge­ment d’urgence, en hôtel meu­blé, chez des amis, voire en squat. 

RÉPARER LES ENFANTS

Dans une grande salle de jeu, au rez-de- jar­din de l’immeuble du CADA de L’Haÿ-les-Roses, s’anime joyeu­se­ment une petite bande d’enfants de tous âges et de toutes natio­na­li­tés. Affi­chées sur les murs, des feuilles de paper­board sur les­quelles figurent de magni­fiques des­sins d’enfants.

Beau­coup d’enfants sont en souf­france en rai­son de leur vécu antérieur. 

Com­ment les aider ? Depuis long­temps déjà, au CADA de Brou-sur-Chan­te­reine, l’association mène une action, sou­te­nue par l’Agence régio­nale de san­té, visant à répa­rer les bles­sures psy­cho­lo­giques des enfants ; pour détec­ter les trau­ma­tismes, une psy­cho­logue les observe dans un espace de jeu par trans­po­si­tion d’une méthode mise au point par Anna Freud lors des bom­bar­de­ments de Londres. 

L’INNOVATION DE L’ART-THÉRAPIE

Au CADA de L’Haÿ-les-Roses, l’association a déci­dé l’an der­nier avec l’équipe de direc­tion de l’établissement de mettre en œuvre une approche dif­fé­rente : des ate­liers d’art-thérapie, ins­pi­rés d’une expé­rience vécue lors de l’exposition annuelle d’œuvres de déte­nus à Issy-les-Mou­li­neaux dite « Talents cachés », ani­mée par l’association et cofi­nan­cée par l’administration péni­ten­tiaire et la ville. 

SORTIR DE SA SOUFFRANCE PAR L’ART

Jean-Pierre Gruns­pan raconte : « Un jour de ver­nis­sage, notre fils acquiert un portrait. 

LES ACTIVITÉS DE PHILIA

Philia gère un autre CADA à Brou-sur-Chantereine (77), reconnu par les partenaires de Philia comme un lieu ressource, d’information et de conseil. Par ailleurs, l’association héberge provisoirement et/ou accompagne 150 ménages en situation de précarité dans des résidences sociales ou des appartements privés (programme Solibail) en attendant l’accès à des logements pérennes.
Dispositif gagnant gagnant pour l’État qui fait des économies en relogeant des familles hébergées en hôtel meublé, pour les familles relogées temporairement en appartement après la galère de l’hôtel meublé, les associations qui trouvent de nouvelles ressources, les propriétaires qui disposent d’une location sécurisée.

Nous appre­nons qu’une mala­die a ren­du le peintre sourd pro­fond à l’adolescence. Par déses­poir il cesse de par­ler, entre en révolte, rompt avec sa famille. Une bêtise le conduit à la mai­son d’arrêt d’Osny.

Une art-thé­ra­peute réus­sit à ini­tier le jeune homme au des­sin et à la pein­ture. Mais il refuse de com­mu­ni­quer. Un jour, il peint ce por­trait ori­gi­nal aux cou­leurs expres­sives. Elle l’interroge : “Cette pein­ture est très forte. Elle exprime des sen­ti­ments pro­fonds. Explique-moi.” 

Le jeune homme hésite et répond à la sur­prise de tous : “Ce por­trait est celui de mon père”. Au par­loir, il sort de son mutisme. Pour ses parents, c’est l’infini bon­heur du retour de l’amour filial. » 

SUCCÈS DES ATELIERS DE MARIONNETTES

Les ate­liers sont ain­si ani­més conjoin­te­ment par une art-thé­ra­peute (qui exerce habi­tuel­le­ment dans la mai­son d’arrêt de Fleu­ry-Méro­gis) et un marion­net­tiste de talent, avec les conseils et l’appui de l’équipe de direc­tion du Centre qui connaît bien les familles. 

“ L’association vise à réparer les blessures psychologiques des enfants ”

Ils écoutent les enfants et leur apprennent à ima­gi­ner une his­toire avec des per­son­nages pour les faire s’animer en créant leurs propres marion­nettes, à les faire vivre pour qu’elles tra­duisent leurs sentiments. 

Dans le récit de ces enfants venant de pays où règnent la vio­lence, les exac­tions, les mai­sons détruites, l’immeuble à l’architecture médiocre qui les accueille est mythi­fié et devient le « châ­teau du CADA ». 

Les enfants se pas­sionnent pour les ate­liers au point de délais­ser le match de foot ! 

Lettre des enfants réfugiés du CADA

Dans le récit de ces enfants venant de pays où règnent la vio­lence, les exac­tions, les mai­sons détruites, l’immeuble à l’architecture médiocre qui les accueille est mythi­fié et devient le « châ­teau du CADA ».

LA MAGIE DE LA CRÉATION

Les enfants de toutes pro­ve­nances et de toutes natio­na­li­tés ima­ginent, créent et racontent leurs his­toires en fran­çais. Ces his­toires inven­tées et ces per­son­nages incar­nés par une marion­nette per­mettent à l’enfant de racon­ter ses dif­fi­cul­tés, sans les ravi­ver contrai­re­ment à la parole. L’atelier de marion­nettes se déroule dans la joie, dans l’invention et le partage… 

Ces moments agissent en har­mo­nie avec le mou­ve­ment vital de l’enfant, favo­ri­sant son mieux-être pour une inté­gra­tion plus sereine. Au fil des ate­liers, leur ima­gi­naire se déve­loppe, per­met­tant l’exploration de mul­tiples expé­riences : des inven­tions tou­jours plus riches et captivantes. 

Le déve­lop­pe­ment de l’œuvre se fait sous leurs yeux sou­vent émerveillés. 

PLAISIR ET APPRENTISSAGE

Leur plai­sir, élé­ment essen­tiel de l’apprentissage et source de moti­va­tion, naît de la décou­verte par les enfants de leur créa­ti­vi­té tant en des­sin que dans l’élaboration d’une his­toire com­mune dans la langue fran­çaise, bien qu’ils la maî­trisent encore approximativement. 

Le but essen­tiel est de « pla­cer » les enfants au centre d’une chaîne de pro­duc­tion d’un spec­tacle vivant (écri­ture, des­sins, fabri­ca­tion des marion­nettes, mise en scène, mani­pu­la­tion des marion­nettes dans le spec­tacle final). 

Chaque enfant ima­gine, invente, regarde, emprunte, imite, joue, crée, écoute, et sur­tout fait face aux contraintes. Apprendre du col­lec­tif et le res­pec­ter est un com­por­te­ment qui n’est pas néces­sai­re­ment natu­rel, sur­tout pour des enfants de natio­na­li­tés différentes. 

Activité de peinture au CADA
Activité de peinture au CADA
Activité de peinture au CADA

Au fil des ate­liers, leur ima­gi­naire se déve­loppe, per­met­tant l’exploration de mul­tiples expériences.

UNE INITIATIVE QUI NE LAISSE PAS INDIFFÉRENT

Une expo­si­tion de des­sins sera orga­ni­sée à la biblio­thèque muni­ci­pale de L’Haÿ-les- Roses. En fin d’année, les enfants pré­sen­te­ront leur spec­tacle de marion­nettes dans un autre espace public. Une étu­diante de l’EHESS a pro­po­sé un pro­jet de court-métrage cen­tré sur nos ate­liers en réponse à l’appel à pro­jet lan­cé par le GREC (Groupe de recherches et d’essais ciné­ma­to­gra­phiques) et le Musée natio­nal de l’histoire de l’immigration.

Le Théâtre Mouf­fe­tard et le Musée natio­nal de l’histoire de l’immigration de la Porte Dorée se déclarent inté­res­sés par le pro­jet et la démarche nova­trice. De même l’un des éta­blis­se­ments de l’Association La Source, créée par le peintre Gérard Garouste, envi­sage éga­le­ment de pré­sen­ter le spec­tacle à son public d’enfants. Pour les enfants, ces recon­nais­sances sont plus qu’un cadeau, elles sont essentielles. 

ET AUSSI L’INTÉGRATION DES ADULTES PAR LA CRÉATION D’ENTREPRISE

Outre ses capa­ci­tés d’accueil, les efforts de Phi­lia portent actuel­le­ment sur l’intégration par l’emploi des réfugiés. 

“ Permettre à l’enfant de raconter ses difficultés, sans les raviver contrairement à la parole ”

Nombre d’entre eux ont en effet la volon­té d’entreprendre, de s’intégrer, d’apporter leurs talents afin de pou­voir renaître. Notre pro­jet vise à sen­si­bi­li­ser des réfu­giés à la créa­tion d’entreprise.

Il prend appui sur un binôme asso­ciant un ancien diri­geant de PME et for­ma­teur en France de chefs d’entreprise à une réfu­giée tri­lingue connais­sant bien la ques­tion des bar­rières cultu­relles et lin­guis­tiques et le stress lié à l’absence de repères. 

RETROUVEZ-NOUS SUR NOTRE SITE :

Philia, hébergement et emploi

Dons déductibles à 75 % pour les entreprises et à 66 % pour les particuliers

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Pour pour­suivre ces mis­sions, nous avons besoin d’être encou­ra­gés et sou­te­nus par des par­rai­nages et des dons – sur­tout dans le contexte actuel de baisse des finan­ce­ments publics. 

Votre aide nous per­met­tra de déve­lop­per nos actions en cours et faire naître d’autres pro­jets dont cer­tains nous sont sug­gé­rés par des réfu­giés créa­tifs et entreprenants.

Commentaire

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Gilles Polet­ti, asso­cia­tion Philiarépondre
7 mars 2018 à 18 h 05 min

Lien vers le site de Phi­lia
Bon­jour,

Un grand mer­ci pour cet article détaillé.

Je vous signale que le lien qui vous a été don­né et qui figure à la fin de l’ar­ticle est erro­né (il pointe vers notre ancien site Inter­net). Mer­ci de le rem­pla­cer par celui-ci : http://www.philia-asso.org

Bien cor­dia­le­ment,

Gilles Polet­ti
Philia

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