Pessac-Léognan, l’aristocratie des Graves

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°571 Janvier 2002Rédacteur : Laurens DELPECH

Le vig­no­ble des Graves com­mence quelques kilo­mètres au sud de Bor­deaux et s’étend jusqu’à Lan­gon sur une bande de terre de soix­ante kilo­mètres de long et vingt kilo­mètres de large. La région doit son nom à la nature par­ti­c­ulière de son sol, où abon­dent les galets de l’âge glaciaire amenés des Pyrénées par la Garonne. Les plus grands crus sont au nord de la région, ils ont été regroupés en 1987 dans l’appellation Pes­sac-Léog­nan, qui rassem­ble dix com­munes. Ce vig­no­ble pro­duit d’excellents vins rouges, à par­tir d’un encé­page­ment com­pa­ra­ble à celui du Médoc (caber­net sauvi­gnon, caber­net franc, mer­lot), mais aus­si les plus grands vins blancs secs de Bor­deaux à par­tir des cépages sauvi­gnon et sémillon.

Les vins rouges de Graves peu­vent se com­par­er à ceux du Médoc, mais ils sont sou­vent à la fois plus nerveux et moins puis­sants (sauf Haut- Brion) et arrivent plus vite à matu­rité en dévelop­pant de fines notes fumées. Ce sont d’excellents parte­naires du gibier à plumes et de toutes les vian­des blanch­es déli­cates, comme le veau.

Les accords avec les vins blancs de Graves sont intéres­sants car ils ouvrent la palette aro­ma­tique dans une région où – com­par­a­tive­ment à la Bour­gogne – il y a rel­a­tive­ment peu de vins blancs. Les vins à base de sauvi­gnon iront très bien avec les fruits de mer (huîtres1, coquilles Saint-Jacques), et l’ensemble des pes­sac-léog­nan blancs avec des filets de sole, des homards, des ris de veau, voire un vol-au-vent financière.

Classé en 1855 et lors du classe­ment des Graves en 1959, le Château Haut-Brion est le pre­mier des pes­sac-léog­nan. Ses 46 hectares sont situés dans la ban­lieue sud de Bor­deaux. La renom­mée du cru, dont l’histoire s’étend sur plus de cinq siè­cles, est immense. Haut-Brion est le seul cru classé en 1855 qui ne soit pas situé dans le Médoc ; il appar­tient, de sur­croît, au cer­cle très fer­mé des pre­miers crus classés. C’est un vin pré­coce, char­nu, très savoureux avec un très beau bou­quet aux notes fumées et des tan­nins soyeux. Assez vite agréable à boire, il vieil­lit fort bien, faisant mon­tre d’une remar­quable longévité. Un vin blanc déli­cieux est aus­si pro­duit, mais en quan­tité confidentielle.

Le Château Smith-Haut-Lafitte s’impose comme une des étoiles mon­tantes du Bor­de­lais avec des vins élé­gants, puis­sants et très com­plets, en blanc comme en rouge. Smith-Haut-Lafitte rouge est un vin de grande ampleur, avec une tex­ture soyeuse et un grand charme aro­ma­tique. Smith-Haut-Lafitte blanc est un vin élé­gant et savoureux, au boisé déli­cat, avec de fines notes d’agrumes.

Le Domaine de Cheva­lier se trou­ve à une ving­taine de kilo­mètres au sud de Bor­deaux, dans une forêt de pins au sud-ouest de la petite ville de Léog­nan. Les Cheva­lier rouges se car­ac­térisent par une élé­gante struc­ture longiligne, qui rap­pelle plus les vins du Médoc que ceux des Graves. Ils ont beau­coup de dis­tinc­tion et une superbe finale, très longue. Ils vieil­lis­sent très bien. Les Cheva­lier blancs comptent par­mi les plus grands vins blancs secs de Bordeaux.

Autre grand vin de Graves, le Château de Fieuzal fut racheté sous l’Empire par un admi­ra­teur de Napoléon, qui fai­sait imprimer une abeille sur les cachets en cire des bouteilles. Cet emblème de l’abeille, qui fig­ure tou­jours sur les cap­sules des bouteilles, a été repris pour le sec­ond vin du château : l’Abeille de Fieuzal. Le vin rouge de Fieuzal, plein et dense, a beau­coup de charme et de ron­deur, avec une trame ser­rée. Le blanc est très fin, avec des arômes de fleurs blanch­es et des notes miellées.

Autre fleu­ron des pes­sac-léog­nan, le Château Car­bon­nieux est une des pro­priétés les plus anci­ennes de cette région. Elle a appartenu à des béné­dictins, qui expor­taient leur vin blanc jusqu’à Con­stan­tino­ple, où il était fort appré­cié dans le harem du sul­tan. Pour ménag­er les sus­cep­ti­bil­ités islamiques, le vin était éti­queté “ Eau minérale de Car­bon­nieux en Gui­enne”. Car­bon­nieux appar­tient depuis 1956 à la famille Per­rin. Le domaine pro­duit en moyenne 300 000 bouteilles de rouge et 240 000 bouteilles de blanc par an. Le vin blanc de Car­bon­nieux est gras et aro­ma­tique, fruité mais élé­gant avec une fine touche boisée.

Au coeur de l’appellation Pes­sac-Léog­nan, sur une des croupes les plus élevées de la rive gauche de la Garonne, le Château Haut-Bail­ly domine un vig­no­ble d’un seul ten­ant d’une super­fi­cie de 33 hectares. Les vins sont spon­tané­ment élé­gants, racés, har­monieux et sou­ples. À l’aveugle on con­fond sou­vent ces vins de velours au sub­til bou­quet de gri­otte avec des pomerol, bien que les vignes de Haut- Bail­ly soient majori­taire­ment com­posées de cabernet.

Le Château La Tour-Mar­tillac, qui appar­tient à la famille de négo­ciants bor­de­lais Kress­mann, doit son nom à la tour ornant sa cour d’honneur, ves­tige d’un fortin bâti au XIIe siè­cle par les ancêtres de Mon­tesquieu. Ornées de la fameuse éti­quette “ bar­rée d’or et de sable ”, les vins de La Tour-Mar­tillac sont fins et racés. Le blanc est fruité et très aromatique.

On ne saurait con­clure ce flo­rilège de vins de Graves sans citer le Château Malar­tic-Lagrav­ière, qui pro­duit un vin blanc fin et très aro­ma­tique. Le vin rouge, mar­qué par un fort pour­cent­age de caber­net sauvi­gnon, séduit par la sub­til­ité de son bou­quet épicé relevé par de fines notes de cèdre.

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1. On boit des graves blancs dans le Bor­de­lais, avec les “ huîtres-sauciss­es ” : des huîtres servies avec des petites sauciss­es au vin blanc ou même, dans les grandes occa­sions, des crépinettes (sauciss­es plates faites de chair à saucisse et de truffe fraîche hachée). S’inspirant de cette tra­di­tion, Alain Dutournier pré­pare au Car­ré des Feuil­lants des huîtres en crépinette où l’huître crue est mise dans la crépinette chaude, ce qui crée un con­traste très savoureux.

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