Jean Rodolphe Perronet.

Perronet et l’École des Ponts et Chaussées au siècle des Lumières

Dossier : Libres ProposMagazine N°526 Juin/Juillet 1997
Par Konstantinos CHATZIS

Créée en 1747, ce qui lui con­fère le titre de la plus anci­enne des grandes écoles tech­niques civiles dans le monde, l’É­cole des ponts et chaussées fête cette année les deux cent cinquante ans de son exis­tence. Rédigé à l’oc­ca­sion de cet anniver­saire, le présent arti­cle a comme objec­tif de bross­er un tableau de l’É­cole au Siè­cle des lumières, époque durant laque­lle l’in­sti­tu­tion, privée de mod­èle à suiv­re, con­stitue un lab­o­ra­toire d’ex­péri­men­ta­tion pour la for­ma­tion de l’ingénieur mod­erne. Pour ce faire, il met en scène un per­son­nage clé pour l’his­toire de l’É­cole, Jean Rodolphe Per­ronet qui, après avoir été son créa­teur, sous les aus­pices de Tru­daine, con­tin­uera à la mar­quer de son sceau de directeur pen­dant presque un demi-siè­cle. Mais avant l’his­toire, la préhis­toire : au com­mence­ment une pro­fes­sion sans école.


Jean Rodolphe Perronet.

Pays mar­qué, à par­tir de la Renais­sance, par une prise en charge pro­gres­sive par l’É­tat de la con­struc­tion et de l’en­tre­tien des voies de cir­cu­la­tion, la France s’est dotée d’un corps d’ingénieurs spé­cial­isé dans cette tâche, répon­dant au nom du Corps des Ponts et Chaussées, par un arrêt du Con­seil du Roi datant du 1er févri­er 1716. À sa tête on trou­ve un inten­dant des finances, chargé du détail “des ponts et chaussées”, placé sous l’au­torité du con­trôleur général des finances, et assisté d’un inspecteur général, d’un pre­mier ingénieur (ces deux postes devant fusion­ner peu après), et de trois inspecteurs. En province, on compte quelque vingt ingénieurs qui diri­gent les ser­vices dans le chef-lieu des général­ités, avec l’aide des sous-ingénieurs, des con­duc­teurs et des piqueurs. Dis­posant désor­mais d’une organ­i­sa­tion solide, plus ou moins calquée sur celle du corps des ingénieurs des for­ti­fi­ca­tions créé en 1691 sous l’égide de Vauban, le Corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées n’en souf­fre pas moins, dans les pre­mières années de son fonc­tion­nement, de plusieurs points faibles, au pre­mier rang desquels fig­ure le manque de com­pé­tences de plusieurs de ses mem­bres. L’ab­sence de con­cours d’en­trée et l’inex­is­tence de for­ma­tion font vite sen­tir leurs effets sur les per­for­mances du Corps.

La nom­i­na­tion de Daniel Tru­daine (1703–1769) au poste d’in­ten­dant chargé du “détail des ponts et chaussées” en 1743, poste qu’il occu­pera jusqu’à sa mort, inau­gure une péri­ode de grandes muta­tions pour le Corps. Afin de mieux con­trôler l’amé­nage­ment du ter­ri­toire, D. Tru­daine crée un organ­isme cen­tral, chargé de met­tre au net les plans des routes con­stru­ites ou à réalis­er dans chaque général­ité du roy­aume. La créa­tion du Bureau des dessi­na­teurs de Paris inter­vient ain­si le 10 févri­er 1744 et com­prend qua­tre employés la pre­mière année, sept la sec­onde, treize en 1746. Tru­daine ne s’ar­rête pas là. À l’in­star d’autres esprits éclairés de son siè­cle, il est pas­sion­né par les prob­lèmes de l’é­d­u­ca­tion. Pour amélior­er les per­for­mances de son admin­is­tra­tion, il pense élever son niveau de recrute­ment à tra­vers la mise en place d’une for­ma­tion spé­ci­fique des­tinée aux jeunes gens désireux d’en­tr­er dans les Ponts et Chaussées. Il appelle alors à Paris en 1747 Jean Rodolphe Per­ronet (1708–1794), ingénieur déjà remar­qué pour son tra­vail au ser­vice des Ponts et Chaussées à la général­ité d’Alençon, pour pren­dre la tête du Bureau des dessinateurs.

Les nou­velles fonc­tions de Per­ronet sont définies par un arrêt du Con­seil du Roi le 14 févri­er 1747. Per­ronet est com­mis pour “avoir (…) la con­duite et inspec­tion des géo­graphes et dessi­na­teurs des plans et cartes, instru­ire les­dits dessi­na­teurs des sci­ences et pra­tiques néces­saires pour par­venir à rem­plir avec capac­ité les dif­férents emplois des­dits Ponts et Chaussées, et avoir la garde et le dépôt des­dits plans, cartes et mémoires y relat­ifs”. En exigeant du Bureau des dessi­na­teurs de Paris une mis­sion de for­ma­tion, cet arrêt peut être con­sid­éré comme l’acte fon­da­teur de l’É­cole des ponts et chaussées. En effet la voca­tion péd­a­gogique de l’étab­lisse­ment ira en s’af­fer­mis­sant dans les années qui suiv­ent sa créa­tion, au point qu’on emploie à son sujet, déjà à la fin des années 1750, de façon indis­tincte les appel­la­tions d’É­cole et de Bureau. En 1775, un règle­ment com­por­tant 78 arti­cles, signé par Tur­got, con­sacre défini­tive­ment le terme d’École.

Lorsque Per­ronet arrive à Paris pour assur­er ses nou­velles tâch­es, il n’ex­iste aucun étab­lisse­ment con­sacré à la for­ma­tion sys­té­ma­tique des ingénieurs. Cette absence de mod­èle explique les nom­breux tâton­nements qui accom­pa­g­nent la mise en place de l’É­cole dont le vis­age sera façon­né peu à peu par la main de Per­ronet. Mais, avant de par­ler de son oeu­vre de péd­a­gogue, quel est cet homme, qui, en 1778, se ver­ra offrir par des élèves recon­nais­sants un buste en mar­bre avec l’in­scrip­tion Patri caris­si­mo famil­ia ?

Né à Suresnes le 25 octo­bre 1708, fils d’un cadet des Gardes-Suiss­es, Per­ronet doit renon­cer à entr­er dans le corps des for­ti­fi­ca­tions pour des raisons de for­tune. Il embrasse alors la pro­fes­sion d’ar­chi­tecte et entre en 1725 dans le bureau du pre­mier archi­tecte de la Ville de Paris, Debeausire. Tout en per­fec­tion­nant ses con­nais­sances en math­é­ma­tiques et en physique grâce aux cours de Pri­vat de Molières au Col­lège de France, l’ar­chi­tecte Per­ronet se voit con­fi­er plusieurs pro­jets dont celui du grand égout et la con­struc­tion du quai des Tui­leries (rap­pelons que les archi­tectes de ce temps rem­plis­saient égale­ment l’of­fice d’ingénieur).

S’é­tant tourné vers les travaux publics, il entre en 1735 dans le Corps des Ponts et Chaussées, en qual­ité de sous-ingénieur de la général­ité d’Alençon. Deux ans lui suff­isent pour pass­er ingénieur de Général­ité. Dix ans de zèle et de tal­ent déployé dans cet emploi le font venir à Paris. Sa nom­i­na­tion au Bureau des dessi­na­teurs en 1747 annonce le début d’une grande carrière.

Directeur de l’É­cole jusqu’à sa mort, il prend la tête du Corps des Ponts et Chaussées en 1763. Prati­cien, archi­tecte sen­si­ble à l’hy­dro­dy­namique, il renou­velle l’art de con­stru­ire les ponts. Ceux de Neuil­ly, de Pont-Sainte-Max­ence et de la Con­corde nous rap­pel­lent son tal­ent d’artiste et de con­struc­teur. Emploi de piles très minces ; usage de voûtes très plates, en arc de cer­cle, ayant leurs nais­sances au-dessus des plus grandes eaux ; struc­ture dis­con­tin­ue des piles, for­mées de deux groupes de colonnes séparés par un vide, autant d’in­no­va­tions signées par Per­ronet dont la pre­mière a fait école.

Ses “cin­tres retroussés”, reposant à la nais­sance des piles sans appuis inter­mé­di­aires, témoignent égale­ment de son goût pour l’in­no­va­tion en tant que con­struc­teur. Con­struc­teur de plus de 2 500 kilo­mètres de routes, hydrauli­cien avec le pro­jet du canal de l’Yvette et de la Bièvre pour ali­menter Paris en eau potable, Per­ronet inter­vient égale­ment sur les rades de Cher­bourg et de Saint-Jean-de-Luz, les ports du Havre, de Dunkerque et de Saint-Domingue, et donne égale­ment son avis sur une mul­ti­tude d’autres projets.

Ses descrip­tions de la “façon dont on fait les épin­gles à Ligle” et de celle “dont on réduit le fil de laiton à dif­férentes grosseurs”, repris­es dans l’Ency­clopédie, mon­trent son intérêt de pio­nnier pour l’or­gan­i­sa­tion “sci­en­tifique du tra­vail”. Fréquen­tant le milieu des ency­clopédistes, mem­bre de l’A­cadémie d’ar­chi­tec­ture et de l’A­cadémie des sci­ences ain­si que de plusieurs sociétés étrangères, Per­ronet est anobli par Louis XV, en 1763, et fait cheva­lier de l’or­dre de Saint-Michel. La recon­nais­sance de ses mérites va tra­vers­er l’An­cien Régime : l’Assem­blée con­sti­tu­ante de 1791 lui accorde une rente de 22 600 livres “à rai­son de ses longs et excel­lents ser­vices”. Mais c’est l’or­gan­i­sa­tion de l’É­cole des ponts et chaussées qui est l’oeu­vre de prédilec­tion de Per­ronet. Organ­i­sa­tion originale.

Un règle­ment datant du 11 décem­bre 1747 jette les bases d’un enseigne­ment mutuel qui va car­ac­téris­er l’É­cole tout au long du XVI­I­Ie siè­cle. Munis d’une let­tre de recom­man­da­tion des per­son­nal­ités (savants, ingénieurs et grands seigneurs), sélec­tion­nés par le seul Per­ronet à la suite d’un entre­tien informel et sur la base d’une série de critères hétéro­clites (pro­fes­sion du père, édu­ca­tion et bonnes moeurs, robustesse, céli­bat, con­nais­sances élé­men­taires en dessin et géométrie…), les can­di­dats choi­sis entrent dans une École dépourvue, jusqu’à la Révo­lu­tion, de pro­fesseurs régulière­ment appointés. Ce sont les élèves les plus avancés dans un domaine qui font béné­fici­er leurs cama­rades de leurs con­nais­sances sur les math­é­ma­tiques (géométrie, algèbre, élé­ments de cal­cul dif­féren­tiel et inté­gral), la mécanique et l’hy­draulique, la coupe des pier­res et le trait de charpente.

Les élèves suiv­ent aus­si, à leurs frais, chez des pro­fesseurs privés, des cours en dehors de l’É­cole, ceux-ci étant groupés dans deux séries. Les cours de la pre­mière série (physique, chimie, his­toire naturelle et hydro­dy­namique) restent fac­ul­tat­ifs. Ceux de la sec­onde (dessin et archi­tec­ture civile, tout ce qui con­cerne les ponts et les routes, et archi­tec­ture hydraulique à savoir : digues, jetées, éclus­es, canaux, ports, assèche­ments, dis­tri­b­u­tion d’eau…) sont oblig­a­toires. Pen­dant longtemps ils sont dis­pen­sés chez l’ar­chi­tecte Blondel, puis chez Dumont et Dauben­ton. Le règle­ment prévoit onze heures de présence quo­ti­di­enne à l’É­cole, mais il sem­ble qu’une cer­taine marge soit lais­sée aux élèves, ne serait-ce que pour suiv­re leurs cours à l’ex­térieur. Grâce à l’en­seigne­ment mutuel, dont le principe inno­vant emportera sous le règne des Bour­bons (1815–1830) un vif suc­cès dans l’in­struc­tion pri­maire cette fois-ci, et au sys­tème des cours privés, les frais de fonc­tion­nement de l’É­cole peu­vent stricte­ment se réduire, tout au long du Siè­cle des lumières, aux mod­estes rémunéra­tions des élèves-professeurs.

Sur cet enseigne­ment théorique vient se gref­fer une for­ma­tion pra­tique poussée que les élèves reçoivent, au cours de la belle sai­son et auprès des ingénieurs du Corps, sur les chantiers les plus intéres­sants, for­ma­tion accom­pa­g­née par ailleurs de grat­i­fi­ca­tions. Des élèves expéri­men­tés, tout au plus au nom­bre de dix, appelés “appointés”, se voient par­fois détachés, pour un ou deux ans, auprès des ingénieurs de province à la demande de ceux-ci. Quelques heureux élus peu­vent com­pléter leur for­ma­tion à l’é­tranger : une mis­sion de huit mois en Ital­ie, terre d’ar­chi­tec­ture, puis en Hol­lande mais aus­si en Angleterre, pays plus tech­ni­cien, est offerte chaque année à un élève, celui-ci devant réalis­er “des dessins cotés des prin­ci­paux ponts, des éclus­es, des machines et autres choses les plus pit­toresques qu’il aura ren­con­trées dans son voy­age, et ces dessins ou une copie, ain­si que les mémoires relat­ifs, seront déposés à l’É­cole pour servir à l’in­struc­tion des autres élèves”.

La for­ma­tion pra­tique com­prend égale­ment une série des travaux graphiques que les élèves réalisent dans des ate­liers, où ils se sur­veil­lent mutuelle­ment, sous la coor­di­na­tion du sous-ingénieur attaché à l’É­cole. Men­tion­nons enfin les cours d’équi­tation et de nata­tion don­nés à par­tir de 1785 : le futur ingénieur des Ponts, homme du ter­rain, doit dis­pos­er d’une bonne con­sti­tu­tion physique.

Nous ne pou­vons pas quit­ter l’É­cole sans par­ler d’une autre orig­i­nal­ité de son mode de fonc­tion­nement : le mode de classe­ment des élèves insti­tué par Per­ronet, au début des années 1770 et repris inté­grale­ment dans le règle­ment de 1775. Ce mode attribue à chaque élève des “degrés” d’in­struc­tion qui vari­ent en fonc­tion des études (de 6 à 12 degrés) et de l’ex­péri­ence pro­fes­sion­nelle antérieures à l’en­trée à l’É­cole (10), des cours suiv­is par les élèves à l’ex­térieur de l’é­cole (6 degrés pour cha­cun), des cam­pagnes annuelles (10), des cours pro­fessés (l’élève-pro­fesseur pou­vait gag­n­er entre 10 et 30 degrés en fonc­tion de la leçon pro­fessée), et surtout des con­cours.

Le sys­tème d’ex­a­m­ens oraux étant incon­nu à l’époque, une quin­zaine de con­cours est pro­posée chaque année à tous les élèves qui étaient ain­si jugés : sur des réso­lu­tions de prob­lèmes, pour les math­é­ma­tiques, la mécanique et l’hy­draulique y com­pris­es (40) ; sur des pro­jets, pour l’ar­chi­tec­ture civile (22) ou de travaux publics (26 degrés pour les ponts) ; sur des coupes de pierre (20), des lev­és de plans (16), des niv­elle­ments (14), des dessins (10 degrés pour le dessin de la carte géo­graphique et topographique), des com­po­si­tions de style (18) et d’écri­t­ure (5)…

Chaque prix rap­porte un nom­bre de degrés d’in­struc­tion pro­por­tion­nel à la dif­fi­culté de l’épreuve et à la charge de tra­vail qu’elle représen­tait ; ces degrés sont accom­pa­g­nés d’une somme d’ar­gent des­tinée à l’achat de livres et d’in­stru­ments de math­é­ma­tiques. Notons que l’échelle de degrés est une échelle dis­con­tin­ue : si le pre­mier prix du con­cours vaut N degrés, le sec­ond prix en vaut N‑1, le 1er acces­sit N/2, le 2e acces­sit N/2–1. Quant aux com­po­si­tions non primées, elles for­ment deux caté­gories : com­po­si­tions insuff­isantes, refusées, tenues pour nulles ; et com­po­si­tions admis­es au con­cours, obtenant cha­cune N/4 degrés.

Après total­i­sa­tion du nom­bre des degrés obtenus, les élèves sont répar­tis dans trois class­es. Chaque classe­ment s’opérant sur l’ensem­ble des élèves, sans dis­tinc­tion de class­es, on peut, selon les suc­cès obtenus, rester longtemps dans la même classe, ou pass­er rapi­de­ment à la suiv­ante, ou encore redescen­dre dans la précé­dente. On voit qu’avec le sys­tème de degrés l’an­ci­en­neté ne joue aucun rôle dans l’a­vance­ment des élèves durant leur sco­lar­ité. C’est le mérite indi­vidu­el, stim­ulé par des poli­tiques d’é­mu­la­tion (con­cours), qui déter­mine seul la tra­jec­toire de cha­cun à l’in­térieur de l’É­cole. Cet accent sur le mérite cadre très bien par ailleurs avec les aspi­ra­tions éli­tistes et méri­to­cra­tiques du siè­cle (de sa frac­tion éclairée) qui remet en cause les dis­tinc­tions tra­di­tion­nelles fondées presque unique­ment sur le rang au détri­ment du talent.

La dis­con­ti­nu­ité de la nota­tion, autre trait orig­i­nal du sys­tème péd­a­gogique mis en place par Per­ronet, per­met aux plus doués de se dis­tinguer rapi­de­ment, d’ac­céder aux pre­mières places, et de par­venir de bonne heure à l’emploi d’ingénieur, alors que les moins bons piéti­nent. Ain­si, pour la péri­ode 1775–1785, la durée de séjour à l’É­cole des ponts et chaussées se réduit à qua­tre ans pour les meilleurs élèves, elle est de sept ou huit ans en moyenne, et monte à plus de douze ans pour ceux qui arrivaient pénible­ment au but. Plusieurs élèves n’ar­rivant pas à décoller des derniers rangs quit­tent l’É­cole, la moitié seule­ment des élèves classés est ensuite reçue dans l’ad­min­is­tra­tion des Ponts. Ce sys­tème d’é­val­u­a­tion, voulant instau­r­er une alliance entre l’ef­fi­cac­ité et la jus­tice, a pour­tant son revers dans la mesure où cer­tains élèves ne tra­vail­lent désor­mais plus que pour acquérir des “degrés” lors des con­cours sus­cep­ti­bles de leur faire gag­n­er des places au classe­ment général : il s’ag­it de la pra­tique “d’a­gio­tage” dénon­cée en 1791 par l’ingénieur Ferregeau.

Il faut enfin citer, par­mi les traits orig­in­aux de l’É­cole au XVIIIe siè­cle, l’or­gan­i­sa­tion de la dis­ci­pline. Celle-ci est assurée d’une part par l’Ad­min­is­tra­tion de l’É­cole com­prenant, out­re Per­ronet, un sous-directeur, de Chézy, nom­mé en 1763, et un sous-ingénieur qual­i­fié d’in­specteur, Lesage, à par­tir de 1776, d’autre part par les élèves eux-mêmes. Ces derniers n’hési­tent pas à réclamer l’ex­clu­sion de cama­rades, sou­vent pour des raisons rel­e­vant de la dis­crim­i­na­tion sociale. Dans la seule année 1758, ils deman­dent et obti­en­nent l’ex­clu­sion de sept de leurs cama­rades, pour des motifs de type : “Le sieur S… est entière­ment sans édu­ca­tion, sans sen­ti­ment d’hon­neur, d’une basse nais­sance ; de plus con­va­in­cu d’avoir frayé avec ses chefs d’ate­liers et de n’avoir vu à Com­piègne que des gens de bas aloi”. Méri­to­cra­tique et nova­trice quant à son sys­tème de nota­tion et d’a­vance­ment, l’É­cole baigne égale­ment, on le voit, dans l’u­nivers cul­turel de l’An­cien Régime.

Fonc­tion­nant pen­dant un demi-siè­cle, ce régime péd­a­gogique d’au­to-instruc­tion prend fin en 1795, époque où l’in­sti­tu­tion devient école d’ap­pli­ca­tion de l’É­cole poly­tech­nique récem­ment créée (1794). Ali­men­tée désor­mais par des élèves ayant reçu une for­ma­tion sci­en­tifique poussée, l’É­cole des ponts et chaussées aban­donne défini­tive­ment l’en­seigne­ment mutuel au prof­it d’un enseigne­ment magis­tral. Une nou­velle ère com­mence alors pour la plus anci­enne école civile d’ingénieurs du monde. 

Notice bib­li­ographique

Les infor­ma­tions con­tenues dans cet arti­cle provi­en­nent des ouvrages et arti­cles suivants :

  • A. Picon, L’in­ven­tion de l’ingénieur mod­erne. L’É­cole des ponts et chaussées 1747–1851, Paris, Press­es de l’EN­PC, 1992.
  • D. Gazier, “Aperçu sur l’évo­lu­tion de l’É­cole des ponts et chaussées depuis sa créa­tion jusqu’à nos jours”, dans Regards sur la France, 5e année, n° 14, oct. 1961, p. 3–26.
  • F. de Dartein, “La vie et les travaux de Jean Rodolphe Per­ronet”, Annales des ponts et chaussées, 1906, 4e semes­tre, p. 5–87.
  • G. Coro­nio (dir.), 250 ans de l’É­cole des ponts en cent por­traits, Paris, Press­es de l’EN­PC, 1997.


Sur le mod­èle méri­to­cra­tique incar­né par l’É­cole au XVIIIe siè­cle, on peut con­sul­ter l’ar­ti­cle de D. Julia, “Le mod­èle méri­to­cra­tique entre Ancien Régime et Révo­lu­tion”, dans B. Bel­hoste et al. (dir.), La France des X, deux siè­cles d’his­toire, Paris, Éco­nom­i­ca, 1995, p. 33–50.

Le sys­tème d’au­to-instruc­tion adop­té par l’É­cole prend tout son relief si on le com­pare avec le type d’en­seigne­ment, beau­coup plus sco­laire, dis­pen­sé à sa grande rivale au XVIIIe siè­cle, l’É­cole du Génie de Méz­ières créée en mai 1748, voir R. Taton, “L’É­cole royale du Génie de Méz­ières”, dans R. Taton (dir.), Enseigne­ment et dif­fu­sion des sci­ences en France au XVIIIe siè­cle, Paris, Her­mann, 1964, p. 559–615.

Sur la car­rière du principe de l’en­seigne­ment mutuel, voir M. Gontard, L’en­seigne­ment pri­maire en France de la Révo­lu­tion à la loi Guizot (1789–1833), Paris, Les Belles Let­tres, 1959, p. 273–296.

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