Programmation, distributions, tournées, contrats : l’Orchestre national d’Île-de-France utilise le logiciel Orfeo pour gérer toute son activité.

Passion pour la musique et l’informatique : l’exemple d’Orfeo

Dossier : Les X et la musiqueMagazine N°806 Juin 2025
Par Thomas PÉTILLON (90)

Voi­ci ce que les com­pé­tences de l’ingénieur peuvent appor­ter au monde du spec­tacle, et plus par­ti­cu­liè­re­ment aux musi­ciens. Comme quoi l’innovation dans l’organisation et la ges­tion de ce monde peut débou­cher sur un grand suc­cès entre­pre­neu­rial. Et la pas­sion pour l’art chez un ingé­nieur per­mettre de joindre l’utile à l’agréable. On pour­ra se repor­ter à la livrai­son de la rubrique « 10 ques­tions à un entre­pre­neur » de notre numé­ro 711 du mois de jan­vier 2016, qui pré­sen­tait déjà Orfeo, alors toute jeune.

« La vie sans musique est tout sim­ple­ment une erreur », disait Nietzsche. Pour faire vivre la musique, il faut des musi­ciens talen­tueux. Et, pour faire mon­ter des artistes sur scène, il faut des équipes admi­nis­tra­tives et tech­niques effi­caces. C’est pour faci­li­ter le tra­vail de ces équipes que j’ai créé en 2015 la socié­té Orfeo, qui édite une solu­tion logi­cielle de pla­ni­fi­ca­tion et de ges­tion. Retour sur la genèse d’Orfeo et sur ces dix ans au ser­vice du spec­tacle vivant.

« J’aime pas votre marché, c’est des saltimbanques »

Voi­là ce que m’a dit le pre­mier ban­quier que j’ai sol­li­ci­té, issu d’une grande banque que je ne cite­rai pas, lorsqu’il a pris connais­sance de mon pro­jet de logi­ciel pour le monde du spec­tacle. À l’époque, Orfeo avait pour­tant déjà signé un contrat avec un pre­mier client : le Théâtre des Champs-Ély­sées. Le ban­quier a même ajou­té : « Ce n’est pas parce que vous avez signé avec un théâtre sur les Champs-Ély­sées qu’il y a un mar­ché… » Pour com­prendre com­ment je m’étais retrou­vé devant ce ban­quier à pré­sen­ter un busi­ness plan, il faut remon­ter à quinze ans plus tôt.

Au début des années 2000, alors que je tra­vaillais pour une entre­prise de ser­vices en infor­ma­tique, mon patron sou­hai­tait que j’évolue vers un poste de mana­ger. Résul­tat : j’ai démis­sion­né pour m’établir comme free­lance expert en déve­lop­pe­ment infor­ma­tique. Pen­dant plus de quinze ans, j’ai aidé des start-up et des entre­prises à déve­lop­per des logi­ciels de ges­tion spécifiques.

“Développer un logiciel de gestion spécifique pour le monde du spectacle.”

Pen­dant tout ce temps, l’idée de réa­li­ser un logi­ciel métier a ger­mé dans mon esprit. Mes deux hémi­sphères se sont pro­gres­si­ve­ment asso­ciés. Le cer­veau gauche, logique et ration­nel, car j’ai tou­jours tra­vaillé dans l’informatique depuis ma sor­tie de l’X. Et le cer­veau droit, intui­tif et émo­tion­nel, qui m’a inci­té à me rap­pro­cher du spec­tacle vivant et de la musique clas­sique en par­ti­cu­lier, que j’affectionne spé­cia­le­ment. C’était déci­dé : j’allais déve­lop­per un logi­ciel de ges­tion spé­ci­fique pour le monde du spectacle.

« Qu’y a‑t-il de spécifique au monde du spectacle ? »

Au démar­rage, cette ques­tion m’était sys­té­ma­ti­que­ment posée. Et, lorsque je ten­tais d’expliquer la spé­ci­fi­ci­té des métiers de ce sec­teur, mes argu­ments étaient géné­ra­le­ment balayés d’un revers de main. Or, dix ans et 500 clients plus tard, Orfeo n’a qua­si­ment jamais été en concur­rence avec des logi­ciels géné­ra­listes. C’est bien la preuve de la spé­ci­fi­ci­té du sec­teur du spec­tacle vivant ! « Mais ça ne suf­fit pas, Excel et des post-it ? » Eh bien, non… Faire mon­ter 80 musi­ciens sur scène et autant d’instruments, pla­ni­fier les répé­ti­tions et les tour­nées, gérer le sui­vi des temps de tra­vail, les heures de nuit, les héber­ge­ments des solistes, les feuilles de route, les bud­gets, les sup­plé­ments d’emploi, les contrats des musi­ciens solistes et sup­plé­men­taires… autant de pro­ces­sus métiers spé­ci­fiques au sec­teur du spec­tacle vivant.

Et c’est là qu’intervient Orfeo en pro­po­sant une solu­tion logi­cielle de ges­tion et de pla­ni­fi­ca­tion per­met­tant à toutes les équipes d’une struc­ture du spec­tacle vivant de cen­tra­li­ser l’information, col­la­bo­rer plus effi­ca­ce­ment afin de gagner un temps pré­cieux sur toutes les tâches répé­ti­tives. J’entendais éga­le­ment : « De toute façon, ce doit être le bazar, avec des artistes. » Pen­ser cela, c’est ima­gi­ner que la pro­duc­tion d’un concert est gérée de manière « artis­tique » (com­prendre : avec ama­teu­risme et manque de pré­ci­sion). Alors que c’est tout le contraire. Le rideau se lève à 20 heures pile. Aucun droit à l’erreur. L’important, c’est le résul­tat, sou­vent atteint avec des res­sources réduites et un tré­sor d’efficacité. Quelle délec­ta­tion d’entendre un consul­tant en orga­ni­sa­tion recon­naître qu’il a été bluf­fé par sa décou­verte du monde du spec­tacle, de la pré­ci­sion et de l’efficacité de ses équipes.

« Vous n’avez aucune expérience en gestion d’entreprise »

Outre le regard cir­cons­pect, voire méfiant, des finan­ciers et des par­te­naires face au busi­ness plan ini­tial, on me repro­chait mon total manque d’expérience en mana­ge­ment et ges­tion d’entreprise. Il est vrai que dans les années 1990, voire 2000, le sujet des start-up était beau­coup moins à la mode qu’il ne l’est aujourd’hui. Deux sou­tiens ont été déter­mi­nants. Celui de mes cama­rades de pro­mo­tion, qui se recon­naî­tront pour avoir sou­te­nu finan­ciè­re­ment et mora­le­ment le pro­jet dès ses débuts. Qu’ils en soient ici remer­ciés ! Et celui du Réseau Entre­prendre Paris : un for­mi­dable coup de pouce et un accom­pa­gne­ment per­son­na­li­sé qui m’ont fait beau­coup progresser. 

Aujourd’hui, après avoir créé vingt-cinq emplois, c’est à mon tour d’accompagner des plus jeunes entre­pre­neurs. « Pour­quoi avoir choi­si le nom Orfeo ? » Encore une ques­tion fré­quente. Je cher­chais un nom en cinq lettres, facile à rete­nir, visuel­le­ment équi­li­bré. Je sou­hai­tais éga­le­ment que ce nom puisse se pro­non­cer dans de nom­breuses langues. Enfin qu’il soit por­teur de sens. Orfeo, héros de la mytho­lo­gie grecque, poète et musi­cien, pro­ta­go­niste du pre­mier opé­ra de l’ère moderne, celui de Mon­te­ver­di, sym­bo­lise à la per­fec­tion notre ambi­tion : révo­lu­tion­ner la ges­tion du spec­tacle vivant avec une solu­tion SaaS per­for­mante et innovante. 

La Covid a été dif­fi­cile à vivre, pour le monde du spec­tacle vivant en par­ti­cu­lier. Mais le para­doxe, plu­tôt que de tout arrê­ter, a été de devoir jon­gler avec encore plus de contraintes : couvre-feu, reports de date. Un client d’Orfeo nous a dit : « Je suis content d’avoir signé avec vous juste avant le confi­ne­ment. » Fina­le­ment, la Covid a for­te­ment accé­lé­ré la tran­si­tion numé­rique du sec­teur. Et a par­ti­ci­pé à l’arrivée du mar­ché à maturité.

Plus de 80 000 concerts et spectacles sont organisés chaque année par les producteurs et lieux de spectacle qui utilisent Orfeo.
Plus de 80 000 concerts et spec­tacles sont orga­ni­sés chaque année par les pro­duc­teurs et lieux de spec­tacle qui uti­lisent Orfeo.

Orfeo aujourd’hui… et demain

En 2025, Orfeo fête ses 10 ans et accom­pagne désor­mais plus de 500 clients, dont 150 dans la musique clas­sique : agents artis­tiques, ensembles vocaux et ins­tru­men­taux, orchestres et opé­ras. Mais aus­si des com­pa­gnies de théâtre, de danse, des pro­duc­teurs de musiques actuelles et des lieux de spec­tacle. Sans dis­tinc­tion de dis­ci­pline et d’esthétique, avec une seule fina­li­té : per­mettre aux artistes de ren­con­trer leur public.

Quelles ambi­tions pour la pro­chaine décen­nie, alors que nous sommes désor­mais un acteur de réfé­rence en France dans ce domaine ? Aller vers des mar­chés connexes ? Non : res­ter sur le mar­ché du spec­tacle vivant, notre cœur de cible, et aller à l’international. Nous accom­pa­gnons déjà quelques ins­ti­tu­tions de réfé­rence dans le monde de la fran­co­pho­nie : Suisse, Luxem­bourg, Bel­gique et Cana­da. Lors d’un récent concert à la Folle Jour­née de Nantes, j’écoutais Le Songe d’une nuit d’été de Félix Men­dels­sohn. Je me suis retrou­vé par hasard assis entre l’administratrice de l’orchestre et l’administrateur du chœur, tous deux clients d’Orfeo. L’une comme l’autre m’ont dit en sou­riant, mon­trant les 120 per­sonnes sur scène : « C’est un peu grâce à Orfeo qu’on a pu orga­ni­ser cela. »

L’entreprise Orfeo n’est qu’une petite pierre à l’édifice, loin der­rière des artistes, sans qui rien ne serait pos­sible, et en sou­tien aux équipes artis­tiques et tech­niques, prin­ci­paux arti­sans de l’organisation. Mais j’ai plai­sir à savoir que nous par­ti­ci­pons chaque jour, modes­te­ment mais réel­le­ment, à faci­li­ter l’organisation et flui­di­fier le par­tage d’informations. Et que je pour­rais retour­ner voir le ban­quier qui m’a écon­duit il y a dix ans et lui dire com­bien c’est gra­ti­fiant de tra­vailler pour des « sal­tim­banques ». En lui glis­sant au pas­sage que le Théâtre des Champs-Ély­sées n’est pas un théâtre sur les Champs-Ély­sées, mais un opé­ra, ave­nue Montaigne !

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