Optimiser concrètement le besoin en fonds de roulement

Dossier : Management : changer pour rester dans la courseMagazine N°678 Octobre 2012
Par Jean BOSCHAT (86)
Par Laurent NIZARD (X99)
Par Philippe GAMAND (05)

REPÈRES

REPÈRES
Le BFR représente une quan­tité d’argent néces­saire pour gér­er les flux financiers de l’activité courante d’une entre­prise. Le BFR opéra­tionnel est égal à la somme des créances clients et de la valeur des stocks, dimin­uée des dettes four­nisseurs. Les créances clients et dettes four­nisseurs cor­re­spon­dent respec­tive­ment au chiffre d’affaires réal­isé mais non encore encais­sé et aux achats réal­isés mais non encore décais­sés du fait des délais de paiement.

Une nécessité pour les entreprises

Le manque de focal­i­sa­tion sur la ges­tion du BFR peut avoir un coût très élevé, allant jusqu’à remet­tre en cause la péren­nité de l’entreprise. Cer­taines sociétés de taille moyenne en crois­sance forte, tournées essen­tielle­ment vers les ventes et la pro­duc­tion, nég­li­gent cette dimen­sion de la ges­tion d’entreprise. Elles se retrou­vent ain­si avec des besoins qui explosent (stocks exces­sifs, écart entre les délais de règle­ment des clients et ceux des four­nisseurs, etc.) qui peu­vent les con­duire à une rup­ture de liq­uid­ités fatale.

Prise de conscience

Plus récem­ment, la vio­lente crise de 2007- 2009 a vu de nom­breuses entre­pris­es con­fron­tées à une baisse bru­tale de leur chiffre d’affaires et à des dif­fi­cultés de trésorerie.

Des besoins qui explosent peu­vent con­duire à une rup­ture de liq­uid­ités fatale

Pour beau­coup, cette sit­u­a­tion a été aggravée par un BFR mal géré, qu’il est tou­jours extrême­ment dif­fi­cile de ratio­nalis­er dans l’urgence : con­fron­tés eux-mêmes à des dif­fi­cultés sim­i­laires, les four­nisseurs refusent toute flex­i­bil­ité sur les délais de paiement pen­dant que, symétrique­ment, les clients paient de plus en plus tard.

Cette crise aura toute­fois eu l’avantage de faire pren­dre con­science à un cer­tain nom­bre d’acteurs de l’importance du sujet : nous avons vu des dis­trib­u­teurs dans le domaine du luxe ou des cos­mé­tiques réalis­er qu’ils pou­vaient tout à fait réduire leurs stocks de moitié moyen­nant une réor­gan­i­sa­tion intel­li­gente de leur sup­ply chain et de leurs assor­ti­ments, sans impact négatif sur les ventes.

Bénéfices multiples

A con­trario, une ges­tion « au cordeau » du BFR per­met de faire entr­er l’entreprise dans un cer­cle vertueux dont les béné­fices sont mul­ti­ples. Tout d’abord, la libéra­tion de liq­uid­ités cor­re­spon­dante dégage de nou­velles ressources pour l’entreprise, qui peut les utilis­er de manière plus effi­cace pour l’activité en réduisant son niveau d’endettement, en finançant par exem­ple une acqui­si­tion ou encore pour dévelop­per de nou­veaux produits.

D’autre part, l’optimisation du BFR a des impacts col­latéraux sur le compte de résul­tat de l’entreprise, de manière évi­dente par la réduc­tion des besoins en finance­ment et donc des frais financiers, mais aus­si de manière plus indi­recte : la réduc­tion des niveaux de stocks per­met par exem­ple de réduire les sur­faces d’entrepôts néces­saires (et donc le coût asso­cié), l’automatisation des mécan­ismes de relance des clients ou de fac­tura­tion des four­nisseurs con­duit à une réduc­tion des coûts de ges­tion des proces­sus cor­re­spon­dants, etc.

Mise en pratique

Crois­sance externe
Cette logique devient encore plus puis­sante lorsque la cible elle-même démon­tre des lacunes dans la ges­tion de son BFR : l’acquéreur prof­ite tout d’abord de cette faib­lesse (par­ti­c­ulière­ment cri­tique en péri­ode de réces­sion économique) pour réalis­er l’acquisition puis, en opti­misant le BFR de la société acquise, dégage des ressources cachées qui vien­nent in fine en déduc­tion du mon­tant déboursé pour cette opéra­tion. L’acquéreur aura pu réalis­er une opéra­tion stratégique à peu de frais. Ain­si, l’optimisation du BFR per­met-elle de dévelop­per un cer­cle vertueux de crois­sance externe.

La ges­tion rigoureuse du BFR per­met de dégager des ressources qui peu­vent être util­isées pour financer des opéra­tions de crois­sance externe. Beau­coup d’entreprises se heur­tent au mur de la mise en œuvre. Soit l’intention ini­tiale reste un vœu pieux, soit les pro­jets lancés se traduisent par des gains très net­te­ment inférieurs aux attentes, soit on observe une amélio­ra­tion éphémère qui ne se main­tient pas dans la durée. Sur la base de nos expéri­ences dans le domaine, il nous sem­ble que plusieurs élé­ments doivent être pris en compte dès le départ pour pou­voir pré­ten­dre faire par­tie des meilleurs.

Positionner le sujet

Tout d’abord, il est essen­tiel de posi­tion­ner le sujet non pas comme un sujet financier mais comme un sujet busi­ness et opéra­tionnel. L’ambition ne doit pas être portée par le seul directeur financier, mais par le directeur général de l’entreprise et les respon­s­ables de busi­ness unit.

En effet, l’amélioration pérenne du BFR passe par de nom­breux arbi­trages qui con­cer­nent directe­ment les ventes et les opéra­tions : refuser d’engager l’entreprise sur des con­trats qui dégradent le BFR, refon­dre la sup­ply chain et adapter les niveaux de stocks sans ris­quer les rup­tures ou touch­er à la qual­ité de ser­vice, etc. Cela implique par ailleurs d’intégrer la notion de BFR dans les objec­tifs des man­agers, et de ne pas se lim­iter aux aspects chiffre d’affaires et rentabilité.

Créer une culture

Dans la même logique, la « cul­ture cash » doit être com­prise et dif­fusée à tous les éch­e­lons de l’entreprise.

L’amélioration du BFR relève d’une véri­ta­ble dis­ci­pline d’exécution

La péren­nité de l’amélioration du BFR repose sur une prise de con­science col­lec­tive de la crit­ic­ité du sujet. Il est donc essen­tiel de met­tre en place des opéra­tions de for­ma­tion adap­tées aux dif­férentes audi­ences, visant non seule­ment à faire com­pren­dre les mécan­ismes et l’importance du sujet mais aus­si à faire appréhen­der par cha­cun son rôle, ses leviers d’action et les out­ils à sa disposition.

S’imposer une discipline d’exécution

Au-delà des amélio­ra­tions par­fois spec­tac­u­laires que l’on peut observ­er lors d’opérations « coup-de-poing » en mode pro­jet, la péren­nité de l’amélioration du BFR relève d’une véri­ta­ble dis­ci­pline d’exécution. L’excellence dans ce domaine repose sou­vent sur une mul­ti­tude de leviers et de sys­té­ma­tismes impli­quant de nom­breux acteurs.

FIGURE 1
TYPOLOGIE DES LEVIERS ET GAINS DANS L’AMÉLIORATION DES CRÉANCES CLIENTS © AT Kear­ney

Il est à cet égard très instruc­tif de con­stater que, avant même de rené­goci­er les con­trats clients ou four­nisseurs, la stricte appli­ca­tion des claus­es con­tractuelles per­met générale­ment de réalis­er des gains très sig­ni­fi­cat­ifs. La fig­ure 1, fondée sur un cas réel représen­tatif, mon­tre sur l’exemple de l’amélioration du poste créances clients que près des deux tiers des gains relèvent pure­ment de proces­sus internes sans néces­siter de rené­go­ci­a­tion des con­trats existants.

Veiller aux détails

FIGURE 2
L’INDISPENSABLE PRAGMATISME DANS L’OPTIMISATION DU BFR

L’amélioration du BFR néces­site avant tout de faire preuve de prag­ma­tisme ; or, dans ce domaine en par­ti­c­uli­er, le dia­ble est dans les détails. À titre d’exemple, il n’est pas excep­tion­nel de voir des entre­pris­es négoci­er pied à pied des claus­es con­tractuelles dont l’application est tout sim­ple­ment impos­si­ble, faute de dis­pos­er des infor­ma­tions correspondantes.

Nous avons con­staté, chez plusieurs entre­pris­es s’approvisionnant auprès de four­nisseurs asi­a­tiques, des « incoterms » clas­siques de type FOB (Free On Board), men­tion­nant que le délai de paiement com­mence à courir à par­tir du charge­ment des marchan­dis­es à bord des navires. En pra­tique, l’entreprise n’assurant pas tou­jours la traça­bil­ité de la date de charge­ment des marchan­dis­es, le four­nisseur établit la fac­ture datée de l’expédition en sor­tie usine et gagne ain­si une à deux semaines sur les délais de paiement.

Dans ce domaine en par­ti­c­uli­er, le dia­ble est dans les détails

Dans un reg­istre dif­férent, de nom­breux acteurs définis­sent des stocks de sécu­rité sur la base de for­mules théoriques ras­sur­antes intel­lectuelle­ment mais dont l’application con­duit sou­vent à des stocks exces­sifs qu’une sim­ple analyse his­torique con­crète per­me­t­trait de met­tre en évi­dence (voir fig­ure 2).

Anticiper dès la conception

Un tra­vers clas­sique con­siste en un BFR subi plutôt qu’anticipé. En pra­tique, c’est dès la con­cep­tion d’un pro­duit (choix des com­posants, choix de la local­i­sa­tion des four­nisseurs et donc des délais de trans­port, etc.) et l’élaboration des con­trats (clients ou four­nisseurs) que la majorité des impacts BFR se con­stru­isent. Il est bien évidem­ment dif­fi­cile, une fois les ventes et la pro­duc­tion lancées, d’essayer de revenir sur les choix initiaux.

Les meilleurs utilisent la notion de BFR nor­matif : il con­siste à définir, avant même la con­cep­tion d’un pro­duit, le niveau de BFR atten­du compte tenu de la ligne de pro­duits con­sid­érée et de la nature de l’activité. Cette notion s’accompagne de la mise en place de proces­sus de con­trôle per­me­t­tant de s’assurer dès la phase de con­cep­tion que le développe­ment des ventes ne se fait pas au prix d’une dégra­da­tion du BFR. Cette approche per­met aus­si, avant le lance­ment en pro­duc­tion, de met­tre en regard la rentabil­ité atten­due du pro­duit avec sa con­som­ma­tion de cash, avec des résul­tats par­fois surprenants.

Piloter et non subir

Enfin, la ques­tion du pilotage du BFR con­stitue un élé­ment clé de la prob­lé­ma­tique. Bien sou­vent, là encore, les entre­pris­es sont davan­tage dans une logique de con­stat que de réel pilotage. En par­ti­c­uli­er, il est facile de trou­ver de mul­ti­ples raisons pour ne pas expli­quer les évo­lu­tions du BFR d’un mois sur l’autre : saison­nal­ité de l’activité, évo­lu­tion du mix des ventes et de pro­duc­tion, etc. Les raisons d’entretenir une con­fu­sion per­ma­nente et un manque de lis­i­bil­ité sont mul­ti­ples (et sou­vent réelles).

Il est donc essen­tiel de met­tre en place des out­ils sim­ples mais robustes, per­me­t­tant d’analyser les évo­lu­tions de BFR en « dépol­lu­ant » les chiffres des dif­férents effets de mix, et de soulign­er les amélio­ra­tions ou détéri­o­ra­tions réelles des dif­férents postes.

Un enjeu de compétitivité

Nous l’avons vu, la bonne ges­tion du BFR con­stitue un véri­ta­ble enjeu de com­péti­tiv­ité de l’entreprise, exac­er­bé dans les péri­odes de dif­fi­cultés économiques. Le suc­cès dans ce domaine repose sur une alchimie com­plexe, une dis­ci­pline d’exécution et une atten­tion constantes.

Comme sou­vent, ce sont les entre­pris­es qui auront su faire preuve d’excellence dans les péri­odes calmes qui seront bien gréées pour affron­ter la tempête.

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