On ira / Manas / Je le jure / Deux Sœurs / Vermiglio ou la mariée des montagnes

On ira / Manas / Je le jure / Deux Sœurs / Vermiglio ou la mariée des montagnes

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°805 Mai 2025
Par Christian JEANBRAU (X63)

Pour mémoire du mois. Black Dog (Hu Guan) hyp­no­tique et déce­vant. Mag­ma (Cyprien Vial) pour Mari­na Foïs. La Cache (Lio­nel Baier) sur­prise poé­tique. Tardes de sole­dad (Albert Ser­ra) pour afi­cio­na­dos. Lire Loli­ta à Téhé­ran (Eran Rik­lis) pour Gol­shif­teh Fara­ha­ni. Mickey 17 (Bong Joon Ho) dis­pen­sable. Mika­do (Baya Kas­mi) idem. Ber­gers (Sophie Deraspe)
plein de bre­bis. Et cinq choix.

On ira

Réa­li­sa­teur : Enya Baroux – 1 h 37

Mer­veilleux film ser­vi par de mer­veilleux acteurs. Tous sur l’affiche. Hélène Vincent n’a jamais été aus­si bien. Pierre Lot­tin est plus qu’épatant, sou­te­nu par David Aya­la dans un rôle peu gra­ti­fiant qu’il maî­trise par­fai­te­ment, et la jeune Juliette Gas­quet est une ado « plus ado tu meurs ». De bout en bout pre­nant, drôle, atta­chant, émou­vant, intel­li­gent, sub­til dans une grande varié­té de situa­tions. Pas une ombre au tableau. Un road movie vers le « sui­cide assis­té assu­mé » tota­le­ment feel good. Enchan­teur.

Manas

Réa­li­sa­trice : Marian­na Bren­nand – 1 h 41

Ter­rible et poi­gnant. Une enquête sur les manas de l’île ama­zo­nienne de Mara­jo, acca­blée de splen­deurs végé­tales oppres­santes, deve­nue une fic­tion. L’inceste vécu comme fata­li­té, la pros­ti­tu­tion à bord des barges qui viennent com­mer­cer au large comme bouf­fée d’oxygène. Déchi­rant. Lente mise en place, on com­prend peu à peu. Les deux actrices incar­nant mère et fille portent dans leur beau­té mutique une détresse déses­pé­rée. La foca­li­sa­tion sur un groupe fami­lial par­ti­cu­lier sai­sit toute la com­plexi­té de ces com­mu­nau­tés pauvres, vivant dans le déni acca­blé de pra­tiques aux­quelles elles sont inféo­dées, tan­dis qu’une foi aveugle leur fait scan­der à l’unisson des allé­luias absurdes et hal­lu­ci­nés. La réac­tion finale ter­rible de la jeune Mar­cielle (for­mi­dable Jamil­li Cor­rea), pivot du film, advient comme un soulagement.

Je le jure

Réa­li­sa­teur : Samuel Theis – 1 h 50

Le réa­li­sa­teur est sous le coup d’une accu­sa­tion d’agression homo­sexuelle pen­dant le tour­nage. Contexte dif­fi­cile mais… très bon film de pro­cès qui élar­git le pro­pos sans l’affaiblir à l’évolution per­son­nelle d’un des jurés (Julien Ern­wein farou­che­ment cré­dible), tai­seux en marche vers un pos­sible accord au monde et le coming out de sa liai­son avec une aînée de vingt ans de plus que lui (Marie Masa­la, fine et juste) qui l’équilibre et qui le plombe. Louise Bour­goin dense et Sophie Guille­min dyna­mique. Belles scènes alter­nées de tra­vail, de famille, de rela­tion amou­reuse, en contre­point du pro­cès cen­tral au réa­lisme docu­men­taire ten­du et convain­cant que pré­side Mari­na Foïs, magis­trale magis­trate plus humaine et plus vraie que nature.

Deux sœurs

Réa­li­sa­teur : Mike Leigh – 1 h 38

La dou­leur de vivre et les dou­leurs du « vivre » dans l’épaisseur modeste et hos­tile du quo­ti­dien, de l’irascibilité patho­lo­gique extrême (for­mi­dable Marianne Jean-Bap­tiste) à l’humanité la plus ouverte et achar­née (épa­tante et sub­tile Michele Aus­tin). Une gale­rie de por­traits au cut­ter autour des figures de deux sœurs que tout oppose sauf le pas­sé vécu et qui, l’une, écrase et ter­ro­rise de ses pho­bies explo­sives un époux-vic­time mutique et un fils empê­tré d’immaturité, et l’autre, emporte dans son élan vital le monde et ses deux écla­tantes filles au rire sal­va­teur. Explo­sif de comique tra­gique au long des harangues hai­neuses de l’aînée, acca­blée d’une obs­cure dou­leur com­pri­mée, le tableau tout de noir­ceur qu’éclaire la faconde de l’indestructible cadette ouvre peu d’espoir, mal­gré le fré­mis­se­ment entre­vu d’une issue qui refuse de tout refer­mer. Un film à la ter­rible véri­té. Poi­gnant, humain et beau.

Vermiglio ou la mariée des montagnes

Réa­li­sa­trice : Mau­ra Del­pe­ro – 1 h 59

Le Tren­tin-Haut-Adige. Images splen­dides. Le vil­lage natal de la réa­li­sa­trice, haut per­ché, iso­lé, son église et sa com­mu­nale, son maître d’école, sévé­ri­té impo­sante, son épouse, leurs dix enfants en atten­dant la suite, une petite com­mu­nau­té presque pré­ser­vée de la guerre qui s’attarde (1943−1944), son catho­li­cisme d’usage. Et le retour au pays d’un jeune déser­teur flan­qué du cama­rade sici­lien qui l’a aidé à fuir la guerre en la fuyant lui-même. De l’attirance entre une fille du maître d’école et le Sici­lien va naître le drame. Nar­ra­tion déli­cate, riche vie du vil­lage, ensei­gne­ment du péda­gogue, mer­veilleuses rela­tions naïves, confiantes, éper­du­ment fra­ter­nelles des enfants en dia­logue conti­nu. Cette pein­ture atten­tive et réus­sie d’un micro­cosme à l’écart qui paraît vivre au sein d’une carte pos­tale échappe au chro­mo dans l’observation fine d’une humani­té fruste, obs­ti­née, ouverte, fata­liste et rési­liente. Un beau mélodrame. 

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