On ira / Manas / Je le jure / Deux Sœurs / Vermiglio ou la mariée des montagnes

Pour mémoire du mois. Black Dog (Hu Guan) hypnotique et décevant. Magma (Cyprien Vial) pour Marina Foïs. La Cache (Lionel Baier) surprise poétique. Tardes de soledad (Albert Serra) pour aficionados. Lire Lolita à Téhéran (Eran Riklis) pour Golshifteh Farahani. Mickey 17 (Bong Joon Ho) dispensable. Mikado (Baya Kasmi) idem. Bergers (Sophie Deraspe)
plein de brebis. Et cinq choix.
On ira
Réalisateur : Enya Baroux – 1 h 37
Merveilleux film servi par de merveilleux acteurs. Tous sur l’affiche. Hélène Vincent n’a jamais été aussi bien. Pierre Lottin est plus qu’épatant, soutenu par David Ayala dans un rôle peu gratifiant qu’il maîtrise parfaitement, et la jeune Juliette Gasquet est une ado « plus ado tu meurs ». De bout en bout prenant, drôle, attachant, émouvant, intelligent, subtil dans une grande variété de situations. Pas une ombre au tableau. Un road movie vers le « suicide assisté assumé » totalement feel good. Enchanteur.
Manas
Réalisatrice : Marianna Brennand – 1 h 41
Terrible et poignant. Une enquête sur les manas de l’île amazonienne de Marajo, accablée de splendeurs végétales oppressantes, devenue une fiction. L’inceste vécu comme fatalité, la prostitution à bord des barges qui viennent commercer au large comme bouffée d’oxygène. Déchirant. Lente mise en place, on comprend peu à peu. Les deux actrices incarnant mère et fille portent dans leur beauté mutique une détresse désespérée. La focalisation sur un groupe familial particulier saisit toute la complexité de ces communautés pauvres, vivant dans le déni accablé de pratiques auxquelles elles sont inféodées, tandis qu’une foi aveugle leur fait scander à l’unisson des alléluias absurdes et hallucinés. La réaction finale terrible de la jeune Marcielle (formidable Jamilli Correa), pivot du film, advient comme un soulagement.
Je le jure
Réalisateur : Samuel Theis – 1 h 50
Le réalisateur est sous le coup d’une accusation d’agression homosexuelle pendant le tournage. Contexte difficile mais… très bon film de procès qui élargit le propos sans l’affaiblir à l’évolution personnelle d’un des jurés (Julien Ernwein farouchement crédible), taiseux en marche vers un possible accord au monde et le coming out de sa liaison avec une aînée de vingt ans de plus que lui (Marie Masala, fine et juste) qui l’équilibre et qui le plombe. Louise Bourgoin dense et Sophie Guillemin dynamique. Belles scènes alternées de travail, de famille, de relation amoureuse, en contrepoint du procès central au réalisme documentaire tendu et convaincant que préside Marina Foïs, magistrale magistrate plus humaine et plus vraie que nature.
Deux sœurs
Réalisateur : Mike Leigh – 1 h 38
La douleur de vivre et les douleurs du « vivre » dans l’épaisseur modeste et hostile du quotidien, de l’irascibilité pathologique extrême (formidable Marianne Jean-Baptiste) à l’humanité la plus ouverte et acharnée (épatante et subtile Michele Austin). Une galerie de portraits au cutter autour des figures de deux sœurs que tout oppose sauf le passé vécu et qui, l’une, écrase et terrorise de ses phobies explosives un époux-victime mutique et un fils empêtré d’immaturité, et l’autre, emporte dans son élan vital le monde et ses deux éclatantes filles au rire salvateur. Explosif de comique tragique au long des harangues haineuses de l’aînée, accablée d’une obscure douleur comprimée, le tableau tout de noirceur qu’éclaire la faconde de l’indestructible cadette ouvre peu d’espoir, malgré le frémissement entrevu d’une issue qui refuse de tout refermer. Un film à la terrible vérité. Poignant, humain et beau.
Vermiglio ou la mariée des montagnes
Réalisatrice : Maura Delpero – 1 h 59
Le Trentin-Haut-Adige. Images splendides. Le village natal de la réalisatrice, haut perché, isolé, son église et sa communale, son maître d’école, sévérité imposante, son épouse, leurs dix enfants en attendant la suite, une petite communauté presque préservée de la guerre qui s’attarde (1943−1944), son catholicisme d’usage. Et le retour au pays d’un jeune déserteur flanqué du camarade sicilien qui l’a aidé à fuir la guerre en la fuyant lui-même. De l’attirance entre une fille du maître d’école et le Sicilien va naître le drame. Narration délicate, riche vie du village, enseignement du pédagogue, merveilleuses relations naïves, confiantes, éperdument fraternelles des enfants en dialogue continu. Cette peinture attentive et réussie d’un microcosme à l’écart qui paraît vivre au sein d’une carte postale échappe au chromo dans l’observation fine d’une humanité fruste, obstinée, ouverte, fataliste et résiliente. Un beau mélodrame.