Pollution au-dessus de la ville de Santiago au Chili © Nataliya Hora

Observation et modélisation des événements de pollution au Chili

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°776 Juin 2022
Par Rémy LAPERE (M16)

Glaciers, foot, incendies : quand les lamas toussent, le climat se dérègle

Les travaux de Rémy Lapere (M16) ont pour objet l’étude des car­ac­téris­tiques et des con­séquences de la pol­lu­tion atmo­sphérique au Chili, en met­tant à con­tri­bu­tion des mod­èles météorologiques et physic­ochim­iques, com­binés à des mesures de ter­rain et par satel­lite. L’objectif est de mieux com­pren­dre les proces­sus sous-jacents afin, ultime­ment, de mieux informer les poli­tiques en matière de ges­tion de la qual­ité de l’air. Pol­lu­tion urbaine, fonte des glac­i­ers mais aus­si mégabar­be­cues et mégafeux, tels sont les thèmes abor­dés dans cette étude.


Rémy LAPERE (MScT 2016)Rémy Lapere (M16)

Ma thèse a été suiv­ie de sept mois de post-doc­tor­at en France et au Chili pour appro­fondir le sujet et réalis­er une cam­pagne de ter­rain dans le désert d’Atacama. Depuis mai 2022 je suis post-doc­tor­ant à l’Institut des Géo­sciences et de l’Environnement sur le thème des inter­ac­tions aérosols-nuages en milieu polaire.


Avec le désert d’Atacama, le plus aride du monde, au nord du pays, les champs de glace de Patag­o­nie à son extrême sud, les vol­cans de la cordil­lère des Andes à l’est cul­mi­nant à près de 7 000 m d’altitude et sa façade Paci­fique longue de 4 300 km, le Chili a une place à part dans la géo­gra­phie mon­di­ale. Mais ce con­den­sé de carte postale cache un envers du décor préoc­cu­pant : une atmo­sphère par­ti­c­ulière­ment pol­luée. Cet air de mau­vaise qual­ité con­stitue une men­ace inquié­tante pour la san­té des indi­vidus, la péren­nité des écosys­tèmes et le cli­mat. D’où vient cette pol­lu­tion ? Quels sont ses impacts ? Voilà ce dont il est ques­tion ici.

À titre de com­para­i­son, l’air de San­ti­a­go, la cap­i­tale du pays, qui abrite env­i­ron 7 mil­lions d’habitants, est en moyenne deux fois plus pol­lué que celui de Paris, qui n’est pour­tant pas réputée pour la pureté de son atmo­sphère. Pire, les pics de pol­lu­tion hiver­naux au Chili n’ont pas grand-chose à envi­er à ceux des tris­te­ment célèbres mégapoles indi­ennes ou chi­nois­es. On trou­ve notam­ment dans le sud du pays le « petit Pékin » (Coy­haique), surnom hérité de son air par­fois irrespirable.

Schéma du bassin de Santiago, enclavé entre deux chaînes de montagnes.
Sché­ma du bassin de San­ti­a­go, enclavé entre deux chaînes de montagnes.

Les milieux mon­tag­neux sont par­ti­c­ulière­ment favor­ables à l’accumulation de pol­lu­tion dans l’air. Prenons l’exemple du bassin de San­ti­a­go, enclavé entre deux chaînes de mon­tagnes (voir sché­ma). Ces deux mas­sifs for­ment une cuvette dont le fond est peu­plé de sources de pol­lu­ants (traf­ic routi­er, indus­tries…) et de laque­lle les mass­es d’air ont du mal à s’échapper : la pol­lu­tion stagne au-dessus de la ville. Cette con­fig­u­ra­tion est typ­ique de nom­breuses villes du Chili.

Mal­gré une prise de con­science dès les années 1990, la pol­lu­tion atmo­sphérique reste un prob­lème majeur, et par­fois mys­térieux, au pays des lamas, des obser­va­toires astronomiques et de Pablo Neruda.

Effet boule de neige de la pollution atmosphérique sur la fonte des glaciers

Par­mi les effets col­latéraux de la pol­lu­tion de l’air fig­ure son impact sur la fonte des glac­i­ers. De la même manière qu’on évite de porter un t‑shirt noir en été pour s’épargner une suda­tion trop intense, les glac­i­ers préfèrent net­te­ment lorsqu’ils sont vêtus de blanc pour éviter de fon­dre trop vite. Or les émis­sions urbaines de pol­lu­ants impli­quant des proces­sus de com­bus­tion, comme les moteurs de voitures, libèrent des par­tic­ules de matière micro­scopiques (les fameuses par­tic­ules fines), de couleur noire, appelées car­bone suie. Celles-ci peu­vent voy­ager dans l’atmosphère pen­dant plusieurs jours et, en fonc­tion des con­di­tions météorologiques, attein­dre les glac­i­ers de la cordil­lère des Andes et s’y déposer.

Ces régions habituelle­ment blanch­es pren­nent alors une teinte légère­ment plus som­bre et emma­gasi­nent plus de chaleur provenant du Soleil : on par­le de change­ment d’albédo. En con­séquence de ce noir­cisse­ment, les glac­i­ers fondent plus tôt que prévu dans la sai­son, ce qui sig­ni­fie à terme moins de ressources en eau douce en fin d’été pour les humains, ani­maux et végé­taux qui en dépen­dent en bout de chaîne. Cette ressource est par ailleurs déjà sous ten­sion puisque le réchauf­fe­ment cli­ma­tique tend à réduire sig­ni­fica­tive­ment la taille des glac­i­ers des Andes.

« En conséquence de ce noircissement,
les glaciers fondent plus tôt que prévu
dans la saison, ce qui signifie à terme moins
de ressources en eau douce. »

Puisque le glac­i­er fond plus vite, la roche sur laque­lle il repose affleure plus rapi­de­ment. À une sur­face blanche suc­cède donc une sur­face som­bre. Cette fois c’est alors la Terre qui perd cet effet de réver­béra­tion et emma­ga­sine une plus grande part du ray­on­nement solaire que si elle était cou­verte par le glac­i­er. Ce phénomène ampli­fie le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, lui-même ampli­fi­ant le phénomène précé­dent, et ain­si de suite : on entre dans une boucle de rétroac­tion. L’étude de ce type de boucles est un sujet cru­cial pour mieux com­pren­dre l’avenir de notre climat.

Grâce à un mod­èle numérique de chimie-trans­port appelé Chimere (voir encadré ci-dessous), dévelop­pé dans l’équipe où la thèse a été réal­isée, cet effet noir­cis­sant sur les glac­i­ers chiliens a été quan­tifié et car­tographié. Il est vraisem­blablement plus intense que ce qui était jusqu’à main­tenant estimé. Par ailleurs, il ressort que les émis­sions de pol­lu­ants en été, sou­vent ignorées par les autorités de sur­veil­lance de la qual­ité de l’air puisqu’elles s’évacuent facile­ment, jouent en fait un rôle impor­tant. C’est juste­ment parce qu’elles s’évacuent facile­ment qu’elles sont aus­si impor­tantes que les émis­sions hiver­nales en ter­mes d’impact sur les glac­i­ers. Les con­trôler devient donc un enjeu à ne pas négliger.


Le modèle CHIMERE

Chimere est un mod­èle eulérien région­al de chimie-trans­port dévelop­pé au Lab­o­ra­toire de météorolo­gie dynamique, à l’École poly­tech­nique. Avec une approche par élé­ments finis, ce mod­èle résout les équa­tions de la physique
et de la chimie afin de fournir une représen­ta­tion en trois dimen­sions spa­tiales et en temps de la com­po­si­tion de l’atmosphère (gaz, par­tic­ules…). Sché­ma­tique­ment, des flux d’émissions de pol­lu­ants spa­tial­isés (des « cadas­tres ») sont four­nis au modèle,
les con­di­tions météorologiques sont simulées à l’aide d’un mod­èle dédié (appelé Weath­er Research and Fore­cast­ing, WRF) et sur la base de ces deux infor­ma­tions Chimere déduit les con­cen­tra­tions des dif­férents pol­lu­ants con­sid­érés (ozone, par­tic­ules fines, monoxyde de car­bone, com­posés volatils organiques…). Ce mod­èle per­met d’analyser des cas d’étude afin de car­ac­téris­er et met­tre en évi­dence des phénomènes liés à la chimie et au trans­port de la pol­lu­tion naturelle (feux de forêt, érup­tions vol­caniques, pous­sières déser­tiques…) et anthropique (traf­ic, indus­tries…). L’autre volet du mod­èle con­cerne la prévi­sion opéra­tionnelle de la qual­ité de l’air. Chimere est notam­ment le mod­èle util­isé par les asso­ci­a­tions de sur­veil­lance de la qual­ité de l’air en France, comme Airparif,
et l’un des mod­èles mis à con­tri­bu­tion pour réalis­er les prévi­sions de qual­ité de l’air à l’échelle de l’Europe.


Cette approche par la mod­éli­sa­tion per­met égale­ment de com­pren­dre com­ment ces par­tic­ules, émis­es à seule­ment 500 m d’altitude depuis San­ti­a­go, peu­vent attein­dre des glac­i­ers jusqu’à 4­ 500 m plus élevés. C’est la présence d’un réseau de canyons con­nec­tant la cap­i­tale aux zones plus en alti­tude qui l’explique. Les mass­es d’air chargées en pol­lu­ants sont guidées le long de ces val­lées à pente douce jusqu’à attein­dre les glac­i­ers. Iden­ti­fi­er les proces­sus atmo­sphériques qui con­duisent au dépôt de ce car­bone suie est cru­cial pour éclair­er les poli­tiques publiques envi­ron­nemen­tales et les guider dans leurs ten­ta­tives de remédi­er au problème.

En syn­thèse, ces travaux met­tent en lumière l’importance de con­trôler les émis­sions de par­tic­ules fines à San­ti­a­go et au Chili cen­tral, en été comme en hiv­er, dans une optique de préser­va­tion des ressources en eau de la région pour les années à venir.

Carton rouge pour la pollution des barbecues les soirs de foot

Le cas précé­dent s’intéresse aux con­séquences de la pol­lu­tion à rel­a­tive­ment grande échelle. Mais la qual­ité de l’air d’une ville est avant tout gou­vernée par ses sources d’émission locales. C’est le cas notam­ment pour les pics de pol­lu­tion extrêmes qui peu­vent se pro­duire à San­ti­a­go, en par­ti­c­uli­er les épisodes hiver­naux de par­tic­ules fines.

Bien que le prob­lème de la qual­ité de l’air soit suivi de près dans la cap­i­tale, avec des plans de dépol­lu­tion de plus en plus ambitieux, des records de pol­lu­tion ont été observés en 2014 et 2016. Lors de plusieurs jours de juin de ces deux années, les con­cen­tra­tions de par­tic­ules fines ont grim­pé, durant quelques heures, jusqu’à plus de 10 fois les niveaux habituelle­ment ren­con­trés (eux-mêmes déjà élevés). Ce type d’événement déclenche des états d’alerte qui paral­y­sent l’activité économique (régu­la­tion du traf­ic, arrêt de cer­taines indus­tries) et con­duit à une hausse sig­ni­fica­tive des hos­pi­tal­i­sa­tions pour prob­lèmes res­pi­ra­toires. Menons l’enquête sur ces épisodes inouïs, dont l’origine restait jusqu’à main­tenant mystérieuse.

Il est 20 heures ce 26 juin 2016, lorsque les con­cen­tra­tions de par­tic­ules fines à San­ti­a­go fran­chissent un nou­veau record his­torique. Étant don­né la vio­lence du crime et sa soudaineté, il ne peut être l’œuvre que d’une source de pol­lu­tion locale. Par chance, plusieurs obser­va­teurs assis­tent à la scène : les sta­tions de mesure de qual­ité de l’air de la ville. Grâce à elles, il est pos­si­ble d’identifier la sig­na­ture chim­ique de cette source, son ADN carac­téristique. Mal­heureuse­ment, la con­fronta­tion de cette empreinte au fichi­er des sus­pects habituels (pots d’échappement, usines, chauffage au bois…) se révèle infructueuse. Il faut élargir le champ des recherches.

Si au moment exact des faits les sta­tions de mesure veil­lent au grain, les habi­tants de la cap­i­tale ont quant à eux la tête ailleurs, et pour cause : leur sélec­tion nationale de foot­ball dis­pute la finale de la Coupe d’Amérique. Là réside la clé du mys­tère. Car l’auteur des faits n’en est pas à son coup d’essai : déjà en 2014 lors de la Coupe du Monde il avait sévi, avec le même mode opéra­toire, mais avait échap­pé à la jus­tice. Pas cette fois.

Il est de notoriété publique que les Chiliens célèbrent les événe­ments impor­tants (fêtes nationales, mais aus­si matchs de foot­ball) à grand ren­fort de bar­be­cues. Se pour­rait-il que cette tra­di­tion, sous ses airs fes­tifs, ren­ferme une crim­inelle ? L’analyse ADN est formelle et indis­cutable­ment acca­blante. À ce stade (sans jeu de mots) de l’enquête, le sus­pect prin­ci­pal fait donc son entrée : les émis­sions de par­tic­ules des bar­be­cues (c’est-à-dire la frac­tion la plus fine de leur fumée).

« Les barbecues allumés en masse à l’occasion
des matchs de foot sont responsables des records
de pollution à Santiago. »

Pour défini­tive­ment clore l’affaire, la scène du crime a été recon­sti­tuée, en présence du sus­pect, grâce au mod­èle Chimere. La ressem­blance de cette recon­sti­tu­tion avec les faits réels est implaca­ble et con­damne défini­tive­ment le sus­pect : les bar­be­cues allumés en masse à l’occasion des matchs de foot sont respon­s­ables des records de pol­lu­tion à Santiago.

Sur le fonde­ment des con­clu­sions de l’enquête, les autorités ont pris les devants et des mesures pour éviter que le coupable agisse de nou­veau lors de la Coupe d’Amérique en juin 2019, ce qui a généré une atten­tion médi­a­tique impor­tante. Hasard météoro­logi­co-sportif ou suc­cès judi­ci­aire ? Le pol­lueur en série n’a plus frap­pé depuis lors…

Au-delà des résul­tats obtenus, ces travaux sont orig­in­aux par l’approche util­isée, qui pour­rait être dupliquée pour d’autres régions du monde où des épisodes aigus de pol­lu­tion se pro­duisent. Ils soulig­nent par ailleurs la néces­sité pour ce type de recherch­es de se situer à l’interface sci­ence-poli­tique et de génér­er des con­nais­sances directe­ment applic­a­bles. Les autorités de San­ti­a­go suiv­ent doré­na­vant avec une plus grande atten­tion et anticipent les événe­ments sus­cep­ti­bles de génér­er de nom­breux bar­be­cues simultanés.

Refroidissement par le feu : progresser dans l’analyse des interactions entre pollution et nuages 

Jusqu’ici il a été ques­tion de pol­lu­tion d’origine humaine, mais le ter­ri­toire chilien recèle égale­ment des sources de pol­lu­tion dites naturelles, comme les incendies forestiers saison­niers dans le cen­tre du pays.

Une péri­ode de sécher­esse de plusieurs années a été enreg­istrée récem­ment au Chili, avec comme point cul­mi­nant des feux de forêt d’une éten­due inédite à l’été 2017. Ce type de méga­feux relâche des quan­tités colos­sales de gaz et de fumée dans l’atmosphère, ce qui en mod­i­fie les pro­priétés et affecte les con­di­tions météorologiques sur des cen­taines de kilo­mètres (voir image satellite).

Dans un con­texte de change­ment cli­ma­tique où il est prob­a­ble que ce type d’événement devi­enne plus courant, une quan­tifi­ca­tion des impacts asso­ciés s’impose. Ici encore, c’est la mod­éli­sa­tion avec Chimere qui per­met de traiter la ques­tion, cou­plée à des don­nées satel­lites. En réal­isant deux scé­nar­ios, l’un prenant en compte les incendies, l’autre faisant comme s’ils n’avaient pas eu lieu, et en analysant les dif­férences, on peut déduire leur impact sur l’atmosphère.

Lors des jours les plus intens­es de ces incendies, on observe par exem­ple un fort refroidisse­ment de la tem­péra­ture de l’air à la sur­face. En temps nor­mal, le mécan­isme qui per­met à l’air d’être chauf­fé est le suiv­ant : le ray­on­nement du Soleil (qui se situe dans le domaine des cour­tes longueurs d’onde) atteint la sur­face de la Terre, l’atmosphère y étant insen­si­ble, trans­par­ente. La Terre emma­ga­sine cette chaleur et la restitue, cette fois avec un ray­on­nement à grande longueur d’onde qui, lui, inter­ag­it avec l’air et le réchauffe.

Mais, dans le cas de nos incendies, le panache de fumée est telle­ment dense et opaque que la lumière du Soleil est par­tielle­ment blo­quée et absorbée par celui-ci. Elle atteint donc la Terre dans des pro­por­tions plus faibles, ce qui empêche le mécan­isme précé­dent de pleine­ment se dévelop­per : il fait donc plus froid. On par­le ici d’effet radi­atif direct. Dans notre cas, le panache de fumée a refroi­di la tem­péra­ture au sol d’environ 1°C en moyenne et jusqu’à plusieurs degrés par moments.

Comme on peut l’imaginer, ce panache de fumée absorbeur de Soleil se retrou­ve à plusieurs cen­taines de mètres en alti­tude. Il mod­i­fie donc les tem­péra­tures sur toute la ver­ti­cale, pas unique­ment à la sur­face : en dessous du panache il fait plus froid, mais à prox­im­ité du panache il fait plus chaud puisqu’il absorbe la chaleur du Soleil. Cette mod­i­fi­ca­tion de tem­péra­ture change la capac­ité de l’eau con­tenue dans l’air en alti­tude à for­mer des gout­telettes, et donc des nuages. On par­le d’effet semi-direct.

Image satellite du panache de fumée lors des mégafeux chiliens de 2017.
Image satel­lite du panache de fumée lors des mégafeux chiliens de 2017. © image satel­lite (Suo­mi NPP VIIRS), le 26.1.2017
Source NASA Worldview

Com­biné à cet effet semi-direct, un troisième effet météorologique impor­tant se pro­duit : l’effet indi­rect. Pour se for­mer, les gouttes d’eau des nuages ont besoin de matière autour de laque­lle s’agréger. Un air sat­uré en vapeur d’eau mais par­faite­ment dépourvu de matière ne don­nera nais­sance à aucune goutte. L’eau restera à l’état gazeux. La présence de noy­aux de con­den­sa­tion sous forme solide ou liq­uide est un préreq­uis. Ce phénomène explique par exem­ple la for­ma­tion de traînées blanch­es dans le sil­lage des avions à haute alti­tude (oui ce ne sont rien d’autre que des nuages !). Or le panache de fumée qui nous con­cerne se mélange par­tielle­ment avec les nuages au-dessus de l’océan Paci­fique, comme on peut le devin­er sur l’image satel­lite ci-con­tre, et four­nit donc un sup­plé­ment de noy­aux de con­den­sa­tion : une quan­tité plus impor­tante de gout­telettes peut se former.

« La couverture nuageuse est un déterminant clé du climat de notre planète.
Un changement, même mineur, peut entraîner des répercussions importantes sur le rayonnement
atteignant la surface de la Terre, et donc sa température. »

Dans le cas présent, la com­bi­nai­son des effets semi-direct et indi­rect con­tribue à épais­sir les nuages de quelques pour­cents, c’est-à-dire ajouter des gouttes sup­plé­men­taires. Cela peut sem­bler insignifi­ant, mais la cou­ver­ture nuageuse est un déter­mi­nant clé du cli­mat de notre planète. Un change­ment, même mineur, peut entraîn­er des réper­cus­sions impor­tantes sur le ray­on­nement atteignant la sur­face de la Terre, et donc sa température.

Les effets de la pol­lu­tion sur les nuages sont encore mal quan­tifiés aujourd’hui. Le dernier rap­port du GIEC fait état d’une grande incer­ti­tude sur son impact glob­al, ce qui en fait l’un des thèmes de recherche du moment dans les sci­ences atmo­sphériques. Le type d’étude pro­posé ici est donc de grande impor­tance pour con­tribuer à réduire cette incer­ti­tude et mieux estimer les con­di­tions cli­ma­tiques que nous ren­con­trerons dans les années à venir.

Le vent souffle en Atacama : analyse des poussières et prévision des émissions

Le désert d’Atacama, lui, ne risque pas de brûler, vu le peu de végé­ta­tion qu’il compte. Son arid­ité, son éten­due et sa très faible cou­ver­ture nuageuse en font un lieu excep­tion­nel pour la pro­duc­tion d’énergie solaire. Seul prob­lème : le vent rel­a­tive­ment fort qui y souf­fle et l’activité minière impor­tante dans cette région soulèvent du sol des panach­es de pous­sières minérales qui se trans­portent ensuite dans l’atmosphère. Ces pous­sières peu­vent sur­v­ol­er les cen­trales solaires, voire se dépos­er sur les pan­neaux. Le Soleil est donc par­tielle­ment masqué, ce qui sig­ni­fie moins de pro­duc­tion d’énergie. L’enjeu économique sous-jacent est fort, et les développeurs de pro­jets de ce type ont besoin de l’estimer.

Comme dans le cas des incendies, Chimere per­met d’évaluer l’effet, en ter­mes de watts disponibles par mètre car­ré, du pas­sage d’un panache de pous­sière (effet radi­atif direct). Dans le même temps, il est pos­si­ble d’effectuer des prévi­sions d’émission et de trans­port de ces panach­es. En com­bi­nant ces deux élé­ments, on peut alors prédire, quelques heures voire quelques jours à l’avance, d’éventuelles baiss­es de pro­duc­tion à venir pour les cen­trales solaires d’Atacama.

Pour cela néan­moins, il faut con­naître au mieux les pro­priétés et la com­po­si­tion du sol de ce désert. C’est ce qui a motivé une cam­pagne de ter­rain sur place pour recueil­lir des échan­til­lons de pous­sière. L’analyse de leur com­po­si­tion chim­ique et de leur dis­tri­b­u­tion en taille per­me­t­tra d’améliorer les don­nées d’entrée de Chimere et de fournir de pre­mières sim­u­la­tions fidèles des événe­ments de pous­sières minérales dans le désert d’Atacama. Une rapi­de com­para­i­son avec d’autres régions du monde où ce type d’estimation existe sug­gère que l’on peut s’attendre à une diminu­tion de l’énergie solaire disponible de l’ordre de 10 %.

Fonte des glaces, bar­be­cues, nuages, pro­duc­tion d’énergie… la pol­lu­tion atmo­sphérique touche à tout au Chili.


Références pour aller plus loin

  • Huneeus N., Lapere R., Mazzeo A., Ordoñez C., Donoso N., Muñoz R., and Rut­l­lant J. Deep win­ter intru­sions of urban black car­bon into a canyon near San­ti­a­go, Chile : A path­way towards Andean glac­i­ers, Env­i­ron. Pol­lut., 291, 118124, https://doi.org/10.1016/j.envpol.2021.118124, 2021.
  • Lapere R., Menut L., Mailler S., and Huneeus N. Sea­son­al vari­a­tion in atmos­pher­ic pol­lu­tants trans­port in cen­tral Chile : dynam­ics and con­se­quences, Atmos. Chem. Phys., 21, 6431–6454, https://doi.org/10.5194/acp-21–6431-2021, 2021.
  • Lapere R., Mailler S., and Menut L. The 2017 Mega-Fires in Cen­tral Chile : Impacts on Region­al Atmos­pher­ic Com­po­si­tion and Mete­o­rol­o­gy Assessed from Satel­lite Data and Chem­istry-Trans­port Mod­el­ing, Atmos­phere, 12, 344, https://doi.org/10.3390/atmos12030344, 2021.
  • Lapere R., Mailler S., Menut L., and Huneeus N. Path­ways for win­ter­time depo­si­tion of anthro­pogenic light-absorb­ing par­ti­cles on the Cen­tral Andes cryos­phere, Env­i­ron. Pol­lut., 272, 115901, https://doi.org/10.1016/j.envpol.2020.115901, 2021.
  • Lapere R., Menut L., Mailler S., and Huneeus N. Soc­cer games and record-break­ing PM2.5 pol­lu­tion events in San­ti­a­go, Chile, Atmos. Chem. Phys., 20, 4681–4694, https://doi.org/10.5194/acp-20–4681-2020, 2020.


Informations sur la thèse

J’ai effec­tué ma thèse de doc­tor­at inti­t­ulée « Obser­va­tion et mod­éli­sa­tion des événe­ments de pol­lu­tion au Chili » au Lab­o­ra­toire de Météorolo­gie Dynamique, École Poly­tech­nique, sous la super­vi­sion de Lau­rent Menut (DR CNRS) et Syl­vain Mailler (IPEF). Celle-ci a été financée par une bourse doc­tor­ale de l’École Poly­tech­nique. Ma sou­te­nance a eu lieu le 30 sep­tem­bre 2021 à l’École Poly­tech­nique, devant un jury com­posé de Philippe Drobin­s­ki (prési­dent), Claire Granier, Gilles Forêt (rap­por­teurs), Lau­ra Gal­lar­do, Fabi­en Sol­mon (exam­i­na­teurs), Jean-Christophe Raut, Flo­ri­an Cou­vi­dat (invités), Lau­rent Menut et Syl­vain Mailler (directeurs). Des infor­ma­tions plus détail­lées sur mes travaux ain­si que mon man­u­scrit de thèse sont disponibles sur les sites web suiv­ants : http://theses.fr/2021IPPAX057 (man­u­scrit) et https://www.lmd.polytechnique.fr/~rlapere/ (page personnelle)



Présentation du laboratoire d’accueil

Le Lab­o­ra­toire de Météorolo­gie Dynamique (LMD) créé en 1968 à l’ini­tia­tive de Pierre Morel est, depuis 1998, une unité mixte de recherche (UMR 8539) implan­tée sur trois sites uni­ver­si­taires : à l’É­cole Poly­tech­nique à Palaiseau, à l’É­cole Nor­male Supérieure et à l’U­ni­ver­sité Pierre et Marie Curie à Paris. Le LMD a aus­si des rela­tions étroites avec le Cen­tre Nation­al d’Études Spa­tiales (CNES) et il est mem­bre de l’In­sti­tut Pierre Simon Laplace (IPSL), fédéra­tion de neuf lab­o­ra­toires publics de recherche en sci­ences de l’en­vi­ron­nement en Île-de-France. Le LMD étudie le cli­mat, la pol­lu­tion et les atmo­sphères plané­taires en asso­ciant approches théoriques, développe­ments instru­men­taux pour l’ob­ser­va­tion et mod­éli­sa­tions numériques. Il est à la pointe de la recherche sur les proces­sus dynamiques et physiques per­me­t­tant l’é­tude de l’évo­lu­tion et la prévi­sion des phénomènes météorologiques et climatiques.

Site web : https://www.lmd.jussieu.fr/


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