Pollution au-dessus de la ville de Santiago au Chili © Nataliya Hora

Observation et modélisation des événements de pollution au Chili

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°776 Juin 2022
Par Rémy LAPERE (M16)

Glaciers, foot, incendies : quand les lamas toussent, le climat se dérègle

Les tra­vaux de Rémy Lapere (M16) ont pour objet l’étude des carac­té­ris­tiques et des consé­quences de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique au Chi­li, en met­tant à contri­bu­tion des modèles météo­ro­lo­giques et phy­si­co­chi­miques, com­bi­nés à des mesures de ter­rain et par satel­lite. L’objectif est de mieux com­prendre les pro­ces­sus sous-jacents afin, ulti­me­ment, de mieux infor­mer les poli­tiques en matière de ges­tion de la qua­li­té de l’air. Pol­lu­tion urbaine, fonte des gla­ciers mais aus­si méga­bar­be­cues et méga­feux, tels sont les thèmes abor­dés dans cette étude.


Rémy LAPERE (MScT 2016)Rémy Lapere (M16)

Ma thèse a été sui­vie de sept mois de post-doc­to­rat en France et au Chi­li pour appro­fon­dir le sujet et réa­li­ser une cam­pagne de ter­rain dans le désert d’Atacama. Depuis mai 2022 je suis post-doc­to­rant à l’Institut des Géos­ciences et de l’Environnement sur le thème des inter­ac­tions aéro­sols-nuages en milieu polaire.


Avec le désert d’Atacama, le plus aride du monde, au nord du pays, les champs de glace de Pata­go­nie à son extrême sud, les vol­cans de la cor­dillère des Andes à l’est culmi­nant à près de 7 000 m d’altitude et sa façade Paci­fique longue de 4 300 km, le Chi­li a une place à part dans la géo­gra­phie mon­diale. Mais ce conden­sé de carte pos­tale cache un envers du décor pré­oc­cu­pant : une atmo­sphère par­ti­cu­liè­re­ment pol­luée. Cet air de mau­vaise qua­li­té consti­tue une menace inquié­tante pour la san­té des indi­vi­dus, la péren­ni­té des éco­sys­tèmes et le cli­mat. D’où vient cette pol­lu­tion ? Quels sont ses impacts ? Voi­là ce dont il est ques­tion ici.

À titre de com­pa­rai­son, l’air de San­tia­go, la capi­tale du pays, qui abrite envi­ron 7 mil­lions d’habitants, est en moyenne deux fois plus pol­lué que celui de Paris, qui n’est pour­tant pas répu­tée pour la pure­té de son atmo­sphère. Pire, les pics de pol­lu­tion hiver­naux au Chi­li n’ont pas grand-chose à envier à ceux des tris­te­ment célèbres méga­poles indiennes ou chi­noises. On trouve notam­ment dans le sud du pays le « petit Pékin » (Coy­haique), sur­nom héri­té de son air par­fois irrespirable.

Schéma du bassin de Santiago, enclavé entre deux chaînes de montagnes.
Sché­ma du bas­sin de San­tia­go, encla­vé entre deux chaînes de montagnes.

Les milieux mon­ta­gneux sont par­ti­cu­liè­re­ment favo­rables à l’accumulation de pol­lu­tion dans l’air. Pre­nons l’exemple du bas­sin de San­tia­go, encla­vé entre deux chaînes de mon­tagnes (voir sché­ma). Ces deux mas­sifs forment une cuvette dont le fond est peu­plé de sources de pol­luants (tra­fic rou­tier, indus­tries…) et de laquelle les masses d’air ont du mal à s’échapper : la pol­lu­tion stagne au-des­sus de la ville. Cette confi­gu­ra­tion est typique de nom­breuses villes du Chili.

Mal­gré une prise de conscience dès les années 1990, la pol­lu­tion atmo­sphé­rique reste un pro­blème majeur, et par­fois mys­té­rieux, au pays des lamas, des obser­va­toires astro­no­miques et de Pablo Neruda.

Effet boule de neige de la pollution atmosphérique sur la fonte des glaciers

Par­mi les effets col­la­té­raux de la pol­lu­tion de l’air figure son impact sur la fonte des gla­ciers. De la même manière qu’on évite de por­ter un t‑shirt noir en été pour s’épargner une suda­tion trop intense, les gla­ciers pré­fèrent net­te­ment lorsqu’ils sont vêtus de blanc pour évi­ter de fondre trop vite. Or les émis­sions urbaines de pol­luants impli­quant des pro­ces­sus de com­bus­tion, comme les moteurs de voi­tures, libèrent des par­ti­cules de matière micro­sco­piques (les fameuses par­ti­cules fines), de cou­leur noire, appe­lées car­bone suie. Celles-ci peuvent voya­ger dans l’atmosphère pen­dant plu­sieurs jours et, en fonc­tion des condi­tions météo­ro­lo­giques, atteindre les gla­ciers de la cor­dillère des Andes et s’y déposer.

Ces régions habi­tuel­le­ment blanches prennent alors une teinte légè­re­ment plus sombre et emma­ga­sinent plus de cha­leur pro­ve­nant du Soleil : on parle de chan­ge­ment d’albédo. En consé­quence de ce noir­cis­se­ment, les gla­ciers fondent plus tôt que pré­vu dans la sai­son, ce qui signi­fie à terme moins de res­sources en eau douce en fin d’été pour les humains, ani­maux et végé­taux qui en dépendent en bout de chaîne. Cette res­source est par ailleurs déjà sous ten­sion puisque le réchauf­fe­ment cli­ma­tique tend à réduire signi­fi­ca­ti­ve­ment la taille des gla­ciers des Andes.

« En conséquence de ce noircissement,
les glaciers fondent plus tôt que prévu
dans la saison, ce qui signifie à terme moins
de ressources en eau douce. »

Puisque le gla­cier fond plus vite, la roche sur laquelle il repose affleure plus rapi­de­ment. À une sur­face blanche suc­cède donc une sur­face sombre. Cette fois c’est alors la Terre qui perd cet effet de réver­bé­ra­tion et emma­ga­sine une plus grande part du rayon­ne­ment solaire que si elle était cou­verte par le gla­cier. Ce phé­no­mène ampli­fie le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, lui-même ampli­fiant le phé­no­mène pré­cé­dent, et ain­si de suite : on entre dans une boucle de rétro­ac­tion. L’étude de ce type de boucles est un sujet cru­cial pour mieux com­prendre l’avenir de notre climat.

Grâce à un modèle numé­rique de chi­mie-trans­port appe­lé Chi­mere (voir enca­dré ci-des­sous), déve­lop­pé dans l’équipe où la thèse a été réa­li­sée, cet effet noir­cis­sant sur les gla­ciers chi­liens a été quan­ti­fié et car­to­gra­phié. Il est vraisem­blablement plus intense que ce qui était jusqu’à main­te­nant esti­mé. Par ailleurs, il res­sort que les émis­sions de pol­luants en été, sou­vent igno­rées par les auto­ri­tés de sur­veillance de la qua­li­té de l’air puisqu’elles s’évacuent faci­le­ment, jouent en fait un rôle impor­tant. C’est jus­te­ment parce qu’elles s’évacuent faci­le­ment qu’elles sont aus­si impor­tantes que les émis­sions hiver­nales en termes d’impact sur les gla­ciers. Les contrô­ler devient donc un enjeu à ne pas négliger.


Le modèle CHIMERE

Chi­mere est un modèle eulé­rien régio­nal de chi­mie-trans­port déve­lop­pé au Labo­ra­toire de météo­ro­lo­gie dyna­mique, à l’École poly­tech­nique. Avec une approche par élé­ments finis, ce modèle résout les équa­tions de la physique
et de la chi­mie afin de four­nir une repré­sen­ta­tion en trois dimen­sions spa­tiales et en temps de la com­po­si­tion de l’atmosphère (gaz, par­ti­cules…). Sché­ma­ti­que­ment, des flux d’émissions de pol­luants spa­tia­li­sés (des « cadastres ») sont four­nis au modèle,
les condi­tions météo­ro­lo­giques sont simu­lées à l’aide d’un modèle dédié (appe­lé Wea­ther Research and Fore­cas­ting, WRF) et sur la base de ces deux infor­ma­tions Chi­mere déduit les concen­tra­tions des dif­fé­rents pol­luants consi­dé­rés (ozone, par­ti­cules fines, monoxyde de car­bone, com­po­sés vola­tils orga­niques…). Ce modèle per­met d’analyser des cas d’étude afin de carac­té­ri­ser et mettre en évi­dence des phé­no­mènes liés à la chi­mie et au trans­port de la pol­lu­tion natu­relle (feux de forêt, érup­tions vol­ca­niques, pous­sières déser­tiques…) et anthro­pique (tra­fic, indus­tries…). L’autre volet du modèle concerne la pré­vi­sion opé­ra­tion­nelle de la qua­li­té de l’air. Chi­mere est notam­ment le modèle uti­li­sé par les asso­cia­tions de sur­veillance de la qua­li­té de l’air en France, comme Airparif,
et l’un des modèles mis à contri­bu­tion pour réa­li­ser les pré­vi­sions de qua­li­té de l’air à l’échelle de l’Europe.


Cette approche par la modé­li­sa­tion per­met éga­le­ment de com­prendre com­ment ces par­ti­cules, émises à seule­ment 500 m d’altitude depuis San­tia­go, peuvent atteindre des gla­ciers jusqu’à 4­ 500 m plus éle­vés. C’est la pré­sence d’un réseau de canyons connec­tant la capi­tale aux zones plus en alti­tude qui l’explique. Les masses d’air char­gées en pol­luants sont gui­dées le long de ces val­lées à pente douce jusqu’à atteindre les gla­ciers. Iden­ti­fier les pro­ces­sus atmo­sphé­riques qui conduisent au dépôt de ce car­bone suie est cru­cial pour éclai­rer les poli­tiques publiques envi­ron­ne­men­tales et les gui­der dans leurs ten­ta­tives de remé­dier au problème.

En syn­thèse, ces tra­vaux mettent en lumière l’importance de contrô­ler les émis­sions de par­ti­cules fines à San­tia­go et au Chi­li cen­tral, en été comme en hiver, dans une optique de pré­ser­va­tion des res­sources en eau de la région pour les années à venir.

Carton rouge pour la pollution des barbecues les soirs de foot

Le cas pré­cé­dent s’intéresse aux consé­quences de la pol­lu­tion à rela­ti­ve­ment grande échelle. Mais la qua­li­té de l’air d’une ville est avant tout gou­ver­née par ses sources d’émission locales. C’est le cas notam­ment pour les pics de pol­lu­tion extrêmes qui peuvent se pro­duire à San­tia­go, en par­ti­cu­lier les épi­sodes hiver­naux de par­ti­cules fines.

Bien que le pro­blème de la qua­li­té de l’air soit sui­vi de près dans la capi­tale, avec des plans de dépol­lu­tion de plus en plus ambi­tieux, des records de pol­lu­tion ont été obser­vés en 2014 et 2016. Lors de plu­sieurs jours de juin de ces deux années, les concen­tra­tions de par­ti­cules fines ont grim­pé, durant quelques heures, jusqu’à plus de 10 fois les niveaux habi­tuel­le­ment ren­con­trés (eux-mêmes déjà éle­vés). Ce type d’événement déclenche des états d’alerte qui para­lysent l’activité éco­no­mique (régu­la­tion du tra­fic, arrêt de cer­taines indus­tries) et conduit à une hausse signi­fi­ca­tive des hos­pi­ta­li­sa­tions pour pro­blèmes res­pi­ra­toires. Menons l’enquête sur ces épi­sodes inouïs, dont l’origine res­tait jusqu’à main­te­nant mystérieuse.

Il est 20 heures ce 26 juin 2016, lorsque les concen­tra­tions de par­ti­cules fines à San­tia­go fran­chissent un nou­veau record his­to­rique. Étant don­né la vio­lence du crime et sa sou­dai­ne­té, il ne peut être l’œuvre que d’une source de pol­lu­tion locale. Par chance, plu­sieurs obser­va­teurs assistent à la scène : les sta­tions de mesure de qua­li­té de l’air de la ville. Grâce à elles, il est pos­sible d’identifier la signa­ture chi­mique de cette source, son ADN carac­téristique. Mal­heu­reu­se­ment, la confron­ta­tion de cette empreinte au fichier des sus­pects habi­tuels (pots d’échappement, usines, chauf­fage au bois…) se révèle infruc­tueuse. Il faut élar­gir le champ des recherches.

Si au moment exact des faits les sta­tions de mesure veillent au grain, les habi­tants de la capi­tale ont quant à eux la tête ailleurs, et pour cause : leur sélec­tion natio­nale de foot­ball dis­pute la finale de la Coupe d’Amérique. Là réside la clé du mys­tère. Car l’auteur des faits n’en est pas à son coup d’essai : déjà en 2014 lors de la Coupe du Monde il avait sévi, avec le même mode opé­ra­toire, mais avait échap­pé à la jus­tice. Pas cette fois.

Il est de noto­rié­té publique que les Chi­liens célèbrent les évé­ne­ments impor­tants (fêtes natio­nales, mais aus­si matchs de foot­ball) à grand ren­fort de bar­be­cues. Se pour­rait-il que cette tra­di­tion, sous ses airs fes­tifs, ren­ferme une cri­mi­nelle ? L’analyse ADN est for­melle et indis­cu­ta­ble­ment acca­blante. À ce stade (sans jeu de mots) de l’enquête, le sus­pect prin­ci­pal fait donc son entrée : les émis­sions de par­ti­cules des bar­be­cues (c’est-à-dire la frac­tion la plus fine de leur fumée).

« Les barbecues allumés en masse à l’occasion
des matchs de foot sont responsables des records
de pollution à Santiago. »

Pour défi­ni­ti­ve­ment clore l’affaire, la scène du crime a été recons­ti­tuée, en pré­sence du sus­pect, grâce au modèle Chi­mere. La res­sem­blance de cette recons­ti­tu­tion avec les faits réels est impla­cable et condamne défi­ni­ti­ve­ment le sus­pect : les bar­be­cues allu­més en masse à l’occasion des matchs de foot sont res­pon­sables des records de pol­lu­tion à Santiago.

Sur le fon­de­ment des conclu­sions de l’enquête, les auto­ri­tés ont pris les devants et des mesures pour évi­ter que le cou­pable agisse de nou­veau lors de la Coupe d’Amérique en juin 2019, ce qui a géné­ré une atten­tion média­tique impor­tante. Hasard météo­ro­lo­gi­co-spor­tif ou suc­cès judi­ciaire ? Le pol­lueur en série n’a plus frap­pé depuis lors…

Au-delà des résul­tats obte­nus, ces tra­vaux sont ori­gi­naux par l’approche uti­li­sée, qui pour­rait être dupli­quée pour d’autres régions du monde où des épi­sodes aigus de pol­lu­tion se pro­duisent. Ils sou­lignent par ailleurs la néces­si­té pour ce type de recherches de se situer à l’interface science-poli­tique et de géné­rer des connais­sances direc­te­ment appli­cables. Les auto­ri­tés de San­tia­go suivent doré­na­vant avec une plus grande atten­tion et anti­cipent les évé­ne­ments sus­cep­tibles de géné­rer de nom­breux bar­be­cues simultanés.

Refroidissement par le feu : progresser dans l’analyse des interactions entre pollution et nuages 

Jusqu’ici il a été ques­tion de pol­lu­tion d’origine humaine, mais le ter­ri­toire chi­lien recèle éga­le­ment des sources de pol­lu­tion dites natu­relles, comme les incen­dies fores­tiers sai­son­niers dans le centre du pays.

Une période de séche­resse de plu­sieurs années a été enre­gis­trée récem­ment au Chi­li, avec comme point culmi­nant des feux de forêt d’une éten­due inédite à l’été 2017. Ce type de méga­feux relâche des quan­ti­tés colos­sales de gaz et de fumée dans l’atmosphère, ce qui en modi­fie les pro­prié­tés et affecte les condi­tions météo­ro­lo­giques sur des cen­taines de kilo­mètres (voir image satellite).

Dans un contexte de chan­ge­ment cli­ma­tique où il est pro­bable que ce type d’événement devienne plus cou­rant, une quan­ti­fi­ca­tion des impacts asso­ciés s’impose. Ici encore, c’est la modé­li­sa­tion avec Chi­mere qui per­met de trai­ter la ques­tion, cou­plée à des don­nées satel­lites. En réa­li­sant deux scé­na­rios, l’un pre­nant en compte les incen­dies, l’autre fai­sant comme s’ils n’avaient pas eu lieu, et en ana­ly­sant les dif­fé­rences, on peut déduire leur impact sur l’atmosphère.

Lors des jours les plus intenses de ces incen­dies, on observe par exemple un fort refroi­dis­se­ment de la tem­pé­ra­ture de l’air à la sur­face. En temps nor­mal, le méca­nisme qui per­met à l’air d’être chauf­fé est le sui­vant : le rayon­ne­ment du Soleil (qui se situe dans le domaine des courtes lon­gueurs d’onde) atteint la sur­face de la Terre, l’atmosphère y étant insen­sible, trans­pa­rente. La Terre emma­ga­sine cette cha­leur et la res­ti­tue, cette fois avec un rayon­ne­ment à grande lon­gueur d’onde qui, lui, inter­agit avec l’air et le réchauffe.

Mais, dans le cas de nos incen­dies, le panache de fumée est tel­le­ment dense et opaque que la lumière du Soleil est par­tiel­le­ment blo­quée et absor­bée par celui-ci. Elle atteint donc la Terre dans des pro­por­tions plus faibles, ce qui empêche le méca­nisme pré­cé­dent de plei­ne­ment se déve­lop­per : il fait donc plus froid. On parle ici d’effet radia­tif direct. Dans notre cas, le panache de fumée a refroi­di la tem­pé­ra­ture au sol d’environ 1°C en moyenne et jusqu’à plu­sieurs degrés par moments.

Comme on peut l’imaginer, ce panache de fumée absor­beur de Soleil se retrouve à plu­sieurs cen­taines de mètres en alti­tude. Il modi­fie donc les tem­pé­ra­tures sur toute la ver­ti­cale, pas uni­que­ment à la sur­face : en des­sous du panache il fait plus froid, mais à proxi­mi­té du panache il fait plus chaud puisqu’il absorbe la cha­leur du Soleil. Cette modi­fi­ca­tion de tem­pé­ra­ture change la capa­ci­té de l’eau conte­nue dans l’air en alti­tude à for­mer des gout­te­lettes, et donc des nuages. On parle d’effet semi-direct.

Image satellite du panache de fumée lors des mégafeux chiliens de 2017.
Image satel­lite du panache de fumée lors des méga­feux chi­liens de 2017. © image satel­lite (Suo­mi NPP VIIRS), le 26.1.2017
Source NASA Worldview

Com­bi­né à cet effet semi-direct, un troi­sième effet météo­ro­lo­gique impor­tant se pro­duit : l’effet indi­rect. Pour se for­mer, les gouttes d’eau des nuages ont besoin de matière autour de laquelle s’agréger. Un air satu­ré en vapeur d’eau mais par­fai­te­ment dépour­vu de matière ne don­ne­ra nais­sance à aucune goutte. L’eau res­te­ra à l’état gazeux. La pré­sence de noyaux de conden­sa­tion sous forme solide ou liquide est un pré­re­quis. Ce phé­no­mène explique par exemple la for­ma­tion de traî­nées blanches dans le sillage des avions à haute alti­tude (oui ce ne sont rien d’autre que des nuages !). Or le panache de fumée qui nous concerne se mélange par­tiel­le­ment avec les nuages au-des­sus de l’océan Paci­fique, comme on peut le devi­ner sur l’image satel­lite ci-contre, et four­nit donc un sup­plé­ment de noyaux de conden­sa­tion : une quan­ti­té plus impor­tante de gout­te­lettes peut se former.

« La couverture nuageuse est un déterminant clé du climat de notre planète.
Un changement, même mineur, peut entraîner des répercussions importantes sur le rayonnement
atteignant la surface de la Terre, et donc sa température. »

Dans le cas pré­sent, la com­bi­nai­son des effets semi-direct et indi­rect contri­bue à épais­sir les nuages de quelques pour­cents, c’est-à-dire ajou­ter des gouttes sup­plé­men­taires. Cela peut sem­bler insi­gni­fiant, mais la cou­ver­ture nua­geuse est un déter­mi­nant clé du cli­mat de notre pla­nète. Un chan­ge­ment, même mineur, peut entraî­ner des réper­cus­sions impor­tantes sur le rayon­ne­ment attei­gnant la sur­face de la Terre, et donc sa température.

Les effets de la pol­lu­tion sur les nuages sont encore mal quan­ti­fiés aujourd’hui. Le der­nier rap­port du GIEC fait état d’une grande incer­ti­tude sur son impact glo­bal, ce qui en fait l’un des thèmes de recherche du moment dans les sciences atmo­sphé­riques. Le type d’étude pro­po­sé ici est donc de grande impor­tance pour contri­buer à réduire cette incer­ti­tude et mieux esti­mer les condi­tions cli­ma­tiques que nous ren­con­tre­rons dans les années à venir.

Le vent souffle en Atacama : analyse des poussières et prévision des émissions

Le désert d’Atacama, lui, ne risque pas de brû­ler, vu le peu de végé­ta­tion qu’il compte. Son ari­di­té, son éten­due et sa très faible cou­ver­ture nua­geuse en font un lieu excep­tion­nel pour la pro­duc­tion d’énergie solaire. Seul pro­blème : le vent rela­ti­ve­ment fort qui y souffle et l’activité minière impor­tante dans cette région sou­lèvent du sol des panaches de pous­sières miné­rales qui se trans­portent ensuite dans l’atmosphère. Ces pous­sières peuvent sur­vo­ler les cen­trales solaires, voire se dépo­ser sur les pan­neaux. Le Soleil est donc par­tiel­le­ment mas­qué, ce qui signi­fie moins de pro­duc­tion d’énergie. L’enjeu éco­no­mique sous-jacent est fort, et les déve­lop­peurs de pro­jets de ce type ont besoin de l’estimer.

Comme dans le cas des incen­dies, Chi­mere per­met d’évaluer l’effet, en termes de watts dis­po­nibles par mètre car­ré, du pas­sage d’un panache de pous­sière (effet radia­tif direct). Dans le même temps, il est pos­sible d’effectuer des pré­vi­sions d’émission et de trans­port de ces panaches. En com­bi­nant ces deux élé­ments, on peut alors pré­dire, quelques heures voire quelques jours à l’avance, d’éventuelles baisses de pro­duc­tion à venir pour les cen­trales solaires d’Atacama.

Pour cela néan­moins, il faut connaître au mieux les pro­prié­tés et la com­po­si­tion du sol de ce désert. C’est ce qui a moti­vé une cam­pagne de ter­rain sur place pour recueillir des échan­tillons de pous­sière. L’analyse de leur com­po­si­tion chi­mique et de leur dis­tri­bu­tion en taille per­met­tra d’améliorer les don­nées d’entrée de Chi­mere et de four­nir de pre­mières simu­la­tions fidèles des évé­ne­ments de pous­sières miné­rales dans le désert d’Atacama. Une rapide com­pa­rai­son avec d’autres régions du monde où ce type d’estimation existe sug­gère que l’on peut s’attendre à une dimi­nu­tion de l’énergie solaire dis­po­nible de l’ordre de 10 %.

Fonte des glaces, bar­be­cues, nuages, pro­duc­tion d’énergie… la pol­lu­tion atmo­sphé­rique touche à tout au Chili.


Références pour aller plus loin

  • Huneeus N., Lapere R., Maz­zeo A., Ordoñez C., Dono­so N., Muñoz R., and Rutl­lant J. Deep win­ter intru­sions of urban black car­bon into a canyon near San­tia­go, Chile : A path­way towards Andean gla­ciers, Envi­ron. Pol­lut., 291, 118124, https://doi.org/10.1016/j.envpol.2021.118124, 2021.
  • Lapere R., Menut L., Mailler S., and Huneeus N. Sea­so­nal varia­tion in atmos­phe­ric pol­lu­tants trans­port in cen­tral Chile : dyna­mics and conse­quences, Atmos. Chem. Phys., 21, 6431–6454, https://doi.org/10.5194/acp-21–6431-2021, 2021.
  • Lapere R., Mailler S., and Menut L. The 2017 Mega-Fires in Cen­tral Chile : Impacts on Regio­nal Atmos­phe­ric Com­po­si­tion and Meteo­ro­lo­gy Asses­sed from Satel­lite Data and Che­mis­try-Trans­port Mode­ling, Atmos­phere, 12, 344, https://doi.org/10.3390/atmos12030344, 2021.
  • Lapere R., Mailler S., Menut L., and Huneeus N. Path­ways for win­ter­time depo­si­tion of anthro­po­ge­nic light-absor­bing par­ticles on the Cen­tral Andes cryos­phere, Envi­ron. Pol­lut., 272, 115901, https://doi.org/10.1016/j.envpol.2020.115901, 2021.
  • Lapere R., Menut L., Mailler S., and Huneeus N. Soc­cer games and record-brea­king PM2.5 pol­lu­tion events in San­tia­go, Chile, Atmos. Chem. Phys., 20, 4681–4694, https://doi.org/10.5194/acp-20–4681-2020, 2020.


Informations sur la thèse

J’ai effec­tué ma thèse de doc­to­rat inti­tu­lée « Obser­va­tion et modé­li­sa­tion des évé­ne­ments de pol­lu­tion au Chi­li » au Labo­ra­toire de Météo­ro­lo­gie Dyna­mique, École Poly­tech­nique, sous la super­vi­sion de Laurent Menut (DR CNRS) et Syl­vain Mailler (IPEF). Celle-ci a été finan­cée par une bourse doc­to­rale de l’École Poly­tech­nique. Ma sou­te­nance a eu lieu le 30 sep­tembre 2021 à l’École Poly­tech­nique, devant un jury com­po­sé de Phi­lippe Dro­bins­ki (pré­sident), Claire Gra­nier, Gilles Forêt (rap­por­teurs), Lau­ra Gal­lar­do, Fabien Sol­mon (exa­mi­na­teurs), Jean-Chris­tophe Raut, Flo­rian Cou­vi­dat (invi­tés), Laurent Menut et Syl­vain Mailler (direc­teurs). Des infor­ma­tions plus détaillées sur mes tra­vaux ain­si que mon manus­crit de thèse sont dis­po­nibles sur les sites web sui­vants : http://theses.fr/2021IPPAX057 (manus­crit) et https://www.lmd.polytechnique.fr/~rlapere/ (page personnelle)



Présentation du laboratoire d’accueil

Le Labo­ra­toire de Météo­ro­lo­gie Dyna­mique (LMD) créé en 1968 à l’i­ni­tia­tive de Pierre Morel est, depuis 1998, une uni­té mixte de recherche (UMR 8539) implan­tée sur trois sites uni­ver­si­taires : à l’É­cole Poly­tech­nique à Palai­seau, à l’É­cole Nor­male Supé­rieure et à l’U­ni­ver­si­té Pierre et Marie Curie à Paris. Le LMD a aus­si des rela­tions étroites avec le Centre Natio­nal d’Études Spa­tiales (CNES) et il est membre de l’Ins­ti­tut Pierre Simon Laplace (IPSL), fédé­ra­tion de neuf labo­ra­toires publics de recherche en sciences de l’en­vi­ron­ne­ment en Île-de-France. Le LMD étu­die le cli­mat, la pol­lu­tion et les atmo­sphères pla­né­taires en asso­ciant approches théo­riques, déve­lop­pe­ments ins­tru­men­taux pour l’ob­ser­va­tion et modé­li­sa­tions numé­riques. Il est à la pointe de la recherche sur les pro­ces­sus dyna­miques et phy­siques per­met­tant l’é­tude de l’é­vo­lu­tion et la pré­vi­sion des phé­no­mènes météo­ro­lo­giques et climatiques.

Site web : https://www.lmd.jussieu.fr/


Poster un commentaire