« Nous travaillons avec l’IoT depuis longtemps »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°784 Avril 2023
Par Setra RAKOTOMAVO
Par Jean-Paul FABRE

En inté­grant l’Internet des objets dans son sys­tème d’information pour pilo­ter l’efficience de la logis­tique, La Poste entre­prend sa trans­for­ma­tion. Quels en sont les moti­va­tions et les enjeux ? Entre­tien avec Setra Rako­to­ma­vo Res­pon­sable stra­te­gic explo­rer, et Jean-Paul Fabre Res­pon­sable tech­no­lo­gique, à la direc­tion de l’innovation et de la pros­pec­tive du sys­tème d’informations de la branche ser­vices-cour­rier-colis de La Poste. Dans cette direc­tion sont réa­li­sés des PoC (Proof of Concept) soit pour opti­mi­ser les pro­ces­sus soit pour avoir des relais de crois­sance pour la branche en réponse à l’attrition du cour­rier. Le tra­vail s’effectue avec un éco­sys­tème de start-up (par ex. Kuzzle pour l’IoT, Path­way (ex Naval­go) dans les start-up d’IA, Olympe pour le low code…), de grandes écoles, etc. En 2022, nous vou­drions signa­ler un PoC sur le méta­vers pré­sen­té à Viva­Tech ou encore le prix de l’innovation Pos­tEu­rop pour le pro­jet blo­ck­chain Douanes.

Comment l’internet des objets s’est-il intégré aux métiers du groupe La Poste ?

La Poste est une entre­prise uti­li­sa­trice de tech­no­lo­gie ; en par­ti­cu­lier, nous tra­vaillons avec l’IoT depuis long­temps. Les fac­teurs font de nous une entre­prise en grande mobi­li­té avec un maillage sur l’ensemble du ter­ri­toire. Nous livrons 6 jours sur 7 cour­riers et colis à 68 mil­lions de Fran­çais. Nos fac­teurs sont connec­tés avec leur télé­phone mobile, qui per­met de pro­gram­mer leur tour­née et les aider dans les opé­ra­tions à effec­tuer. Nous menons des expé­ri­men­ta­tions dans nos éta­blis­se­ments, nos centres de tri. Nous connec­tons par exemple les rampes pour connaître l’horaire d’arrivée et croi­sons les infor­ma­tions déli­vrées par les machines de tri. En pro­cé­dant par cas d’usage, nous savons inté­grer des outils intel­li­gents dans la chaîne de pro­duc­tion. L’enjeu est main­te­nant d’exploiter fine­ment ce data­lake pour en faire une exten­sion du sys­tème d’information.

Nous avons connu plu­sieurs géné­ra­tions d’Internet des objets. Les objets sont actuel­le­ment ubi­qui­taires. Les cap­teurs bougent et sont auto­nomes, alors qu’ils étaient aupa­ra­vant sou­vent fixes et liés à une ali­men­ta­tion élec­trique. Nous avons aujourd’hui besoin de trai­ter des objets connec­tés iso­lés. Cette étape a d’abord cor­res­pon­du chez nous à la ges­tion des boîtes aux lettres : en connaître l’occupation (on ne peut pas ouvrir une boîte si elle est occu­pée), les sécu­ri­ser avec du chif­fre­ment par exemple. Tous ces besoins néces­sitent déjà un peu de cal­cul. Par la suite, nous avons été confron­tés à la ges­tion à dis­tance, avec des com­mu­ni­ca­tions sou­vent impar­faites. Aujourd’hui, on a 1 600 semi-remorques et caisses mobiles qui cir­culent avec des colis. Nous avons eu besoin de savoir où ils se situaient, en temps réel. Dans un second temps, nous avons cher­ché à faire de l’événementiel, c’est-à-dire déga­ger une infor­ma­tion qui déclenche une action, por­teuse de valeur ajou­tée pour le pilotage.

Quels sont les aspects essentiels de votre réseau ?

Notre réseau est consti­tué de pla­te­formes, c’est-à-dire de nœuds agré­geant des flux, per­met­tant de rou­ter colis et cour­rier et des nou­veaux pro­duits comme des pla­teaux repas. Nous connais­sons très bien ce qui se passe à l’intérieur de nos plateformes.
Mais un des enjeux consiste à connaître ce qui se passe entre les pla­te­formes, c’est-à-dire dans le trans­port (aujourd’hui essen­tiel­le­ment opé­ré par des camions). Par ailleurs, ce réseau est dis­sy­mé­trique avec le pos­sible pro­blème du retour à vide à opti­mi­ser : c’est l’une de ses carac­té­ris­tiques impor­tantes. Par exemple, une fois qu’un camion livre une pla­te­forme, il faut que la remorque revienne à son point de départ. Les flux partent sou­vent du nord de la France, et rayonnent.

Comment répondez-vous aux défis que pose le développement du commerce en ligne ?

Nous vivons actuel­le­ment une muta­tion majeure. Au vu des évo­lu­tions de la consom­ma­tion et des usages du e‑commerce et de la livrai­son, La Poste est en train d’évoluer d’un modèle sta­tique de dif­fu­sion de masse, vers un modèle de dif­fu­sion à la demande, avec des heures de ren­dez-vous liées aux contraintes de mobi­li­té du client final. Il nous faut donc dimen­sion­ner un nou­veau réseau, et à cette fin com­prendre les habi­tudes des clients, les évo­lu­tions socié­tales ou régle­men­taires comme accès au centre-ville avec notam­ment l’implantation et le déve­lop­pe­ment des vélos car­gos pour la livrai­son des ZFE (Zone à faibles émis­sions), les migra­tions de population.

Notre réseau était aupa­ra­vant figé, pro­gram­mé. Nous allons main­te­nant vers un réseau très élas­tique, capable d’absorber une forte mon­tée en charge selon cer­taines périodes (Noël, Black Fri­day…) mais aus­si selon des fac­teurs géo­gra­phiques (dépla­ce­ments pen­dant les vacances). Nous sommes convain­cus que l’IoT per­met­tra de mieux pilo­ter ce réseau élastique.

De quelle manière l’IoT va-t-il évoluer chez vous ?

Nous avons déjà des cap­teurs sur nos semi-remorques et nos contai­ners. Mais nous cher­chons à ins­tal­ler main­te­nant des cap­teurs peu consom­ma­teurs d’énergie et d’une grande dura­bi­li­té, pour ne pas avoir à les rem­pla­cer tous les six mois. Sur­tout, nous avons bas­cu­lé depuis cinq ans sur une archi­tec­ture évè­ne­men­tielle en temps réel. Les machines de tri pilotent en temps réel la lec­ture d’une enve­loppe et la redi­rigent. Les centres de cal­cul qui per­met­taient cela étaient aupa­ra­vant dans le centre de tri. Main­te­nant, comme nous avons une archi­tec­ture en temps réel au niveau cen­tral et non plus local, nous pou­vons arti­cu­ler le monde indus­triel au pilo­tage de la sup­ply chain de niveau global.
L’avenir de l’IoT peut être lié à la blo­ck­chain avec des infor­ma­tions remon­tées par les cap­teurs IoT uti­li­sés par la blockchain.

Comment l’IA rentre-t-elle en ligne de compte ?

L’IA va nous per­mettre d’analyser le réseau, et sur­tout de détec­ter par appren­tis­sage quel types de nœuds se mettent en place, les ano­ma­lies de par­cours, de manière à pou­voir agir avant que le pro­blème ne se pose concrè­te­ment. Aujourd’hui, nous res­tons encore dans le constat : pour un retard à tel endroit, recherche de solu­tions pour résoudre le pro­blème. L’IA/machine lear­ning nous don­ne­ra les moyens d’agir pour évi­ter le problème.

Quelles sont les évolutions réglementaires susceptibles de transformer votre activité ?

Les ZFE (zones à faibles émis­sions) vont chan­ger la donne. Les centres-villes seront de plus en plus pro­té­gés. Il faut donc trou­ver une rela­tion entre une pla­te­forme à dis­tance et une pla­te­forme de proxi­mi­té, où seuls des camions spé­cia­li­sés pour­ront entrer. La nature du sché­ma d’implantation de notre réseau logis­tique va évo­luer. D’un réseau d’échange, nous deve­nons de plus en plus un réseau d’entrée dans les villes. Cela demande du sto­ckage, de la coor­di­na­tion, et sur­tout de la mutualisation.

En quel sens la mutualisation est-elle un grand enjeu à venir pour La Poste ?

Si l’on mutua­lise des flux avec d’autres clients, ils vou­dront savoir où sont leurs mar­chan­dises. Que faire de ces don­nées ? Est-ce un asset com­mun ? Est-ce uni­que­ment notre pro­prié­té ? L’information rela­tive à un camion en retard pour­rait avoir en effet une valeur pour le régu­la­teur de la cir­cu­la­tion autour de la ville de Bor­deaux, par exemple. Mais inver­se­ment, savoir l’état du tra­fic et de la conges­tion, dis­po­ser des don­nées des cap­teurs de la ville, pour­rait nous inté­res­ser aus­si pour pla­ni­fier nos tour­nées. Il nous fau­drait donc une pla­te­forme de média­tion pour échan­ger ces don­nées entre nous, les croi­ser, les identifier.

Le but est de capi­ta­li­ser sur les don­nées des IoT pour en tirer de mul­tiples usages. Cet enjeu va deve­nir cru­cial à mesure que la cir­cu­la­tion dans les villes devien­dra plus contrai­gnante. On peut ima­gi­ner que les entrées de ville soient régu­lées par des horaires, ou que les places de livrai­son soient réser­vées à l’avance. Il nous fau­dra donc être très pré­cis dans la connais­sance de nos flux et de la géo­lo­ca­li­sa­tion, et nous orga­ni­ser col­lec­ti­ve­ment entre livreurs. Nous pen­sons que l’évolution vers un Inter­net phy­sique sera un fac­teur impor­tant de mutua­li­sa­tion pour ali­men­ter ces ZFE.


Pour en savoir plus : https://pathway.com/

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