Bâtiment européen

N’ayons pas peur du changement

Dossier : Les moyens de paiementMagazine N°724 Avril 2017
Par Bernard COHEN-HADAD

Les PME sont aus­si sat­is­faites de évo­lu­tions en cours, mais deman­dent pour en garan­tir l’accès à tous, une stratégie de développe­ment à leur dimen­sion. Il ne s’ag­it pas de leur offrir des pro­duits ban­caires en low-cost, mais de définir des solu­tions durables qui ne per­turbent pas une clien­tèle fidèle à ses habitudes. 

Depuis une dizaine d’années, nous vivons chaque jour la révo­lu­tion per­ma­nente des moyens de paiement. Et nous devons cette effer­ves­cence, non pas à notre bon plaisir, mais à la mon­di­al­i­sa­tion des échanges. 

“ SEPA intégré, c’est 35 % de baisse des coûts bancaires relatifs à la gestion des flux ”

Est-ce une bonne chose ? Sans aucun doute même si ce mou­ve­ment n’est pas domes­tique. Car il est l’occasion d’un four­mille­ment d’idées nou­velles, créa­tri­ces de valeurs ajoutées et de tech­nolo­gies partagées. Elles poussent à réa­gir soit par la stan­dard­i­s­a­tion soit par la mise en place de solu­tions sur mesure. 

Et la masse d’information que nous recevons sur les moyens de paiement et leur indus­trie est riche. Elle nous sub­merge même. Faut-il se plain­dre d’un monde qui bouge et qui vise à faire tomber cer­taines fron­tières entre les hommes ? Évidem­ment, non. 

Car, dans ce mou­ve­ment con­tin­uel, les PME sont atten­tives aux évo­lu­tions divers­es. Leur volon­té : pren­dre le temps de la déci­sion et priv­ilégi­er le durable. D’autant qu’au niveau nation­al, européen ou inter­na­tion­al, les instances qui pren­nent en con­sid­éra­tion la dimen­sion PME sont rares. C’est une des faib­less­es de nos sociétés. 

REPÈRES

Ces dernières années, sans doute depuis la crise financière de 2008, nous sommes entrés, avec le développement de la part du numérique dans nos univers professionnel et privé, dans une nouvelle relation à la monnaie.
Et dans une nouvelle façon de consommer des biens et des services. De nombreuses réticences persistent dans les territoires en fonction des classes d’âge et de l’attachement à tel ou tel moyen de paiement. Il existe une fidélité plus ou moins affirmée, des habitudes, un choix de telle ou telle relation commerciale.

LES PME SATISFAITES DU SEPA

La migra­tion au SEPA, qui a con­cerné l’harmonisation des paiements scrip­turaux (vire­ments et prélève­ments) en Europe, ne s’est pas faite sans vagues. 

“ L’exigence de sécurité et de confidentialité est à la genèse de la relation avec les PME ”

En effet, les prin­ci­pales préoc­cu­pa­tions des PME étaient, et sont tou­jours en France, l’inquiétude face à la sit­u­a­tion économique, le car­net de com­man­des, la com­plex­ité admin­is­tra­tive (réforme de la péni­bil­ité, prélève­ment à la source), la faib­lesse des taux de marge, le coût pro­hibitif du tra­vail et l’absence de flex­i­bil­ité, la faib­lesse du niveau de fonds pro­pres et les prob­lèmes de finance­ment à court terme. 

Mais les PME ont joué active­ment le jeu du pas­sage au SEPA, après avoir mis du temps à inté­gr­er ce proces­sus. Pourquoi ? Tout d’abord, chez nous, l’Europe est mon­trée, à tort, comme la source de tous nos maux notam­ment de l’empilement admin­is­tratif. Ensuite et enfin, la com­mu­ni­ca­tion ban­caire sur SEPA n’a pas été assez péd­a­gogique ni agres­sive pour les retardataires. 

Mais les PME sont sat­is­faites de la mise en place d’un sys­tème rapi­de, sécurisé et partagé dont elles n’avaient pas fait ini­tiale­ment la demande. Car l’Europe est un trem­plin pour leur développe­ment. SEPA inté­gré a entraîné une baisse des coûts ban­caires relat­ifs à la ges­tion des flux qui peut aller jusqu’à 35 %. 

DÉMATÉRIALISATION ET SIMPLIFICATION DES PAIEMENTS

On doit aus­si retenir que SEPA a été l’occasion de jeter les bases d’un nou­veau dia­logue entre les ban­ques et les PME, sans deman­der aux pou­voirs publics de jouer les arbi­tres. Et pour les PME, SEPA peut être con­sid­éré comme la pre­mière étape réussie du proces­sus de dématéri­al­i­sa­tion des paiements et de l’intégration des out­ils de sim­pli­fi­ca­tion de ges­tion du paiement des échanges. 


La migra­tion au SEPA, qui a con­cerné l’harmonisation des paiements scrip­turaux (vire­ments et prélève­ments) en Europe, ne s’est pas faite sans vagues. © CHRISTIAN MÜLLER / FOTOLIA.COM

Quant aux anom­alies SEPA que l’on présen­tait comme dan­tesques, elles ont bien été gérées par les étab­lisse­ments financiers et les PME. Et ce tra­vail en com­mun a per­mis aux PME de porter leur atten­tion à ce qui se passe avant, pen­dant et après le paiement et de met­tre en place de nou­veaux process non seule­ment dans la chaîne des paiements mais aus­si dans le cadre de la dématéri­al­i­sa­tion de la rela­tion client. 

La rela­tion paiement des TPE et PME à leur banque a changé et la rela­tion des ban­ques aux PME a changé égale­ment. Il suf­fit de pouss­er la porte des agences ban­caires pour s’en ren­dre compte : dis­pari­tion des sas, agences dédiées qui pren­nent les dépôts d’espèces, chèques validés par le client pro­fes­sion­nel à l’horodateur.

La trans­for­ma­tion numérique, la dématéri­al­i­sa­tion des échanges et des parte­nar­i­ats sont déjà là. C’est l’axe pri­or­i­taire autour duquel va tourn­er la rela­tion banque PME, demain. C’est pourquoi, il faut accom­pa­g­n­er les TPE de moins de 2,5 mil­lions d’euros de chiffres d’affaires. Elles sont à 75 % monoban­car­isées comme les commerçants. 

Ce serait une erreur de les met­tre devant un fait accom­pli de muta­tions tech­nologiques alors qu’ils sont à la base de mil­lions de rela­tions com­mer­ciales atom­isées et d’un flux per­ma­nent de mon­naie encais­sée et décaissée. 

Les PME sont sur un autre plan, sauf celles des secteurs de la grande dis­tri­b­u­tion où la rela­tion à la mon­naie est sen­si­ble, indus­tri­al­isée et finale­ment nor­mée. C’est pour ces raisons que les nou­veaux paysages ban­caires doivent inté­gr­er la mise en place d’outils adap­tés tels qu’un agen­da numérique, un porte­feuille sécurisé pour les don­nées TPEPME et la mise en place de la fac­tura­tion électronique. 

LES FINTECHS, UNE OPPORTUNITÉ POUR LES PME

L’arrivée des fin­techs dans les paiements s’inscrit dans cette nou­velle voie. Et si cer­tains rêvent d’une bataille avec les ban­ques et de l’inversement des mod­èles, ils se trompent. Nous sommes très loin d’une telle con­fig­u­ra­tion, compte tenu de la place, du rôle et de la struc­tura­tion des ban­ques en France. 

Le rôle des fin­techs dans l’industrie des paiements et dans le finance­ment des PME est une oppor­tu­nité. C’est de l’air frais pour nos entre­pris­es dans la mesure où elles pro­posent des pro­duits nova­teurs et répon­dent à des nich­es, c’est-à-dire des deman­des spé­cial­isées pour un marché dédié. Reste à mesur­er la sécu­rité, la solid­ité finan­cière et le coût réel des ser­vices pro­posés (fac­turés) aux PME. 

L’exigence de sécu­rité est à la genèse de la rela­tion avec les PME de même que la con­fi­den­tial­ité des don­nées fournies dans l’intérêt des entre­pris­es et de leurs clients. Et la trans­parence sur les ser­vices, les coûts aux entre­pris­es et les con­traintes pru­den­tielles ou régle­men­taires doivent être les mêmes pour tous les acteurs des paiements. 

PERMETTRE AUX PME DE SE DOTER DES NOUVELLES TECHNOLOGIES

Ce qui peut rap­procher les fin­techs des PME, ce n’est pas de pro­pos­er une pâle copie des offres ou des pro­duits ban­caires en low-cost. C’est met­tre à leur dis­po­si­tion des ser­vices nou­veaux et numériques pour accom­pa­g­n­er le paiement. Le paiement n’est plus anodin. C’est un acte qui per­met de gag­n­er du temps, ren­forcer, fidélis­er, enrichir la rela­tion commerciale. 

Paiement dans une boulangerie
49,2 % des TPE-PME, selon une enquête CPME, sont prêtes à accepter les petits paiements par carte si les frais baissent.
© LUCKYIMAGES / FOTOLIA.COM

Il per­met aus­si d’anticiper la demande du client ou de rac­cour­cir les délais de ges­tion des com­man­des récur­rentes. Le paiement n’est pas un acte isolé voire acces­soire. Il intè­gre un bou­quet de ser­vices. Et c’est la force, aujourd’hui, des entre­pris­es de dimen­sions mon­di­ales telles que les GAFA (Google, Apple, Face­book, Ama­zon) et les NATU (Net­flix, Airbnb, Tes­la, Uber). 

Il faut donc per­me­t­tre aux PME de se dot­er, à leur dimen­sion, de ces tech­nolo­gies. Encore faut-il que l’État s’engage claire­ment dans une poli­tique de développe­ment du numérique et dans une stratégie des paiements sur la longue durée. Pour le numérique, on est encore dans l’attente des sou­tiens financiers aux entreprises. 

En revanche, con­cer­nant les paiements, la feuille de route de la stratégie nationale des paiements scrip­turaux est tracée. Reste à se dot­er d’une com­mu­ni­ca­tion opéra­tionnelle avec les PME, car lorsque l’État, les ban­ques et les entre­pris­es font pro­gress­er les choses ensem­ble, il est impor­tant de le recon­naître et de bonne poli­tique de le faire savoir. 

LA CARTE BANCAIRE EST-ELLE ENCORE À LA MODE ?

La carte ban­caire est désor­mais ancrée dans nos habi­tudes et nos men­tal­ités. Elle représente déjà près de la moitié de nos paiements scrip­turaux. Avec le numérique, la carte ban­caire, de débit ou de crédit, va être autre chose qu’un sim­ple instru­ment de paiement. Elle est le « couteau suisse » de notre vie quotidienne. 

“ Le paiement n’est pas un acte isolé, voire accessoire, il intègre un bouquet de services ”

Les ban­ques ont dévelop­pé des out­ils et des ser­vices mul­ti­ples : prélève­ment automa­tique sur la carte, paiement éch­e­lon­né, ser­vices d’assurances et d’assistance… Reste à dévelop­per le paiement CB et sans con­tact auprès des TPE et PME. 

49,2 % des TPE-PME, selon une enquête CPME, sont prêtes à accepter les petits paiements par carte si les frais bais­sent. Le sans con­tact pour les mon­tants de moins de 20€ est ludique. Il est facile d’utilisation. Les entre­pris­es dans nos régions doivent tra­vailler à invers­er la ten­dance car on con­state encore beau­coup trop d’activités com­mer­ciales qui man­quent de ter­minaux, de logiciels. 

Il y a la ques­tion de l’information réelle, la mise à dis­po­si­tion d’outils adap­tés en fonc­tion de la taille des entre­pris­es. Et il n’est pas bon de faire l’impasse sur les vrais coûts. Ne deman­dons pas à un com­merçant de prox­im­ité d’accepter un paiement par carte ban­caire si les frais afférents à la trans­ac­tion sont équiv­a­lents à sa marge. 

D’autant que la baisse des com­mis­sions inter­ban­caires de paiement (–18 % en décem­bre 2015) n’a pas été totale­ment perçue pour 85,9 % des PME inter­rogées par la CPME. 

Des billets de 500 €
Le bil­let de 500 € n’est plus imprimé depuis l’été.
© PEPEBAEZA / FOTOLIA.COM

LE CASH ET LE CHÈQUE, ESPÈCES EN VOIE DE DISPARITION

Depuis le 1er septembre 2015, le paiement en espèces pour les résidents français est limité à 1 000€. Et le billet de 500€ depuis l’été n’est plus imprimé. La mort des espèces est programmée.
Ces mesures arrivent à un moment où, dans les commerces de proximité, les espèces riment avec insécurité. Mais ne diabolisons pas les entreprises qui veulent que cette disparition soit progressive.
Il en est de même pour l’avenir du chèque. Les Français sont les premiers utilisateurs du chèque en Europe même si, chez nous, son déclin est régulier : 51 % des paiements scripturaux en 1992 ; 12 % en 2014. Et si le chèque continue de fonctionner, c’est qu’il se fonde sur un malentendu, sa gratuité.
En réalité, il coûte à tout le monde, aux banques, aux entreprises en gestion, et aux consommateurs de manière détournée, car les coûts de gestion et ceux des impayés sont intégrés dans le prix de vente des produits ou dans les frais de gestion des comptes bancaires.
La disparition progressive du chèque arrivera naturellement par notre changement de modes de consommation (achats sur le Web) et l’évolution de nos modes de vie.

LE PAIEMENT DE DEMAIN : PAR MOBILE, PAR VIREMENT, PAR INSTANT PAYMENT

Le paiement par smart­phone vient dans cette recom­po­si­tion des moyens de paiement. Il peut s’agir d’un paiement ban­caire, un vire­ment sim­pli­fié via un mobile ou bien de voir l’opérateur de télé­phonie jouer le ban­quier et fac­tur­er la trans­ac­tion au tit­u­laire de l’abonnement mobile qui achète le bien ou la prestation. 

“ Le paiement par mobile n’est pas un gadget ”

C’est l’une des pistes de paiement impor­tantes pour demain. Ouvrons ce débat à tous les acteurs. Le paiement par mobile n’est pas un gad­get, pour autant que l’on sache con­cili­er sécu­rité des trans­ac­tions, con­fi­den­tial­ité des don­nées et sou­p­lesse d’utilisation. Con­nec­té totale­ment, il peut devenir un atout. Une nou­velle liberté. 

Ensuite, nous devons égale­ment val­oris­er le paiement par vire­ment qui est très util­isé dans les rela­tions inter­en­tre­pris­es mais qui doit gag­n­er du ter­rain auprès des con­som­ma­teurs dans leurs rela­tions avec les entre­pris­es et les col­lec­tiv­ités publiques. Enfin, nous devons nous saisir de l’instant pay­ment, ce paiement à dénoue­ment qua­si immé­di­at qui fonc­tionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an. 

Arrê­tons de dén­i­gr­er, pour des raisons d’investissements de mod­èles financiers, une mesure ini­tiée par l’Euro Retail Pay­ments Board (ERPB). De tout temps, les entre­pris­es se sont émues des dates de valeurs, en encaisse­ment et en débit, pour des raisons de tré­sorerie et de frais afférents. 

L’instant pay­ment, c’est une trans­ac­tion créditée en vingt sec­on­des au max­i­mum… Les PME doivent enrichir cette nou­velle prob­lé­ma­tique qu’est le paiement instan­ta­né dans le cadre d’une vision européenne des trans­ac­tions et ne pas se laiss­er embar­quer sur des choix qui vont à rebours de leurs intérêts. 

En matière de paiements, la Com­mis­sion européenne, le Par­lement européen et la France ont esquis­sé, ces dernières années, un nou­veau cadre qui est non seule­ment le reflet de notre évo­lu­tion tech­nologique, mais une prise de con­science que nos vies bougent, et que l’univers du paiement peut être aus­si vecteur de pro­grès humain : en étant du libre choix de celui qui l’initie.

Pour cette rai­son, nous devons pro­téger l’accès de tous, et par­ti­c­ulière­ment des entre­pris­es de toutes tailles, à la palette des paiements en fonc­tion de leurs pri­or­ités et de leurs moyens financiers.

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