Mylène Boché-Robinet : « La restructuration n’est pas une sanction, c’est un levier de transformation »

Dossier : Vie des entreprises | Magazine N°808 Octobre 2025
Par Mylène BOCHÉ-ROBINET

Avocate en restructuring et cofondatrice du cabinet Boché Dobelle, Mylène Boché-Robinet accompagne entreprises, dirigeants et investisseurs dans les moments les plus critiques de la vie économique. De la prévention à la procédure collective, elle plaide pour une lecture plus stratégique et humaine du droit des entreprises en difficulté. Rencontre avec une praticienne qui milite pour une culture du rebond – et pour une meilleure anticipation des crises.

Comment en êtes-vous venue à faire du restructuring votre cœur de métier ?

Le restructuring, je l’ai choisi dès mes premières expériences. J’ai été confrontée très tôt à des situations complexes et j’ai compris que j’aimais cela. Ce droit est vivant, concret, engagé. Il oblige à articuler des dimensions multiples : droit, finance, humain, urgence, stratégie. Ce n’est jamais théorique. Ce sont des décisions à prendre, des choix lourds, des vies professionnelles parfois suspendues à un accord. Ce que j’aime, c’est que l’on peut vraiment faire une différence. Accompagner une entreprise vers sa survie ou son rebond, c’est un métier à la fois difficile, exigeant et profondément utile.

Qu’est-ce qui distingue votre cabinet dans cet univers ?

J’ai créé ce cabinet avec la conviction qu’il fallait une structure très spécialisée, indépendante, agile, mais profondément impliquée. Nous avons une équipe resserrée, ultra-réactive, et nous traitons chaque dossier avec une approche sur mesure. Nous intervenons pour des PME mais aussi de grands groupes, parfois cotés, des repreneurs, des banques, des fonds d’investissement, des dirigeants poursuivis. Ce qui fait notre force, c’est notre capacité à agir vite, avec rigueur, et à construire de la confiance autour de nous. La technique est essentielle, bien sûr. Mais ce qui dénoue une crise, c’est aussi l’humain et la posture : savoir écouter, guider, sécuriser.

À quel moment faut-il, selon vous, déclencher une démarche de restructuration ?

Le plus tôt possible. C’est une règle d’or. Plus on agit en amont, plus on a de leviers. Avant même que la trésorerie ne devienne fragile, que les tensions n’apparaissent, que le climat social ne se crispe, il faut consulter. Le droit offre des outils puissants en prévention : mandat ad hoc et conciliation. Ces procédures permettent de négocier sans publicité, de rééchelonner la dette, de restaurer la confiance et de protéger les dirigeants pendant une période d’incertitude. Mais elles supposent du temps, de la préparation, du sang-froid. C’est une erreur classique d’attendre la dernière minute. Anticiper, c’est garder le contrôle. Une procédure de prévention bien menée, c’est une chance de structurer la réponse avant que la cessation des paiements n’impose ses propres règles.

Vous insistez aussi beaucoup sur le dispositif d’alerte. Pourquoi est-il stratégique ?

Parce qu’il peut tout changer s’il est activé à temps. Le dispositif d’alerte permet à certains acteurs – commissaires aux comptes, CSE, associés – de signaler formellement des signaux faibles et inviter la direction à prendre des mesures correctives, le plus en amont possible de la crise. Ce n’est pas une menace, c’est un déclencheur de solutions. Trop souvent, on le perçoit comme une mise en cause du dirigeant, alors qu’il peut au contraire lui offrir une protection juridique en facilitant la mise en œuvre d’une procédure amiable. Il faut sortir de cette vision punitive. 

La procédure collective est-elle toujours vécue comme un échec ?

De moins en moins. La crise sanitaire a changé les perceptions. De nombreuses entreprises ont eu recours à la procédure collective – sauvegarde ou redressement judiciaire – et ont pu se redresser et retrouver une structure assainie. La procédure collective, bien utilisée, peut être un outil de restructuration puissant. Elle permet de geler les dettes, de réorganiser l’activité, de céder une branche, de sauver l’essentiel. Ce n’est pas une sanction, c’est une mise sous respiration. Encore faut-il arriver avec un projet crédible, une vision, une gouvernance stabilisée. Devant les juridictions commerciales, la sincérité du porteur de projet fait souvent la différence.

Quelles qualités sont nécessaires pour intervenir dans ce type de dossiers ?

De la rigueur, évidemment. Mais aussi du calme, de l’écoute, et une forme d’endurance émotionnelle. Le restructuring est un droit de crise. Il y a du stress, de l’incertitude, parfois de la détresse. Un dirigeant peut être épuisé, isolé, fragilisé. Il faut être capable d’absorber tout cela, sans projeter sa propre tension. Il faut aussi une vraie pédagogie. Dans ces moments-là, tout devient extrêmement technique et opaque pour le dirigeant ou l’actionnaire. Le rôle de l’avocat, c’est de rendre les choses intelligibles. De définir le projet puis de le porter, avec l’équipe dirigeante. Même dans la tourmente, il doit y avoir une stratégie.

Vous êtes passée par Sciences Po Paris. Cette formation influence-t-elle votre pratique ?

Oui, profondément. Sciences Po m’a donné des outils d’analyse, une capacité à relier les enjeux, à formuler une vision systémique. Dans le restructuring, on ne peut pas raisonner en silo. Il faut penser le droit comme un levier d’action stratégique. Cette formation m’a aussi appris à dialoguer avec des acteurs très différents : dirigeants, banquiers, investisseurs, salariés et syndicats, juges, pour des entreprises de secteurs très différents (industrie, immobilier, retail, luxe, tech, etc.) et des acteurs dans le monde entier. C’est précieux dans ce métier où l’on change de registre en permanence. Et enfin, elle m’a transmis un goût pour l’engagement, pour le collectif, qui irrigue aussi mes combats aujourd’hui.

Votre cabinet traite aussi des dossiers à dimension transfrontalière. Vous êtes vous-même germanophone, qu’est-ce que cela change ?

L’international suppose une bonne maîtrise des langues et une technicité renforcée, bien sûr. Mais aussi une grande souplesse. Les dossiers transfrontaliers impliquent des délais différents, des logiques juridiques variées, parfois des conflits presque insolubles. Il faut savoir articuler des intérêts contradictoires, comprendre les mentalités et les approches culturelles, anticiper les contraintes. Nous intervenons pour des groupes étrangers (notamment allemands, mais plus généralement européens, américains, asiatiques.) débiteurs, créanciers et investisseurs. Ces dossiers impliquent plusieurs systèmes de droit et de nombreux conseils étrangers. Cela rend le travail encore plus exigeant, mais aussi très stimulant.

C’est aussi ce qui différencie notre cabinet : cette capacité à opérer dans des contextes complexes, au croisement des cultures.

L’équipe du cabinet Boché Dobelle.

Vous défendez l’idée d’un droit du rebond. C’est-à-dire ?

C’est une autre manière de regarder le droit des entreprises en difficulté. Trop souvent, les dirigeants le voient comme un droit de la chute, de la « faillite ». Moi, je le vois comme un droit du redémarrage. Un droit qui protège, qui réorganise, qui offre une deuxième chance. Bien sûr, il y a des échecs. Mais il y a aussi des sauvetages, des cessions intelligentes, des reconstructions solides. Le droit du rebond, c’est celui qui permet à un dirigeant de se relever, à une équipe de repartir, à une activité de se redéployer. C’est un droit vivant, au service de la vie économique.


“Le droit du rebond, c’est celui qui protège, restructure, relance.”

Vous intervenez aussi aux côtés de repreneurs et d’investisseurs. Quelle est votre approche ?

Accompagner un repreneur, c’est penser à long terme. Il faut comprendre bien entendu les besoins de son client. Mais la maîtrise de la cible est aussi clé : comprendre les raisons de ses difficultés, ses atouts, ses zones d’ombre permet d’identifier les risques et de sécuriser l’opération. Un processus de reprise d’entreprise en difficulté, c’est une ingénierie fine, sous tension souvent extrême en raison des risques liés à une information dégradée, mais très gratifiante. Car ce sont souvent des dossiers qui permettent un rebond économique, social, territorial. Nous conseillons aussi des dirigeants mis en cause personnellement. Ce sont des dossiers sensibles, qui demandent autant de stratégie que de mesure. On touche à la frontière entre droit pénal des affaires, responsabilité civile et éthique entrepreneuriale.

Quel message adressez-vous aux dirigeants en difficulté ?

Ne restez pas seuls. Et surtout, n’attendez pas d’être au pied du mur. Une crise n’est pas une honte. Le droit offre des outils puissants, qui peuvent être utilisés comme des leviers de transformation et d’amélioration. Un moyen de traverser la tempête, de préserver l’essentiel, parfois de tout relancer. Il y a des solutions, mais elles exigent du courage, de la lucidité, et de l’accompagnement. Notre rôle, c’est de vous redonner prise sur votre avenir. Ce n’est pas une simple défense, c’est une dynamique. La crise est un moment de vérité qui peut être celui d’un nouvel élan.  


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