Migration de la valeur dans l'industrie informatique

Migration de valeur et zone de profit

Dossier : Les consultantsMagazine N°539 Novembre 1998
Par Georges VIALLE (71)
Par Paul de LEUSSE (92)

De 1984 à 1994, la capi­ta­li­sa­tion bour­sière d’IBM a per­du 50 mil­liards de dol­lars, alors que celles de Micro­soft et Intel gagnaient 60 mil­liards. À par­tir de constats sem­blables dans de nom­breux sec­teurs, Mer­cer Mana­ge­ment Consul­ting a pu éta­blir que la valeur migre au sein d’un même sec­teur. On sait que les pro­duits passent par des cycles, allant de la crois­sance à l’ob­so­les­cence, il en est de même des rela­tions d’une entre­prise avec son mar­ché. Mer­cer Mana­ge­ment Consul­ting a étu­dié ce phé­no­mène de migra­tion de valeur et a iden­ti­fié et carac­té­ri­sé les « busi­ness desi­gns » per­met­tant de cap­tu­rer de la valeur.

Cet article donne, à par­tir de l’exemple du sec­teur de la micro-infor­ma­tique, les clés qui per­mettent d’i­den­ti­fier et d’at­teindre les zones de pro­fit par la dis­ci­pline du busi­ness design.

Le processus de migration de valeur

Tous les sec­teurs d’ac­ti­vi­té sont frap­pés par un phé­no­mène de migra­tion de valeur bour­sière. Au fil du temps, on constate en effet des trans­ferts mas­sifs de valeur entre concur­rents, dont sont vic­times en prio­ri­té les entre­prises lea­ders, qui négligent de mettre en cause leur offre et leur mode de fonc­tion­ne­ment. En pro­fitent les nou­veaux entrants qui, eux, anti­cipent les besoins futurs et savent mieux exploi­ter les nou­veaux leviers de profit.

Est-ce à dire que les grandes entre­prises, éta­blies de longue date, sont toutes mena­cées ? La réponse est non, à condi­tion qu’elles aillent au-delà de la conquête d’a­van­tages concur­ren­tiels, cherchent constam­ment des solu­tions inno­vantes pour leurs clients et sachent réin­ven­ter leur busi­ness design.

Le busi­ness desi­gn est avant tout une dis­ci­pline qui vise à remettre en cause et redé­fi­nir la façon dont une entre­prise sélec­tionne ses clients, éta­blit et dif­fé­ren­cie son offre, choi­sit les acti­vi­tés qu’elle mène en interne et celles qu’elle sous-traite, confi­gure ses res­sources, ses com­pé­tences et son orga­ni­sa­tion, se posi­tionne sur le mar­ché, crée de la valeur pour ses clients et réa­lise un profit.

L’exemple de la micro-informatique

Le sec­teur de la micro-infor­ma­tique est un excellent exemple de la migra­tion de la valeur d’un busi­ness desi­gn à l’autre : à la fin des années 70, IBM, jus­qu’a­lors pro­duc­teur de gros ordi­na­teurs, consta­ta le suc­cès des PC qu’Apple com­men­çait à com­mer­cia­li­ser, et réus­sit l’ex­ploit de sor­tir son pre­mier PC en onze mois, en 1981. En trois ans, IBM pas­sait de un mil­lion de PC ven­dus à sept mil­lions, et pos­sé­dait 37 % de part de marché.

Pour chan­ger de busi­ness desi­gn aus­si rapi­de­ment, IBM avait sous-trai­té la fabri­ca­tion du micro­pro­ces­seur à Intel et le déve­lop­pe­ment du sys­tème d’ex­ploi­ta­tion à Micro­soft, alors naissante.

Paral­lè­le­ment à l’é­mer­gence de la micro-infor­ma­tique, les besoins des clients évo­luèrent et la mul­ti­pli­ca­tion des stan­dards com­men­ça à créer de sérieux pro­blèmes de com­pa­ti­bi­li­té. Les clients, qui cher­chaient aupa­ra­vant des fonc­tion­na­li­tés simples et pri­vi­lé­giaient la sécu­ri­té et un ser­vice après-vente sur une tech­no­lo­gie encore mal maî­tri­sée, sont pas­sés à la recherche de solu­tions adap­tées et d’en­vi­ron­ne­ments com­pa­tibles. Micro­soft tira par­ti de ces besoins en déve­lop­pant des appli­ca­tions de bureau et en impo­sant peu à peu son stan­dard, grâce à son avan­cée tech­no­lo­gique et son par­te­na­riat avec le lea­der du mar­ché, IBM.

Intel, s’im­po­sa comme le micro­pro­ces­seur de Micro­soft, et inves­tit plus de 10 % de son chiffre d’af­faires dans la R&D, afin de main­te­nir son avance, vis-à-vis de son prin­ci­pal concur­rent, AMD. Intel anti­ci­pa les besoins de la clien­tèle, qui cher­chait désor­mais moins des ordi­na­teurs sûrs et simples (c’é­tait leur cas à tous) que des machines per­for­mantes, adap­tées, et sur­tout rapides.

Cet exemple per­met de déga­ger les trois phases de la migra­tion de la valeur :

  • Afflux de la valeur
    Dans cette pre­mière phase, l’en­tre­prise prend de la valeur à d’autres acteurs de son sec­teur, parce que son busi­ness desi­gn répond mieux aux nou­veaux besoins des clients. Le busi­ness desi­gn d’IBM dans les années 8084 s’est ain­si révé­lé for­te­ment créa­teur de valeur.
  • Sta­bi­li­té de la valeur
    La deuxième phase est carac­té­ri­sée par des busi­ness desi­gns adap­tés aux prio­ri­tés des clients, dans un équi­libre géné­ral de l’é­qui­libre concurrentiel.
  • Reflux de la valeur
    Dans cette troi­sième phase, la valeur com­mence à se dépla­cer des acti­vi­tés tra­di­tion­nelles vers des busi­ness desi­gns plus réac­tifs à l’é­vo­lu­tion des prio­ri­tés des clients. C’est le cas d’IBM à la fin des années 80, alors que la valeur s’est dépla­cée vers les busi­ness desi­gns de Micro­soft et Intel.

Les zones de profit, ou la recherche de business designs créateurs de valeur

Mer­cer Mana­ge­ment Consul­ting a iden­ti­fié les prin­ci­paux leviers qui per­mettent à une entre­prise d’an­ti­ci­per la migra­tion de la valeur et de se main­te­nir dans la zone de profit.

Le busi­ness desi­gn d’une entre­prise com­prend cinq élé­ments stra­té­giques que tout chef d’en­tre­prise doit prendre en compte :

  • La sélec­tion des clients
    Quels clients ser­vir ? Com­ment appor­ter de l’u­ti­li­té aux clients choi­sis ? Il est essen­tiel de défi­nir clai­re­ment les caté­go­ries de clients pour les­quelles l’en­tre­prise veut opti­mi­ser son offre. À défaut, on risque de défi­nir une offre « moyenne », ne satis­fai­sant réel­le­ment aucune caté­go­rie de clients ou de ser­vir des clients détrui­sant du pro­fit. Micro­soft a ain­si déve­lop­pé une offre pour les uti­li­sa­teurs de ses logi­ciels mais aus­si pour les développeurs.
  • La cap­ture de la valeur
    Quel est mon modèle de pro­fit ? Com­ment trans­for­mer en pro­fit une part de ce que j’ap­porte au client ? En impo­sant son stan­dard, Micro­soft a déte­nu une part de mar­ché crois­sante, dans une acti­vi­té où le pro­fit mar­gi­nal est for­te­ment croissant.
  • Dif­fé­ren­cia­tion
    Com­ment pro­té­ger mon flux de pro­fit ? Qu’est-ce qui rend mon offre unique ? Intel a pro­té­gé ses pro­fits en faci­li­tant l’en­trée de nou­veaux concur­rents de ses clients : il a com­mer­cia­li­sé des cartes mères de micro-ordi­na­teurs, qui en sont le com­po­sant le plus com­plexe, ce qui a favo­ri­sé l’en­trée de concur­rents d’IBM sur le mar­ché et a obli­gé les construc­teurs à adop­ter ses nou­veaux micro­pro­ces­seurs dès leur lancement.
  • Champ d’ac­tion
    Quelles sont mes acti­vi­tés ? Quels sont les pro­duits, ser­vices et solu­tions que je veux vendre, quelles sont les acti­vi­tés ou les fonc­tions que je veux conser­ver en interne ? Celles que je veux sous-trai­ter, délo­ca­li­ser ou mener avec un par­te­naire ? Intel a su pas­ser de la fabri­ca­tion de cartes mémoires à la concep­tion de micro­pro­ces­seur et de cartes mères. Micro­soft a évo­lué de l’é­cri­ture de lan­gages à la créa­tion de logi­ciels bureau­tiques puis d’ap­pli­ca­tions de réseau.
  • Sys­tèmes d’organisation
    Une fois défi­nis les quatre pre­miers élé­ments stra­té­giques, sur quelle orga­ni­sa­tion et sur quels sys­tèmes s’ap­puyer pour ser­vir et anti­ci­per les prio­ri­tés des clients ? Com­ment faire en sorte que l’or­ga­ni­sa­tion intègre les chan­ge­ments impo­sés par les quatre élé­ments stratégiques ?
     

Qu'est-ce que le Business Design ?Le busi­ness desi­gn est ain­si avant tout une dis­ci­pline rigou­reuse fon­dée sur l’an­ti­ci­pa­tion des leviers de créa­tion de valeur du futur et la réin­ven­tion du métier de l’en­tre­prise en consé­quence. Elle vise à main­te­nir l’en­tre­prise dans une dyna­mique de crois­sance de la valeur.

Mer­cer Mana­ge­ment Consul­ting est à l’o­ri­gine des prin­cipes conte­nus dans cet article, ceux-ci sont déve­lop­pés dans deux livres. La migra­tion de la valeur d’A­drian Sly­wotz­ky met en lumière les dif­fé­rents sché­mas de migra­tion de la valeur et ses enjeux. La zone de pro­fit d’A­drian Sly­wotz­ky et David Mor­ri­son iden­ti­fie les busi­ness desi­gns sus­cep­tibles de cap­tu­rer la valeur et les illustre au tra­vers de nom­breux exemples issus de dif­fé­rents sec­teurs d’activité.

Ces deux livres sont dis­po­nibles en fran­çais depuis octobre 1998 aux Édi­tions Vil­lage Mondial.

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