Michel Olivier (83) entrepreneur et philosophe

Dossier : TrajectoiresMagazine N°742 Février 2019
Par Hubert JACQUET (64)
Pour un X, créer et diriger une entreprise de tourisme culturel, c’est s’écarter résolument des sentiers battus. Et consacrer une part de son temps à enseigner la philosophie à l’université de Nanterre est encore plus singulier. C’est pourtant le cas de Michel Olivier qui a bien voulu répondre à notre curiosité.

Qu’est-ce qui t’a conduit à faire l’X ?

Je suis issu d’une famille pari­sienne de trois enfants. Mon père impor­tait des articles d’entretien et ma mère était femme au foyer. En ter­mi­nale, j’ai hési­té entre la taupe et la khâgne. J’aimais les maths et j’aimais la phi­lo. J’ai fina­le­ment choi­si math sup car j’ai pen­sé que la filière scien­ti­fique offrait une inté­gra­tion inté­res­sante dans la vie éco­no­mique. Je me suis donc retrou­vé en classe pré­pa­ra­toire à Jan­son-de-Sailly. J’ai été tout par­ti­cu­liè­re­ment mar­qué par M. Djian, qui consa­crait la moi­tié de ses cours à ensei­gner les maths et l’autre moi­tié à nous faire par­ta­ger sa vision du monde (comme il fal­lait bien cou­vrir tout le pro­gramme, il nous don­nait des poly­co­piés). Je me sou­viens tout par­ti­cu­liè­re­ment de son admi­ra­tion pour le lan­gage mathé­ma­tique qui, selon lui, est le seul domaine de la culture où il y a une per­fec­tion dans l’écriture. Une fois en classe pré­pa­ra­toire, entrer à l’X est un désir presque évident pour l’excellence de la for­ma­tion et la réputation. 

Que retiens-tu de ton passage à l’École ?

Beau­coup de choses. Glo­ba­le­ment très posi­tives. Notam­ment un ensei­gne­ment qui dis­pense des savoirs uni­ver­sels et des approches plu­ri­dis­ci­pli­naires qui nous habi­tue à exa­mi­ner les situa­tions sous divers angles, sans se can­ton­ner à un aspect. Et aus­si quelques grandes figures, comme Jean-Louis Bas­de­vant ou Thier­ry de Mont­brial (63).

J’ai éga­le­ment par­ti­cu­liè­re­ment appré­cié le pri­vi­lège de pou­voir pra­ti­quer ce qui était mon sport pas­sion, l’équitation. Tout comme j’ai aimé cette vie de cam­pus au cours de laquelle je me suis fait quelques amis pour la vie.

L’École a beau­coup chan­gé depuis les années 80 et je suis impres­sion­né par la diver­si­té des filières qui sont offertes aux élèves d’aujourd’hui. J’ai conser­vé un enthou­siasme intact pour cette Institution.

Après l’X, tu fais l’Ensae et un master de finances à Dauphine. Quelles sont les raisons de ce choix ? 

Il y avait le cœur et la rai­son. Côté cœur, c’était le goût pour l’économie. Côté rai­son, il y avait mon orien­ta­tion pro­fes­sion­nelle. Je vou­lais com­men­cer ma car­rière par quelques années dans un cabi­net de conseil en stra­té­gie et une for­ma­tion appro­fon­die en éco­no­mie et en finance me parais­sait un bon com­plé­ment à la for­ma­tion plu­ri­dis­ci­pli­naire de l’X. L’expérience dans le conseil en stra­té­gie était pour moi une ini­tia­tion excep­tion­nelle à la vie des affaires et des entre­prises. Cette ini­tia­tion, je l’ai vécue pen­dant cinq années au BCG. L’intensité de tra­vail y était extra­or­di­naire et on côtoie très vite de grands déci­deurs avec qui se nouent des rela­tions par­fois pri­vi­lé­giées. Ce mélange d’enjeux éco­no­miques impor­tants et de qua­si-vie de cam­pus entre nous était très plai­sant. Cela a été aus­si pour moi l’occasion de décou­vrir le monde des grands édi­teurs de logi­ciels, celui de la grande dis­tri­bu­tion et celui du tourisme.

En 1994, tu quittes le conseil pour créer Intermèdes, société de tourisme culturel. Quelle démarche t’a conduit là ?

Je n’imaginais pas faire toute ma car­rière dans le conseil : je ne vou­lais pas me conten­ter d’influencer les gens mais deve­nir moi-même acteur. Et j’avais tou­jours eu en tête l’idée de fon­der une entre­prise. Cette démarche était aus­si celle de Fran­çois Lab­bé, un ingé­nieur des Mines que j’ai connu au BCG et nous avons bâti ensemble notre pro­jet d’entreprise. Nous cher­chions un sec­teur et un type d’activité B2C dans lequel nous pour­rions nous lan­cer avec des inves­tis­se­ments à notre por­tée et construire une posi­tion solide sans action­naire exté­rieur. Le tou­risme cultu­rel a rete­nu notre atten­tion. Il répond aux sou­cis que je viens d’énoncer, et la com­mer­cia­li­sa­tion en vente directe que nous avons mise en place était à l’époque inno­vante et per­met­tait une finesse mar­ke­ting inté­res­sante. L’autre mérite, et non le moindre, du tou­risme cultu­rel est de pro­po­ser des pro­duits et ser­vices qui ne relèvent pas de l’utilitaire mais apportent un com­plé­ment de vie, et par­fois même du sens. Nous avons donc construit, sans apports de fonds exté­rieurs, Inter­mèdes, une socié­té qui en 2018 employait 55 per­sonnes et 200 guides confé­ren­ciers pour un chiffre d’affaires de près de 35 mil­lions d’euros avec une crois­sance annuelle régu­lière de l’ordre de 10 %.

En même temps, tu te lances dans des études puis l’enseignement de la philosophie à l’Université. Comment expliquer ce choix inattendu ?

Si j’avais choi­si la filière scien­ti­fique après la classe de ter­mi­nale, je n’avais pour autant pas renon­cé à étu­dier la phi­lo­so­phie et en 2002, alors que j’avais trente-huit ans, je me suis ins­crit à l’université de Nan­terre pour suivre des cours à dis­tance. J’ai pas­sé une licence, puis une maî­trise, un DEA et une thèse de doc­to­rat que j’ai sou­te­nue en 2010. J’ai com­plé­té ce cur­sus par une qua­li­fi­ca­tion qui me per­met d’être maître de confé­rences, mais je n’ai fina­le­ment pas pos­tu­lé pour un poste titu­laire, pour pou­voir pour­suivre cette vie hybride, phi­lo­so­phie et entre­pre­neu­riat. On me confie donc des cours, je par­ti­cipe à des col­loques et j’ai écrit quelques articles et livres. J’ai été accueilli avec bien­veillance par les ensei­gnants cher­cheurs de l’université et ai eu le plai­sir de retrou­ver un bon ami en la per­sonne de Fran­çois Valé­rian qui est sor­ti major de ma pro­mo­tion. Il sui­vait des cours d’histoire.

Ce temps que je consacre à la phi­lo­so­phie me per­met de ne pas être inves­ti exclu­si­ve­ment dans des pro­jets de nature éco­no­mique. Il faut se sou­ve­nir que, pen­dant l’essentiel de l’histoire de l’humanité, l’économie n’était pas un sujet domi­nant. Pour la Grèce de Péri­clès, c’était la poli­tique, pour le Moyen Âge euro­péen, la reli­gion, et pour la Renais­sance, la vie intel­lec­tuelle et artis­tique. La pré­émi­nence de l’économie a com­men­cé au xviiie siècle. Il ne faut pas la lais­ser deve­nir mono­po­lis­tique dans nos vies.

Quelle appréciation portes-tu sur ce que t’a apporté l’École et sur la façon dont elle évolue ?

Le pas­sage à l’X marque une vie, car cette for­ma­tion a une iden­ti­té forte. On y apprend à déve­lop­per une approche très « céré­brale » de tout : pro­blèmes à com­prendre, situa­tions à ana­ly­ser, déci­sions à pré­pa­rer, mise en œuvre des déci­sions… Et le carac­tère mul­ti­dis­ci­pli­naire de l’enseignement évite le tra­vers consis­tant à ne se consa­crer qu’à un domaine d’expertise et à igno­rer le reste. Cette ouver­ture d’esprit sert beau­coup à un entre­pre­neur. Je suis atten­tif aux évo­lu­tions de l’X car mon fils Raphaël (2014) y ter­mine bien­tôt sa sco­la­ri­té. Cer­tains élèves déplorent un cer­tain manque de pos­si­bi­li­té de spé­cia­li­sa­tion et une approche super­fi­cielle du mana­ge­ment. Mais l’X n’est ni la rue d’Ulm ni HEC. Il faut for­mer des cadres ayant une forte agi­li­té intel­lec­tuelle et capables d’appréhender de nom­breuses dis­ci­plines sans s’y enfer­mer. Tous les domaines souffrent de l’existence de cha­pelles alors que l’X est un lieu où l’on s’efforce d’apprendre à dépas­ser l’esprit de chapelle.

Le dossier de ce numéro est consacré au développement durable et traite en particulier de la RSE. Comment conçois-tu cette responsabilité en temps qu’entrepreneur ?

En matière sociale, il est clair pour moi que le bon fonc­tion­ne­ment et le bon déve­lop­pe­ment de l’entreprise reposent sur des rela­tions har­mo­nieuses où cha­cun trouve sa place légi­ti­me­ment aux yeux des autres, qu’il soit client, four­nis­seur, sala­rié ou action­naire. Et sur­tout créer un esprit d’équipe en déve­lop­pant une iden­ti­té forte. En ce qui concerne la res­pon­sa­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale, la pro­fes­sion réflé­chit beau­coup sur les prin­cipes per­met­tant de déve­lop­per un tou­risme res­pon­sable. Dans l’immédiat, nous nous atta­chons à faire des choix qui res­pectent au mieux les pays et leurs habitants. 

Commentaire

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tho­ret Jeannerépondre
14 juin 2023 à 20 h 54 min

Foi­son­ne­ment d’idées et de sujets excellent

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