Michel Aglietta (X59), économiste engagé, père de la théorie de la régulation
Michel Aglietta, décédé le 24 avril 2025, a considérablement enrichi la pensée économique en établissant un lien fort entre action politique et action économique et en introduisant dans ses recherches l’apport des sciences sociales.
Né à Chambéry le 18 février 1938, enfant unique d’Emma Bardotti, mère au foyer, et de Paul Aglietta, patron d’une petite entreprise de construction, il fait ses classes préparatoires au lycée du Parc à Lyon. Après l’X, il intègre le corps des administrateurs de l’Insee. Son premier poste, en 1964, à la sortie de l’Ensae, est la division des programmes qui est chargée des projections à moyen et long terme pour le compte du Plan. Il participe à la création du modèle informatisé macroéconomique FIFI, le premier du genre, permettant aux partenaires sociaux et à la puissance publique de tester la cohérence à moyen terme de leurs propositions.
Un nouveau cadre théorique
Mai 1968 marque une rupture dans son parcours, en révélant les limites des modèles macroéconomiques, qui n’ont pas su prévoir l’événement. Michel est alors en quête d’un cadre théorique qui ne dissocierait pas les processus économiques de la société dans laquelle ils s’inscrivent. Grâce au soutien d’Edmond Malinvaud (X42), il va à Harvard pendant deux ans pour étudier le capitalisme US de 1865 à 1970. De retour en France, il passe sa thèse sur ce même sujet sous la direction de Raymond Barre en novembre 1974. Cette thèse sera la base d’un premier livre, Régulation et crises du capitalisme, qui, publié en 1976, a fait école.
Ce qu’on nomme « la théorie de la régulation » dit que l’économiste ne doit pas se focaliser uniquement sur les marchés, car d’autres institutions jouent un rôle économique central. Il montre en particulier que la croissance de l’après-guerre trouve son explication dans une certaine formation des salaires qui indexe le salaire réel sur la productivité anticipée, ce qui assure une croissance régulière de la demande. Motivé par ses recherches sur les économies capitalistes, Michel Aglietta fait alors le choix de l’université et passe l’agrégation de sciences économiques en 1976.
Il est reçu troisième et son premier poste est à l’université d’Amiens puis, en 1982, il rejoint l’université de Nanterre où il restera jusqu’à sa retraite. Il s’illustre également par son travail sur la monnaie, sujet sur lequel j’ai étroitement collaboré avec lui en particulier sur un livre, La violence de la monnaie, en 1982, qui est à l’origine d’un courant de pensée nommé « l’institutionnalisme monétaire ». Mais Michel Aglietta est connu également pour ses interventions dans de nombreux autres domaines : les questions financières, le système monétaire international, l’euro et l’Europe.
Le sens du service public
Son goût pour la recherche allait de pair avec un goût certain pour l’enseignement. Il a beaucoup donné aux étudiants qui lui étaient confiés, comme en témoignent suffisamment les 40 ou 50 thèses qu’il a dirigées, ce qui est considérable. Et, tout au long de sa vie, on le voit vivement intéressé par les débats qui traversent la société, débats qu’il cherche à éclairer. Il n’est que de considérer ses derniers sujets de recherche pour en prendre la mesure : l’économie chinoise et l’écologie. Son dernier livre paru l’an dernier, alors qu’il a 86 ans, s’intitule Pour une écologie politique. Au-delà du Capitalocène en collaboration avec Étienne Espagne.
Économiste engagé, Michel tenait à apporter des solutions aux problèmes du monde. Ce sens du service public explique que, tout au long de sa carrière, il a eu le souci de rester proche de la décision publique en travaillant comme consultant pour l’administration économique, que ce soit le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations ou le Haut Conseil des finances publiques.




