Tableau rouge d'Alphonse ALLAIS

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Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°704 Avril 2015Rédacteur : Jonathan CHICHE (05)

Vive la vie ! C’est ain­si qu’Alphonse Allais inti­tu­lait l’un de ses livres, peut-être pour se défendre d’un fond de tris­tesse que sa répu­ta­tion d’humoriste fait sou­vent oublier.

En 1897 sor­tait des presses de Paul Ollen­dorff son Album pri­mo-avri­lesque, consti­tué, selon les termes de l’auteur, d’une « spi­ri­tuelle pré­face », de « sept magni­fiques planches », d’une « seconde pré­face presque aus­si spi­ri­tuelle que la pre­mière » et d’une « marche funèbre spé­cia­le­ment com­po­sée pour les funé­railles d’un grand homme sourd ».

Cette der­nière com­po­si­tion, exci­pant du pro­verbe que les grandes dou­leurs sont muettes, ne se dis­tingue — du moins à l’audition — que par sa durée des fameuses quatre minutes et trente-trois secondes de John Cage, sur les­quelles elles anti­cipent de plus de cin­quante années.

Cepen­dant, la contri­bu­tion d’Allais ˆà la pein­ture se révèle peut-être encore plus fon­da­men­tale, l’« artiste mono­chroï­dal de la pre­mière heure » fai­sant preuve d’un humour, dans le choix des titres de ses mono­chromes – « Pre­mière com­mu­nion de jeunes filles chlo­ro­tiques par un temps de neige » pour le blanc, « Des sou­te­neurs, encore dans la force de l’âge et le ventre dans l’herbe, boivent de l’absinthe » pour le vert, etc —, dont ses épi­gones ou pla­giaires se mon­tre­ront bien dénués, tout à la démons­tra­tion de l’importance de leur per­sonne dans l’histoire de l’art, ou plu­tôt de l’ennui.

Notons tou­te­fois l’existence de pré­cé­dents, notam­ment la « Vue de la Hougue — effet de nuit », mono­chrome noir paru dans Les Omni­bus, revue de Ber­tall et Léfix dont les huit numé­ros parurent de 1843 à 1844.

L’un des per­son­nages les plus inclas­sables de la seconde moi­tié du XIXe siècle — pour­tant riche en hur­lu­ber­lus — demeure Paul Mas­son, dont la car­rière de magis­trat dans les colo­nies s’interrompit pour lais­ser place à celle de mys­ti­fi­ca­teur sous le pseu­do­nyme de Lemice-Ter­rieux, lequel devint si fameux qu’il entra dans le dic­tion­naire. Rédac­teur du cata­logue à la Biblio­thèque natio­nale et contri­bu­teur éru­dit de L’Intermédiaire des cher­cheurs et curieux, Mas­son s’employa dans ses loi­sirs, au moyen notam­ment de lettres signées du nom de quelque per­son­na­li­té publique ou fic­tive, à répandre chez ses contem­po­rains le sen­ti­ment du relatif.

Les déto­na­tions pro­vo­quées par ses mis­sives n’étaient peut-être pas moins effi­caces que celles des mar­mites lan­cées par des adver­saires moins paci­fistes de l’ordre éta­bli. C’est ain­si qu’à l’occasion d’un bal­lot­tage à l’Académie fran­çaise, il envoya des lettres de désis­te­ment de dif­fé­rents can­di­dats à divers jour­naux, les­quels n’eurent rien de plus pres­sé que de publier la nouvelle.

C’est peut-être sur le compte de cet épi­sode, manière d’avertissement, qu’il faut mettre le pro­fes­sion­na­lisme des moyens d’information de nos jours. Il serait bien sûr ridi­cule de pré­tendre qu’une telle mys­ti­fi­ca­tion suf­fi­rait à jeter le doute sur l’importance de l’Académie française.

Les biblio­philes ou curieux recherchent encore les rares ouvrages que nous a lais­sés cet éner­gu­mène, au nombre des­quels figurent des recueils de pen­sées signées du géné­ral Bou­lan­ger ou de Bismarck.

Géné­ra­le­ment conster­nantes, elles témoignent tou­te­fois que leur auteur véri­table n’usurpait pas for­cé­ment le titre de « yoghi » dont il signait cer­taines de ses chroniques.

Allais se sou­vien­dra de Mas­son, mais ce der­nier n’aura pas vu l’Album pri­mo- avrilesque.

L’année pré­cé­dente, apr•s s’•tre appli­qué sur le visage un mou­choir imbi­bé d’éther, il s’était lais­sé tom­ber dans un cours d’eau.

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