Mentorat de l'X

Mentorat à l’X : Trouver sa voie, mais laquelle ?

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°804 Avril 2025
Par Jérôme de DINECHIN (84)

Depuis main­te­nant huit ans, le men­to­rat pro­pose aux poly­tech­ni­ciens une aide pour dis­cer­ner leurs aspi­ra­tions de car­rière et répond à l’inquiétude des pre­miers vrais choix qu’ils sont ame­nés à poser. Mais, pré­ci­sé­ment, quelles sont leurs attentes alors qu’ils sont dans le flou ? Coup de pro­jec­teur sur les trois der­nières années.

Contrai­re­ment à ce que l’on pour­rait croire, il y a assez peu de liens ver­ti­caux entre les pro­mo­tions, et même entre voi­sines. La pro­mo­tion est plu­tôt un baro­mètre hori­zon­tal. Sur quatre années d’école, on ne voit ses anciens que huit mois. À peine peut-on se trans­mettre les tra­di­tions ! Je l’avais obser­vé lorsque j’ai été char­gé du recru­te­ment pour le corps de l’Armement. Les années se sui­vaient mais ne se res­sem­blaient pas. Depuis les atten­tats de 2015 par exemple, les métiers de sou­ve­rai­ne­té sont reve­nus en force… Aujourd’hui, à l’ère de l’IA géné­ra­tive, où en sommes-nous ?

Quelle carrière en 2024 ?

Le men­to­rat pro­po­sé par l’AX aux élèves de deuxième année a pour objec­tif de les aider à dis­cer­ner ce vers quoi ils vont s’orienter, comme études ou comme métier. La ques­tion est par­fois angois­sante, car beau­coup se sont construits dans un hori­zon de court terme : les concours !

Dans un ques­tion­naire, nous leur deman­dons leurs sou­haits ain­si que la matu­ri­té de leur pro­jet pro­fes­sion­nel. Récem­ment ins­tal­lés sur le pla­tâl, ils n’ont pas eu beau­coup le temps d’y réflé­chir. Dans cette hui­tième année du pro­gramme de men­to­rat, la demande s’est sta­bi­li­sée à un haut niveau : plus de deux cents élèves s’inscrivent chaque année et la majo­ri­té d’entre eux n’ont pas de pro­jet pro­fes­sion­nel défi­ni, entre le « flou com­plet » pour 7 % et « pas vrai­ment d’idée » ou « moyen » pour 73 %. Seuls 3 % savent pré­ci­sé­ment ce qu’ils veulent.

Les élèves inter­na­tio­naux en béné­fi­cient à pro­por­tion de leur pré­sence dans les pro­mo­tions, soit envi­ron un quart.

Nombre de mentorés en 2e année de l'École polytechnique par année

Secteurs, métiers, types d’entreprise ?

Nous deman­dons aux élèves leurs pré­fé­rences pour ces trois aspects, sans mettre de limite ni de quota.

Pour y répondre, nous recher­chons avec AX Car­rières des men­tors autour de la pro­mo­tion N‑10, avec les mêmes ques­tions. Dans ces années d’essor pro­fes­sion­nel et fami­lial, le temps manque et nous ne recru­tons que 30 à 50 volon­taires chaque année, pour cou­vrir nos 220 demandes. Autant dire que cela a par­fois été un casse-tête pour Jacques Defau­cheux (X72), créa­teur du pro­gramme, puis pour moi, d’affecter un men­tor répon­dant aux sou­haits de cha­cun. Mer­ci aux men­tors qui acceptent par­fois deux men­to­rés dans l’année ou qui reviennent plu­sieurs années de suite. Nous avons vrai­ment besoin de vous !

Avec le temps, nous avons pris l’initiative de créer un outil d’appairage auto­ma­ti­sé, rapi­de­ment rebap­ti­sé « magouilleuse » par les élèves. Thi­baut Lajoie-Mazenc (X12) a bien vou­lu pas­ser quelques heures (car­rées) à coder l’« algo­rithme hon­grois » d’affectation opti­male en temps poly­no­mial. Après quelques hési­ta­tions, nous fai­sons en sorte de com­prendre ce que veut dire « tout sauf la finance »…

Nous avons ain­si depuis trois ans, sur la base des demandes ini­tiales, concen­tré les demandes en 41 sec­teurs, 10 métiers et 6 types d’organisation.

Types d'entreprises souhaités par les mentorés de l'École polytechnique

Quel type d’entreprise a la cote ?

Les X sont encore assez conser­va­teurs, avec l’envie de tra­vailler d’abord dans un grand groupe pri­vé. Ensuite en PME, ce qui est assez encou­ra­geant, dans la période de « réin­dus­tria­li­sa­tion » que cha­cun appelle de ses vœux.

La fonc­tion publique est attrac­tive, les corps saturent les places offertes et ont même des listes d’attente, les armées recrutent, et l’enseignement reste une voie appréciée.

La start-up est consi­dé­rée comme un type d’entreprise cré­dible et valo­ri­sante et se hisse au niveau de la fonc­tion publique.

Métiers souhaités mentorat École polytechnique

L’X, une école d’ingénieurs ?

Sans sur­prise, les métiers cités en prio­ri­té 1, 2 ou 3 par les can­di­dats au men­to­rat placent en pre­mier le métier d’ingénieur et son corol­laire, celui de chef de pro­jet. Le métier de mana­geur est moins cité, mais dans la même veine. En 2A, les classes pré­pa­ra­toires qui ciblent les écoles d’ingénieurs sont encore proches.

On assiste en 2024 à un attrait renou­ve­lé pour les métiers d’enseignant ou de cher­cheur, à 10 % des sou­haits. Res­ter dans la science et la tech­no­lo­gie comme expert a du sens pour envi­ron 6 %.

À l’X, une géné­ra­tion d’entrepreneurs se confirme d’année en année. Envi­ron 9 % sur les trois der­nières années. Peut-être est-ce lié au nombre crois­sant d’X visibles dans les licornes.

Les métiers « qui payent bien » ne sont pas oubliés : consul­tant (en stra­té­gie, for­cé­ment), tra­der, banquier.

Dans la caté­go­rie « autre », quelques sug­ges­tions comme « ministre » sont plus anec­do­tiques, mais ne limi­tons pas nos ambitions !

Premier secteur souhaité pour le mentorat de l'École polytechnique

La Patrie, la gloire et… la finance

Si l’on regarde en brut les réponses, le lau­réat est… la finance, avec un bond spec­ta­cu­laire en 2024. J’entends sou­vent en entre­tien : « D’abord, je gagne bien ma vie, puis je fais ce que j’aime. »

Le second sec­teur est curieu­se­ment la « phy­sique », remon­tée des limbes.

Cepen­dant, en addi­tion­nant IA, data science et infor­ma­tique, voire mathé­ma­tiques appli­quées, on obtient un large vain­queur à plus de 21 %. C’est LA ten­dance du moment. (NB : en 2022, l’informatique n’était pas pro­po­sée, ce qui explique le score à 0). L’énergie dépasse l’environnement, en chute libre. Dans une époque de réin­dus­tria­li­sa­tion, l’« indus­trie » n’arrive qu’en 14e posi­tion et le BTP a été reti­ré du dia­gramme car à moins de 1 % des sou­haits des trois der­nières années. Heu­reu­se­ment, avec l’aéronautique, le spa­tial, la défense, le nucléaire, des grands sec­teurs indus­triels se main­tiennent. L’automobile est en recul, fruit du har­cè­le­ment anti-voiture ?

La san­té, avec quatre items, san­té, bio­lo­gie, phar­ma­cie, bio­techs, ras­semble 5 % des sou­haits, avec une baisse dans les bio­techs. Les pro­grès scien­ti­fiques sont-ils suf­fi­sam­ment déter­mi­nants et rapides dans ce sec­teur ? Est-il suf­fi­sam­ment mis en avant ?

Une dizaine de réponses « autres » per­mettent d’avoir des sug­ges­tions hors liste : tech­no­lo­gies quan­tiques, sec­teur social (ONG), géo­po­li­tique, métiers du son.

Via le men­to­rat, nous dis­po­sons de don­nées sur ce qui inté­resse les jeunes poly­tech­ni­ciens : en com­plé­ment des choix clas­siques tels que le métier d’ingénieur, les grands groupes pri­vés ou la fonc­tion publique, ils placent en tête de leurs sou­haits l’intelligence arti­fi­cielle et la finance. Sou­li­gnons éga­le­ment l’envie d’entreprendre et de créer des start-up, désor­mais bien ancrée.

Mais le véri­table ser­vice du men­to­rat, dans une rela­tion bien­veillante avec un jeune ancien, est de démys­ti­fier le monde pro­fes­sion­nel, per­met­tant ain­si aux élèves de trou­ver leur voie et de concré­ti­ser leurs ambi­tions. Réci­pro­que­ment, les attentes des X, en phase avec la socié­té, témoignent de leur envie de construire leur vie et de rendre le monde meilleur, un objec­tif qu’il est bon de se faire rappeler.

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