Mentorat à l’X : Trouver sa voie, mais laquelle ?

Depuis maintenant huit ans, le mentorat propose aux polytechniciens une aide pour discerner leurs aspirations de carrière et répond à l’inquiétude des premiers vrais choix qu’ils sont amenés à poser. Mais, précisément, quelles sont leurs attentes alors qu’ils sont dans le flou ? Coup de projecteur sur les trois dernières années.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il y a assez peu de liens verticaux entre les promotions, et même entre voisines. La promotion est plutôt un baromètre horizontal. Sur quatre années d’école, on ne voit ses anciens que huit mois. À peine peut-on se transmettre les traditions ! Je l’avais observé lorsque j’ai été chargé du recrutement pour le corps de l’Armement. Les années se suivaient mais ne se ressemblaient pas. Depuis les attentats de 2015 par exemple, les métiers de souveraineté sont revenus en force… Aujourd’hui, à l’ère de l’IA générative, où en sommes-nous ?
Quelle carrière en 2024 ?
Le mentorat proposé par l’AX aux élèves de deuxième année a pour objectif de les aider à discerner ce vers quoi ils vont s’orienter, comme études ou comme métier. La question est parfois angoissante, car beaucoup se sont construits dans un horizon de court terme : les concours !
Dans un questionnaire, nous leur demandons leurs souhaits ainsi que la maturité de leur projet professionnel. Récemment installés sur le platâl, ils n’ont pas eu beaucoup le temps d’y réfléchir. Dans cette huitième année du programme de mentorat, la demande s’est stabilisée à un haut niveau : plus de deux cents élèves s’inscrivent chaque année et la majorité d’entre eux n’ont pas de projet professionnel défini, entre le « flou complet » pour 7 % et « pas vraiment d’idée » ou « moyen » pour 73 %. Seuls 3 % savent précisément ce qu’ils veulent.
Les élèves internationaux en bénéficient à proportion de leur présence dans les promotions, soit environ un quart.
Secteurs, métiers, types d’entreprise ?
Nous demandons aux élèves leurs préférences pour ces trois aspects, sans mettre de limite ni de quota.
Pour y répondre, nous recherchons avec AX Carrières des mentors autour de la promotion N‑10, avec les mêmes questions. Dans ces années d’essor professionnel et familial, le temps manque et nous ne recrutons que 30 à 50 volontaires chaque année, pour couvrir nos 220 demandes. Autant dire que cela a parfois été un casse-tête pour Jacques Defaucheux (X72), créateur du programme, puis pour moi, d’affecter un mentor répondant aux souhaits de chacun. Merci aux mentors qui acceptent parfois deux mentorés dans l’année ou qui reviennent plusieurs années de suite. Nous avons vraiment besoin de vous !
Avec le temps, nous avons pris l’initiative de créer un outil d’appairage automatisé, rapidement rebaptisé « magouilleuse » par les élèves. Thibaut Lajoie-Mazenc (X12) a bien voulu passer quelques heures (carrées) à coder l’« algorithme hongrois » d’affectation optimale en temps polynomial. Après quelques hésitations, nous faisons en sorte de comprendre ce que veut dire « tout sauf la finance »…
Nous avons ainsi depuis trois ans, sur la base des demandes initiales, concentré les demandes en 41 secteurs, 10 métiers et 6 types d’organisation.
Quel type d’entreprise a la cote ?
Les X sont encore assez conservateurs, avec l’envie de travailler d’abord dans un grand groupe privé. Ensuite en PME, ce qui est assez encourageant, dans la période de « réindustrialisation » que chacun appelle de ses vœux.
La fonction publique est attractive, les corps saturent les places offertes et ont même des listes d’attente, les armées recrutent, et l’enseignement reste une voie appréciée.
La start-up est considérée comme un type d’entreprise crédible et valorisante et se hisse au niveau de la fonction publique.
L’X, une école d’ingénieurs ?
Sans surprise, les métiers cités en priorité 1, 2 ou 3 par les candidats au mentorat placent en premier le métier d’ingénieur et son corollaire, celui de chef de projet. Le métier de manageur est moins cité, mais dans la même veine. En 2A, les classes préparatoires qui ciblent les écoles d’ingénieurs sont encore proches.
On assiste en 2024 à un attrait renouvelé pour les métiers d’enseignant ou de chercheur, à 10 % des souhaits. Rester dans la science et la technologie comme expert a du sens pour environ 6 %.
À l’X, une génération d’entrepreneurs se confirme d’année en année. Environ 9 % sur les trois dernières années. Peut-être est-ce lié au nombre croissant d’X visibles dans les licornes.
Les métiers « qui payent bien » ne sont pas oubliés : consultant (en stratégie, forcément), trader, banquier.
Dans la catégorie « autre », quelques suggestions comme « ministre » sont plus anecdotiques, mais ne limitons pas nos ambitions !
La Patrie, la gloire et… la finance
Si l’on regarde en brut les réponses, le lauréat est… la finance, avec un bond spectaculaire en 2024. J’entends souvent en entretien : « D’abord, je gagne bien ma vie, puis je fais ce que j’aime. »
Le second secteur est curieusement la « physique », remontée des limbes.
Cependant, en additionnant IA, data science et informatique, voire mathématiques appliquées, on obtient un large vainqueur à plus de 21 %. C’est LA tendance du moment. (NB : en 2022, l’informatique n’était pas proposée, ce qui explique le score à 0). L’énergie dépasse l’environnement, en chute libre. Dans une époque de réindustrialisation, l’« industrie » n’arrive qu’en 14e position et le BTP a été retiré du diagramme car à moins de 1 % des souhaits des trois dernières années. Heureusement, avec l’aéronautique, le spatial, la défense, le nucléaire, des grands secteurs industriels se maintiennent. L’automobile est en recul, fruit du harcèlement anti-voiture ?
La santé, avec quatre items, santé, biologie, pharmacie, biotechs, rassemble 5 % des souhaits, avec une baisse dans les biotechs. Les progrès scientifiques sont-ils suffisamment déterminants et rapides dans ce secteur ? Est-il suffisamment mis en avant ?
Une dizaine de réponses « autres » permettent d’avoir des suggestions hors liste : technologies quantiques, secteur social (ONG), géopolitique, métiers du son.
Via le mentorat, nous disposons de données sur ce qui intéresse les jeunes polytechniciens : en complément des choix classiques tels que le métier d’ingénieur, les grands groupes privés ou la fonction publique, ils placent en tête de leurs souhaits l’intelligence artificielle et la finance. Soulignons également l’envie d’entreprendre et de créer des start-up, désormais bien ancrée.
Mais le véritable service du mentorat, dans une relation bienveillante avec un jeune ancien, est de démystifier le monde professionnel, permettant ainsi aux élèves de trouver leur voie et de concrétiser leurs ambitions. Réciproquement, les attentes des X, en phase avec la société, témoignent de leur envie de construire leur vie et de rendre le monde meilleur, un objectif qu’il est bon de se faire rappeler.