Mais pourquoi tant de monde s’intéresse-t-il à la Suède ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°688 Octobre 2013
Par Laurent CLAVEL (X01)

Des performances enviables

Des performances enviables

Si tant de monde s’intéresse à la Suède, c’est avant tout pour ses per­for­mances économiques : PIB par habi­tant de plus de 40 000 euros (soit un tiers de plus que la France ou l’Allemagne), crois­sance économique supérieure d’un point à la France depuis plus de quinze ans (et à nou­veau en 2012, et encore en 2013 selon le con­sen­sus des prévi­sion­nistes), taux d’emploi élevé (74 % en 2012 con­tre 64% en France), y com­pris pour les femmes (72% con­tre 60% en France) et les seniors (73 % con­tre 45 % en France), excé­dent com­mer­cial de 6% du PIB, bonne com­péti­tiv­ité (la Suède est en par­ti­c­uli­er dans le trio de tête des classe­ments du type forum de Davos) sans mod­éra­tion salar­i­ale grâce notam­ment à un impor­tant effort en R&D (3,4% du PIB en 2011 con­tre 2,3 % pour la France), pays noté AAA par les trois prin­ci­pales agences de nota­tion, avec des finances publiques en très bon ordre (déficit pub­lic lim­ité à 0,7 % du PIB durant la crise de 2008–2009 et retour à l’équilibre budgé­taire dès 2010, dette publique de seule­ment 40 % du PIB), etc.

Sur le ter­rain social et socié­tal, la​Suède affiche un beau palmarès

Sur le ter­rain social et socié­tal, la Suède affiche égale­ment un beau pal­marès : espérance de vie en bonne san­té élevée (71,7 ans pour les hommes, con­tre 61,8 en France), faibles iné­gal­ités de revenus (coef­fi­cient de Gini par­mi les plus faibles d’Europe), bon­heur (comme en témoignent par exem­ple les répons­es à l’Eurobaromètre ; de plus, con­traire­ment à un mythe répan­du, les Sué­dois ne sont pas sui­cidaires avec env­i­ron 12 décès par an pour 100 000 habi­tants, con­tre 16 en France), grande con­fi­ance dans les insti­tu­tions (env­i­ron 60 % des Sué­dois ont ain­si con­fi­ance dans leur gou­verne­ment et leur par­lement, con­tre la moitié des Français) et dans les autres, qual­ité de l’environnement avec 48% de sources renou­ve­lables dans la con­som­ma­tion finale d’énergie, soit la part la plus élevée de l’Union européenne (13% en France).

Malentendus, mythes et réalités

L’intérêt pour la Suède tient aus­si à son « mod­èle », attrac­t­if dans une per­spec­tive française parce qu’il asso­cie une bonne crois­sance (et plus générale­ment de bonnes per­for­mances économiques) et un État-prov­i­dence généreux.

Les Sué­dois sont habitués à des rela­tions inter­per­son­nelles apaisées

Pour autant, ce con­cept de « mod­èle sué­dois » est trompeur car il ren­voie à deux réal­ités (voire plus, l’expression ten­dant à devenir un fourre-tout sou­vent mal documenté).

Le « mod­èle sué­dois » orig­inel, qui a servi de référence dans les années 1960 comme « juste » milieu entre le cap­i­tal­isme anglo-sax­on et les économies social­istes sovié­tique ou chi­noise, ren­voy­ait au mod­èle économique ébauché dans les années 1930 et théorisé en 1951 par deux syndicalistes.

Ils appelaient à une social-démoc­ra­tie fondée sur l’acceptation d’une économie de marché, une poli­tique macroé­conomique visant le plein-emploi, un État-prov­i­dence généreux, des iné­gal­ités salar­i­ales faibles et un con­sen­sus social fort (ancré dans le com­pro­mis des accords de 1938 entre les parte­naires sociaux).

Le prin­ci­pal déra­page de ce mod­èle et de la Suède des années 1970 et 1980 a con­cerné la maîtrise de l’inflation (en pra­tique autour de + 10 % par an) qui a, avec la déré­gle­men­ta­tion rapi­de du crédit, con­duit le pays à une grave crise finan­cière puis économique au début des années 1990.

Un « nouveau modèle suédois »

Pas de miracles
Au-delà de ce malen­ten­du sur le con­cept, le « mod­èle sué­dois » est par­fois présen­té, à tort, comme une boîte à out­ils mirac­uleuse pour alli­er crois­sance économique et pro­tec­tion sociale. Or, d’une part les solu­tions trou­vées en Suède cor­re­spon­dent à un con­texte cul­turel, social et poli­tique spé­ci­fique et il serait naïf de chercher à les copi­er dans un autre pays sans réflex­ion, d’autre part la réal­ité du mod­èle social sué­dois est assez éloignée de la représen­ta­tion qui en est sou­vent donnée.
Ain­si, si l’État-providence sué­dois offre un con­fort quo­ti­di­en pour tous (con­gés parentaux longs, garantie d’accès à une place en crèche pour tous les enfants, gra­tu­ité des can­tines sco­laires du pri­maire au lycée inclus, salaire étu­di­ant sans con­di­tions de ressources des par­ents, etc.) et une bonne cou­ver­ture des « acci­dents de la vie » les plus graves, la générosité est lim­itée et encadrée pour les autres situations.
C’est par­ti­c­ulière­ment le cas, par com­para­i­son avec la France, dans le domaine de la san­té avec, par exem­ple, des tick­ets mod­éra­teurs très « mor­dants » (env­i­ron 23 euros de reste à charge pour une con­sul­ta­tion de médecin et 40 euros pour un spé­cial­iste, dans la lim­ite de 130 euros par an).

Après la crise du début des années 1990, la Suède s’est pro­fondé­ment trans­for­mée, lais­sant place à un nou­veau « mod­èle sué­dois » à l’inflation con­trôlée, aux finances publiques solides (grâce notam­ment à une nette baisse de la dépense publique, passée de 72% du PIB en 1993 à 55 % en 2000 et 52 % aujourd’hui, soit moins qu’en France), à l’économie résol­u­ment tournée vers l’extérieur (avec une part des expor­ta­tions dans le PIB qui est passée de 28 % en 1992 à 50% aujourd’hui et avec une impor­tance gran­dis­sante de nou­veaux parte­naires com­mer­ci­aux à forte crois­sance – BRICS, Ara­bie Saou­dite, Pologne, Turquie) et aux ser­vices publics forte­ment libéral­isés, tout en con­ser­vant un État-prov­i­dence par­mi les plus généreux du monde.

Un « modèle » différent de management

Les Sué­dois sont habitués à des rela­tions inter­per­son­nelles très apaisées, notam­ment à l’oral, et reçoivent très mal la cri­tique (dans laque­lle ils englobent très sou­vent l’absence de com­pli­ment). C’est donc sans sur­prise que le souhait du Français d’avoir une con­ver­sa­tion franche et sans détour, de tout met­tre sur la table, voire de « s’engueuler » un grand coup, désta­bilise pro­fondé­ment le Suédois.

Ce fos­sé cul­turel, très sou­vent sous-estimé de part et d’autre, se traduit par des fonc­tion­nements très dif­férents dans la ges­tion de pro­jet et la prise de déci­sion : les réu­nions adoptent en Suède un for­mat très col­lé­gial, avec un rôle mineur de la hiérar­chie (seuls 7 % des Sué­dois esti­ment que leur man­ag­er doit pou­voir apporter une réponse aux prob­lèmes ren­con­trés, con­tre 61% des Français), et les déci­sions sont pris­es sur la base du consensus.

La Suède offre des per­spec­tives intéres­santes pour nos entreprises

Ain­si, quand les ingénieurs français s’appuient sur un arbre des pos­si­bles et une analyse rigoureuse et sci­en­tifique (issue des grandes écoles), les Sué­dois avan­cent au feel­ing du groupe (« si tout le monde est d’accord, ce doit être une bonne idée »), prenant davan­tage de risques.

En pra­tique, la déci­sion finale (et la respon­s­abil­ité liée) relève en Suède comme en France du man­ag­er, et les efforts de per­sua­sion autour de la machine à café ne man­quent pas (les Sué­dois sont les deux­ièmes plus gros con­som­ma­teurs de café par habi­tant, der­rière leurs voisins fin­landais), mais le proces­sus diffère.

Importance de la famille

Pas de code hiérarchique
Une car­ac­téris­tique sur­prenante de la pra­tique sué­doise en entre­prise tient à l’absence qua­si totale de code hiérar­chique dans l’organisation et dans les rela­tions entre employés et man­agers, dans le pub­lic comme dans le privé. Par exem­ple, le P‑DG d’Ericsson déje­une ain­si régulière­ment à la can­tine tan­dis que les jour­nal­istes tutoient le Pre­mier min­istre. Côté admin­is­tra­tions, les pra­tiques man­agéri­ales dif­fèrent aus­si de nos habi­tudes puisque les agents publics n’ont pas de statut par­ti­c­uli­er mais un con­trat de tra­vail de droit privé.

Le man­age­ment sué­dois intè­gre aus­si l’importance de la famille en Suède et notam­ment (en com­para­i­son avec la France) de la pater­nité (les jeunes pères, en con­gé parental, se prom­enant avec une pous­sette sont légion dans les rues de Stock­holm). Ain­si, de nom­breux Sué­dois (à tous les niveaux hiérar­chiques) finis­sent vers 16 heures (sachant qu’il fait nuit dès 15 heures à Stock­holm en hiv­er) pour récupér­er les enfants à la crèche ou à l’école et dîn­er (tôt) en famille, avant de se recon­necter sur leur tra­vail, depuis le domicile.

Au total, la pra­tique man­agéri­ale sué­doise n’est pas un mod­èle à importer d’urgence, mais de nom­breux man­agers français présents (ou passés) en Suède témoignent d’une remise en ques­tion enrichissante de leurs habi­tudes et convictions.

Un camp de base pour explorer le marché nordique

Si la Suède, comme cha­cun des autres pays nordiques pris séparé­ment, con­stitue sou­vent un trop petit marché pour être dans le radar des entre­pris­es expor­ta­tri­ces français­es, la très forte inté­gra­tion de la zone nordique per­met d’adopter une approche glob­ale de ce marché. En effet, non seule­ment le secteur ban­caire est partagé avec six « grandes ban­ques nordiques » présentes sur toute la zone et les États de la zone parta­gent le cap­i­tal de plusieurs des grandes entre­pris­es de réseaux et de ser­vices publics, mais cette inté­gra­tion se retrou­ve aus­si au plan commercial.

Ain­si, les entre­pris­es nordiques comme les grands groupes étrangers abor­dent les qua­tre pays nordiques comme un marché unique, avec, par exem­ple, des pro­duits de grande con­som­ma­tion sou­vent iden­tiques dans toute la zone et un éti­que­tage dans les qua­tre langues (et sans l’anglais).

Un îlot de croissance

Si vous envis­agez un pro­jet en Suède
Pour en savoir plus sur l’économie sué­doise (en français) :
www.tresor.economie.gouv.fr/ pays/suede
Pour vous accueil­lir et vous aider lors de vos pre­miers pas en Suède, ou tout sim­ple­ment pour échang­er sur les thèmes de cet article :
suede [at] xmp­scan­di­navie. polytechnique.org
Pour vous aider dans vos démarch­es en Suède, mais aus­si pour vous accom­pa­g­n­er dans votre explo­ration des marchés sué­dois et nordique ou dans une mis­sion de décou­verte ou d’étude de la Suède :
info [at] ambafrance-se.org

Or, prise dans son ensem­ble, la zone nordique offre un marché intéres­sant (et encore sous-exploité par les entre­pris­es français­es), compte tenu de sa taille (avec un PIB d’environ 1 200 mil­liards d’euros, soit net­te­ment plus que le marché espag­nol), de son haut niveau de pou­voir d’achat (25 mil­lions de con­som­ma­teurs avec 40 000 euros de PIB par habi­tant, con­tre 30 000 euros en Alle­magne) et de sa crois­sance durable­ment plus forte que la moyenne de l’Union européenne.

De plus, le marché nordique présente aujourd’hui, dans un cadre régle­men­taire et juridique très proche de la France (la zone nordique n’est pas la Chine), un îlot de crois­sance dans une Europe en récession.

Out­re ces oppor­tu­nités d’affaires sur la zone, la Suède offre des per­spec­tives intéres­santes pour nos entre­pris­es, avec notam­ment le besoin de renou­velle­ment du parc nucléaire (la Suède pos­sède, comme la France, une capac­ité nucléaire instal­lée par­mi les plus élevée d’Europe), le chantier de la source européenne de spal­la­tion ESS à Lund, les impor­tants investisse­ments lancés dans les infra­struc­tures de trans­port fer­rovi­aire et l’excellence du secteur des NTIC.

Enfin, la Suède a un tis­su indus­triel sim­i­laire à la France, avec de grandes multi­na­tionales (et 26 entre­pris­es dans le Forbes Glob­al 2000, soit autant que l’Italie ou l’Espagne : Vol­vo, Eric­s­son, Atlas Cop­co, H&M, Ikea, etc.) qui représen­tent plus de 100 000 emplois directs en France et offrent des oppor­tu­nités de sous-trai­tance pour nos entreprises.

Les habitués des bench­marks en con­nais­sent bien les lim­ites et les risques de sim­pli­fi­ca­tion abu­sive. Qu’il s’agisse de poli­tiques publiques ou de pra­tiques man­agéri­ales, la Suède n’offre aucune solu­tion mir­a­cle et ne con­stitue pas un mod­èle. Mais l’observation de « l’expérience sué­doise », de ses pra­tiques et habi­tudes dif­férentes des nôtres, per­met de met­tre en per­spec­tive ce que nous esti­mons par­fois acquis, indis­pens­able ou efficace.

En dehors de ses per­for­mances, la Suède offre aus­si un marché et une tête de pont pour explor­er les nom­breuses oppor­tu­nités d’affaires de la zone nordique. De quoi jus­ti­fi­er, au-delà des effets de mode, un (regain d’) intérêt pour la Suède.

XMP-Scan­di­navie
Créé en 2011, le groupe XMP-Scan­di­navie, qui rassem­ble 48 per­son­nes, dont une douzaine basée en Suède (à Stock­holm et Malmö-Lund), est prêt à vous accueil­lir et à vous aider : ges­tion de car­rière (réseau), études ou recherche d’emploi en Scan­di­navie, mais aus­si, tout sim­ple­ment, aide face aux petites dif­fi­cultés de la vie courante d’un expa­trié. En effet, si 90 % des Sué­dois par­lent anglais (con­tre la moitié des Français, source Euro­stat), le dif­féren­tiel socio­cul­turel fran­co-sué­dois est très impor­tant, large­ment sous-estimé, et peut con­duire à des pertes de temps et à une cer­taine frus­tra­tion que quelques con­seils vous éviteront.

Commentaire

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robert ave­zourépondre
16 octobre 2013 à 8 h 11 min

Un “mod­éle sué­dois” effi­cace. S’en inspir­er, mais comment ?

Après “Le malen­ten­du sué­dois”, excel­lent livre écrit il y a quelques années par deux jeunes poly­tech­ni­ciens, cet arti­cle est fort intéres­sant et riche en chiffres qui mon­trent notam­ment qu’il nous reste beau­coup de réformes à faire …

Manque peut-être les nom­bres respec­tifs de brevets par habi­tant, un ratio de deux, il me sem­ble, qui enfon­ceraient un peu plus le clou là où ça fait mal, si j’ose m’ex­primer ainsi

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