Maintenance et environnement

Dossier : La maintenanceMagazine N°564 Avril 2001Par Henri ARNOUX (46)

La main­te­nance, selon la déf­i­ni­tion de la norme européenne de ter­mi­nolo­gie de la main­te­nance en cours d’adop­tion, est con­sti­tuée par ” l’ensem­ble des actions des­tinées à main­tenir ou à rétablir un bien dans un état dans lequel il peut rem­plir la fonc­tion req­uise “. Cette déf­i­ni­tion très générale ne dit rien des car­ac­téris­tiques de cet état, mais on peut penser que, presque tou­jours, il s’ag­it de con­serv­er à ce bien ses per­for­mances d’o­rig­ine ou, si l’on veut faire court, son ren­de­ment spécifié. 

Les Japon­ais ont lancé au cours de la décen­nie 80 une doc­trine de main­te­nance désignée par le sigle TPM (Total pro­duc­tive main­te­nance) et dont l’ob­jec­tif était : ” zéro panne, zéro défaut “, ce qui est une façon encore plus rad­i­cale de dire que la main­te­nance doit con­serv­er à un sys­tème de pro­duc­tion des con­di­tions de fonc­tion­nement opti­males, telles que la total­ité des biens pro­duits soit con­forme aux spécifications. 

Zéro défaut sig­ni­fie qu’il n’y aura pas de rebut ; les con­séquences d’un rebut sur la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement au sens large sont en effet immé­di­ates : une con­som­ma­tion inutile d’én­ergie et de matières pre­mières qu’au­ra néces­sitée la fab­ri­ca­tion de la pièce rejetée, qui sera le plus sou­vent inutilisable. 

Même dans le cas le moins défa­vor­able où il sera pos­si­ble de recy­cler la pièce non con­forme et de récupér­er la part matières, l’én­ergie, elle, aura été util­isée en pure perte. La réal­i­sa­tion de l’ob­jec­tif ” zéro défaut ” aura donc comme pre­mière con­séquence de réduire au min­i­mum le prélève­ment de matières pre­mières et de sub­stances énergé­tiques (les unes et les autres ressources naturelles non renou­ve­lables selon la ter­mi­nolo­gie en vigueur) pour une pro­duc­tion donnée. 

Les conséquences néfastes d’une mauvaise maintenance

Mais ce gaspillage d’én­ergie et de matières pre­mières qu’une bonne main­te­nance per­met d’éviter n’ap­pa­raît pas seule­ment dans le cas extrême du rebut, il inter­vient aus­si de façon plus insi­dieuse dans le cas de mau­vais fonc­tion­nement d’une unité de pro­duc­tion qui fait chuter le rendement. 

L’ex­em­ple d’une cen­trale ther­moélec­trique le mon­tre claire­ment : si la cen­trale ne fait pas l’ob­jet d’une main­te­nance atten­tive, la tur­bine con­tin­uera à entraîn­er l’al­ter­na­teur qui con­tin­uera lui-même à pro­duire de l’én­ergie, mais, petit à petit, les réglages d’ar­rivée d’air et de com­bustible à la chaudière, la régu­la­tion d’ad­mis­sion de vapeur à la tur­bine vont dériv­er et le ren­de­ment va baisser. 

C’est plus insi­dieux car la cen­trale con­tin­uera de fournir de la puis­sance au réseau, elle sera peut-être même encore capa­ble de pro­duire sa puis­sance nom­i­nale, mais chaque kilo­wattheure pro­duit aura con­som­mé quelques grammes, ou dizaines de grammes, de com­bustibles de plus, et on pour­ra con­stater qua­tre effets néfastes pour la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement au sens large : une aug­men­ta­tion de la con­som­ma­tion d’un com­bustible dont les ressources ne sont pas illim­itées (on le répète péri­odique­ment à pro­pos du pét­role), l’ac­croisse­ment cor­re­spon­dant des rejets de gaz et notam­ment de CO2 (la com­bus­tion d’un gramme de car­bone pro­duit 3,6 grammes de CO2), l’aug­men­ta­tion de la quan­tité de chaleur évac­uée par le con­denseur, entraî­nant un accroisse­ment de la tem­péra­ture du cours d’eau qui assure le refroidisse­ment, enfin si la chauffe est grave­ment déréglée, un rejet à l’at­mo­sphère de com­bustible imbrûlé ou mal brûlé. 

Ces con­séquences ne sont pas mineures, quand on se rap­pelle que dans de nom­breux pays les cen­trales ther­miques sont le prin­ci­pal, voire l’u­nique, moyen de pro­duc­tion d’élec­tric­ité, et que, de ce fait, elles pro­duisent de l’or­dre de 40 % de la total­ité du CO2 d’o­rig­ine anthropique1.

Si on sait par ailleurs que dans de nom­breux pays du tiers-monde, les ren­de­ments sont loin de l’op­ti­mum, on voit qu’une bonne main­te­nance de ces cen­trales pour­rait avoir un effet non nég­lige­able sur la réduc­tion, ou au moins la sta­bil­i­sa­tion de la pro­duc­tion de ces gaz. 

On peut naturelle­ment imag­in­er d’autres exem­ples dans d’autres secteurs indus­triels, et on ver­ra qu’une usine qui a un bon ser­vice de main­te­nance sera moins gour­mande en ressources naturelles non renou­ve­lables et par con­séquence moins pol­lu­ante. Un cas par­ti­c­ulière­ment intéres­sant est celui des indus­tries en prise directe sur l’en­vi­ron­nement : pro­duc­tion de l’eau ou inc­inéra­tion des déchets. 

Un réseau de pro­duc­tion et de dis­tri­b­u­tion d’eau a pour fonc­tion req­uise de fournir aux abon­nés de l’eau de qual­ité, et en fin de cycle, après retraite­ment des eaux usées de restituer de l’eau pro­pre. Si la main­te­nance n’est pas sat­is­faisante, les abon­nés risquent de trou­ver au robi­net une eau mal­saine et l’u­sine de traite­ment des eaux ren­ver­ra à la riv­ière de l’eau souillée. 

De son côté l’u­sine d’inc­inéra­tion traite des déchets solides en pro­duisant de l’air chaud et de la vapeur d’eau quand l’in­stal­la­tion marche bien, et en par­ti­c­uli­er si la main­te­nance est bien exé­cutée. Si en revanche elle est défi­ciente, l’u­sine ren­ver­ra à l’at­mo­sphère des gaz à effet de serre, plus ou moins tox­iques par sur­croît comme les NOx. L’im­pact négatif sur l’en­vi­ron­nement est immé­di­at et direct, mais risque de plus de dur­er si des con­trôles réguliers ne sont pas pratiqués. 

Dans les deux cas, eau ou déchets, si la main­te­nance est défail­lante, l’outil de pro­duc­tion fera exacte­ment le con­traire de sa fonc­tion req­uise et la sécu­rité que pro­cure sa présence sera trompeuse, ce qui sera pire qu’un ren­de­ment insuffisant. 

Les avantages d’une bonne maintenance

On notera égale­ment que la main­te­nance qui lim­ite le taux de rebuts et main­tient un ren­de­ment élevé aura par déf­i­ni­tion un effet favor­able sur les résul­tats de l’en­tre­prise puisqu’elle per­met de réduire les con­som­ma­tions de matières pre­mières et d’énergie. 

Le souci de l’en­vi­ron­nement peut même dans cer­tains cas con­duire à la pro­duc­tion de pro­duits de qual­ité élevée : c’est le cas des cimenter­ies, où un meilleur fil­trage des fumées per­met de récupér­er dans les fil­tres un ciment d’une extrême finesse donc de haute qual­ité, à con­di­tion bien sûr qu’une main­te­nance régulière con­serve l’ef­fi­cac­ité des fil­tres. Le résul­tat pour l’en­vi­ron­nement est vis­i­ble, puisqu’on ne voit plus autour des cimenter­ies des paysages entière­ment poudrés de blanc, comme autrefois. 

Naturelle­ment, on ne se trou­ve pas tou­jours dans des cas aus­si favor­ables, et les pré­cau­tions rel­a­tives à l’en­vi­ron­nement peu­vent coûter cher, mais l’en­tre­prise se retrou­vera encore gag­nante lorsqu’on pense au coût des acci­dents. On a évo­qué au début de cet arti­cle le coût financier des grands sin­istres navals sur­venus récem­ment, qui est évidem­ment d’un tout autre ordre de grandeur que les coûts de main­te­nance qui auraient per­mis de les éviter. 

Sans même aller chercher ces exem­ples extrêmes, on avait cité il y a quelques années dans cette revue l’ex­em­ple de la défail­lance d’un ther­mo­stat dans une chaîne de fab­ri­ca­tion de yaourts, ayant pour con­séquence la pro­duc­tion de dizaines de mil­liers de pots de yaourts invend­ables, d’où la perte d’ex­ploita­tion cor­re­spon­dante, à major­er des frais d’élim­i­na­tion de ces pots dans des con­di­tions écologique­ment correctes. 

Les con­séquences pos­i­tives pour l’en­vi­ron­nement d’une bonne main­te­nance ne se lim­i­tent pas à cette économie d’én­ergie et de matières pre­mières exigées pour la pro­duc­tion. Il faut aus­si con­sid­ér­er le fait qu’une instal­la­tion bien main­tenue voit sa durée de vie utile pro­longée, donc le prélève­ment de matières néces­saires pour sa con­struc­tion (aci­er, cuiv­re, alu­mini­um, matéri­aux de con­struc­tion) sera amor­ti sur une plus longue durée si on peut employ­er cette expres­sion, ou, si l’on préfère, le rythme annuel de prélève­ment sera ralenti. 

Cet effet est d’au­tant plus impor­tant que la ten­dance est à la con­struc­tion d’u­nités de pro­duc­tion plus impor­tantes, qui absorbent donc des quan­tités crois­santes de matières pre­mières. (Voir là encore les cen­trales élec­triques, dont la puis­sance a suivi longtemps la fameuse loi du dou­ble­ment décennal.) 

On doit à ce sujet exam­in­er le cas des pays en développe­ment où les instal­la­tions indus­trielles peu­vent être soumis­es à des con­traintes spé­ci­fiques liées aux con­di­tions locales d’en­vi­ron­nement : tem­péra­tures extrêmes (en général hautes, par­fois très bass­es), hygrométrie élevée, tor­nades ou vents de sable, etc. À ces con­traintes physiques peu­vent venir s’a­jouter des prob­lèmes de qual­i­fi­ca­tion de la main-d’œu­vre d’ex­ploita­tion et de main­te­nance, de non-disponi­bil­ité ou de dif­fi­cultés d’ap­pro­vi­sion­nement des pièces de rechange, de pos­ses­sion égale­ment d’une doc­u­men­ta­tion tech­nique com­plète et tenue à jour. 

Un tel envi­ron­nement physique et humain est sus­cep­ti­ble d’en­traîn­er une détéri­o­ra­tion de l’outil de tra­vail plus rapi­de que dans les pays du Nord, avec les con­séquences que l’on a vues plus haut sur l’en­vi­ron­nement. (Sans par­ler des con­séquences cat­a­strophiques sur le plan financier : con­som­ma­tion exces­sive de matières pre­mières très coû­teuse en devis­es lorsqu’il faut les importer, instal­la­tions inutil­is­ables alors qu’elles ne sont pas encore amor­ties sur le plan financier, etc.) 

Cette étude des rela­tions entre l’en­vi­ron­nement et la main­te­nance ne serait pas com­plète, si on ne par­lait pas des effets négat­ifs inévita­bles des opéra­tions de main­te­nance. Une opéra­tion de main­te­nance est par essence créa­trice de déchets, dont un exem­ple type est con­sti­tué par les huiles de vidange. 

Cet exem­ple est bien loin d’être le seul et on peut y ajouter les déchets de pein­tures et de solvants, pas tou­jours inof­fen­sifs et sou­vent refusés par les déchet­ter­ies, les boues des sta­tions d’épu­ra­tion d’eau dont on a beau­coup par­lé il y a un an env­i­ron, les poudres plus ou moins tox­iques qu’on ramasse dans les postes de lavage des fumées d’usines d’inc­inéra­tion, l’ami­ante en poudre récoltée au cours des opéra­tions de désami­antage, tous les biens à rem­place­ment sys­té­ma­tique (joints de toute sorte, pneus, etc.). 

Cer­tains de ces pro­duits sont recy­clables, par exem­ple les huiles de vidan­ge, mais une telle opéra­tion, tech­nique­ment pos­si­ble, ne se fera que si cette huile recy­clée n’est pas plus chère que de l’huile neuve, mais beau­coup d’autres ne sont pas recy­clables et leur tox­i­c­ité ne per­met pas de les élim­in­er en l’é­tat. Il faut donc avant de les élim­in­er les trans­former pour les ren­dre inof­fen­sifs (cas de la pous­sière d’ami­ante qu’il faut agglomér­er à haute tem­péra­ture) et le coût de cette trans­for­ma­tion sera le prix à pay­er pour que la main­te­nance ne vienne pas nuire à l’en­vi­ron­nement. (On dis­cutera naturelle­ment beau­coup pour décider qui doit sup­port­er cette dépense.) 

L’ob­jet de cet arti­cle était de ten­ter de définir les rela­tions qui peu­vent exis­ter entre la main­te­nance et l’en­vi­ron­nement, deux ter­mes qu’on ne trou­ve pas sou­vent réu­nis. Nous avons essayé de mon­tr­er qu’une bonne main­te­nance d’une instal­la­tion indus­trielle pou­vait con­tribuer à dimin­uer de façon appré­cia­ble les effets négat­ifs sur l’en­vi­ron­nement du fonc­tion­nement de cette installation. 

Nous avons vu aus­si que si la main­te­nance coûte cher (on peut admet­tre qu’en règle générale, les dépens­es annuelles de main­te­nance d’une entre­prise sont du même ordre de grandeur que les dépens­es annuelles d’in­vestisse­ment) elle peut aus­si être por­teuse d’é­conomies (la main­te­nance coûte cher avant l’ac­ci­dent) et que son coût ne devrait pas être con­sid­éré comme un argu­ment pour la réduire, puisqu’elle peut être béné­fique pour l’en­tre­prise et qu’elle est béné­fique pour la collectivité. 

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1. 35 % selon l’ar­ti­cle de Jean-Marc Jan­covi­ci dans La Jaune et la Rouge de mai 2000 ; 43 % selon l’en­quête du jour­nal Le Monde ” Coup de chaud sur la planète ” numéro du 18 novem­bre 2000.

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