LYON, une métropole au carrefour de l’histoire et de la modernité

Dossier : Lyon et la région Rhône-AlpesMagazine N°656 Juin/Juillet 2010
Par Philippe LEDENVIC (84)

 Une ville de l’intérieur

 Une ville de l’intérieur
Pour le nomade qui s’ar­rête à Lyon, quelques car­ac­téris­tiques saut­ent aux yeux : une ville de ” l’in­térieur “, où aucune man­i­fes­ta­tion mar­itime n’est per­cep­ti­ble, à l’ex­cep­tion de celle de quelques mou­ettes et de nom­breux cygnes dans cette ville de con­flu­ence, forte­ment mar­quée par ses deux fleuves qui déroutent le vis­i­teur : suis-je au bord du Rhône ou de la Saône ? Mais aus­si, une ville où la mon­tagne n’est pas loin, ce que trahissent assez vite cer­tains vête­ments, cer­tains mag­a­sins spé­cial­isés et plus pro­fondé­ment cer­tains com­porte­ments. Un car­refour, tou­jours aujour­d’hui, même si cette impres­sion est encore plus forte à Greno­ble où dans d’autres métrop­o­les inter­na­tionales, et même si on a le sen­ti­ment que cette impres­sion devait être encore plus forte quelques siè­cles plus tôt. Une pop­u­la­tion sérieuse, dis­crète, tra­vailleuse, attachée au ” bien faire”, partagée entre des rela­tions sim­ples et directes, qui facili­tent le tra­vail en équipe et la con­cer­ta­tion entre par­ties prenantes struc­turées et respon­s­ables, et le repli dans des com­mu­nautés diver­si­fiées, où la spir­i­tu­al­ité et la reli­gion jouent un rôle sourd, mais très présent et qui sem­blent struc­tur­er la société lyon­naise, terre de cen­trisme politique.

En ce début de XXIe siè­cle, Lyon présente des signes évi­dents de moder­nité, voire d’a­vant-gardisme, en dépit du poids d’une his­toire où l’in­dus­trie a mod­elé la ville, puis l’ag­gloméra­tion, puis la région. L’A­gence d’ur­ban­isme du Grand Lyon a par­faite­ment démon­tré1 qu’au début de la révo­lu­tion indus­trielle la struc­tura­tion spa­tiale de la ville était spé­cial­isée entre fonc­tions de pro­duc­tion et de négoce, les tis­seurs ayant investi la colline de la Croix-Rousse, alors que les acteurs du com­merce occu­paient la presqu’île et la rive gauche du Rhône, la rive droite, cœur his­torique dom­iné par les amphithéâtres romains et la basilique de Fourvière, restant ” la colline qui prie “.

L’in­dus­trie a mod­elé la ville entre fonc­tions de pro­duc­tion et de négoce

Puis, les indus­tries se sont pro­gres­sive­ment déplacées à l’est et au sud, dédiées au tex­tile et à la chimie. L’ap­pari­tion de l’élec­tric­ité et du chemin de fer a pro­gres­sive­ment vu l’émer­gence des indus­tries mécaniques : le tis­su indus­triel lyon­nais s’est ain­si con­solidé grâce aux syn­er­gies mul­ti­ples entre les dif­férents secteurs. La posi­tion de car­refour a con­tribué à l’ir­ri­ga­tion de l’ag­gloméra­tion par de nom­breuses voies et moyens de trans­port, ren­forçant cette fois la fonc­tion com­mer­ciale de la métro­pole lyonnaise.

Mix­ité urbaine
On la voit en prom­e­nade : un urban­isme qui a “appris ” à mêler dif­férentes fonc­tions urbaines, une ville qui s’est réap­pro­prié ses fleuves et qui a préservé la nature en cœur de ville, des sys­tèmes de trans­port doux avec une place raison­née pour la voiture :
le “Velov ” lyon­nais a précédé de cinq ans le ” Vélib ” parisien.
Le voy­age en tramway rue de Mar­seille, désor­mais au cœur du quarti­er pop­uleux de La Guil­lotière, laisse dif­fi­cile­ment imag­in­er la fonc­tion his­torique de sor­tie de ville de cette voie.


© Meed­dm-Lau­rent Mignaux


© Meed­dm-Lau­rent Mignaux


© DRE

Modernité et continuité

Comme en d’autres lieux en France, la Pre­mière Guerre mon­di­ale a spé­cial­isé toutes ces activ­ités au ser­vice de la guerre, au pre­mier chef la chimie, bien sûr, mais aus­si toutes les autres activ­ités mécaniques et notam­ment la pro­duc­tion de véhicules.

Désor­mais, si cer­taines de ces activ­ités ont con­nu des restruc­tura­tions pro­fondes qui ont con­duit cer­taines à réduire la voil­ure, il est sai­sis­sant de con­stater que les pôles de com­péti­tiv­ité du XXIe siè­cle plon­gent leur racine dans ce passé : Lyon Biopôle pour la phar­ma­cie et les biotech­nolo­gies, Axel­era pour la chimie, Techtera pour le tex­tile, Lyon Urban Trucks and Bus pour les véhicules lourds et sys­tèmes de trans­port urbain pour ne par­ler que des pôles les plus emblé­ma­tiques. Curieuse­ment, néan­moins, dans la pre­mière vague de label­li­sa­tion des pôles de com­péti­tiv­ité, aucun pôle spé­ci­fique à l’én­ergie n’a émergé, en dépit du fait que la Région Rhône-Alpes est la pre­mière région de pro­duc­tion énergé­tique française.

Les choix d’ur­ban­isme sont essen­tiels sur le long terme

La moder­nité, on la dis­cerne au tra­vers de plusieurs indices : le nom­bre de pôles de com­péti­tiv­ité juste­ment (11 en Rhône-Alpes), la présence forte d’en­tre­pris­es dans le secteur des écotech­nolo­gies. Le nomade qui a con­nu le quarti­er de la Part-Dieu il y a trente ans et qui le tra­verse désor­mais com­prend aisé­ment à quel point les choix d’ur­ban­isme sont essen­tiels sur le long terme, tant pour l’or­gan­i­sa­tion des fonc­tions urbaines que pour l’im­age et le cachet d’une ville. D’ailleurs, cette moder­nité n’ou­blie jamais ce qu’elle doit à l’his­toire, dans cette ville inscrite au pat­ri­moine mon­di­al de l’Unesco.

Des voies menacées d’embolie

Para­doxale­ment, c’est dans le domaine des infra­struc­tures de trans­port interur­baines que le temps sem­ble s’être un peu arrêté, en dépit de réal­i­sa­tions pour­tant pré­co­ces (autoroutes, lignes TGV, aéro­port et gare de Saint-Exupéry).

Gare TGV de Lyon-Saint-Exupéry © Vin­cent RUF

Une gare vide
Para­doxe emblé­ma­tique : alors que l’aéro­port de Saint-Exupéry est situé au cœur d’un réseau d’in­fra­struc­tures favor­able à l’in­ter­modal­ité, tout par­ti­c­ulière­ment la gare TGV de Saint- Exupéry, sur le mod­èle de Rois­sy, cette gare reste dés­espéré­ment "vide…, belle mais vide ", comme si on avait eu rai­son trop tôt, con­tre tous les conservatismes.


Lyon reste une aggloméra­tion (comme Mar­seille) qui n’a pas bouclé son périphérique, à l’heure où de nom­breuses métrop­o­les l’ont ter­miné pour détourn­er à bon droit les véhicules de leur cen­tre. Le nœud fer­rovi­aire lyon­nais sat­ure en de nom­breux endroits : pour­tant, Lyon dis­pose d’un nom­bre sig­ni­fi­catif de gares… mais ce sont les tuyaux qui sont men­acés d’embolie. Les promess­es de seg­men­ta­tion entre traf­ic de marchan­dis­es et traf­ic de voyageurs, avec la réal­i­sa­tion du con­tourne­ment fer­rovi­aire de l’ag­gloméra­tion lyon­naise à l’hori­zon 2020, per­me­t­tent d’en­vis­ager une sim­pli­fi­ca­tion du nœud, mais prob­a­ble­ment pas son dénoue­ment com­plet à défaut d’autres investissements.

Certes, l’ag­gloméra­tion souf­fre d’une géo­gra­phie et d’un relief con­traig­nants qui ont spé­cial­isé cer­taines fonc­tions… et généré des dif­fi­cultés : l’est est plat quand l’ouest s’é­tale sur les monts du Lyon­nais ; le Rhône et la Saône restent des entailles qu’il est dif­fi­cile de tra­vers­er ; toute nou­velle infra­struc­ture doit se fray­er un chemin dans des espaces de plus en plus habités, mais, mal­heureuse­ment, dans un urban­isme peu dense.

Fixer un cadre d’aménagement

C’est la prin­ci­pale fonc­tion de la Direc­tive ter­ri­to­ri­ale d’amé­nage­ment (DTA) de l’ag­gloméra­tion lyon­naise, adop­tée au début du XXIe siè­cle, que de rap­pel­er que si on ” laisse aller” un développe­ment au fil de l’eau, on se réserve un avenir bien dif­fi­cile quand il s’a­gi­ra de créer de nou­velles infra­struc­tures, reden­si­fi­er le loge­ment et les activ­ités, con­som­mer rationnelle­ment le fonci­er et toutes les autres ressources : les zones naturelles et les zones humides, l’eau, l’én­ergie, etc., recon­stru­ire la ville sur la ville2.

C’est un atout indé­ni­able pour l’avenir de la métro­pole. À la veille de l’adop­tion par le gou­verne­ment du Sché­ma nation­al des infra­struc­tures de trans­port, qui doit pré­cis­er les pri­or­ités de l’É­tat pour le développe­ment du réseau des infra­struc­tures nationales, de nom­breuses incer­ti­tudes et dif­fi­cultés subsistent.

Éviter des choix implicites

Les dis­cus­sions bat­tent leur plein pour la réal­i­sa­tion de nou­velles lignes TGV, Rhin-Rhône et Paris — Orléans — Cler­mont-Fer­rand — Lyon. Cha­cun espère que la mis­sion con­fiée à l’É­tat sur le noeud fer­rovi­aire lyon­nais per­me­t­tra de débouch­er sur des ori­en­ta­tions con­sen­suelles entre les dif­férents acteurs du ” grand ter­ri­toire lyon­nais “, tant elles sont une con­di­tion à la dynami­sa­tion de l’é­conomie régionale.

Car, l’avenir n’est pas exempt de men­aces : à l’heure où les finance­ments publics se raré­fient, où la pop­u­la­tion est de plus en plus sou­vent partagée entre deux réflex­es ” y a qu’à, faut qu’on ” et not in my back­yard “pas dans mon jardin “, à l’heure où la place de la recherche dans les finance­ments publics et privés s’érode lente­ment, au détour de la crise mon­di­ale qui a lour­de­ment affec­té une indus­trie de sous-trai­tants au ser­vice d’in­dus­tries de con­som­ma­tion dont les don­neurs d’or­dre sont sou­vent ailleurs, il n’est pas évi­dent que la “ver­tu lyon­naise” s’im­pose durable­ment à la com­plex­ité crois­sante des intérêts particuliers.

Est lyon­nais
Cette zone plate, encore large­ment vide ou anor­male­ment peu dense, est le lieu de con­ver­gence de plusieurs fonc­tions stratégiques : zone d’ac­cueil de futurs réseaux fer­rovi­aires, zone d’ac­cueil poten­tiel d’ac­tiv­ités économiques, notam­ment d’ac­tiv­ités logis­tiques, zone d’ex­trac­tion pos­si­ble de matéri­aux de très bonne qual­ité, cor­ri­dor écologique for­mant une cein­ture verte pour l’ag­gloméra­tion, etc.

Quelques exemples

La direc­tive ter­ri­to­ri­ale d’amé­nage­ment a préservé l’est lyon­nais de développe­ments anar­chiques, notam­ment autour de l’aéro­port afin de ne pas obér­er ses pos­si­bil­ités de développe­ment. Néan­moins, cette zone sus­cite de nom­breuses con­voitis­es : com­ment choisir — et surtout, con­va­in­cre cha­cun qu’il s’ag­it du meilleur choix — en évi­tant qu’une série de choix implicites ne prive l’ag­gloméra­tion et, plus large­ment la Région, de capac­ités de développe­ment et d’ex­pan­sion au ser­vice de tous ?


Indus­tries chim­iques au sud de Lyon © Meed­dm-Lau­rent Mignaux

Visibilité mondiale

La mul­ti­plic­ité des pôles de com­péti­tiv­ité label­lisés a ini­tié et ampli­fié une dynamique de col­lab­o­ra­tions entre acteurs de l’en­tre­prise et de la recherche dans de nom­breux domaines de com­péti­tiv­ité d’avenir. À l’heure où était envis­agée la label­li­sa­tion de pôles de com­péti­tiv­ité dans le secteur des écotech­nolo­gies, com­ment éviter que cette foi­son sym­pa­thique d’ini­tia­tives n’aille à l’en­con­tre d’une vis­i­bil­ité mon­di­ale de ces secteurs d’ex­cel­lence, du fait de leur éclate­ment ? Rhône-Alpes et Lyon sont désor­mais bien con­nus pour leur phar­ma­cie, leur tex­tile et leur micro et même nanoélec­tron­ique, ils sont encore mécon­nus pour leur excel­lence au ser­vice d’une économie sobre en ressources.

Répon­dre à la devise ” Avant, Avant, Lion le melhor”

Para­doxale­ment, le plan de préven­tion des risques tech­nologiques de la val­lée de la chimie, out­il de réduc­tion des risques qui découle de la loi Bach­e­lot, votée suite à l’ac­ci­dent AZF, offre l’oc­ca­sion d’un ques­tion­nement salu­taire, tant sur l’avenir des indus­tries du sud de Lyon que sur le mail­lage des infra­struc­tures sur ce ter­ri­toire, non pas dans une démarche défen­sive, mais bien plutôt dans une réflex­ion stratégique glob­ale asso­ciant l’ensem­ble des acteurs.

Esprit de Grenelle

Renou­veau portuaire
La pro­mo­tion et l’es­sor du traf­ic flu­vial à l’heure du Grenelle sem­blent con­solid­er le port Édouard-Her­riot et les autres ports du sud le long du Rhône, tant la logis­tique des pondéreux et autres ressources naturelles et énergé­tiques au cœur des villes est l’un des enjeux des trans­ports au XXIe siè­cle — comme l’ag­gloméra­tion parisi­enne l’a d’ailleurs bien com­pris depuis longtemps.

Ce qui est nou­veau, juste­ment, c’est le ” souf­fle du Grenelle ” : il ne saurait y avoir d’amé­nage­ment ni d’é­conomie com­péti­tive non durables. Reden­si­fi­er, rede­venir sobre, penser et agir en trans­ver­sal­ité entre amé­nage­ment et déplace­ments, entre amé­nage­ment et ressources, con­sid­ér­er l’e­space comme l’une des ressources les plus pré­cieuses, refuser le mirage de pro­jets qui ignor­eraient ces con­traintes dont nous ne percevons actuelle­ment que les prémices, s’ap­puy­er sur les infra­struc­tures exis­tantes et rechercher à opti­miser les sys­tèmes — par exem­ple, amélior­er l’ac­ces­si­bil­ité à l’aéro­port de Saint-Exupéry au reste de la Région.

La métro­pole lyon­naise a de nom­breux atouts, qu’elle a su cul­tiv­er en se rac­crochant tou­jours à son passé, mais en se tour­nant délibéré­ment vers l’avenir. La prochaine décen­nie est cru­ciale, à l’heure de boule­verse­ments mon­di­aux prévis­i­bles, pour que le col­lec­tif lyon­nais con­solide sa place dans le con­cert des métrop­o­les européennes. Entre incer­ti­tudes et per­spec­tives favor­ables, une voie est pos­si­ble et néces­saire. Lyon, ” forter­esse de Lug “, cap­i­tale des Gaules sous les Romains et Com­mune affranchie sous la Révo­lu­tion, saura répon­dre à sa devise “Avant, Avant, Lion le mel­hor”. Un lion prêt à bondir ne fig­ure-t-il pas dans ses armoiries ?

1. Atlas de l’aven­ture indus­trielle de l’ag­gloméra­tion lyon­naise (XIXe-XXIe siè­cle) — juin 2009.
2. Il est intéres­sant de not­er qu’il existe un pro­jet de même nature sur les Alpes du Nord, qui pour­suit le même objec­tif, mais qu’il est bien dif­fi­cile de faire accepter à une “col­lec­tiv­ité” d’intérêts…

Des incer­ti­tudes à lever
En matière d’in­fra­struc­tures routières, elles sont nom­breuses. Elles con­cer­nent par­ti­c­ulière­ment : la con­nex­ion de l’au­toroute A 89 (Bor­deaux- Genève via Lyon) au reste du réseau autorouti­er lyon­nais — et d’éviter que le tuyau ne se déverse trop longtemps dans les inter­stices de l’ag­gloméra­tion ; la réal­i­sa­tion de l’A45, com­plé­ment espéré par les Ligériens et Stéphanois à une A 47 actuelle­ment sat­urée ; le con­tourne­ment de l’ouest lyon­nais, bouclage du périphérique lyon­nais pour sor­tir le traf­ic de tran­sit du tun­nel de Fourvière…

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