Les 4 aumôniers de l'École polytechnique, surnomés les 4 Mousquetaires

L’X ou la laïcité intelligente

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°735 Mai 2018Par : la rédaction de La Jaune et la Rouge

Sur le cam­pus de l’X, il se passe un phé­no­mène éton­nant, au regard des ten­sions qui existent dans notre pays sur la ques­tion de la laï­ci­té. Dans cette école consa­crée au pri­mat de la science, les reli­gions non seule­ment trouvent leur place, mais en plus coexistent harmonieusement.

Les aumôniers de l'École polytechnique jouent au Baby-foot
Mémo­rable par­tie de baby­foot avec de gauche à droite : Louis Per­not, Nadir Mehi­di, Miguel Roland-Gos­se­lin (pré­dé­ces­seur de Nico­las Rous­se­lot) et Haïm Korsia.

Le sta­tut mili­taire de l’É­cole a ren­du évident la pré­sence des aumô­ne­ries, où toutes les reli­gions peuvent être repré­sen­tées. Il en résulte une laï­ci­té exem­plaire, où les aumô­niers par­ti­cipent à tous les évé­ne­ments impor­tants et se réunissent avec les élèves en quête de sciences, mais aus­si de sens.

Pour com­prendre le secret de cette réus­site poly­tech­ni­cienne, La Jaune et la Rouge s’est ren­due dans le « cou­loir des sor­ciers », ren­con­trer ceux que l’on sur­nomme aus­si les « quatre mous­que­taires » : le père Nico­las Rous­se­lot, sj, le pas­teur Louis Per­not du Temple de l’Étoile, le grand-rab­bin de France Haïm Kor­sia et l’imam Nadir Mehi­di, aumô­nier mili­taire à la DGGN.

Origine des aumôneries

Cette tra­di­tion de la pré­sence des reli­gions est ancienne, depuis les débuts de l’École ; celle des aumô­ne­ries est un peu pos­té­rieure et a ses tra­di­tions. « Les Jésuites s’occupent de l’aumônerie catho­lique des élèves de l’X depuis 1903 » nous indique le père Nicolas.

Haïm Kor­sia de nous expli­quer : « L’aumônerie israé­lite a tou­jours été liée au direc­teur de l’École rab­bi­nique de France de la rue Vau­que­lin dans le 5e arron­dis­se­ment, qui, de tra­di­tion, est l’aumônier israé­lite de l’X. »

Selon Louis Per­not, la pré­sence pro­tes­tante remonte « à Napo­léon Ier ». Quant à l’aumônerie musul­mane, elle est la der­nière-née des aumô­ne­ries, en 2013, et l’imam Nadir Mehi­di en est le pre­mier aumônier.

Une aumônerie devenue militaire

C’est le sta­tut mili­taire de l’X qui a faci­li­té la pré­sence, comme dans un régi­ment, des aumô­ne­ries. Puis, en 1964, le père Jean Dumort (46) – aumô­nier de l’X de 1964 à 1984 – œuvre pour don­ner aus­si à l’aumônerie un sta­tut militaire.

Depuis lors, toutes les reli­gions peuvent être repré­sen­tées et jouissent d’une cer­taine liber­té d’expression dans les locaux de l’École. Les aumô­niers sont pré­sen­tés chaque année aux nou­velles pro­mo­tions et par­ti­cipent à tous les évé­ne­ments impor­tants, de sorte que les élèves savent qu’il y a des aumô­niers et qui ils sont.

Un excellent laboratoire français de laïcité

Et les quatre mous­que­taires sont una­nimes : la laï­ci­té à l’X est exem­plaire. « Pour voir com­ment devrait se vivre la laï­ci­té, il faut aller dans les armées ou à l’X » témoigne Nadir Mehi­di. Même son de cloche chez cha­cun : « L’X est un modèle pour la société.

La laï­ci­té n’y empêche pas de par­ler de ce qui nous anime. On ose en par­ler, en débattre et c’est une richesse », dit le père Nico­las Rous­se­lot. « La laï­ci­té ne sup­pose pas l’annulation de toute reli­gion, mais l’indépendance et la liber­té entre les reli­gions, ce que per­met la pré­sence des quatre aumô­niers à l’École » révèle le pas­teur Pernot.

Pour Haïm Kor­sia : « C’est une laï­ci­té intel­li­gente où cha­cun garde son carac­tère propre, est ce qu’il est, mais le vit avec les autres, sans communautarisme. »

Conférence des aumôniers de l'École polytechnique
Les aumô­niers pro­posent une ou deux
confé­rences par an.

Réunion des aumôniers
Les aumô­niers s’accordent pour témoigner
de la grande soif des élèves.

Des élèves en quête de sciences et de sens

Cette pré­sence de quatre aumô­niers atti­trés à l’École est excep­tion­nelle par­mi les grandes écoles. Et l’on peut dire qu’elle par­ti­cipe à l’excellence de l’offre de l’École aux élèves, qui ont la pos­si­bi­li­té d’approfondir leur soif intel­lec­tuelle, mais aus­si spirituelle.

Les aumô­niers s’accordent pour témoi­gner de la grande soif des élèves. Après la pré­pa, qui laisse peu de temps aux ques­tion­ne­ments exis­ten­tiels, l’arrivée à l’X avec son grand panel de pos­sibles laisse par­fois les élèves en dif­fi­cul­té. « Beau­coup d’entre eux, brillants à l’école, ont sui­vi les conseils qu’on leur a don­nés et ont inté­gré l’X sans avoir posé de choix vrai­ment per­son­nels et se trouvent dému­nis au moment de faire un choix de for­ma­tion ou de car­rière » explique le père Rousselot.

Lors de l’épisode tra­gique des deux sui­cides d’élèves qui a vio­lem­ment secoué l’École en 2016, nom­breux ont été les élèves à les sol­li­ci­ter. « Sur ces ques­tions exis­ten­tielles, la parole des aumô­niers est dif­fé­rente de celle d’un chef de corps ou d’un pro­fes­seur », ajoute le père Nicolas.

Libérer la parole

Les aumô­niers pro­posent une ou deux confé­rences par an tous les quatre. Au moment des atten­tats de 2015, une confé­rence sur la vio­lence dans les reli­gions a été pro­po­sée. « L’amphi était plein, les élèves ont pu poser des ques­tions pour dis­cer­ner, je parle et réponds sans tabou », témoigne Nadir Mehidi.

« À chaque atten­tat, c’est aus­si pour les élèves musul­mans une bles­sure qui se rouvre. Dans ces moments-là, j’invite les élèves à ver­ba­li­ser, à par­ler avec les autres, à dia­lo­guer pour sor­tir de l’inquiétude. »

Pour Louis Per­not, ces confé­rences « sont un témoi­gnage auprès de toute l’École que les reli­gions peuvent vivre ensemble et dia­lo­guer. Ça ras­sure toute l’École de nous voir ensemble, bien au-delà de l’amphi, même ceux qui n’y par­ti­cipent pas. »

Et pour le rab­bin Kor­sia : « Les élèves ont besoin d’un endroit pour par­ler sans être jugés ; c’est ce que leur offrent les aumô­niers. Quand il y a des ten­sions, ce qui est rare, nous ser­vons d’amortisseurs. »

Un haut niveau d’exigence

Qui dit Poly­tech­nique, dit haute exi­gence intel­lec­tuelle. Et le pas­teur de témoi­gner : « Les élèves ont ceci de par­ti­cu­lier que leur for­ma­tion leur donne une grande capa­ci­té à s’interroger et à ne pas prendre pour acquis tout ce qu’on leur dit. Ils décèlent rapi­de­ment les failles d’un raisonnement. »

C’est même pour Louis Per­not, un très bon moyen de « tes­ter » sa pré­di­ca­tion domi­ni­cale. Pour confir­mer ce bon alliage entre science et reli­gion, l’aumônier jésuite nous a annon­cé qu’un centre Teil­hard de Char­din des­ti­né au dia­logue avec les cher­cheurs était en pro­jet sur le cam­pus de Saclay.

Par-dessus tout, le témoignage de la fraternité

« L’entente entre les aumô­niers est très bonne » témoigne Nadir Mehi­di. « Nous déjeu­nons régu­liè­re­ment ensemble, et c’est tou­jours une sur­prise pour les gens de voir que nous nous enten­dons bien », révèle le père Nico­las. « La preuve en est qu’à l’X nous par­ta­geons le même bureau » indique Haïm Kor­sia, « et par­fois les mêmes élèves » sur­en­ché­rit le pas­teur Pernot.

« Un des der­niers papes (NDLR pré­sident du CCX, comi­té chré­tien de l’X) était pro­tes­tant ! » Des élèves chré­tiens par­ti­cipent aux cours de Tal­mud et de Bible don­nés tous les quinze jours par Haïm Kor­sia, et lui-même par­ti­cipe aux dis­cus­sions sur la Bible avec les élèves pro­tes­tants et catholiques.

Paroles d’aumôniers de l’X

Tous disent leur joie. Pour Nadir Mehi­di, « être aumô­nier, c’est une voca­tion, c’est être prêt à aider les autres, à les écou­ter. Et être aumô­nier à l’X, c’est un régal. » C’est aus­si l’occasion de ren­con­trer de belles per­sonnes, « qui vont faire de belles choses pour la socié­té de demain » témoigne le père Nicolas.

« Ma joie de pas­teur, témoigne Louis Per­not, réside en ce contact très sti­mu­lant et exi­geant avec les élèves et aus­si dans la grande diver­si­té des per­sonnes que je ren­contre : des moni­teurs de sport, des sous-offi­ciers, des hauts gra­dés, des Prix Nobel… »

Pour Haïm Kor­sia, la notion de don est très forte à l’École. « J’ai ren­con­tré ça – et ça m’a beau­coup tou­ché – chez Caro­line Aigle (94)1, cette volon­té de vivre mais aus­si d’être prête à mourir.

Pour reprendre la devise de Spi­der­man, “un grand pou­voir implique de grandes res­pon­sa­bi­li­tés”. L’X est la meilleure école, et ses membres ont une grande res­pon­sa­bi­li­té d’exemplarité et d’engagement. Ce n’est pas ano­din que les élèves de l’X défilent en pre­mier le 14 Juillet sur les Champs-Élysées. »

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1. Le der­nier envol de l’aigle. Hom­mage ren­du au com­man­dant Caro­line Aigle (94)

4 Commentaires

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guillaume.didier.2014répondre
17 mai 2018 à 15 h 56 min

Légende de la photo

Le pré­dé­ces­seur direct du Père Nico­las est le Père Miguel Roland Gos­se­lin, et j’ai l’im­pres­sion que c’est lui et non le Père Lang sur la pho­to du baby foot.

Alix Ver­detrépondre
18 mai 2018 à 9 h 03 min
– En réponse à: guillaume.didier.2014

Mer­ci beau­coup de nous avoir

Mer­ci beau­coup de nous avoir signa­lé cette erreur, aus­si­tôt corrigée.

Weberrépondre
21 mai 2018 à 10 h 23 min

bizarrre, bizarre
Bizarre, cet article qui semble assi­mi­ler laï­ci­té et offre plu­rielle de reli­gions. En fait, selon la défi­ni­tion du Petit Robert, la laï­ci­té est « le prin­cipe de sépa­ra­tion de la socié­té civile et de la socié­té reli­gieuse, l’E­tat n’exer­çant aucun pou­voir reli­gieux et les Eglises aucun pou­voir poli­tique. « La laï­ci­té, c’est-à-dire l’E­tat neutre entre les reli­gions » (Renan) ». Il est bon de rap­pe­ler de temps en temps les fondamentaux.

28 mai 2018 à 9 h 41 min
– En réponse à: Weber

lai­ci­té
La laï­ci­té en France repose sur 3 piliers : l’État est sécu­la­ri­sé, la liber­té de croyance et de culte est garan­tie, et les croyances sont égales entre elles.
Pour reprendre wiki­pé­dia qui reprend Bau­de­lot : « cha­cun insiste davan­tage sur l’un ou sur l’autre de ces trois aspects : le laï­ciste sur la sécu­la­ri­sa­tion, le croyant, sur la liber­té de conscience, et enfin celui qui adhère à des croyances mino­ri­taires sur l’é­ga­li­té entre toutes les croyances ».
Il me semble que l’ar­ticle ne contre­dit pas ces prin­cipes, même si on peut débattre de la foca­li­sa­tion plus ou moins forte sur tel ou tel.

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