Terrils Loos-en-Gohelle

Un entrepreneur de territoire dans le bassin houiller du Pas-de-Calais

Dossier : ExpressionsMagazine N°749 Novembre 2019
Par Jacques DENANTES (49)

Nous avons déjà ren­con­tré un entre­pre­neur de ter­ri­toire qui avait revi­tal­isé le bassin d’emploi de Romans dans l’Isère, sin­istré par la délo­cal­i­sa­tion des indus­tries de la chaus­sure (J & R n° 730, décem­bre 2017). C’est ici l’histoire d’un maire, Jean-François Caron, qui a revi­tal­isé sa ville, Loos-en-Gohelle, une cité minière du Pas-de-Calais, sin­istrée par la fer­me­ture des Houil­lères en 1990. Pour racon­ter cette his­toire, j’utiliserai le compte ren­du de la con­férence qu’il a don­née à l’École de Paris du man­age­ment (EPM) et aus­si un livre que m’a remis le ser­vice d’accueil de la mairie lors d’une vis­ite à Loos.

Jean-François Caron, maire de Loos-en-Gohelle

Voici ce que dit Jean-François Caron de la fin des Houil­lères à Loos-en-Gohelle : « Nous sommes le fruit d’un siè­cle et demi d’exploitation minière inten­sive du bassin minier où des kilo­mètres de galeries ont été creusées, cer­taines jusqu’à mille mètres de pro­fondeur et ce, sous les pieds d’une pop­u­la­tion très dense. »

Les Houillères, ces microsociétés

Les villes ont générale­ment été con­stru­ites autour des puits et n’ont pas de véri­ta­ble cen­tre. La Société des mines était très encadrée. Les Houil­lères pos­sé­daient tout, mater­nités, stades, églis­es, loge­ments, asso­ci­a­tions, sécu­rité sociale… Les écono­mats des Houil­lères per­me­t­taient aux familles de s’approvisionner grâce à des car­nets, le mon­tant des achats étant directe­ment retenu sur le salaire du mineur. L’encadrement était poussé à un point tel qu’un mineur était pas­si­ble de retenues sur son salaire s’il n’entretenait pas son jardin, activ­ité jugée salu­taire puisque lui évi­tant d’être au bistrot ou au syndicat.

Vue de Loos-en-Gohelle, anci­enne cité minière du Pas-de-Calais

La fin d’un monde

Avec la fer­me­ture des mines, le bassin a per­du 220 000 emplois, d’où un chô­mage con­sid­érable mal­gré les trans­ferts indus­triels. Mal remise de la tutelle des Houil­lères, la pop­u­la­tion avait un immense prob­lème d’image de soi. Le méti­er de mineur avait été un fleu­ron de l’activité ouvrière, avec sa mytholo­gie. Avec la fin de l’activité char­bon­nière, cette image a été oubliée et les habi­tants du bassin houiller sont devenus mas­sive­ment chômeurs dans une région en voie de sous-développement.

L’empreinte des Houillères

Il était resté des séquelles sur le ter­rain ; les ter­rils et, au pied des ter­rils, le car­reau de la fos­se 11/19 avec le chevale­ment du puits 11, la tour d’extraction en béton du puits 19 et les bureaux. L’urbanisation était celle des cités minières, une sorte de ban­lieue de lotisse­ments maisons indi­vidu­elles autour du car­reau de la fos­se. « À Loos-en-Gohelle où neuf sites étaient naguère en activ­ité, le sol de la com­mune a bais­sé de quinze mètres suite aux affaisse­ments miniers. Les ruis­seaux coulent à con­tre­sens et les points bas ne cessent de chang­er, ce qui crée des prob­lèmes pour l’assainissement. »

L’engagement de Jean-François Caron

Élu con­seiller région­al en 1992, il est devenu maire de Loos-en-Gohelle, suc­cé­dant à son père en 2001. La qual­ité de son écoute, le dynamisme de sa ges­tion et le sens qu’il a su don­ner à son action lui ont valu une grande pop­u­lar­ité ; en 2008, il a été réélu avec 82,1 % des suf­frages. Remar­quable ora­teur, sa répu­ta­tion a dépassé les lim­ites de la région Nord. Il tra­vaille avec Jere­my Rifkin, un spé­cial­iste améri­cain de la prospec­tive économique et sci­en­tifique. Présen­tée par ce dernier comme « ville des solu­tions », Loos a été sélec­tion­née pour une vis­ite de ter­rain de la con­férence Cop 21 qui s’est tenue à Paris en 2015. Un TGV devait amen­er à Loos cinq cents con­gres­sistes du monde entier. Mal­heureuse­ment les atten­tats du 13 novem­bre 2015 ont con­traint les autorités à annuler cette vis­ite que la ville avait soigneuse­ment pré­parée. Quand il présente son action à Loos, Jean-François Caron se réfère à trois pri­or­ités qui sont l’implication des habi­tants, la val­ori­sa­tion du passé minier et le développe­ment durable.


Jeremy Rifkin

Jere­my Rifkin est un essay­iste améri­cain, théoricien de la troisième révo­lu­tion indus­trielle comme seule solu­tion mon­di­ale pos­si­ble à la crise énergé­tique et économique. Il est à l’origine de la fon­da­tion de prospec­tive Foun­da­tion on Eco­nom­ics Trends (FOET) et a con­seil­lé plusieurs chefs d’État notam­ment européens comme Romano Pro­di ou Angela Merkel.


L’implication des habitants

« Dans la vie de la com­mune, les habi­tants sont devenus des acteurs. Par exem­ple, la ville a instal­lé un jardin péd­a­gogique pour les enfants, mais ce sont les par­ents ou les grands-par­ents qui l’entretiennent. Nous avons mul­ti­plié les par­tic­i­pa­tions des habi­tants à de petites dynamiques, à moins de 1 000 € cha­cune, des fêtes de quarti­er, des voy­ages à la mer avec des enfants qui ne l’ont jamais vue, etc. Nous avons dévelop­pé le con­cept de fifty-fifty : si les habi­tants pren­nent des ini­tia­tives, la com­mune y con­tribue dans le cadre d’une charte qui définit les rôles respec­tifs. Le fleurisse­ment des quartiers est élaboré en com­mun avec la mairie. Celle-ci four­nit les jar­dinières et les fleurs en début de sai­son ; les habi­tants en assurent l’entretien. Nous avons aus­si refait les chemins agri­coles avec les agricul­teurs de la com­mune. Ils ont fourni leurs bennes pour charg­er les matéri­aux et nous avons loué le rouleau. Depuis ils évi­tent de creuser des ornières dans les chemins qui les desser­vent. Avec les ado­les­cents, nous avons conçu et réal­isé un skate park, ce qui a per­mis de les ren­dre con­scients des ques­tions de régle­men­ta­tion et de coût. »

Au pied des ter­rils, il y a le car­reau de la fos­se 11/19 avec le chevale­ment, la tour d’extraction et les bureaux.

La valorisation du passé minier

Les autorités qui avaient pris la déci­sion de fer­mer les Houil­lères voulaient en faire dis­paraître les traces. Loos a fait un choix opposé car Jean-François Caron esti­mait qu’on ne pou­vait con­stru­ire l’avenir sur un reniement. « Nous avons deux ter­rils mer­veilleux, les plus hauts d’Europe, 146,5 mètres de hau­teur, soit très exacte­ment celle de la grande pyra­mide de Khéops en Égypte. » Il fal­lait donc les con­serv­er et les met­tre en valeur. Bien avant d’être maire, avec d’autres jeunes de Loos, Jean-François Caron s’était intéressé à la revi­tal­i­sa­tion des ter­rils. « Nous y avons décou­vert une faune et une flo­re très intéres­santes, qui étaient en pleine recon­quête de cet espace indus­triel. » Ils ont créé en 1987 une Asso­ci­a­tion des Nat­u­ral­istes de la Gohelle dont l’activité a per­suadé la pré­fec­ture de pren­dre un arrêté de biotope qui a sauvé les ter­rils. De là est venue l’idée qu’a mise en œuvre Jean-François Caron, une fois devenu maire, d’en amé­nag­er les accès, d’organiser des activ­ités de décou­verte de la faune et de la flo­re et surtout de les inté­gr­er dans la créa­tion d’un parc urbain qui, avec l’image du ter­ril, val­ori­sait celle du bassin minier.

Le développement durable

Au pied des ter­rils, il y a le car­reau de la fos­se 11/19 avec le chevale­ment, la tour d’extraction et les bureaux. Rebap­tisée Base 11/19, elle est dev­enue un autre sym­bole de la résilience des Loos­sois, qui se sont réap­pro­prié le site pour en faire le siège d’un nou­veau mod­èle de développe­ment économique. Les pre­mières activ­ités à s’y implanter étaient des asso­ci­a­tions : La Chaîne des Ter­rils, qui défend le pat­ri­moine minier et sa bio­di­ver­sité, et Cul­ture Com­mune, une asso­ci­a­tion de créa­tion artis­tique et de spec­ta­cles. En 2002, Jean-François Caron, qui est alors vice-prési­dent du Con­seil région­al, a sus­cité la créa­tion de l’association Créa­tion et Développe­ment des écoen­tre­pris­es (CD2e) à par­tir du con­stat suiv­ant : « La région Nord-Pas-de-Calais capte énor­mé­ment de finance­ments publics-privés afin de restau­r­er son envi­ron­nement dégradé par l’histoire indus­trielle, mais le ter­ri­toire ne dis­pose pas des entre­pris­es capa­bles de répon­dre locale­ment à ces marchés… Il fal­lait donc créer de l’intelligence col­lec­tive en organ­isant la veille tech­nologique, tech­nique et juridique et un repérage des labos de recherche de la région. »

Promouvoir l’écoconstruction

L’association CD2e s’est d’abord occupée de pro­mou­voir l’écoconstruction et les éco­matéri­aux avec deux cibles, « la prin­ci­pale con­cer­nant la pro­mo­tion et l’accompagnement des entre­pris­es, la sec­onde visant les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales pour les con­seiller et les assis­ter dans leur maîtrise d’ouvrage ». La Base 11/19 est dev­enue un pôle d’attraction. « Au fil des années, l’association s’est ouverte à d’autres secteurs comme l’eau, l’énergie, l’économie cir­cu­laire… Actuelle­ment l’association CD2e qui emploie une ving­taine de salariés dis­pose d’un annu­aire de plus de cinq cents acteurs régionaux sur l’écoconstruction et d’un cat­a­logue de cent cinquante éco­matéri­aux. » Un « théâtre des éco-matéri­aux » fait office de démon­stra­teur auprès des pro­fes­sion­nels (archi­tectes, bureaux d’études, chefs d’entreprise), mais aus­si des chercheurs et du grand pub­lic qui peu­vent décou­vrir et touch­er les matières pre­mières de l’écoconstruction. L’offre de ser­vice com­porte aus­si des for­ma­tions : les Appren­tis d’Auteuil ont ouvert à Loos un cen­tre de for­ma­tion pour trois cent cinquante appren­tis dans les métiers de l’écoconstruction. « Nous avons égale­ment la cen­trale solaire Lumi­watt qui teste une cen­taine de tech­nolo­gies inno­vantes et con­tribue au développe­ment de com­pé­tences pho­to­voltaïques à forte valeur ajoutée, en col­lab­o­ra­tion avec dif­férentes écoles d’ingénieurs et d’architecture de la région. »

« En dix ans, le site du 11/19 s’est totale­ment trans­for­mé. Tout en préser­vant la mémoire du passé grâce à la val­ori­sa­tion pat­ri­mo­ni­ale du lieu, la ville de Loos-en-Gohelle a relevé le défi du renou­veau économique en faisant de la Base 11/19 la zone phare du développe­ment durable dans la région. »


CD2e

Créé en 2002, le Cen­tre de développe­ment des écoen­tre­pris­es est basé à Loos-en-Gohelle mais égale­ment à Lille et Amiens, et a pour mis­sion de soutenir, con­seiller et for­mer les entre­pris­es et les ter­ri­toires dans le secteur du développe­ment durable (tran­si­tion écologique, bâti­ment, éner­gies renou­ve­lables, économie cir­cu­laire, etc.).
Pour en savoir plus sur le CD2e


Une ville pionnière de la transition écologique

Avec la Base 11/19 dev­enue « zone phare du développe­ment durable dans la région Nord-Pas-de-Calais », Loos-en-Gohelle a acquis la répu­ta­tion de ville pio­nnière de la tran­si­tion écologique. Au-delà de cet accom­plisse­ment, la munic­i­pal­ité a mul­ti­plié les réal­i­sa­tions sur son ter­ri­toire munic­i­pal : la toi­ture de l’église a été recou­verte de pan­neaux pho­to­voltaïques, et surtout a pris forme le pro­jet de cein­ture verte. « Cette cein­ture verte forme une boucle per­me­t­tant de reli­er dif­férents points stratégiques de la ville sans emprunter les infra­struc­tures routières. Les vélos et les pié­tons y sont les rois, que ce soit pour les balades du dimanche ou pour rejoin­dre les écoles, la Base 11/19 ou cer­tains quartiers de Loos. Ses con­tours utilisent à cer­tains endroits les cav­a­liers des mines, ces talus sur lesquels roulaient les trains pour char­ri­er le char­bon. Trans­for­més en sen­tiers de prom­e­nade ou de liai­son entre les quartiers, ce sont main­tenant les hommes qui les empruntent. »

L’église Saint-Vaast cou­verte de pan­neaux photovoltaïques.

Une ville en voie de redéveloppement

Entourée de bou­tiques, fleurie et avenante, la place de la mairie est le cen­tre de la com­mune de Loos. L’itinéraire d’accès à la Base 11/19 est bal­isé et c’est de la Base que part la route qui monte sur les ter­rils. La végé­ta­tion arbores­cente, très dense en bas, ne les recou­vre pas encore. Du som­met, on voit d’autres ter­rils et des lotisse­ments miniers à perte de vue, au milieu de grandes sur­faces cul­tivées. Quand, venant de Lille, on par­court cette inter­minable ban­lieue, on y ren­con­tre un mon­u­ment, le grand stade de Lens, et un espace priv­ilégié, le musée du Lou­vre-Lens, lui aus­si implan­té sur le car­reau d’une anci­enne fosse.

Loos est au milieu d’une grande région de six mil­lions d’habitants qu’on appelle main­tenant les Hauts-de-France. Ayant été la pre­mière à s’industrialiser au XIXe siè­cle, la région a con­nu à la fin du XXe les déclins suc­ces­sifs des indus­tries tex­tiles, des char­bon­nages et de la sidérurgie. Elle est depuis ce temps tout entière con­fron­tée à la néces­sité de trou­ver de nou­velles voies pour son développe­ment. La com­mu­nauté urbaine de Lille, qui a pris de nom de Métro­pole européenne de Lille, a mis l’accent sur le développe­ment des activ­ités numériques, elle s’est fait recon­naître en 2019 « Cap­i­tale mon­di­ale du design » et l’action Vit­a­mine T de résorp­tion du chô­mage de longue durée, que nous avons présen­tée dans La J & R n° 746, a été lancée à l’initiative d’un adjoint à la maire de Lille.

Dans cette région, Loos est une petite ville de 8 000 habi­tants, mais le dynamisme de son maire lui vaut la répu­ta­tion de ville pio­nnière de la tran­si­tion écologique. Elle reçoit des aides finan­cières de l’Ademe et de la Com­mu­nauté européenne. L’Ademe fait val­oir ses réal­i­sa­tions comme un mod­èle à suiv­re. Enfin, les résul­tats élec­toraux de Jean-François Caron en font un exem­ple digne d’attention pour tous les maires de la région.


Ressources

Compte ren­du de la séance du 13 mai 2016 de l’École de Paris du man­age­ment rédigé par Pas­cal Lefeb­vre à retrou­ver sur le site de l’EPM.

Chibani-Jacquot (Philippe), Loos-en-Gohelle, Ville pilote du développe­ment durable, édi­tions Les Petits Matins, Paris 2015.

Rifkin (Jere­my), Chem­la (Paul), Chem­la (Françoise), La troisième révo­lu­tion indus­trielle, Actes Sud, Col­lec­tion Babel, 2013.

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