L’omniscience de l’information selon Arlequin AI

Arlequin AI est une société d’IA de pointe spécialisée dans l’analyse des données sociales, créatrice de l’HuDEx, un outil permettant de détecter et de prédire les tendances clés dans les dynamiques sociales en ligne. Hugo Micheron, CEO et cofondateur, nous dévoile les applications concrètes de la technologie de Arlequin AI et les perspectives de cette entreprise innovante.
Pouvez-vous nous expliquer comment Arlequin AI se distingue des autres entreprises d’IA en matière d’analyse des données sociales ?
Arlequin AI se distingue par une double expertise, une expertise thématique et une expertise technologique avancée, qui se reflète dans le parcours de ses cofondateurs : je suis spécialiste du Moyen-Orient et du djihadisme et Antoine Jardin expert en IA et en data science au CNRS ; il a notamment participé au PNRIA (Programme national de recherche en IA).
Contrairement à ce qui se fait généralement en IA, notre approche va bien au-delà des LLM. Nous développons des outils ultra-performants, souverains et entièrement auditables, sans boîte noire. Notre approche consiste à renforcer l’expertise des professionnels qui ne sont pas des spécialistes en technologie. De la sorte, Arlequin permet 3 choses :
- l’exhaustivité (l’intégralité de la donnée est traitée),
- l’efficacité (une analyse peut être réalisée en quelques minutes, créant un gain de productivité considérable),
- et l’objectivité (absence de biais, permettant la certification des résultats obtenus).
Cette démarche permet de raccourcir les circuits de décision, de faciliter l’anticipation, l’alerte, l’application et l’activation à grande échelle sur des sujets allant de la Sécurité/Défense à la prise de décision stratégique dans le secteur privé.
Comment l’HuDex (Human Data Explorer) d’Arlequin AI aide-t-il les entreprises et les industries à anticiper les tendances sociales et à prendre des décisions stratégiques ?
Nous avons pour ambition d’accompagner à la fois les entreprises et le secteur public. Notre architecture d’IA a été conçue selon une approche radicalement différente de celle des acteurs étasuniens, qui misent sur la brute force : volumes de données d’entraînement et traitement illimités, puissance de calcul illimitée et financements massifs.
En Europe, il nous faut nous affranchir de cette logique. Nous faisons le choix d’une architecture fondée sur des briques spécialisées que nous développons et paramétrons nous-mêmes à partir de l’open source. Cette approche est proche de celle popularisée par Deepseek, à ceci près que nous nous appuyons exclusivement sur des composants souverains.
Nos systèmes offrent des performances supérieures à celles des grands modèles généralistes, pour une fraction du coût, reposant sur un déploiement flexible multi-plateforme hybride en GPU et CPU. Ils s’appuient sur des algorithmes d’IA non supervisée, capables de traiter les données sans introduire de biais. Nous ne créons donc pas un énième LLM, mais bien un modèle de compréhension.
L’HuDEx est un outil data-agnostic, capable de traiter des données structurées ou non structurées (texte, image, audio, vidéo). Son fonctionnement s’apparente à celui de l’imagerie médicale : l’utilisateur ne formule aucune requête (contrairement à ChatGPT), il se contente d’uploader ses données dans l’HuDEx, qui en réalise un scan intégral et fait apparaître la structure naturelle de l’information. L’utilisateur devient ainsi omniscient des éléments pertinents et peut, en quelques minutes, en extraire la valeur.
Pouvez-vous me décrire la technologie et la vision de votre entreprise ?
La philosophie d’Arlequin est de laisser l’IA gérer les tâches automatisables, tandis que l’humain se concentre sur l’interprétation et l’expertise. Notre approche européenne, conceptuelle, est issue de la recherche fondamentale au CNRS.
“Face aux géants de la tech, nous sommes une motocross coupant à travers la montagne, avec des modèles légers, open-source et composites.”
Nous considérons que les géants de la tech, aux États-Unis et en Chine, sont des camions lancés à toute vitesse sur une autoroute qu’ils présentent comme celle de l’AGI (Artificial General Intelligence). Face à eux, nos modèles de compréhension sont une motocross légère fabriquée à partir de composants issus de l’open source. En bénéficiant du dynamisme de la communauté, nous pouvons adapter une roue, un élément du carburateur, un guidon à tout instant pour aller plus vite. En coupant à travers la montagne, il n’est pas exclu que nos modèles nous mènent plus vite vers l’AGI. Cela demande une grande ambition deeptech. Nous restons une petite entreprise, en phase d’amorçage, finalisant une levée de fonds de 5M€, mais avec la volonté d’aller très vite.
Quels sont les principaux défis auxquels vous êtes confrontés lors du développement et de l’intégration de vos modèles d’IA ?
Le principal défi réside dans le traitement de données très sensibles, qui impose un développement on-premise et davantage d’ingénierie — ce que nous proposons désormais.
La difficulté a surtout été de trouver des interlocuteurs comprenant réellement la technologie et ses enjeux. Les investisseurs ne saisissent pas toujours la portée de l’IA, se focalisant parfois sur des applications banales. Il faut se recentrer sur la deeptech et son déploiement rapide. L’IA permet d’itérer plus vite, d’avoir une ambition monumentale et de concevoir des outils capables de financer la croissance avec un business plan crédible. Mais encore faut-il distinguer les vrais acteurs de l’IA des nombreux prétendants. C’est un défi pour tous, du financement au déploiement.
Du côté de l’ingénierie, un véritable enjeu de « palantirisation » se pose pour notre produit. Compte tenu de notre ambition et de notre conviction quant à l’ubiquité de l’IA, nous avons choisi d’aborder un défi qui dépasse la seule dimension technologique : un défi d’ingénierie. Il s’agit de rendre notre pipeline, initialement calibrée pour des usages spécifiques, généralisable, sans compromettre sa pertinence.
Comment contribuez-vous à la lutte contre la désinformation sur les réseaux sociaux ?
J’ai travaillé sur la désinformation des groupes djihadistes en ligne, et Arlequin a été créée à l’origine pour comprendre leurs modes de fonctionnement. Ces méthodes sont similaires à celles utilisées par les rivaux géopolitiques de l’Europe et leurs proxys. Notre approche repose sur la conviction que l’IA redéfinit les attributs du pouvoir. Les algorithmes ne sont pas neutres, à l’image de ceux de TikTok ou X qui mettent en avant des contenus ultra-politisés, virulents et biaisés. Face à cela, le contre-pouvoir passe par les contre-algorithmes. L’Europe doit en développer pour faire face à cette nouvelle réalité, et elle dispose déjà du cadre légal nécessaire : la législation DSA, notamment l’article 40, qui traite des risques systémiques.
Chez Arlequin, nous utilisons nos outils pour objectiver les dynamiques informationnelles et mesurer le poids des narratifs hostiles. Plutôt que de nous concentrer sur les comptes influents, nous analysons la sémantique (texte, image, audio, vidéo), car l’influence circule souvent entre les communautés et les petits comptes. En suivant les narratifs, nous détectons la propagation des discours hostiles et quantifions ces dynamiques pour orienter des décisions efficaces.
En tant que chercheur et enseignant à Sciences Po, comment percevez-vous l’évolution de l’IA dans le contexte démocratique et quelles implications cela pourrait-il avoir ?
Je me suis tourné vers l’IA car, en tant que chercheur en sciences sociales, cela était indispensable pour ne pas être dépassé. À Princeton, en 2023, j’ai réalisé l’importance de comprendre les dynamiques informationnelles et leur impact concret sur la sécurité. Si des chercheurs comme Antoine Jardin et moi avons fait ce chemin, c’est qu’il y a vraiment une révolution en cours. D’autres acteurs comme nous vont émerger.
L’IA est un enjeu politique majeur, et il est crucial que les sciences sociales s’en emparent. Il ne faut surtout pas cantonner l’analyse des mutations en cours à l’angle purement technique. Ces mutations ont des impacts considérables sur nos sociétés. La tradition intellectuelle de Polytechnique et de Sciences Po, qui combine sciences sociales et sciences dures, est essentielle dans ce domaine. À ce titre, un des conseillers d’Arlequin AI est Arthur Dénouveaux, diplômé de l’X en 2005. Nous sommes convaincus qu’innover avec ambition et des moyens raisonnables peut avoir un impact considérable.
“L’IA est un enjeu politique majeur, et il est crucial que les sciences sociales s’en emparent.”
Il est impératif de retenir les talents en Europe. J’ai constaté que les ingénieurs français, qui occupent des postes très élevés et bien rémunérés aux États-Unis, accepteraient de revenir en France, même pour un salaire réduit, à une seule condition : travailler sur un projet ambitieux. Les tensions géopolitiques actuelles renforcent davantage cette tendance. C’est ce que nous devons recréer dans les secteurs public et privé. Il est grand temps d’être à la hauteur de ce virage stratégique qui s’opère dans le monde entier et qui place l’Europe et la France à un carrefour. C’est notre approche à notre échelle, chez Arlequin.
Contact
229 rue Saint-Honoré, 75001 Paris