L’intelligence artificielle au service des géosciences : les avancées du BRGM

Le BRGM intègre l’IA dans de multiples applications pouvant aller de l’exploration minérale à la gestion des ressources naturelles et des risques environnementaux. Comment ces technologies transforment les pratiques et quels sont les défis et opportunités à venir ? Les réponses de Sébastien Dupraz, chercheur au BRGM et directeur du programme régional JUNON.
Comment le BRGM intègre-t-il l’intelligence artificielle dans ses recherches et ses missions pour la gestion des ressources naturelles et des risques environnementaux ?
L’intelligence artificielle est devenue un outil essentiel au BRGM, et est appliquée dans de nombreux domaines. Elle est utilisée dans le cadre de modélisations prédictives, notamment pour anticiper l’évolution des ressources naturelles comme le niveau des nappes phréatiques et l’analyse des risques environnementaux tels que les mouvements de terrain. Elle permet également le développement de modèles analytiques facilitant, par exemple, la déconvolution de signaux complexes en analyse spectrale. Enfin, l’IA est aussi employée pour la valorisation des archives scientifiques en structurant et en rendant exploitables d’anciens documents. Le BRGM s’intéresse également au déploiement interne d’IA spécialisées, comme les systèmes RAG (Retrieval-Augmented Generation), conçus pour fournir des réponses précises et justifiées aux chercheurs sur les ressources naturelles. En intégrant ces technologies, le BRGM optimise la gestion des ressources, améliore la prévention des risques et valorise son patrimoine scientifique tout en garantissant la fiabilité des analyses.
Quels sont les principaux défis dans l’application de l’IA aux sciences de la Terre, notamment en matière de modélisation et de prédiction ?
Tout d’abord, la quantité et la qualité des données d’entraînement sont cruciales. Les modèles de Machine Learning nécessitent un volume important de données précises et interopérables, or celles-ci proviennent d’une variété de sources et méthodologies différentes pouvant engendrer des biais dans l’apprentissage. Certains paramètres, comme la température ou la qualité de l’air, sont mesurés en continu par des capteurs, garantissant une collecte fiable et automatisée. D’autres, en revanche, nécessitent des campagnes de terrain, comme la biodiversité ou la chimie. Ces relevés ponctuels sont plus coûteux et irréguliers, rendant leur intégration dans des approches automatisées plus complexe.
Un autre défi réside dans le choix et la validation des modèles IA. Pour garantir la pertinence des simulations, il est essentiel d’évaluer leurs résultats avec les données réelles correspondantes. Fréquemment, ces jeux de données ne sont pas ou peu disponibles, notamment pour des paramètres complexes. Par exemple, lorsqu’un modèle prédictif tente d’anticiper le niveau d’une nappe phréatique à un mois d’intervalle, il faut attendre la mesure réelle un mois plus tard pour en vérifier l’exactitude et procéder aux ajustements nécessaires.
L’un des principaux enjeux de l’IA appliquée aux sciences de la Terre est donc d’assurer une collecte et un traitement de données suffisamment homogènes et réguliers afin de garantir la faisabilité et la fiabilité des modèles.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret où l’IA est employée dans une étude ou un projet mené par le BRGM, notamment en matière de cartographie d’exploration ou de gestion des ressources naturelles ?
Le BRGM utilise l’IA dans plusieurs projets, notamment pour la cartographie prédictive en exploration minérale via le projet DROP. Grâce aux algorithmes de Machine Learning, il est possible d’identifier les zones les plus favorables à la découverte de gisements de métaux et terres rares en analysant des données géologiques, hydrogéographiques et structurelles. Cette approche permet d’optimiser l’exploration en réduisant les coûts et le temps de recherche.
Un autre projet clé est le programme ARD Junon, qui développe des jumeaux numériques pour la gestion des ressources naturelles. Ces répliques virtuelles permettent de simuler l’évolution des nappes phréatiques, de prédire la qualité des eaux et de l’air ou encore de suivre les flux de gaz à effet de serre sur le territoire régional. Ce programme, financé par la région Centre-Val de Loire, réunit plusieurs partenaires académiques et industriels afin d’améliorer la prise de décision dans le cadre d’une gestion environnementale collective.
Ces innovations illustrent le rôle croissant de l’IA dans les géosciences qui, en améliorant les simulations, contribuent plus fortement aux prises de décision.
L’IA a un fort potentiel pour la prévention des risques naturels, tels que les séismes ou les inondations. Quels sont les projets réalisés au BRGM qui exploitent l’IA dans ce domaine ?
Le BRGM a développé Suricat NAT, une plateforme exploitant l’IA pour analyser en temps réel les catastrophes naturelles en France à partir des réseaux sociaux, notamment Twitter (X). Grâce à des algorithmes de Machine Learning, l’IA identifie les informations pertinentes issues des témoignages en ligne, tout en filtrant les rumeurs. Ces données sont ensuite croisées avec des bases existantes et enrichies par des questionnaires afin d’affiner l’évaluation des événements. Depuis 2017, Suricat NAT a référencé plusieurs crises majeures, comme les inondations de 2018 et le séisme de Mayotte. Cette initiative vise à améliorer la gestion des crises et à renforcer la culture du risque, optimisant ainsi la réactivité des dispositifs d’alerte et de prévention. Le BRGM développe également des applications sur d’autres domaines liés aux risques comme l’évolution du trait de côte. Ces approches utilisent des métamodèles basés sur l’IA afin de gagner en rapidité et flexibilité de simulation.
L’accès et la qualité des données sont essentiels pour l’IA. Comment le BRGM collecte-t-il et traite-t-il ces données géologiques et environnementales afin de les rendre exploitables par les algorithmes ?
L’IA appliquée aux géosciences repose sur un cycle rigoureux de gestion des données, de leur collecte à leur exploitation. Le BRGM recueille ces données à partir de capteurs, de réseaux de surveillance et de campagnes de terrain, en complément d’informations issues de sources externes comme Météo-France par exemple.
Une fois collectées, les données sont stockées, qualifiées et traitées pour garantir leur fiabilité. Cela inclut la correction des erreurs, l’élimination des doublons et l’application des standards FAIR (Findable, Accessible, Interoperable, Reusable) pour assurer leur employabilité.
Enfin, seules les données répondant à des critères stricts de quantité, qualité et continuité temporelle sont intégrées aux algorithmes de machine learning. Ce processus permet d’optimiser l’apprentissage des différents modèles de machine learning que nous utilisons.
Comment l’intelligence artificielle va-t-elle transformer les métiers liés aux géosciences et quels conseils donneriez-vous aux étudiants et jeunes ingénieurs souhaitant évoluer à cette interface ?
L’intelligence artificielle révolutionne les géosciences en automatisant la gestion des données, en améliorant les prédictions et en permettant l’accès à une nouvelle diversité d’applications. La cartographie prédictive, la surveillance des risques et la modélisation environnementale bénéficieront de ces avancées, nécessitant des profils hybrides alliant expertise en géosciences et compétences en data science.
“L’intelligence artificielle révolutionne les géosciences en automatisant la gestion des données, en améliorant les prédictions et en permettant l’accès à une nouvelle diversité d’applications.”
Pour se préparer à ces évolutions, il est essentiel de maîtriser les bases en mathématiques, statistiques et la programmation en Python notamment. Une bonne connaissance des géosciences est également indispensable afin d’interpréter et raisonner les flux de données associés à l’IA.
Cette double compétence peut s’acquérir lors de la formation initiale ou bien à travers des stages et des projets de recherche. La capacité à dialoguer avec des experts des deux domaines reste toujours déterminante pour réussir à se démarquer dans ces métiers d’interface.
Pour en savoir plus : https://www.brgm.fr/fr/programme/junon-jumeaux-numeriques-au-service-ressources-naturelles