L’intelligence artificielle au service des géosciences : les avancées du BRGM

L’intelligence artificielle au service des géosciences : les avancées du BRGM

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Sébastien DUPRAZ

Le BRGM intègre l’IA dans de mul­tiples appli­ca­tions pou­vant aller de l’exploration miné­rale à la ges­tion des res­sources natu­relles et des risques envi­ron­ne­men­taux. Com­ment ces tech­no­lo­gies trans­forment les pra­tiques et quels sont les défis et oppor­tu­ni­tés à venir ? Les réponses de Sébas­tien Dupraz, cher­cheur au BRGM et direc­teur du pro­gramme régio­nal JUNON.

Comment le BRGM intègre-t-il l’intelligence artificielle dans ses recherches et ses missions pour la gestion des ressources naturelles et des risques environnementaux ?

L’intelligence arti­fi­cielle est deve­nue un outil essen­tiel au BRGM, et est appli­quée dans de nom­breux domaines. Elle est uti­li­sée dans le cadre de modé­li­sa­tions pré­dic­tives, notam­ment pour anti­ci­per l’évolution des res­sources natu­relles comme le niveau des nappes phréa­tiques et l’analyse des risques envi­ron­ne­men­taux tels que les mou­ve­ments de ter­rain. Elle per­met éga­le­ment le déve­lop­pe­ment de modèles ana­ly­tiques faci­li­tant, par exemple, la décon­vo­lu­tion de signaux com­plexes en ana­lyse spec­trale. Enfin, l’IA est aus­si employée pour la valo­ri­sa­tion des archives scien­ti­fiques en struc­tu­rant et en ren­dant exploi­tables d’anciens docu­ments. Le BRGM s’intéresse éga­le­ment au déploie­ment interne d’IA spé­cia­li­sées, comme les sys­tèmes RAG (Retrie­val-Aug­men­ted Gene­ra­tion), conçus pour four­nir des réponses pré­cises et jus­ti­fiées aux cher­cheurs sur les res­sources natu­relles. En inté­grant ces tech­no­lo­gies, le BRGM opti­mise la ges­tion des res­sources, amé­liore la pré­ven­tion des risques et valo­rise son patri­moine scien­ti­fique tout en garan­tis­sant la fia­bi­li­té des analyses.

Quels sont les principaux défis dans l’application de l’IA aux sciences de la Terre, notamment en matière de modélisation et de prédiction ?

Tout d’abord, la quan­ti­té et la qua­li­té des don­nées d’entraînement sont cru­ciales. Les modèles de Machine Lear­ning néces­sitent un volume impor­tant de don­nées pré­cises et inter­opé­rables, or celles-ci pro­viennent d’une varié­té de sources et métho­do­lo­gies dif­fé­rentes pou­vant engen­drer des biais dans l’apprentissage. Cer­tains para­mètres, comme la tem­pé­ra­ture ou la qua­li­té de l’air, sont mesu­rés en conti­nu par des cap­teurs, garan­tis­sant une col­lecte fiable et auto­ma­ti­sée. D’autres, en revanche, néces­sitent des cam­pagnes de ter­rain, comme la bio­di­ver­si­té ou la chi­mie. Ces rele­vés ponc­tuels sont plus coû­teux et irré­gu­liers, ren­dant leur inté­gra­tion dans des approches auto­ma­ti­sées plus complexe.

Un autre défi réside dans le choix et la vali­da­tion des modèles IA. Pour garan­tir la per­ti­nence des simu­la­tions, il est essen­tiel d’évaluer leurs résul­tats avec les don­nées réelles cor­res­pon­dantes. Fré­quem­ment, ces jeux de don­nées ne sont pas ou peu dis­po­nibles, notam­ment pour des para­mètres com­plexes. Par exemple, lorsqu’un modèle pré­dic­tif tente d’anticiper le niveau d’une nappe phréa­tique à un mois d’intervalle, il faut attendre la mesure réelle un mois plus tard pour en véri­fier l’exactitude et pro­cé­der aux ajus­te­ments nécessaires.

L’un des prin­ci­paux enjeux de l’IA appli­quée aux sciences de la Terre est donc d’assurer une col­lecte et un trai­te­ment de don­nées suf­fi­sam­ment homo­gènes et régu­liers afin de garan­tir la fai­sa­bi­li­té et la fia­bi­li­té des modèles.

Pouvez-vous nous donner un exemple concret où l’IA est employée dans une étude ou un projet mené par le BRGM, notamment en matière de cartographie d’exploration ou de gestion des ressources naturelles ?

Le BRGM uti­lise l’IA dans plu­sieurs pro­jets, notam­ment pour la car­to­gra­phie pré­dic­tive en explo­ra­tion miné­rale via le pro­jet DROP. Grâce aux algo­rithmes de Machine Lear­ning, il est pos­sible d’identifier les zones les plus favo­rables à la décou­verte de gise­ments de métaux et terres rares en ana­ly­sant des don­nées géo­lo­giques, hydro­géo­gra­phiques et struc­tu­relles. Cette approche per­met d’optimiser l’exploration en rédui­sant les coûts et le temps de recherche.

Un autre pro­jet clé est le pro­gramme ARD Junon, qui déve­loppe des jumeaux numé­riques pour la ges­tion des res­sources natu­relles. Ces répliques vir­tuelles per­mettent de simu­ler l’évolution des nappes phréa­tiques, de pré­dire la qua­li­té des eaux et de l’air ou encore de suivre les flux de gaz à effet de serre sur le ter­ri­toire régio­nal. Ce pro­gramme, finan­cé par la région Centre-Val de Loire, réunit plu­sieurs par­te­naires aca­dé­miques et indus­triels afin d’améliorer la prise de déci­sion dans le cadre d’une ges­tion envi­ron­ne­men­tale collective.

Ces inno­va­tions illus­trent le rôle crois­sant de l’IA dans les géos­ciences qui, en amé­lio­rant les simu­la­tions, contri­buent plus for­te­ment aux prises de décision.

L’IA a un fort potentiel pour la prévention des risques naturels, tels que les séismes ou les inondations. Quels sont les projets réalisés au BRGM qui exploitent l’IA dans ce domaine ?

Le BRGM a déve­lop­pé Suri­cat NAT, une pla­te­forme exploi­tant l’IA pour ana­ly­ser en temps réel les catas­trophes natu­relles en France à par­tir des réseaux sociaux, notam­ment Twit­ter (X). Grâce à des algo­rithmes de Machine Lear­ning, l’IA iden­ti­fie les infor­ma­tions per­ti­nentes issues des témoi­gnages en ligne, tout en fil­trant les rumeurs. Ces don­nées sont ensuite croi­sées avec des bases exis­tantes et enri­chies par des ques­tion­naires afin d’affiner l’évaluation des évé­ne­ments. Depuis 2017, Suri­cat NAT a réfé­ren­cé plu­sieurs crises majeures, comme les inon­da­tions de 2018 et le séisme de Mayotte. Cette ini­tia­tive vise à amé­lio­rer la ges­tion des crises et à ren­for­cer la culture du risque, opti­mi­sant ain­si la réac­ti­vi­té des dis­po­si­tifs d’alerte et de pré­ven­tion. Le BRGM déve­loppe éga­le­ment des appli­ca­tions sur d’autres domaines liés aux risques comme l’évolution du trait de côte. Ces approches uti­lisent des méta­mo­dèles basés sur l’IA afin de gagner en rapi­di­té et flexi­bi­li­té de simulation.

L’accès et la qualité des données sont essentiels pour l’IA. Comment le BRGM collecte-t-il et traite-t-il ces données géologiques et environnementales afin de les rendre exploitables par les algorithmes ?

L’IA appli­quée aux géos­ciences repose sur un cycle rigou­reux de ges­tion des don­nées, de leur col­lecte à leur exploi­ta­tion. Le BRGM recueille ces don­nées à par­tir de cap­teurs, de réseaux de sur­veillance et de cam­pagnes de ter­rain, en com­plé­ment d’informations issues de sources externes comme Météo-France par exemple.

Une fois col­lec­tées, les don­nées sont sto­ckées, qua­li­fiées et trai­tées pour garan­tir leur fia­bi­li­té. Cela inclut la cor­rec­tion des erreurs, l’élimination des dou­blons et l’application des stan­dards FAIR (Fin­dable, Acces­sible, Inter­ope­rable, Reu­sable) pour assu­rer leur employabilité.

Enfin, seules les don­nées répon­dant à des cri­tères stricts de quan­ti­té, qua­li­té et conti­nui­té tem­po­relle sont inté­grées aux algo­rithmes de machine lear­ning. Ce pro­ces­sus per­met d’optimiser l’apprentissage des dif­fé­rents modèles de machine lear­ning que nous utilisons.

Comment l’intelligence artificielle va-t-elle transformer les métiers liés aux géosciences et quels conseils donneriez-vous aux étudiants et jeunes ingénieurs souhaitant évoluer à cette interface ?

L’intelligence arti­fi­cielle révo­lu­tionne les géos­ciences en auto­ma­ti­sant la ges­tion des don­nées, en amé­lio­rant les pré­dic­tions et en per­met­tant l’accès à une nou­velle diver­si­té d’applications. La car­to­gra­phie pré­dic­tive, la sur­veillance des risques et la modé­li­sa­tion envi­ron­ne­men­tale béné­fi­cie­ront de ces avan­cées, néces­si­tant des pro­fils hybrides alliant exper­tise en géos­ciences et com­pé­tences en data science.

“L’intelligence artificielle révolutionne les géosciences en automatisant la gestion des données, en améliorant les prédictions et en permettant l’accès à une nouvelle diversité d’applications.”

Pour se pré­pa­rer à ces évo­lu­tions, il est essen­tiel de maî­tri­ser les bases en mathé­ma­tiques, sta­tis­tiques et la pro­gram­ma­tion en Python notam­ment. Une bonne connais­sance des géos­ciences est éga­le­ment indis­pen­sable afin d’interpréter et rai­son­ner les flux de don­nées asso­ciés à l’IA.

Cette double com­pé­tence peut s’acquérir lors de la for­ma­tion ini­tiale ou bien à tra­vers des stages et des pro­jets de recherche. La capa­ci­té à dia­lo­guer avec des experts des deux domaines reste tou­jours déter­mi­nante pour réus­sir à se démar­quer dans ces métiers d’interface. 


Pour en savoir plus : https://www.brgm.fr/fr/programme/junon-jumeaux-numeriques-au-service-ressources-naturelles

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