la médiation

L’impérieuse nécessité de la médiation

Dossier : Expressions | Magazine N°807 Septembre 2025
Par Michèle GUILLAUME-HOFNUNG
Par Michel PAILLET (92)

La médiation est un moyen de recréer du lien dans une société qui se fragmente. Il faut être conscient de ses spécificités pour l’utiliser à bon escient, et par exemple ne pas la confondre avec la conciliation. Cela suppose aussi qu’il y ait des médiateurs formés. Moyennant quoi la médiation, qui avait été naguère brocardée, reprend actuellement tout son intérêt et reçoit la reconnaissance que son utilité mérite.

« Globalement la médiation se définit avant tout comme un processus de communication éthique reposant sur la responsabilité et l’autonomie des participants, dans lequel un tiers – impartial, indépendant, neutre, avec la seule autorité que lui reconnaissent les médieurs – favorise par des entretiens confidentiels l’établissement, le rétablissement du lien social, la prévention ou le règlement de la situation en cause. » Michèle Guillaume-Hofnung La médiation, 9e édition, 2023 coll. Que sais-je ? Cette définition de la médiation a parfois intégralement servi de référence explicite, ou parfois comme matrice au sein de groupes de travail tant nationaux qu’inter­nationaux. Le Dictionnaire de l’Académie de médecine la mentionne. La charte « Villes et communes médiation » de Belgique fait figurer en préambule sa forme adaptée, à la demande du Comité des droits de l’homme du Conseil de l’Europe pour soutenir le dialogue entre les cultures, telle qu’elle a été remise au secrétariat du Conseil de l’Europe.

Une démarche réaliste

Le présent article aimerait mettre à la disposition de son lectorat une démarche qualité afin que la médiation développe pleinement son potentiel, qui va bien au-delà de l’évitement des procès. Quel que soit son secteur d’intervention, la médiation contribuera à éviter les pièges de « l’approche centrée solution » qui se limite trop souvent aux aspects techniques, commerciaux, financiers, juridiques ou politiques à court terme.

Cette approche, qui se veut réaliste, pragmatique, peut conduire à l’échec car elle ne prend pas en compte la dimension relationnelle que toute entreprise humaine doit intégrer pour durer et s’étendre. Comment coopérer efficacement et durablement sans considération réciproque ? Sous sa forme contemporaine, apparue dans les années 80, la médiation a investi toutes les alvéoles de la société, de la plus intime (la famille) à la plus large (la société internationale), en passant par les quartiers, les entreprises. Elle se diffuse au sein de toute forme d’organisation sociale tant privée que publique, tant nationale que locale ou internationale.

Comment vivre ensemble ?

Mais est-ce vraiment la médiation qui se développe ou un trompe-l’œil qui nous prive de cette hormone de confiance dont nos sociétés éprouvent un impérieux besoin pour créer ou réparer le lien social, ce qui nous permettrait de prévenir d’épuisants conflits ou de les régler à l’amiable ? De même que l’eau est nécessaire à la vie biologique, la confiance est nécessaire à la vie sociale. Rien de durable ne se fait sans dialogue, mais nous sommes de moins en moins aptes à dialoguer. La communication devient de moins en moins échange. Elle fait place à des émissions unidirectionnelles de messages à visées dominatrices qui se rencontrent de moins en moins, qui tout au plus se croisent comme on croise le fer en duel. Alors comment faire ensemble ? comment vivre ensemble ?

Ce qui est en jeu avec la médiation
Pour qui examine avec attention les pratiques émergentes qui préfigurent l’évolution des métiers, une évidence s’impose : les pratiques qui portent l’attention sur la relation entre les personnes, les métiers de « l’entre » se développent inexorablement, en réponse à un besoin croissant de relier à nouveau ce qui s’était éloigné jusqu’à se séparer, jusqu’à ne plus être en mesure de se comprendre mutuellement. C’est dans cette perspective profonde et générale que s’inscrivent les métiers de la médiation. Ces métiers de l’entre épousent le tissu et le maillage de la société. Ils sont au cœur de la gestion de la complexité du social. Dans la mesure où les tensions internationales se propagent sur les niveaux d’échelle inférieurs et menacent la cohésion sociale à chaque niveau, dans la mesure où la détérioration du tissu social se communique vite d’une alvéole à l’autre, dans la mesure où quand une maille cède tout le tissu tend à se détricoter, la question de l’engagement d’une démarche puissante, concertée et sérieuse autour des métiers de l’entre, dont la médiation fait partie, se pose avec acuité.

Une ambition réhabilitée

C’est cette haute ambition qui a mobilisé les humbles tisserands de l’intercompréhension, issus de la société civile dans les années 80. Le rapport que la signataire du présent article fut chargée par le Gouvernement français de présenter en ouverture du séminaire de l’Union européenne le 20 septembre 2000 « La médiation sociale et les conflits du quotidien en Europe » établit une cartographie du surgissement de ce phénomène dans toute l’Europe dans les vingt années précédentes. Les pionniers des pratiques de médiation s’impliquaient pour faire des brèches dans les murs d’incompréhension et pour construire les passerelles de l’intercompréhension. Cette ambition parfois raillée à l’époque pour son supposé idéalisme est aujourd’hui réhabilitée.

Pour ne pas continuer à perdre encore quarante ans, il est vital de prendre conscience de l’impérieuse nécessité de la médiation et des non moins impérieuses nécessités qu’elle requiert pour y répondre. Il est grand temps d’adopter l’indis­pensable démarche qualité qui est présentée ci-après. La construction du statut épistémologique de la médiation constitue l’étape primordiale aux deux sens du mot (qui est de première importance et qui doit se faire en premier), garantissant la pratique sérieuse de tout professionnel se prévalant de la médiation. Elle s’impose encore plus aux pouvoirs publics qui pour l’instant peinent à la définir.

Définir la médiation

Donc la distinguer de termes proches. L’efficacité pratique de la médiation requiert une définition d’autant plus rigoureuse qu’on trouve encore des écrits affirmant que la médiation n’est qu’une variété de la conciliation (ou qu’elle est une négociation assistée), voire un synonyme de l’arbitrage. Pour l’instant les quelques textes qui prétendent la définir manquent de rigueur. L’article 3 de la directive du 21 mai 2008 illustre crûment la faiblesse constitutive de la démarche européenne. Cet article qui prétend définir la médiation sape lui-même toute vraisemblance par la formule « quelle que soit la dénomination qu’on lui donne ». Les acteurs de la vie économique et sociale ont besoin de se fier à un terme aussi vital. Il est urgent de « bien nommer pour bien faire ». Il est injuste de déplorer le prétendu flou conceptuel de la médiation quand elle ne pâtit que d’un flou termino­logique engendré par le désir du mot.


“La puissance du processus de médiation
provient de l’absence de pouvoir du médiateur.”

La médiation s’identifie par deux critères fiables et rigoureux, son processus spécifique et la participation d’un acteur répondant lui-même à des critères non modifiables – le médiateur. Son processus de communication éthique, bien à elle, a pour essence de conférer à la parole de chaque participant une égale dignité. Il garantit ainsi l’existence de la communication. Les participants entreprennent la médiation librement, ce qui soutient une démarche coresponsable. Le médiateur se définit par son extériorité, c’est un tiers, mais aussi par son impartialité, sa neutralité, c’est-à-dire son absence de pouvoir tant décisionnel que consultatif, et son indépendance. La puissance du processus de médiation provient de l’absence de pouvoir du médiateur.

La conciliation

Il ne s’agit pas de discréditer le terme conciliation, avec lequel les textes et de nombreux praticiens la confondent. La conciliation a même vocation à être le mode de remplacement de droit commun. La conciliation, en ce qu’elle recherche l’accord amiable, est utile et respectable. Elle se définit par sa finalité même : l’accord. Pour qu’un triangle soit isocèle il faut et il suffit qu’il ait deux côtés égaux. Pour qu’il y ait conciliation, il faut et il suffit qu’il y ait accord amiable. On peut y parvenir à deux ou à trois, sans que ce troisième soit nécessairement un tiers, c’est-à-­dire sans qu’il soit extérieur aux deux parties.

La conciliation pour se définir peut se passer de conciliateur, la médiation ne peut pas se définir sans la référence au tiers. En revanche la conciliation, pour qu’elle existe, a besoin d’un conflit. La médiation, elle, en raison de ses quatre fonctions, peut exister en dehors d’un conflit. C’est par ses trois premières fonctions qu’elle devient irremplaçable au stade de fragilité de nos sociétés. Ses fonctions de création ou de recréation du lien social contribuent à la prévention des conflits. Les créateurs d’entreprise, les acteurs de fusion d’entreprises ou d’hôpitaux, les acteurs de la conduite du changement doivent de plus en plus « penser médiation », « oser la médiation ».

Garantir l’unité fondamentale de la médiation

Au gré des besoins spécifiques d’un secteur, on s’autorise trop souvent à modifier un mot de sa définition, sans prendre garde qu’on change ainsi son ADN et qu’il faudrait alors lui trouver un autre nom que « médiation ». L’adjectif sectoriel « judiciaire », « internationale », ou l’indication du secteur « de la consommation » se met à peser plus lourd que le substantif dont la substance se trouve atomisée au détriment de son unité fondamentale. La médiation y perd son autonomie pour devenir un instrument de l’objectif sectoriel et s’assimiler à l’outil dominant dans le secteur. Par exemple la « médiation judiciaire » est assimilée à la conciliation ; la « médiation internationale » est assimilée à la négociation tout en continuant, hélas, à s’appeler médiation.

L’exemple de la médiation dite judiciaire illustre bien la lourde logique d’assimilation à la conciliation. À la demande du juge, elle s’attache essentiellement à l’accord amiable, ce qui est la définition même de la conciliation. Les textes qui l’encadrent reproduisent le vocabulaire du procès, ce qui constitue une gêne quand on cherche une autre solution. Les mêmes mots, en effet, révèlent la même cosmogonie et la reproduisent.

Lui assurer un régime juridique correspondant à sa nature

Le régime juridique respectueux de la médiation est un régime de souplesse et de liberté. La médiation ne saurait être obligatoire, elle ne saurait se prêter aux principes de la procédure. La règle du contradictoire s’oppose à la confidentialité sans laquelle la médiation ne se fera pas. Lorsque les textes abordent la médiation, ils la mettent en procédure comme on la mettrait en bière. Midas figeait tout ce qu’il touchait en or. Prenons garde, nous les juristes, à ne pas transformer la médiation en procédure. Nous risquerions de nous retrouver avec des oreilles d’âne. Prenons garde d’oublier que la médiation a surgi de la société civile bien avant que les juristes ne s’y intéressent. La déontologie du médiateur constitue un élément charnière du régime juridique de la médiation. Elle va jouer dans les années à venir un rôle de garde-fou préservant des pratiques qualifiées à tort de médiation.

La formation avant toute chose

Les médiateurs doivent s’appuyer sur une formation préalable spécifique. La médiation est un art difficile qu’on ne peut exercer ou enseigner sans formation préalable. Pour que la formation constitue une garantie fondamentale, elle doit répondre à des critères essentiels, et pour commencer être une formation et non une brève initiation ; de plus elle doit porter sur la médiation et rien que la médiation et elle doit reposer sur un socle généraliste. Le médiateur ne doit surtout pas être un expert du domaine dans lequel il intervient. Il y a justement des experts pour cela. En revanche il doit avoir acquis une expertise solide du processus de médiation et de la position du médiateur. La formation préalable du médiateur constitue l’élément fondamental de sa légitimité, ainsi que l’affirme le recueil déontologique rédigé au sein du Conseil national de la médiation.

Régénérer la médiation

En somme, depuis ce point de vue, les auteurs espèrent que le lecteur aura perçu l’importance et l’urgence de régénérer au plus haut niveau des lois la médiation dans son sens profond de métier de l’entre, irréductible à un secteur spécifique. Cette régénération est nécessaire pour l’ancrer dans nos sociétés et lui permettre de constituer un antidote puissant à la déchirure multi-échelle en cours du tissu social, ce qui est sa vocation. Faute d’en prendre conscience, la tendance à l’effondrement et au repli sur soi, dont elle est justement un antidote potentiel, vient saper dans l’indifférence générale ce qui fait son essence. 

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