L’espace-temps

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°522 Février 1997Par : Jean-Paul AUFFRAYRédacteur : Pierre NASLIN (39)

L’analyse de ce petit livre du plus grand inté­rêt me donne l’occasion de faire amende hono­rable. En avril 1994, La Jaune et la Rouge a publié, sous le titre “ Poin­ca­ré et la rela­ti­vi­té ”, un article de Jules Leveugle (43) attri­buant à Hen­ri Poin­ca­ré les mérites qu’on réser­vait jusqu’alors à Albert Ein­stein dans la genèse de la rela­ti­vi­té res­treinte. Chris­tian Mar­chal (58) avait déjà pro­non­cé, le 19 mars 1993, au 4e Col­loque von Hum­boldt, une confé­rence inti­tu­lée “The theo­ry of rela­ti­vi­ty, Ein­stein or Poin­ca­ré ? ” Il rap­pe­lait ses argu­ments en faveur de Poin­ca­ré dans la confé­rence qu’il pro­non­ça à la SEE le 29 mai 1996.

J’avais à l’époque pris posi­tion contre ces entre­prises, en arguant que ce débat n’ajoutait rien à la gloire de Poin­ca­ré, mon­dia­le­ment recon­nu comme le plus grand mathé­ma­ti­cien de son temps et comme l’initiateur de la théo­rie du chaos. Je dois aujourd’hui recon­naître que je n’avais pas bien lu les textes publiés et que j’avais lais­sé mes idées pré­con­çues l’emporter sur les argu­ments pré­sen­tés par les auteurs. Il a fal­lu que je lise l’ouvrage d’un non-poly­tech­ni­cien pour que je me rende compte de mon erreur.

Il faut tou­te­fois noter qu’Auffray en dit davan­tage que les auteurs susvisés.

J.-P. Auf­fray nous rap­pelle tout d’abord la contrac­tion pro­po­sée indé­pen­dam­ment en 1887 par Fitz­ge­rald et en 1892 par Lorentz pour expli­quer le résul­tat néga­tif des expé­riences de Michelson.

Dès 1902, c’est-à-dire trois ans avant Ein­stein, Poin­ca­ré décla­rait : “ Je regarde comme très pro­bable que les phé­no­mènes optiques ne dépendent que des mou­ve­ments rela­tifs des corps en pré­sence… et cela rigou­reu­se­ment. Dans le cha­pitre 6 de son livre La Science et l’Hypothèse, il affirme qu’il n’y a ni espace abso­lu, ni temps abso­lu, ni simul­ta­néi­té, et même que l’espace pour­rait ne pas être euclidien.

En 1904, il énonce le prin­cipe de rela­ti­vi­té, selon lequel les lois de la phy­sique sont inva­riantes dans tout réfé­ren­tiel gali­léen et qu’on ne peut donc pas dis­cer­ner un mou­ve­ment de trans­la­tion uni­forme. Il découvre que la trans­for­ma­tion de Lorentz avait déjà été écrite par Voigt en 1887 ! En 1905, Poin­ca­ré remet une note à l’académie des Sciences, note accom­pa­gnée par un mémoire expli­ca­tif. Il y note que les équa­tions du champ élec­tro­ma­gné­tique (équa­tions de Max­well) ne sont pas alté­rées par la trans­for­ma­tion de Lorentz et que cette trans­for­ma­tion appar­tient à un groupe, le groupe de Lorentz. Or, Poin­ca­ré connaît la théo­rie des groupes de Galois et recherche donc l’invariant de ce groupe : s2 = l2 – c2t2. Il ima­gine un espace- temps à quatre dimen­sions dont une – le temps – est ima­gi­naire et montre que la trans­for­ma­tion de Lorentz se réduit à une rota­tion dans cet espace-temps qua­dri­di­men­sion­nel. Min­kows­ki pour­sui­vra ces idées en appli­quant à cet espace- temps le for­ma­lisme ten­so­riel et en défi­nis­sant sa métrique.

Dans sa note et son mémoire de 1905, Poin­ca­ré donne la for­mule de com­po­si­tion rela­ti­viste des vitesses, annonce que les forces de gra­vi­ta­tion se pro­pagent à la vitesse de la lumière dans le vide et écrit la for­mule de la varia­tion de la masse avec la vitesse rela­tive, qui conduit à la fameuse rela­tion E = mc2.

Il signale que l’équation de Pois­son ne satis­fait pas le prin­cipe de rela­ti­vi­té et ne se conserve pas dans une rota­tion de l’espacetemps, et annonce qu’il fau­dra donc modi­fier les lois de la gra­vi­ta­tion. Mal­heu­reu­se­ment, Poin­ca­ré est mort en 1912 et ne put donc mener ses tra­vaux à son terme.

Le mérite d’Einstein est d’avoir publié en 1905 une déri­va­tion pure­ment ciné­ma­tique des équa­tions de Lorentz, fon­dée sur l’hypothèse de l’invariance de la vitesse de la lumière dans le vide (on peut d’ailleurs se pas­ser de cette hypo­thèse, comme l’a mon­tré Chris­tian Mar­chal). En 1908, il découvre le prin­cipe d’équivalence qui le met sur la voie de la rela­ti­vi­té géné­rale après avoir géné­ra­li­sé la métrique de Minkowski.

La pater­ni­té de la rela­ti­vi­té géné­rale revient incon­tes­ta­ble­ment à Albert Ein­stein qui, pen­dant huit ans, a sué sang et eau pour apprendre le cal­cul ten­so­riel et la géo­mé­trie de Rie­mann, qu’Henri Poin­ca­ré connais­sait parfaitement…

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