Les tours de passe-passe des topoisomérases

Dossier : La physique au XXIe siècleMagazine N°604 Avril 2005Par : Gilles Charvin, Kerr Neuman, David Bensimon et Vincent Croquette, Laboratoire de physique statistique, École normale supérieure, Terence Strick, Institut Jacques Monod, Université Paris VII

Le contexte biologique

Le contexte biologique

Il y a cinquante ans, Crick et Wat­son décrivaient la struc­ture de la dou­ble hélice et fai­saient remar­quer que l’ex­is­tence des deux brins com­plé­men­taires per­me­t­tait de pro­pos­er un mécan­isme de répli­ca­tion de la molécule dans lequel il suff­i­sait de sépar­er les deux brins et de recopi­er cha­cun en for­mant son com­plé­men­taire pour obtenir enfin deux molécules d’ADN filles rigoureuse­ment iden­tiques à la molécule par­ente. Cette intu­ition devint une réal­ité dans les années 1970–1980 lorsque les enzymes chargées du recopi­age, les polyméras­es, ain­si que celles chargées de sépar­er les brins com­plé­men­taires, les héli­cas­es, furent iden­ti­fiées puis isolées.

FIGURE 1
Sché­ma sim­pli­fié décrivant le mécan­isme molécu­laire d’action des topoi­soméras­es de type II. L’enzyme cor­re­spond à l’objet symétrique noir avec une par­tie mobile jaune ou noire.
Dans la con­fig­u­ra­tion ini­tiale (1), l’enzyme s’ouvre pour accom­mod­er une pre­mière molécule d’ADN (seg­ment G bleu) puis une sec­onde (seg­ment T rouge). Une fois les deux molécules en place, l’enzyme accroche deux molécules d’ATP et coupe le seg­ment G (gate : porte en anglais) qui laisse alors pass­er le seg­ment T (trans­porté) au tra­vers de cette brèche. La topoi­somérase rec­olle alors la molécule bleue avant de relâch­er les deux molécules.
Le bilan glob­al de cette réac­tion enzy­ma­tique est ain­si d’inverser le sens du croise­ment des molécules bleu et rouge.
(Ce sché­ma pro­posé par J. Wang n’est pas com­plète­ment garan­ti, et est par ailleurs un peu sim­pli­fié par rap­port au mod­èle ayant cours.)

La struc­ture de la dou­ble hélice implique que les deux brins d’ADN com­plé­men­taires s’en­tor­tillent l’un autour de l’autre. Par ailleurs, les molécules d’ADN sont très longues (~10 cm pour un chro­mo­some) et l’on compte un tour d’hélice tous les 3,4 nanomètres. En con­séquence, le nom­bre de tours impliqué est gigan­tesque. Or, le bon fonc­tion­nement du mécan­isme de dupli­ca­tion de l’ADN implique que tous les tours, jusqu’au dernier, soient débobinés afin de pou­voir sépar­er les deux molécules filles. Afin d’ac­com­mod­er cette con­trainte majeure et très déli­cate, on imag­i­nait sim­ple­ment que les molécules tour­naient au niveau de leurs extrémités. De plus, la com­plex­ité de ce prob­lème s’est encore accrue dans le cas des bac­téries : dans ces organ­ismes, l’ADN adopte la forme d’un anneau fer­mé par des liaisons chim­iques cova­lentes. En con­séquence, les deux brins de la dou­ble hélice sont topologique­ment insé­para­bles. Dix ans après la décou­verte de Crick et Wat­son, ce prob­lème a même poussé cer­tains à dire que la dou­ble hélice n’é­tait prob­a­ble­ment pas la bonne structure !

C’est James Wang qui dans les années soix­ante-dix appor­ta la solu­tion à l’énigme [1]. Il décou­vrit une nou­velle classe d’en­zyme, les topoi­soméras­es, qui sont capa­bles de chang­er la topolo­gie de la molécule d’ADN en effec­tu­ant une coupure tem­po­raire dans la molécule pour y faire pass­er soit un brin, soit les deux brins de la dou­ble hélice. Ce faisant, ces enzymes per­me­t­tent de relâch­er les con­traintes de tor­sion sur une molécule ou de désenchevêtr­er deux molécules entortillées.

La décou­verte des topoi­soméras­es a per­mis de résoudre le prob­lème des nœuds dans les molécules d’ADN. Cepen­dant, leur fonc­tion­nement a soulevé d’autres ques­tions : com­ment des enzymes mesurant quelques nanomètres peu­vent-elles relâch­er jusqu’au dernier tour d’en­tor­tille­ment des molécules qui s’é­ten­dent sur des dis­tances jusqu’à un mil­lion de fois plus grandes ? Com­ment ces enzymes déter­mi­nent-elles de quel côté de la brèche il faut trans­fér­er une molécule afin de défaire un nœud et non pas, au con­traire, en créer de nou­veaux ? Les répons­es à ces ques­tions nous man­quent encore à l’heure actuelle. Cer­tains de nos résul­tats sug­gèrent que ces enzymes recon­nais­sent l’an­gle for­mé par les molécules lors de leur croise­ment. En par­ti­c­uli­er, un type de topoi­somérase que l’on trou­ve chez les bac­téries se com­porte très dif­férem­ment selon l’an­gle de croise­ment des molécules Cepen­dant, les véri­fi­ca­tions expéri­men­tales de ces hypothès­es sont par­ti­c­ulière­ment déli­cates à réalis­er dans des expéri­ences faites en tube à essai. En effet, dans ce con­texte, comme les molécules d’ADN sont soumis­es au mou­ve­ment brown­ien, l’an­gle qu’elles adoptent lors de leur croise­ment est large­ment aléatoire.

Néan­moins, depuis quelques années, des expéri­ences peu­vent être réal­isées à l’échelle d’une seule molécule. Ces expéri­ences per­me­t­tent de con­trôler les paramètres physiques d’une molécule et d’im­pos­er, comme nous le décrivons ci-dessous, l’an­gle de croise­ment entre deux molécules.

La micromanipulation par pinces magnétiques

Ce sont les groupes de S. Chu et C. Bus­ta­mante qui ont réal­isé les pre­mières expéri­ences de micro­ma­nip­u­la­tion de molécules uniques [2]. Celles-ci se font à l’aide d’un micro­scope optique et dans le milieu naturel de la molécule d’ADN, c’est-à-dire de l’eau avec un peu de sel. Dans ces con­di­tions, l’ob­ser­va­tion directe de la molécule est impossible.

FIGURE 2
Principe de l’expérience de micromanipulation.
L’observation se fait à l’aide d’un micro­scope optique placé sous l’échantillon.
Bien que les molécules d’ADN soient invis­i­bles, les billes per­me­t­tent de matéri­alis­er leurs extrémités. L’échantillon est con­sti­tué par un tube de verre de sec­tion par­al­lélépipédique dans lequel nous avons intro­duit des molécules d’ADN qui s’accrochent à la paroi du tube de verre et à des micro­billes mag­né­tiques. Des aimants (dont les dimen­sions ne sont pas respec­tées sur ce sché­ma) sont placés audessus de l’échantillon, ils exer­cent une force de trac­tion ver­ti­cale d’autant plus grande que les aimants sont proches. En faisant tourn­er les aimants autour de l’axe ver­ti­cal, nous faisons tourn­er les billes sur elles-mêmes. Dans l’échantillon, toutes les billes ne sont pas for­cé­ment attachées par deux molécules mais celles qui le sont présen­tent un change­ment d’extension déce­lable lorsque les deux molécules sont amenées à se crois­er (voir fig­ure 3).
Il est ain­si facile de choisir les billes attachées par deux molécules.

Par con­tre, en util­isant un “scotch molécu­laire” il est assez facile d’at­tach­er une bille de quelques microns à une extrémité de la molécule et de visu­alis­er ain­si ses mou­ve­ments. Mieux, on peut attach­er de façon ana­logue la sec­onde extrémité de la molécule à la paroi du récip­i­ent. En exerçant une force sur la bille, on peut ain­si étir­er la molécule d’ADN. Le “scotch molécu­laire” est un cou­ple de molécules de type “clef-ser­rure” : la clef est une petite molécule (de la bio­tine par exem­ple) qui pos­sède une affinité très impor­tante pour une molécule plus grosse qui en épouse la forme (de la strep­ta­vi­dine dans le cas de la bio­tine). La molécule d’ADN est pré­parée en attachant chim­ique­ment la bio­tine à une extrémité. Les billes mag­né­tiques sont recou­vertes de streptavidine.

En plaçant les molécules d’ADN ain­si pré­parées en présence des billes en solu­tion, celles-ci se cou­plent spon­tané­ment aux billes de façon qua­si irréversible. L’ac­crochage de la sec­onde extrémité de la molécule se fait par un deux­ième jeu clef-ser­rure (digox­igé­nine-antidigox­igé­nine). Comme l’ac­crochage des billes aux molécules d’ADN se fait par dif­fu­sion, rien n’empêche deux ou plusieurs molécules d’ADN de reli­er la bille à la sur­face du récip­i­ent. En pra­tique, nous ajus­tons la con­cen­tra­tion rel­a­tive des molécules aux billes pour que la plu­part de celles-ci soient reliées par une seule molécule d’ADN. (Les billes qui ne sont attachées à aucune molécule sont élim­inées par rinçage.) Cepen­dant, sta­tis­tique­ment un petit nom­bre de billes se trou­vent être attachées par deux molécules d’ADN, cette con­fig­u­ra­tion va nous per­me­t­tre de crois­er à volon­té deux molécules.

Au cours de leur mou­ve­ment brown­ien, les molécules d’eau bous­cu­lent l’ADN dans tous les sens et ten­dent à lui faire adopter la forme d’une pelote fluc­tu­ante. Il faut donc appli­quer une force pour étir­er la molécule ; ceci se fait en agis­sant sur la bille micrométrique qui localise une extrémité de la molécule. Il existe plusieurs moyens pour appli­quer cette force. D’abord, les pinces optiques, qui utilisent un fais­ceau laser con­vergeant qui attire la bille près de son point de focal­i­sa­tion. Ensuite, les pinces mag­né­tiques, basées sur l’u­til­i­sa­tion d’aimants qui attirent la bille con­tenant un matéri­au mag­né­tique. Cette sec­onde méth­ode per­met égale­ment de faire tourn­er la bille sim­ple­ment en faisant tourn­er les aimants.

Dans le cas des pinces mag­né­tiques, pour une posi­tion don­née des aimants par rap­port à la bille, la force appliquée est con­stante dans le domaine que peut explor­er la bille. Pour déter­min­er cette force, il suf­fit de mesur­er l’am­pleur du mou­ve­ment brown­ien de la bille. Pour les faibles forces ces mou­ve­ments sont impor­tants ; plus on rap­proche les aimants, plus la force de trac­tion aug­mente et plus l’am­pleur du mou­ve­ment brown­ien dimin­ue. La bille attachée à la molécule d’ADN sous l’ac­tion des aimants se com­porte comme un pen­d­ule inver­sé, la force mag­né­tique la tirant vers le haut.

En appli­quant le théorème de l’équipar­ti­tion, on mon­tre que F = l.kBT/< x2 > [3] (où l est l’ex­ten­sion de la molécule, < x2 > est l’am­pli­tude qua­dra­tique moyenne du mou­ve­ment brown­ien, kB la con­stante de Boltz­mann et T la tem­péra­ture absolue). La force typ­ique qu’il faut appli­quer pour étir­er une molécule d’ADN est de l’or­dre de 1 pN (10-12 N), mille fois plus faible que la force de rup­ture de l’ADN (~1 000 pN).

Pour mesur­er le mou­ve­ment brown­ien, nous avons écrit un pro­gramme de traite­ment d’im­ages vidéo qui suit la posi­tion hor­i­zon­tale de la bille en temps réel, avec une pré­ci­sion de quelques nanomètres. En analysant les motifs de dif­frac­tion de l’im­age de la bille obtenue en éclairage par­al­lèle, il est égale­ment pos­si­ble d’obtenir la posi­tion ver­ti­cale de la bille avec une pré­ci­sion com­pa­ra­ble. Cette mesure nous per­met ain­si de déter­min­er la dis­tance séparant la bille de la paroi du récipient.

Le vrillage d’une balançoire

FIGURE 3 — Tours de passe-passe moléculaire
Principe d’action de la topoi­somérase sur le croise­ment de deux molécules d’ADN.
En faisant effectuer un tour à la bille avec les aimants, nous pou­vons pass­er d’une sit­u­a­tion où les molécules ne présen­tent pas de croise­ment (droite) à celle où elles se croisent (gauche).
La topoi­somérase recon­naît alors le croise­ment, et en opérant l’action décrite dans la fig­ure 1, l’enzyme dénoue le croise­ment et ramène les deux molécules dans la sit­u­a­tion sans croise­ment (droite). Dès lors, la con­trainte étant relâchée, l’enzyme ne peut plus agir.
Le change­ment de hau­teur entre les deux con­fig­u­ra­tions per­met de déter­min­er le moment où l’action de l’enzyme s’effectue.
Par ailleurs, dans l’hypothèse où les points d’attache des molécules sont séparés par des dis­tances équiv­a­lentes, le change­ment relatif de hau­teur entre les deux con­fig­u­ra­tions est égal à (1 – cosq/2) où q est l’angle de croise­ment des deux molécules.
Si nous ajou­tons main­tenant des topoi­soméras­es dans la solu­tion avec un peu d’ATP (la source d’énergie néces­saire à la plu­part des opéra­tions enzy­ma­tiques), il ne se passe rien si les deux molécules sont parallèles.
Par con­tre, si nous créons un point de croise­ment en imp­ri­mant un tour à la bille, l’extension de la molécule dimin­ue pour les raisons décrites ci-dessus.
Alors, une topoi­somérase va s’accrocher au croise­ment et le sup­primer, per­me­t­tant à l’extension de repren­dre sa valeur max­i­male de départ.
On peut alors imprimer un nou­veau tour à la bille générant un nou­veau croise­ment que l’enzyme va s’empresser de dénouer, etc.
Chaque événe­ment cor­re­spond à un seul cycle enzy­ma­tique d’autant plus facile à détecter que le change­ment d’extension cor­re­spond à une frac­tion de micron comme on peut le voir sur la fig­ure 4.

Il est assez facile de sélec­tion­ner les billes ancrées à la paroi par deux molécules : ces molécules sont typ­ique­ment séparées par une dis­tance com­pa­ra­ble au ray­on de la bille. En faisant tourn­er celle-ci d’un demi-tour dans un sens ou dans l’autre, les deux molécules sont amenées à se crois­er. Si la longueur des molécules est com­pa­ra­ble au diamètre de la bille, il se pro­duit alors un rac­cour­cisse­ment notable de la dis­tance séparant la bille à la paroi, comme on peut l’ob­serv­er en faisant vriller une bal­ançoire autour de son axe.

Cette vari­a­tion rapi­de d’ex­ten­sion sur un tour n’est vis­i­ble que sur des billes accrochées par deux molécules. Ces billes nous four­nissent un moyen sim­ple de crois­er deux molécules avec un angle don­né que nous éval­u­ons en mesurant le rac­cour­cisse­ment provo­qué par un demi-tour com­paré à la longueur des molécules d’ADN dans leur con­fig­u­ra­tion par­al­lèle. Évidem­ment, pour une longueur don­née de la molécule d’ADN, cet angle dépend de la dis­tance séparant les deux molécules que nous ne con­trôlons pas. Cepen­dant en allant à la pêche aux billes, on peut réalis­er un échan­til­lon­nage de dif­férents angles de croise­ment s’é­ta­lant de 50° à plus de 100° [4].


Comme illus­tré en fig­ure 5, le point de croise­ment de deux molécules chi­rales d’ADN for­mant un angle n’est pas le symétrique de la con­fig­u­ra­tion cor­re­spon­dant à l’an­gle — θ. Par con­tre, les sit­u­a­tions — θ et π — θ sont, elles, symétriques [6]. Dans notre expéri­ence, en tour­nant la bille d’un demi-tour dans le sens des aigu­illes d’une mon­tre nous obtenons un angle de croise­ment θ, en tour­nant dans l’autre sens, nous obtenons — θ. En employ­ant la rota­tion des aimants pour génér­er le sub­strat topologique (c’est-à-dire l’an­gle) voulu, il est aisé de mesur­er le temps mis par la topoi­somérase IV pour dénouer le croise­ment cor­re­spon­dant à θ et — θ. La valeur de l’an­gle θ est déter­minée à par­tir du change­ment de hau­teur de la bille et de la longueur des molécules.

Pour les petits angles de croise­ment (cor­re­spon­dant à des billes dont la hau­teur change peu en pas­sant de la con­fig­u­ra­tion molécules par­al­lèles à molécules croisées), nous obser­vons que le temps d’ac­tion moyen de la topoi­somérase IV est vingt fois plus long pour la con­fig­u­ra­tion à 50° que celle cor­re­spon­dant à — 50°. Pour les billes qui présen­tent une vari­a­tion de hau­teur impor­tante, l’an­gle de croise­ment approche 90° et peut même dépass­er cette valeur. Or comme nous l’avons expliqué la sit­u­a­tion de croise­ment à 90° est iden­tique à celle de croise­ment à — 90°. Ain­si nos expéri­ences mon­trent que pour un angle de θ = + 76° ou — 76° les temps moyens d’ac­tion ne dif­fèrent que de 10 %.

Puisque les molécules d’ADN sont ani­mées de fluc­tu­a­tions brown­i­ennes impor­tantes, leur angle de croise­ment présente en fait une dis­tri­b­u­tion et la valeur de l’an­gle de croise­ment dont nous avons par­lé est en fait la valeur moyenne. La largeur de cette dis­tri­b­u­tion dépend de la force de trac­tion appliquée aux molécules. Si la force est très grande, les molécules sont qua­si­ment rec­tilignes et la dis­tri­b­u­tion des angles est étroite ; aux faibles forces c’est l’in­verse. Dans notre expéri­ence, nous obser­vons bien que la sélec­tiv­ité angu­laire est ren­for­cée avec la force appliquée sur la bille.

La topoi­somérase IV est très habile lors de son tour de passe-passe molécu­laire, jamais nous ne l’avons sur­prise à lâch­er les brins coupés avant de les rec­oller (la bille se retrou­verait alors accrochée par une seule molécule). Un tel acci­dent serait dra­ma­tique au sein de nos chro­mo­somes : il con­duirait à une cas­sure dou­ble brin qui peut certes être réparée par des mécan­ismes cel­lu­laires adap­tés mais avec un taux d’échec très gênant.

FI​GURE 4
Sig­nal expéri­men­tal per­me­t­tant de voir l’action de la topoi­somérase : le graphique représente la dis­tance entre la bille et la paroi de verre. Lorsque celle-ci atteint la valeur de 3.45 microns, les deux molécules sont par­al­lèles. Quand les molécules se croisent la dis­tance se réduit à 2.75 microns. En présence de topoi­soméras­es dans la solu­tion on n’observe aucun change­ment de longueur lorsque les molécules sont par­al­lèles. Par con­tre chaque fois que l’on fait faire un tour aux aimants, dans un pre­mier temps, la bille se rap­proche de la paroi. Au moment où l’enzyme dénoue le croise­ment, on observe une remon­tée bru­tale de l’extension.
Sur cet enreg­istrement, nous avons répété l’opération trois fois, à chaque fois l’enzyme a agi, cepen­dant elle l’a fait après un temps très variable.
Le temps mis par l’enzyme pour libér­er le croise­ment après sa for­ma­tion cor­re­spond au temps de dif­fu­sion de l’enzyme pour trou­ver le point de croise­ment et au temps de fix­a­tion sur ce croise­ment. Il dépend évidem­ment de la con­cen­tra­tion d’enzyme ; mais d’un cycle au suiv­ant ce temps est une vari­able aléa­toire présen­tant une dis­tri­b­u­tion sta­tis­tique de Pois­son avec un temps car­ac­téris­tique t. Pour une con­cen­tra­tion enzy­ma­tique de l’ordre du nano-molaire, t est typ­ique­ment de quelques sec­on­des. Si nous tournons la bille de plusieurs tours rapi­de­ment, après un temps d’attente, une enzyme déjà sur place enchaîne une série de cycles avec une cadence de 2 ou 3 à la sec­onde [5].

Conclusion

FIGURE 5 — Les topoi­soméras­es recon­nais­sent l’angle de croise­ment des molécules
Symétrie angu­laire impliquée dans le croise­ment de deux molécules d’ADN. La sit­u­a­tion cor­re­spon­dant à l’angle ‑q (au cen­tre) est dif­férente de la sit­u­a­tion θ (à gauche), en effet ces deux con­fig­u­ra­tions découlent de la symétrie miroir (c’est une sit­u­a­tion chi­rale), par con­tre la sit­u­a­tion cor­re­spon­dant à l’angle -θ (au cen­tre) est équiv­a­lente à π — θ (à droite).
Notons que pour 
θ = 90 les dif­férentes con­fig­u­ra­tions sont identiques.

Nous avons dévelop­pé des tech­niques de micro­ma­nip­u­la­tion de molécules uniques. Ces tech­niques nous ont per­mis de met­tre en évi­dence les mécan­ismes pré­cis qu’u­tilisent cer­taines enzymes pour dépli­er et réduire les ten­sions dans les molécules d’ADN.

Il s’ag­it d’un sujet de recherche très act­if actuelle­ment et plusieurs groupes de recherche ont obtenu des résul­tats remar­quables sur les moteurs molécu­laires, les polyméras­es, les héli­cas­es, etc. Ces résul­tats vien­nent naturelle­ment com­pléter ceux obtenus en tube à essai. Ils démon­trent, s’il était néces­saire, que ces enzymes sont de mag­nifiques machines capa­bles de tra­vailler avec une remar­quable pré­ci­sion dans un envi­ron­nement agité par le mou­ve­ment brown­ien. Les topoi­soméras­es sont pour le moins des enzymes extra­or­di­naires du fait qu’en bien des points elles sur­passent ce que nous savons faire à l’échelle macroscopique.

Ain­si il nous reste encore à com­pren­dre com­ment ces machines de taille nanométrique dénouent fidèle­ment des molécules mille fois plus grandes qu’elles.

Remer­ciements
Les expéri­ences décrites ici n’auraient pas été pos­si­ble sans l’aide de J.-F. ALLEMAND, O. SALEH, H. YOKOTA, T. LIONNET, M. DUGUET et le sup­port financier de l’ENS, du CNRS, des uni­ver­sités Paris VI et VII, de la CEE et de l’ARC.

Références

[1] Wang J.-C. Inter­ac­tion between DNA and an Escherichia coli pro­tein omega. J Mol Biol. 1971 Feb 14 ; 55 (3) : 523–33.
[2] Smith S. B., Finzi L., Bus­ta­mante C. Direct mechan­i­cal mea­sure­ments of the elas­tic­i­ty of sin­gle DNA mol­e­cules by using mag­net­ic beads. Sci­ence. 1992 Nov 13 ; 258 (5085) : 1122–6.
[3] The elas­tic­i­ty of a sin­gle super­coiled DNA mol­e­cule T. Strick, J.-F. Alle­mand, D. Ben­si­mon, A. Ben­si­mon, V. Cro­quette, Sci­ence (1996) 271‑5257 p. 1835.
[4] Charvin G., Ben­si­mon D., Cro­quette V. Sin­gle­mol­e­cule study of DNA unlink­ing by eukary­ot­ic and prokary­ot­ic type-II topoi­so­meras­es. Proc Natl Acad Sci USA. 2003, Aug 19 ; 100 (17) : 9820–5.
[5] Stone M. D., Bryant Z., Crisona N. J., Smith S. B., Vol­o­god­skii A., Bus­ta­mante C., Coz­zarel­li N. R. Chi­ral­i­ty sens­ing by Escherichia coli topoi­so­merase IV and the mech­a­nism of type II topoi­so­meras­es. Proc Natl Acad Sci USA. 2003, Jul 22 ; 100 (15) : 8654–9.
[6] Tim­sit Y., Duplantier B., Jan­nink G., Siko­rav J.-L. Sym­me­try and chi­ral­i­ty in topoi­so­merase II-DNA crossover recog­ni­tion. J Mol Biol. 1998, Dec 18 ; 284 (5) : 1289–99.

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