Les richesses exceptionnelles d’une nature vierge en voie de disparition

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007
Par Alexis LOIREAU (98)


Vues de la forêt trop­i­cale côtière


Près de Belo Hor­i­zonte, dans l’É­tat du Minas Gerais au Sud-Est du Brésil, l’aire pro­tégée de « Lagoa San­ta » a été créée pour préserv­er une par­celle de forêt trop­i­cale intacte et un grand lac d’eau pure. Cette aire pro­tégée est pos­sédée par quelques grands pro­prié­taires ter­riens qui doivent y suiv­re des règles strictes pour pou­voir y dévelop­per des activ­ités humaines. L’un des pro­prié­taires, pour aug­menter les revenus qu’il tirait de ses ter­res, voulut un jour con­stru­ire un grand hôtel de luxe dans la forêt au-dessus du lac. Son fils me racon­ta qu’il en dis­cu­ta un jour avec un de ses amis, un des directeurs de l’IBA­MA, l’in­sti­tut brésilien de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement. Celui-ci lui répon­dit que, bien sûr, le pro­jet d’hô­tel n’é­tait pas envis­age­able dans une aire pro­tégée mais que si la forêt un jour brûlait malen­con­treuse­ment il n’y aurait plus de riche écosys­tème à préserver. 

Des écosystèmes extrêmement riches et variés


Les dif­férents écosys­tèmes brésiliens

Pour bon nom­bre d’Eu­ropéens qui con­nais­sent peu ce pays, la nature au Brésil se réduit à des plages par­a­disi­aques sur la côte Atlan­tique et à la forêt ama­zoni­enne à l’in­térieur des ter­res. L’A­ma­zonie occupe effec­tive­ment une grande par­tie du pays : 3,6 mil­lions de km2, soit 42 % du ter­ri­toire brésilien ou env­i­ron sept fois la France. La forêt trop­i­cale humide qui la recou­vre est l’é­cosys­tème le plus riche au monde, il abrite 20 % de toutes les espèces végé­tales ter­restres, 20 % des espèces d’oiseaux, 10 % des espèces de mammifères. 

L’A­ma­zonie est d’une impor­tance cap­i­tale pour l’Homme. C’est d’abord la plus grande réserve de bio­di­ver­sité de la planète, où il reste des mil­liers d’e­spèces végé­tales et ani­males à cat­a­loguer, où quelques 1 300 plantes ama­zoni­ennes pos­sè­dent des ver­tus thérapeu­tiques recon­nues et d’autres sont décou­vertes tous les jours. Env­i­ron un quart des médica­ments util­isés dans les pays dévelop­pés con­tient des sub­stances provenant des forêts trop­i­cales. En d’autres ter­mes, un traite­ment pour le sida ou le can­cer pour­rait se cacher dans la faune ou la flo­re de cette région. 

L’A­ma­zonie est aus­si l’une des dernières grandes et sauvages régions non désertes de la planète que l’Homme a l’op­por­tu­nité de laiss­er en l’é­tat aux généra­tions futures. Cette forêt pos­sède encore ses secrets. Le long de quelques loin­tains afflu­ents de l’A­ma­zone des ter­ri­toires demeurent inex­plorés, des ter­ri­toires qui abri­tent encore peut-être des com­mu­nautés humaines restées incon­nues du monde extérieur.

Mais le Brésil ne se réduit pas à l’A­ma­zonie. D’autres écosys­tèmes presque aus­si rich­es et var­iés occu­pent plus de la moitié du pays : 

 la Caatin­ga cou­vre 11 % de la sur­face du pays, soit 844 000 km2. Elle recou­vre le Nordeste, région semi-aride au Nord-Est du pays, et est com­posée essen­tielle­ment de cac­tées et de buis­sons d’épineux adap­tés au manque d’eau et à la chaleur ;
• le Cer­ra­do est une espèce de savane parsemée d’ar­bres bas, de brous­sailles, de palmiers, qui laisse par­fois la place à des forêts plus épaiss­es près des cours d’eau. Il recou­vre les immenses plateaux élevés du cen­tre du Brésil, sur une éten­due de deux mil­lions de km2 env­i­ron. C’est un écosys­tème riche, ren­fer­mant plus de 10 000 espèces végé­tales, dont 44 % n’ex­is­tent nulle part ailleurs ;
• le Pan­tanal occupe 140 000 km2 au cen­tre du Brésil, à la fron­tière avec la Bolivie et le Paraguay. C’est la plus grande zone marécageuse non côtière du monde. C’est une immense cuvette à 2 000 km de l’At­lan­tique mais à 100 mètres d’alti­tude seule­ment, qui est inondée près de six mois par an. Elle est le refuge de 650 espèces d’oiseaux dif­férentes, et abrite bon nom­bre d’an­i­maux qui habitent aus­si la forêt ama­zoni­enne mais qui sont beau­coup plus facile­ment observ­ables dans les paysages décou­verts de savanes et marais du Pan­tanal : l’ana­con­da, le jaguar, l’o­celot, le four­m­i­li­er, plusieurs espèces de singes, le tapir, 10 à 35 mil­lions d’al­li­ga­tors et bien d’autres…
 la forêt trop­i­cale côtière ou « Mata Atlân­ti­ca ». C’est « l’autre » forêt trop­i­cale qui s’étire sur plusieurs mil­liers de kilo­mètres le long des côtes Atlan­tiques, du Nordeste jusqu’au Sud du pays. Elle occu­pait ini­tiale­ment un mil­lion de km2 et ren­fer­mait un écosys­tème très riche et sen­si­ble­ment dif­férent de l’A­ma­zonie, mais aujour­d’hui les trois quarts de la pop­u­la­tion brésili­enne et des grandes villes indus­trielles sont instal­lés là où s’é­tendait la forêt côtière ;
 la Pam­pa au Sud du pays est une zone de prairies sem­blable à la pam­pa argen­tine où les « gau­chos », les cow-boys d’Amérique du Sud, pra­tiquent l’él­e­vage extensif. 


Vues des plateaux du Cerrado

Grâce à la diver­sité et la richesse de ses écosys­tèmes, le Brésil est un par­adis pour les amoureux de nature. Ils passeront des vacances mémorables à ran­don­ner dans quelques-unes des 350 régions pro­tégées. Les parcs nationaux offrent une mag­nifique palette des plus beaux paysages du pays : les hauts plateaux dénudés du Cer­ra­do bor­dés de grandes falais­es cal­caires d’où s’élan­cent des majestueuses cas­cades de plusieurs cen­taines de mètres de haut, la forêt trop­i­cale côtière qui sem­ble se jeter dans l’océan en façon­nant de part en part des petites criques sauvages et des plages désertes, les célèbres chutes d’Iguaçu où un fleuve grand comme sept fois le Rhône s’é­parpille en 275 cas­cades pour franchir des falais­es d’une cen­taine de mètres de haut, la faune extra­or­di­naire et facile­ment observ­able du Pan­tanal, l’A­ma­zonie qu’il faut décou­vrir avec un guide local pen­dant une à deux semaines pour espér­er en pénétr­er quelques secrets… 

Mal­heureuse­ment, le Brésil est tout autant réputé pour la beauté de ses richess­es naturelles que pour les mau­vais traite­ments que l’Homme leur inflige. Les men­aces qui pèsent sur la forêt ama­zoni­enne sont bien con­nues mais il faut savoir aus­si que les autres écosys­tèmes brésiliens sont encore plus men­acés. Il ne reste aujour­d’hui que 7 % de la forêt trop­i­cale côtière qui exis­tait au début du XVIe siè­cle lors de l’ar­rivée des Por­tu­gais. Au rythme actuel des dévas­ta­tions, l’é­cosys­tème du Pan­tanal devrait dis­paraître en 2045, celui du Cer­ra­do en 2030. Quant à l’A­ma­zonie, en 1999, un tiers de sa forêt avait déjà été détruit. 

Une économie historiquement basée sur l’exploitation des ressources naturelles

Depuis l’ar­rivée des Por­tu­gais au Brésil il y a cinq siè­cles et jusqu’à la deux­ième moitié du XXe siè­cle, l’his­toire du développe­ment économique du pays se con­fond avec l’his­toire de l’ex­ploita­tion de ses ressources naturelles. En tant que colonie, le rôle don­né par le Por­tu­gal au Brésil était la pro­duc­tion de matières pre­mières, d’or et de sucre. Après la fin de la coloni­sa­tion, l’é­conomie du Brésil est restée encore longtemps basée sur l’ex­ploita­tion des richess­es de son sol jusqu’à l’in­dus­tri­al­i­sa­tion effec­tuée à marche for­cée à par­tir des années 1960. 


Front pio­nnier de déboise­ment vers Alta Flo­res­ta, 2004.

Dès le XVIe siè­cle et tout au long du XVIIe siè­cle, les pre­mières par­celles de ter­res sur la côte Atlan­tique sont défrichées pour planter la canne à sucre puis se dévelop­pent rapi­de­ment. Des dizaines de mil­liers d’esclaves africains arrivent pour tra­vailler dans des grandes exploita­tions dirigées par quelques rich­es Por­tu­gais. La jeune colonie pro­gres­sait alors « en crabe » le long des côtes selon une expres­sion d’un chroniqueur de l’époque qui est restée célèbre. À juste titre, puisque la pro­duc­tion était entière­ment des­tinée à l’ex­por­ta­tion et que l’in­térieur des ter­res était encore peu­plé de tribus indigènes incon­nues et hostiles. 

Au cours du XVIIe siè­cle, les garimpeiros, des ban­des d’aven­turi­ers sou­vent métis por­tu­gais-indi­ens explorent l’in­térieur des ter­res à la recherche de l’or. Ils le décou­vrirent en 1690 dans l’ar­rière-pays de Rio de Janeiro, la région qui s’ap­pelle aujour­d’hui le Minas Gerais, où les per­spec­tives de s’en­richir rapi­de­ment attirèrent en un siè­cle 500 000 Européens. Lorsque les filons se tarirent à la fin du xvi­iie siè­cle, les forêts du Minas Gerais lais­sèrent la place à des pâturages pour le bétail. 

Au début du XVIIIe siè­cle, quelques graines incon­nues furent importées au Brésil. Un siè­cle plus tard, en par­al­lèle au déclin de la canne à sucre, le café deve­nait qua­si­ment une mono­cul­ture nationale. La plus grande par­tie de la forêt trop­i­cale côtière fut défrichée pour laiss­er place à des immenses plan­ta­tions de café qui employ­aient cha­cune des mil­liers d’esclaves, et qui sont à la base de la struc­ture extrême­ment iné­gal­i­taire de la société brésili­enne actuelle, la réforme agraire et le partage des ter­res n’ayant été que très peu mis en œuvre.

A la fin du XIXe siè­cle et au début du siè­cle suiv­ant, c’est l’A­ma­zonie qui con­nut un autre boule­verse­ment économique et fut pour la pre­mière fois exploitée à grande échelle par l’Homme. L’hévéa, ou arbre à latex, devint une manne inespérée pour la région au fur et à mesure que l’in­dus­trie auto­mo­bile se dévelop­pait en Amérique du Nord. En 1912, Man­aus, la cap­i­tale de l’A­ma­zonie, l’une des villes les plus isolées du monde, cernée dans toutes les direc­tions par plusieurs mil­liers de kilo­mètres de forêt vierge, pos­sé­dait l’élec­tric­ité, plusieurs tramways et un grandiose opéra.

Le défrichage de la forêt ama­zoni­enne s’ac­céléra au début des années 1970, quand la dic­tature mil­i­taire y traça des grandes routes comme la transama­zoni­enne pour faciliter la péné­tra­tion du ter­ri­toire. Des dizaines de mil­liers de paysans pau­vres quit­tèrent les ter­res arides du Nordeste pour aller défrich­er et cul­tiv­er des par­celles de forêt en Ama­zonie. La tech­nique qu’ils utilisent encore aujour­d’hui est la cul­ture sur brûlis, n’as­sur­ant que quelques années de récoltes à cause de la grande pau­vreté du sol. Ils vendent ensuite pour des sommes dérisoires leurs ter­res aux éleveurs de bétail qui achèvent de les ren­dre stériles. Depuis près de quar­ante ans des petits paysans s’a­van­cent ain­si gradu­elle­ment dans les pro­fondeurs de la forêt. Bien des organ­i­sa­tions qui lut­tent pour la préser­va­tion de l’A­ma­zonie oublient que des mil­lions de Brésiliens y sur­vivent de cette manière pour ten­ter d’échap­per à la misère. 

Mais depuis vingt-cinq ans la majeure par­tie des dom­mages subis par l’A­ma­zonie est à attribuer à des grandes entre­pris­es multinationales. 

En effet, dans les années qua­tre-vingt, le Brésil ven­dit des con­ces­sions gigan­tesques à des entre­pris­es étrangères pour rem­bours­er la dette de l’É­tat au FMI. À cause des mau­vais­es con­di­tions d’ex­ploita­tion et de l’isole­ment, l’ex­ploita­tion du bois fut un immense gâchis. À peine un arbre coupé sur cinq était en fin de compte réelle­ment utilisé. 

Un exem­ple bien con­nu de ce type d’ex­ploita­tion à grande échelle et calami­teuse de la forêt est celle du pro­jet Jari créé par le mil­liar­daire améri­cain Lud­wig. En quelques années il réduisit à néant 12 000 km² de forêt vierge (super­fi­cie supérieure à celle du Liban), embaucha quelques 30 000 ouvri­ers qui tra­vail­lèrent dans des con­di­tions semi-esclavagistes pour fab­ri­quer de la cel­lu­lose et pro­duire 50 000 têtes de bétail par an. Mais l’en­tre­prise fit fail­lite et les ouvri­ers s’en­tassent aujour­d’hui dans les fave­las de Laran­jal, San­tarém et quelques autres villes de l’Amazonie. 

Le soja, la nouvelle menace qui plane sur l’Amazonie

Le Brésil est le pre­mier expor­ta­teur mon­di­al de soja. L’essen­tiel de la pro­duc­tion est ven­du en Europe pour nour­rir le bétail, en rem­place­ment des farines ani­males désor­mais inter­dites. Les cul­tures de soja cou­vrent au Brésil 230 000 km2 (près de la moitié de la France), essen­tielle­ment là où s’é­tendait l’é­cosys­tème frag­ile du Cer­ra­do. Mais aujour­d’hui c’est sur la forêt ama­zoni­enne qu’elles gag­nent du ter­rain à un rythme de 10 000 km2 par an. Une par­tie de la pro­duc­tion est assurée par des immenses pro­priétés détenues par des hommes d’af­faires brésiliens influ­ents qui sont sou­vent les descen­dants directs des « fazen­deiros » por­tu­gais qui s’é­taient partagés le ter­ri­toire brésilien qua­tre siè­cles aupar­a­vant. Le lob­by de ces grands pro­prié­taires ter­riens qui mili­tent pour l’a­vancée des cul­tures en Ama­zonie est d’au­tant plus effi­cace qu’ils sont sou­vent liés au pouvoir. 

Blário Borges Mag­gi, le gou­verneur du Mato Grosso, l’É­tat ama­zonien le plus men­acé par les cul­tures de soja, est l’un des plus grands pro­duc­teurs de soja au monde et est l’il­lus­tra­tion par­faite de ces fazen­deiros qui con­cen­trent en leurs mains pou­voirs économique et poli­tique. Son entre­prise pos­sède 50 000 hectares de soja. Il sou­tient publique­ment le déplace­ment de la fron­tière agri­cole vers le nord de l’A­ma­zonie. À tel point qu’il a été jusqu’à pro­pos­er de goudron­ner le tronçon d’une route qui n’est pas dans son état pour faciliter l’é­vac­u­a­tion des récoltes de soja. 

Les autres acteurs impor­tants de la pro­duc­tion du soja en Ama­zonie sont les multi­na­tionales étrangères. La plus grande et la plus active en Ama­zonie est Cargill, le géant améri­cain des pro­duits agroal­i­men­taires. Il y a qua­tre ans, cette entre­prise con­stru­isit un impor­tant port privé à San­tarém, au cen­tre de l’A­ma­zonie, de manière illé­gale car sans étude d’im­pact envi­ron­nemen­tale prélim­i­naire, pour embar­quer par bateau les récoltes de soja. En 2005, Cargill expor­ta, seule­ment vers Liv­er­pool, 220 000 tonnes de soja, soit 30 % des impor­ta­tions bri­tan­niques de soja. 

C’est désor­mais un paysage aride et monot­o­ne qui entoure la pais­i­ble ville de San­tarém. Cer­tains paysans sont restés, aidés par Cargill qui leur prête des tracteurs pour défrich­er la forêt et cul­tiv­er le soja, mais une grande par­tie de la pop­u­la­tion locale a été oblig­ée de quit­ter la région car la cul­ture du soja est très mécan­isée et ne crée donc que très peu d’emplois.

Aujour­d’hui la moitié de la pro­duc­tion mon­di­ale de soja est géné­tique­ment mod­i­fiée. Au Brésil, la cul­ture de soja OGM a été récem­ment autorisée par le gou­verne­ment Lula et s’é­tend rapi­de­ment. Le soja ren­du résis­tant aux her­bi­cides par mod­i­fi­ca­tion géné­tique per­met l’aug­men­ta­tion des ren­de­ments grâce à l’u­til­i­sa­tion en grandes quan­tités d’her­bi­cides. Le Brésil est le troisième con­som­ma­teur mon­di­al d’her­bi­cides et la cul­ture du soja absorbe 50 % de cette con­som­ma­tion qui pol­lue très forte­ment les riv­ières en aval des cultures. 

La cul­ture de soja géné­tique­ment mod­i­fié présente l’in­con­vénient sup­plé­men­taire d’en­traîn­er une dépen­dance des paysans envers une poignée d’en­tre­pris­es (Mon­san­to, BASF, Syn­gen­ta…) aux­quelles ils sont oblig­és de racheter tous les ans les semences OGM. 

L’apparition timide de quelques projets de développement durable

En marge des grands pro­jets de défrichage de la forêt des­tinés à des cul­tures ou à des con­struc­tions d’in­fra­struc­tures (routes, bar­rages hydroélec­triques, aéro­ports…), se dévelop­pent ces dernières années des pro­jets aux dimen­sions plus mod­estes et com­pat­i­bles avec les exi­gences du développe­ment durable. 

L’un des pro­jets qui com­bi­nent le mieux préser­va­tion des richess­es naturelles et développe­ment économique est la cueil­lette de la noix du Brésil. Dans l’É­tat bien préservé de l’Ama­pa par exem­ple, où seule­ment 2 % des 143 000 km² de l’É­tat sont mar­qués par la trace de l’Homme, des anciens tra­vailleurs du pro­jet Jari se sont asso­ciés en coopéra­tive en 1995 pour organ­is­er la cueil­lette de noix du Brésil dans une par­celle de 915 000 hectares de forêt pri­maire. Une fois cueil­lie, la noix est broyée en farine pour con­fec­tion­ner un bis­cuit qu’ils vendent avec des marges beau­coup plus intéres­santes que le fruit brut non transformé. 

Depuis une dizaine d’an­nées, il existe aus­si des pro­jets d’ex­ploita­tion du bois trop­i­cal respectueux de l’é­cosys­tème de la forêt. Les ter­ri­toires con­cernés sont découpés en par­celles qui sont exploitées à tour de rôle pour leur laiss­er le temps de se régénér­er et, dans chaque par­celle, cer­tains spéci­mens par­mi les plus grands sont lais­sés en place pour la fer­tilis­er à nouveau. 

En 1993, après le som­met de Rio, un label d’é­co­cer­ti­fi­ca­tion du bois fut créé : le label FSC (For­est Stew­ard­ship Coun­cil ou Con­seil de bonne ges­tion forestière), qui per­met de s’as­sur­er que le bois acheté provient de forêts gérées durable­ment. Depuis lors, cer­taines entre­pris­es européennes se sont engagées à n’a­cheter que du bois éco­cer­ti­fié : la pre­mière fut Ikea, puis Lapeyre, Leroy Mer­lin et Cas­tora­ma prirent le train en marche. Mais aujour­d’hui la France reste le pre­mier impor­ta­teur européen de bois trop­i­cal non éco­cer­ti­fié. La plu­part des acheteurs de bois de con­struc­tion con­tin­u­ent trop sou­vent à opter pour la solu­tion la moins chère plutôt que pour la préser­va­tion des forêts trop­i­cales. Il est à not­er que l’É­tat français, qui achète pour les marchés publics 25 % du bois importé en France, sem­ble déter­miné à rat­trap­er son retard puisqu’il s’est fixé comme objec­tif d’a­cheter 100 % de bois éco­cer­ti­fié en 2010. 

Quel avenir pour l’Amazonie ?

Aujour­d’hui le rythme de la déforesta­tion en Ama­zonie est de 20 000 à 25 000 km² par an, soit qua­tre hectares par minute. La ten­dance n’est pas au ralen­tisse­ment. Dans les autres régions du Brésil, l’él­e­vage exten­sif et l’ex­trac­tion de min­erais aug­mentent encore leur emprise sur les écosys­tèmes orig­inels, les villes con­tin­u­ent leur expan­sion et rares sont celles qui trait­ent leurs déchets et leurs eaux usées. 

À pro­pos de l’A­ma­zonie, Lula déçut beau­coup les organ­i­sa­tions de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement quand entre 2003 et 2004 une aug­men­ta­tion impor­tante du rythme de déboise­ment fut con­statée après son arrivée au pou­voir. Mais la poli­tique de Lula ne pour­ra être jugée qu’à l’aune de ses résul­tats à moyen et long terme. Il s’est indé­ni­able­ment investi con­tre l’ex­ploita­tion illé­gale de la forêt, pour que la lég­is­la­tion qui pro­tège l’en­vi­ron­nement soit mieux appliquée. 

Il existe en effet au Brésil une lég­is­la­tion très éten­due qui pro­tège une par­tie impor­tante des écosys­tèmes et des ter­ri­toires indigènes. En théorie, 20 % du ter­ri­toire brésilien et un tiers de la forêt ama­zoni­enne sont préservés par la loi. Mais il y a encore beau­coup trop peu de moyens pour con­trôler l’ap­pli­ca­tion des lois. L’IBAMA ne dis­pose pas du bud­get de fonc­tion­nement à la hau­teur de la tâche et les men­aces de mort sont mon­naie courante en Ama­zonie pour les fonc­tion­naires trop zélés. 

Il existe la même con­tra­dic­tion entre théorie et pra­tique au sein de l’opin­ion publique brésili­enne. Les Brésiliens sont très attachés à leur nature et con­scients de ses richess­es mais, par manque d’é­d­u­ca­tion, la majeure par­tie d’en­tre eux est encore très peu infor­mée des défis envi­ron­nemen­taux qu’af­fronte leur pays. Même la frange la plus riche de la pop­u­la­tion qui a pour­tant des revenus bien supérieurs à la plu­part des Européens (10 % de la pop­u­la­tion brésili­enne pos­sè­dent 46 % des richess­es du pays) ne se soucie que très peu des prob­lé­ma­tiques envi­ron­nemen­tales locales et glob­ales. La route est par exem­ple sys­té­ma­tique­ment priv­ilégiée par rap­port à tout autre moyen de trans­port moins pol­lu­ant. À tort ou à rai­son, le réchauf­fe­ment cli­ma­tique est con­sid­éré par cette élite économique comme un prob­lème des pays du Nord. 

Début 2007, Lula a dévoilé son Plan pour l’ac­céléra­tion de la crois­sance (le PAC). Il prévoit 235 mil­liards de dol­lars d’in­vestisse­ment en qua­tre ans dans le domaine des infra­struc­tures de pro­duc­tion d’én­ergie et de trans­port essen­tielle­ment. En Ama­zonie, deux nou­veaux bar­rages sur des afflu­ents de l’A­ma­zone sont prévus, des nou­velles routes seront con­stru­ites pour faciliter l’é­vac­u­a­tion de la pro­duc­tion de soja, la fron­tière agri­cole sera repoussée pour aug­menter la sur­face de ter­res cul­tivées. L’idée anci­enne que le Brésil s’est dévelop­pé et se dévelop­pera en exploitant ses ter­ri­toires vierges est man­i­feste­ment tou­jours d’actualité. 

Le PAC a été cri­tiqué par les pays européens et qua­si­ment toutes les asso­ci­a­tions écologiques. Mais Lula estime que sur le plan envi­ron­nemen­tal, le Brésil n’est pas un mau­vais élève. En effet, son pays est à la tête de la révo­lu­tion verte des bio­car­bu­rants (qui n’est en fait pas aus­si « verte » que ce qu’en dis­ent les pro­mo­teurs), et plus de 80 % de son énergie élec­trique provient de l’hy­droélec­tric­ité grâce à un relief et une plu­viométrie favor­ables. Un seul bar­rage gigan­tesque, le bar­rage d’I­taipu, pro­duit 14 GW d’élec­tric­ité, soit 20 % de l’én­ergie con­som­mée au Brésil et 90 % de la con­som­ma­tion du Paraguay. 

Lula refuse donc de recevoir des leçons des pays du Nord et n’ad­met aucune ingérence de leur part à pro­pos de la ges­tion de l’A­ma­zonie. Au mois de févri­er 2007, il déclarait : « Les pays rich­es sont malins, ils édictent des normes con­tre la déforesta­tion, après avoir détru­it leurs pro­pres forêts. »

Les chiffres lui don­nent rai­son. Au Brésil, les deux tiers de la forêt pri­maire sont intacts, alors qu’il ne reste que 0,3 % des forêts qui cou­vraient l’Eu­rope il y a huit mille ans. 

Il omet toute­fois d’évo­quer dans son dis­cours les immenses « queimadas » ou brûlis en Ama­zonie, qui pla­cent le Brésil au 4e rang de pro­duc­tion de CO2 dans le monde… 

Il est donc cer­tain que la déforesta­tion con­tin­uera encore longtemps au Brésil. L’avenir est som­bre pour l’A­ma­zonie. La meilleure solu­tion pour sa préser­va­tion serait prob­a­ble­ment un mora­toire inter­na­tion­al avec des moyens financiers impor­tants des pays dévelop­pés pour assur­er sa pro­tec­tion sur le ter­rain. Mais dans un pays où un tiers de la pop­u­la­tion vit en dessous du seuil de pau­vreté, tous les acteurs de la vie économique et poli­tique con­sid­èrent que la crois­sance du PIB a la pri­or­ité sur le reste et que la sanc­tu­ar­i­sa­tion de l’A­ma­zonie est inen­vis­age­able. Il est dif­fi­cile de leur don­ner com­plète­ment tort. 

Par con­tre il est légitime d’e­spér­er que ces pro­jets de développe­ment économique soient durables et que leurs fruits soient équitable­ment partagés. Or, au Brésil, les mégapro­jets d’in­fra­struc­tures n’ont jamais mon­tré qu’ils pou­vaient génér­er des revenus équitable­ment répar­tis par­mi les dif­férentes class­es de la pop­u­la­tion tout en respec­tant suff­isam­ment l’en­vi­ron­nement pour assur­er leur péren­nité. En Ama­zonie, les sols exploités de manière inten­sive s’ap­pau­vris­sent en quelques années, les bar­rages sont comblés par les limons, même les grands pro­jets routiers ambitieux comme la transama­zoni­enne se détéri­orent rapi­de­ment et devi­en­nent vite imprat­i­ca­bles pen­dant les six mois de la sai­son des pluies. 

Les solu­tions con­formes à l’e­sprit du développe­ment durable sont des pro­jets de plus petites dimen­sions comme les pro­jets de cueil­lette de noix ou d’ex­ploita­tion de bois éco­cer­ti­fié men­tion­nés plus haut. Mais la répar­ti­tion extrême­ment iné­gal­i­taire des ter­res au Brésil, le dif­fi­cile accès aux prêts ban­caires pour les paysans, leur manque d’é­d­u­ca­tion agri­cole et envi­ron­nemen­tale sont des obsta­cles de taille pour que ces petits pro­jets soient réal­isés un jour à grande échelle. 

Rap­pelons pour ter­min­er que les Européens sont les pre­miers impor­ta­teurs de pro­duits agri­coles au monde. Or les entre­pris­es agroal­i­men­taires qui impor­tent et trans­for­ment les pro­duits agri­coles issus des régions trop­i­cales sont à l’é­coute des exi­gences de leurs clients. Cha­cun d’en­tre nous, en tant que con­som­ma­teur au super­marché, pre­neur de déci­sion dans une entre­prise ou pour l’É­tat français, dif­fuseur d’opin­ion, a donc un rôle à jouer pour frein­er la destruc­tion des écosys­tèmes des régions tropicales. 

Voici quelques pistes que suiv­ront ceux qui se con­sid­èrent comme des citoyens du monde : acheter des meubles ou pro­mou­voir des con­struc­tions en bois éco­cer­ti­fié, réduire sa con­som­ma­tion de viande provenant d’Amérique latine ou d’an­i­maux nour­ris avec de la farine de soja (les poulets élevés en bat­terie, la viande des fast-foods…), priv­ilégi­er les pro­duits ali­men­taires issus du com­merce équitable ou de l’a­gri­cul­ture biologique, pro­mou­voir les mécan­ismes de développe­ment pro­pre du pro­to­cole de Kyoto, être un con­som­ma­teur respon­s­able en général en exigeant tou­jours de con­naître l’o­rig­ine des pro­duits achetés.

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