Les polytechniciens inscrits sur la Tour Eiffel 2⁄4

Le mois dernier, nous avons présenté les polytechniciens dont le nom est inscrit sur la face orientée vers le Trocadéro du premier étage de la tour Eiffel. Passons ce mois-ci à ceux dont le nom est inscrit sur la face du côté Grenelle (S.-O.), soit 9 polytechniciens. Et mentionnons au passage les non-polytechniciens qui présentent tout autant d’intérêt.
Cet article est la suite de celui publié dans La Jaune et la Rouge n° 804, d’avril 2025 : Les polytechniciens inscrits sur la Tour Eiffel 1⁄4
Jules Jamin (1818−1886) est un physicien, lauréat du concours général en sciences, normalien, triple licencié en physique, mathématiques et sciences naturelles ; il sera premier du premier concours d’agrégation de sciences physiques, en 1841. Sa thèse de 1847 porte sur la réflexion de la lumière sur la surface des métaux. Il professe le cours de physique de l’École polytechnique de 1852 à 1881. Académicien des sciences en 1862, président pour l’année 1882, commandeur de la Légion d’honneur.
Louis Joseph Gay-Lussac (1778−1850), X1797
En n° 2 est donc inscrit le nom de Gay-Lussac. Entré à l’X en 1797, il suivra les cours de l’École des ponts mais se focalise, sous la houlette de Berthollet, sur la chimie comme assistant au laboratoire de l’École. Il y deviendra professeur de « chimie pratique » dès 1809 au décès de Fourcroy, et le restera jusqu’en 1840. Il devient alors administrateur puis président de la manufacture royale de Saint-Gobain jusqu’à son décès. Ses travaux scientifiques sur la dilatation des gaz lui vaudront d’entrer au comité consultatif des poudres et salpêtres (alors une direction du ministère des Finances), puis au conseil de perfectionnement du Conservatoire des Arts et Métiers. Élu dès 1806 à l’Institut national qui se transformera en Académie des sciences, il présidera cette institution pour les années 1822 puis 1834.
Grand officier de la Légion d’honneur, il sera sous la monarchie de Juillet député de Limoges (arrondissement de sa naissance à Saint-Léonard-de-Noblat) en 1831, puis réélu, et sera nommé pair de France en 1839. À côté figure le nom d’Hippolyte Fizeau (1819−1896), physicien et astronome à qui l’on doit la première photo nette du Soleil (par daguerréotype). L’effet Doppler s’appelait initialement Doppler-Fizeau. Il est le premier à mesurer la vitesse de la lumière selon trois procédés différents. Il était avec Chevreul (cf. notre livraison précédente) le seul savant vivant lors de l’inauguration de la tour le 31 mars 1889. Le quatrième patronyme est celui d’Eugène Schneider (1805−1875), industriel et homme politique, fondateur de la société Schneider et Cie, qui ne semble pourtant que très indirectement concerné par la science…
Louis Le Chatelier (1815−1873), X1834
Ingénieur des Mines, il s’intéressa à la détection du grisou et mit au point une lampe qui porte son nom. Il deviendra inspecteur général des Mines. Très intéressé par les chemins de fer, il invente le frein à contre-vapeur (une injection d’eau qui diminue la température et modère la pression) qui sera ensuite combiné avec un frein à sabot (Westinghouse). Il s’activera largement comme « ingénieur-conseil » auprès de maintes compagnies ferroviaires, françaises comme étrangères. Officier de la Légion d’honneur, il inventa aussi un procédé d’extraction de l’alumine de la bauxite et un perfectionnement du procédé Siemens de production de l’acier.
Pierre Berthier (1782−1861), X1798
Il est logiquement à côté de Le Chatelier puisqu’il est le découvreur en 1821 des propriétés de la bauxite (alumine). Entré au corps des Mines, il y développe une belle carrière en province dans six départements, avant d’être promu ingénieur en chef en Saône-et-Loire. Il terminera Inspecteur général en 1836. Minéralogiste et géologue distingué, il travaille au laboratoire de l’École des mines dont il devient le chef, puis le professeur de docimasie (essai des métaux). On lui doit plus de 150 publications scientifiques. Il entre à l’Académie des sciences en 1825 et sera nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1828.
Jean Augustin Barral (1819−1884), X1838
Le sixième nom et troisième X consécutif est le sien. Il travaille à l’administration des tabacs où il analyse la composition de la nicotine. Chimiste, physicien et agronome, il se passionne pour la vulgarisation en agriculture et en irrigation, publiant beaucoup comme journaliste scientifique puis dirigeant de revues spécialisées. Il deviendra secrétaire de la Société d’agriculture de France en 1871 et le restera jusqu’à sa mort. Il était, à l’époque, fort connu aussi pour son ascension scientifique en ballon avec Bixio en 1850 (évolution de la température et de la composition de l’air) et pour avoir rassemblé après son décès les œuvres complètes de F. Arago.
En septième position figure (le comte) Henri de Dion (1828−1873), centralien (1848−1851) qui devint un spécialiste des constructions métalliques. Ses travaux de restauration à N.-D. de Bayeux lui vaudront la croix de chevalier de la Légion d’honneur en 1859. Son concours à la défense de Paris encerclée par les Prussiens (redoutes de Champigny) lui valut la rosette d’officier, à titre militaire, dès octobre 1870. II a été président de la Société des ingénieurs civils de France.
Ernest Goüin (1815−1885), X1834
Major de sortie de sa promotion, il démissionne pour se consacrer, après quelques années en Angleterre, à la construction de matériel puis de lignes ferroviaires, créant aux Batignolles une société dont le développement la transformera en SPIE-Batignolles, remarquable par sa diversification induite par un service de recherche performant et une ouverture à l’international. Le pont d’Asnières-sur-Seine (entièrement en tôle, portée de 160 m) assoit sa réputation avant ceux de Langon ou Culoz, puis dix ponts en Russie, d’autres en Espagne, et le pont Marguerite à Budapest que l’on reconstruira à l’identique après 1945.
Cet entrepreneur deviendra président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris après avoir présidé le Tribunal de commerce. Il est élu des Batignolles à Paris et du département de la Seine, régent de la Banque de France, commandeur de la Légion d’honneur en 1874 ; sa philanthropie le conduisit à créer, dès 1847, une société de secours mutuel pour ses ouvriers, puis une maison de retraite dédiée, à Garches, agrandie ultérieurement par l’entreprise.
Louis Didier Jousselin (1776−1858), X1794
Il figure au 9e rang : membre de la promotion fondatrice de l’École centrale des travaux publics, non encore baptisée Polytechnique, il opte pour les Ponts et Chaussées, travaille à Maastricht sur la Meuse puis participe à la brillante défense de Hambourg du maréchal Davout en 1813–1814, réalisant notamment en 120 jours un pont en bois de 6 km fort utile pour les défenseurs. En 1815, il est nommé inspecteur divisionnaire des Ponts et Chaussées à 39 ans, mais rétrogradé à Nevers sous la Restauration. Sous la monarchie de Juillet, il devient député du Loiret puis conseiller général du canton de Jargeau, améliorant fortement les quais de la Loire dans Orléans. À côté est inscrit le nom de Paul Pierre Broca (1824−1880), médecin et chirurgien, spécialiste du cerveau, découvreur du centre de la parole (aire de Broca), du lien entre rachitisme et nutrition infantile, fondateur de l’anthropologie.
Antoine Becquerel (1788−1878), X1806
Officier du génie, il quitte l’armée en 1815 pour se consacrer à des travaux scientifiques dans le domaine de la physique. Il devient académicien des sciences en 1829, puis son président pour 1838, titulaire de la chaire de physique du Muséum en 1837. Ses travaux concernent l’électricité et le magnétisme (traité en sept volumes). Il invente la pile à courant continu. Conseiller général (1847−1870) du canton de Châtillon-Coligny, sa commune de naissance, commandeur de la Légion d’honneur en 1865, il a un fils physicien et son collaborateur, qui lui-même aura comme rejeton Antoine Henri Becquerel X 1872, qui obtiendra le prix Nobel de physique en 1903.
Gaspard Gustave Coriolis (1792−1843), X1808
Il entre dès 16 ans et demi à Polytechnique (8e sur 157) et en sort 11e, dans le corps des Ponts et Chaussées. Sa carrière sur le terrain est entravée par une santé des plus fragiles et il préfère se consacrer aux sciences. Répétiteur « d’analyse et de mécanique » à l’X en janvier 1817, il se voue définitivement à l’enseignement et à la recherche, professant la mécanique, notamment à Centrale puis à l’École des ponts. Il entre à l’Académie des sciences en 1836, est nommé directeur des études de l’X en 1838, mais sans plus pouvoir enseigner en raison de sa santé.
On lui doit l’analyse de la force de Coriolis (mémoires de 1835) qui fait dévier à droite (dans le sens des aiguilles d’une montre) en hémisphère boréal, et en sens inverse dans l’hémisphère austral, toutes choses étant égales par ailleurs. Déjà connue empiriquement des explorateurs portugais dès le XVIe pour leur grande « volte » en Atlantique, elle constitue un élément important dans les domaines océanographique et météorologique, sinon balistique pour de longues portées. Ainsi les canons surnommés « Grosse Bertha » (Pariser Kanonen) tiraient sur la capitale en 1918 depuis 110 km environ, d’où une déviation de 1 650 mètres due à la force de Coriolis, à prendre en compte dans ses composantes horizontale comme verticale, pour ajuster le tir.
Quelques non‑X…
Jean-François Cail (1804−1871) est un autodidacte ayant commencé à travailler à neuf ans, pionnier de la révolution industrielle en France, inventeur de matériels pour sucreries puis fabricant de locomotives. Il développe une entreprise qui, par fusion en 1861, devient Fives-Lille-Cail et qui emploie plus de 5 000 ouvriers à sa mort, dix ans plus tard.
Le nom suivant rend hommage à Jacques Triger (1801−1867), entrepreneur sarthois et savant géologue. Celui-ci mit au point l’excavation par air comprimé avec sas de décompression, procédé utilisé par le tout jeune G. Eiffel pour la passerelle portant son nom à Bordeaux en 1858… avant sa reprise du procédé pour deux des piles de la tour Eiffel assises dans un ancien bras de la Seine.
Henri Giffard (1825−1882) est logiquement le voisin de Triger : ce centralien a deux passions, les chemins de fer et l’aviation ; il perfectionne considérablement les injecteurs avec son brevet de 1858 qui permettra le développement du procédé Triger. Il prône l’utilisation de la vapeur pour le plus lourd que l’air : sa renommée est à son comble avec le ballon captif de 25 000 m3, clou de l’Exposition universelle de 1878 aux Tuileries, emportant 40 passagers et donc en trois mois réalisant plus de baptêmes de l’air que depuis Montgolfier.
François Perrier (1833−1888), X1853
Il développe une belle carrière d’officier de cavalerie, obtenant les étoiles de brigadier en 1887. C’est un spécialiste de la triangulation, entré au Bureau des longitudes en 1875, responsable du service de géodésie de l’armée en 1879. Académicien des sciences en 1880, commandeur de la Légion d’honneur en 1885 à titre militaire, il devient, curieusement, aussi conseiller général de Valleraugue en 1880 dans les Cévennes, son lieu de naissance, puis président du Conseil général du Gard à partir de 1883 jusqu’à sa mort par rupture d’anévrisme. La Maison carrée de Nîmes est longée par l’avenue qui porte son nom.
Le dernier nom de la façade illustre un Genevois, Jacques Charles, François Sturm (1803−1855) : mathématicien, précepteur du fils de Mme de Staël, il s’intéresse à la vitesse du son dans l’eau. « Monté » à Paris en 1825, il obtient un prix de l’Académie deux ans plus tard sur la compressibilité des liquides. On lui doit le théorème de Sturm en analyse, publié en 1829, sur le nombre de racines réelles distinctes d’une fonction polynomiale dans un intervalle donné. Lauréat en 1834, il entre à l’Académie des sciences en 1836, devient répétiteur puis professeur à Polytechnique en analyse et mécanique, et parallèlement succède à Poisson à la chaire de mécanique de la faculté des sciences. Officier de la Légion d’honneur en 1847.