Polytechniciens sur la Tour Eiffel côté Sud-Ouest

Les polytechniciens inscrits sur la Tour Eiffel 24

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°805 Mai 2025
Par Jacques-André LESNARD

Le mois der­nier, nous avons pré­sen­té les poly­tech­ni­ciens dont le nom est ins­crit sur la face orien­tée vers le Tro­ca­dé­ro du pre­mier étage de la tour Eif­fel. Pas­sons ce mois-ci à ceux dont le nom est ins­crit sur la face du côté Gre­nelle (S.-O.), soit 9 poly­tech­ni­ciens. Et men­tion­nons au pas­sage les non-poly­tech­ni­ciens qui pré­sentent tout autant d’intérêt.


Cet article est la suite de celui publié dans La Jaune et la Rouge n° 804, d’a­vril 2025 : Les poly­tech­ni­ciens ins­crits sur la Tour Eif­fel 14


Jules Jamin (1818−1886) est un phy­si­cien, lau­réat du concours géné­ral en sciences, nor­ma­lien, triple licen­cié en phy­sique, mathé­ma­tiques et sciences natu­relles ; il sera pre­mier du pre­mier concours d’agrégation de sciences phy­siques, en 1841. Sa thèse de 1847 porte sur la réflexion de la lumière sur la sur­face des métaux. Il pro­fesse le cours de phy­sique de l’École poly­tech­nique de 1852 à 1881. Aca­dé­mi­cien des sciences en 1862, pré­sident pour l’année 1882, com­man­deur de la Légion d’honneur.

Louis Joseph Gay-Lussac 
(1778-1850), X1797Louis Joseph Gay-Lussac (1778−1850), X1797

En n° 2 est donc ins­crit le nom de Gay-Lus­sac. Entré à l’X en 1797, il sui­vra les cours de l’École des ponts mais se foca­lise, sous la hou­lette de Ber­thol­let, sur la chi­mie comme assis­tant au labo­ra­toire de l’École. Il y devien­dra pro­fes­seur de « chi­mie pra­tique » dès 1809 au décès de Four­croy, et le res­te­ra jusqu’en 1840. Il devient alors admi­nis­tra­teur puis pré­sident de la manu­fac­ture royale de Saint-Gobain jusqu’à son décès. Ses tra­vaux scien­ti­fiques sur la dila­ta­tion des gaz lui vau­dront d’entrer au comi­té consul­ta­tif des poudres et sal­pêtres (alors une direc­tion du minis­tère des Finances), puis au conseil de per­fec­tion­ne­ment du Conser­va­toire des Arts et Métiers. Élu dès 1806 à l’Institut natio­nal qui se trans­for­me­ra en Aca­dé­mie des sciences, il pré­si­de­ra cette ins­ti­tu­tion pour les années 1822 puis 1834. 

Grand offi­cier de la Légion d’honneur, il sera sous la monar­chie de Juillet dépu­té de Limoges (arron­dis­se­ment de sa nais­sance à Saint-Léo­nard-de-Noblat) en 1831, puis réélu, et sera nom­mé pair de France en 1839. À côté figure le nom d’Hip­po­lyte Fizeau (1819−1896), phy­si­cien et astro­nome à qui l’on doit la pre­mière pho­to nette du Soleil (par daguer­réo­type). L’effet Dop­pler s’appelait ini­tia­le­ment Dop­pler-Fizeau. Il est le pre­mier à mesu­rer la vitesse de la lumière selon trois pro­cé­dés dif­fé­rents. Il était avec Che­vreul (cf. notre livrai­son pré­cé­dente) le seul savant vivant lors de l’inauguration de la tour le 31 mars 1889. Le qua­trième patro­nyme est celui d’Eugène Schnei­der (1805−1875), indus­triel et homme poli­tique, fon­da­teur de la socié­té Schnei­der et Cie, qui ne semble pour­tant que très indi­rec­te­ment concer­né par la science…

Louis Le Chatelier (1815-1873), X1834Louis Le Chatelier (1815−1873), X1834

Ingé­nieur des Mines, il s’intéressa à la détec­tion du gri­sou et mit au point une lampe qui porte son nom. Il devien­dra ins­pec­teur géné­ral des Mines. Très inté­res­sé par les che­mins de fer, il invente le frein à contre-vapeur (une injec­tion d’eau qui dimi­nue la tem­pé­ra­ture et modère la pres­sion) qui sera ensuite com­bi­né avec un frein à sabot (Wes­tin­ghouse). Il s’activera lar­ge­ment comme « ingé­nieur-conseil » auprès de maintes com­pa­gnies fer­ro­viaires, fran­çaises comme étran­gères. Offi­cier de la Légion d’honneur, il inven­ta aus­si un pro­cé­dé d’extraction de l’alumine de la bauxite et un per­fec­tion­ne­ment du pro­cé­dé Sie­mens de pro­duc­tion de l’acier.

Pierre Berthier (1782-1861), X1798Pierre Berthier (1782−1861), X1798

Il est logi­que­ment à côté de Le Cha­te­lier puisqu’il est le décou­vreur en 1821 des pro­prié­tés de la bauxite (alu­mine). Entré au corps des Mines, il y déve­loppe une belle car­rière en pro­vince dans six dépar­te­ments, avant d’être pro­mu ingé­nieur en chef en Saône-et-Loire. Il ter­mi­ne­ra Ins­pec­teur géné­ral en 1836. Miné­ra­lo­giste et géo­logue dis­tin­gué, il tra­vaille au labo­ra­toire de l’École des mines dont il devient le chef, puis le pro­fes­seur de doci­ma­sie (essai des métaux). On lui doit plus de 150 publi­ca­tions scien­ti­fiques. Il entre à l’Académie des sciences en 1825 et sera nom­mé che­va­lier de la Légion d’honneur en 1828.

Jean Augustin Barral (1819-1884), X1838Jean Augustin Barral (1819−1884), X1838

Le sixième nom et troi­sième X consé­cu­tif est le sien. Il tra­vaille à l’administration des tabacs où il ana­lyse la com­po­si­tion de la nico­tine. Chi­miste, phy­si­cien et agro­nome, il se pas­sionne pour la vul­ga­ri­sa­tion en agri­cul­ture et en irri­ga­tion, publiant beau­coup comme jour­na­liste scien­ti­fique puis diri­geant de revues spé­cia­li­sées. Il devien­dra secré­taire de la Socié­té d’agriculture de France en 1871 et le res­te­ra jusqu’à sa mort. Il était, à l’époque, fort connu aus­si pour son ascen­sion scien­ti­fique en bal­lon avec Bixio en 1850 (évo­lu­tion de la tem­pé­ra­ture et de la com­po­si­tion de l’air) et pour avoir ras­sem­blé après son décès les œuvres com­plètes de F. Arago.

En sep­tième posi­tion figure (le comte) Hen­ri de Dion (1828−1873), cen­tra­lien (1848−1851) qui devint un spé­cia­liste des construc­tions métal­liques. Ses tra­vaux de res­tau­ra­tion à N.-D. de Bayeux lui vau­dront la croix de che­va­lier de la Légion d’honneur en 1859. Son concours à la défense de Paris encer­clée par les Prus­siens (redoutes de Cham­pi­gny) lui valut la rosette d’officier, à titre mili­taire, dès octobre 1870. II a été pré­sident de la Socié­té des ingé­nieurs civils de France.

Ernest Goüin (1815-1885), X1834Ernest Goüin (1815−1885), X1834

Major de sor­tie de sa pro­mo­tion, il démis­sionne pour se consa­crer, après quelques années en Angle­terre, à la construc­tion de maté­riel puis de lignes fer­ro­viaires, créant aux Bati­gnolles une socié­té dont le déve­lop­pe­ment la trans­for­me­ra en SPIE-Bati­gnolles, remar­quable par sa diver­si­fi­ca­tion induite par un ser­vice de recherche per­for­mant et une ouver­ture à l’international. Le pont d’Asnières-sur-Seine (entiè­re­ment en tôle, por­tée de 160 m) assoit sa répu­ta­tion avant ceux de Lan­gon ou Culoz, puis dix ponts en Rus­sie, d’autres en Espagne, et le pont Mar­gue­rite à Buda­pest que l’on recons­trui­ra à l’identique après 1945. 

Cet entre­pre­neur devien­dra pré­sident de la Chambre de com­merce et d’industrie de Paris après avoir pré­si­dé le Tri­bu­nal de com­merce. Il est élu des Bati­gnolles à Paris et du dépar­te­ment de la Seine, régent de la Banque de France, com­man­deur de la Légion d’honneur en 1874 ; sa phi­lan­thro­pie le condui­sit à créer, dès 1847, une socié­té de secours mutuel pour ses ouvriers, puis une mai­son de retraite dédiée, à Garches, agran­die ulté­rieu­re­ment par l’entreprise.

Louis Didier Jousselin (1776-1858), X1794Louis Didier Jousselin (1776−1858), X1794

Il figure au 9e rang : membre de la pro­mo­tion fon­da­trice de l’École cen­trale des tra­vaux publics, non encore bap­ti­sée Poly­tech­nique, il opte pour les Ponts et Chaus­sées, tra­vaille à Maas­tricht sur la Meuse puis par­ti­cipe à la brillante défense de Ham­bourg du maré­chal Davout en 1813–1814, réa­li­sant notam­ment en 120 jours un pont en bois de 6 km fort utile pour les défen­seurs. En 1815, il est nom­mé ins­pec­teur divi­sion­naire des Ponts et Chaus­sées à 39 ans, mais rétro­gra­dé à Nevers sous la Res­tau­ra­tion. Sous la monar­chie de Juillet, il devient dépu­té du Loi­ret puis conseiller géné­ral du can­ton de Jar­geau, amé­lio­rant for­te­ment les quais de la Loire dans Orléans. À côté est ins­crit le nom de Paul Pierre Bro­ca (1824−1880), méde­cin et chi­rur­gien, spé­cia­liste du cer­veau, décou­vreur du centre de la parole (aire de Bro­ca), du lien entre rachi­tisme et nutri­tion infan­tile, fon­da­teur de l’anthropologie.

Antoine Becquerel (1788-1878), X1806Antoine Becquerel (1788−1878), X1806

Offi­cier du génie, il quitte l’armée en 1815 pour se consa­crer à des tra­vaux scien­ti­fiques dans le domaine de la phy­sique. Il devient aca­dé­mi­cien des sciences en 1829, puis son pré­sident pour 1838, titu­laire de la chaire de phy­sique du Muséum en 1837. Ses tra­vaux concernent l’électricité et le magné­tisme (trai­té en sept volumes). Il invente la pile à cou­rant conti­nu. Conseiller géné­ral (1847−1870) du can­ton de Châ­tillon-Coli­gny, sa com­mune de nais­sance, com­man­deur de la Légion d’honneur en 1865, il a un fils phy­si­cien et son col­la­bo­ra­teur, qui lui-même aura comme reje­ton Antoine Hen­ri Bec­que­rel X 1872, qui obtien­dra le prix Nobel de phy­sique en 1903.

Gaspard Gustave Coriolis (1792-1843), X1808Gaspard Gustave Coriolis (1792−1843), X1808

Il entre dès 16 ans et demi à Poly­tech­nique (8e sur 157) et en sort 11e, dans le corps des Ponts et Chaus­sées. Sa car­rière sur le ter­rain est entra­vée par une san­té des plus fra­giles et il pré­fère se consa­crer aux sciences. Répé­ti­teur « d’analyse et de méca­nique » à l’X en jan­vier 1817, il se voue défi­ni­ti­ve­ment à l’enseignement et à la recherche, pro­fes­sant la méca­nique, notam­ment à Cen­trale puis à l’École des ponts. Il entre à l’Académie des sciences en 1836, est nom­mé direc­teur des études de l’X en 1838, mais sans plus pou­voir ensei­gner en rai­son de sa santé. 

On lui doit l’analyse de la force de Corio­lis (mémoires de 1835) qui fait dévier à droite (dans le sens des aiguilles d’une montre) en hémi­sphère boréal, et en sens inverse dans l’hémisphère aus­tral, toutes choses étant égales par ailleurs. Déjà connue empi­ri­que­ment des explo­ra­teurs por­tu­gais dès le XVIe pour leur grande « volte » en Atlan­tique, elle consti­tue un élé­ment impor­tant dans les domaines océa­no­gra­phique et météo­ro­lo­gique, sinon balis­tique pour de longues por­tées. Ain­si les canons sur­nom­més « Grosse Ber­tha » (Pari­ser Kano­nen) tiraient sur la capi­tale en 1918 depuis 110 km envi­ron, d’où une dévia­tion de 1 650 mètres due à la force de Corio­lis, à prendre en compte dans ses com­po­santes hori­zon­tale comme ver­ti­cale, pour ajus­ter le tir.

Quelques non‑X…

Jean-Fran­çois Cail (1804−1871) est un auto­di­dacte ayant com­men­cé à tra­vailler à neuf ans, pion­nier de la révo­lu­tion indus­trielle en France, inven­teur de maté­riels pour sucre­ries puis fabri­cant de loco­mo­tives. Il déve­loppe une entre­prise qui, par fusion en 1861, devient Fives-Lille-Cail et qui emploie plus de 5 000 ouvriers à sa mort, dix ans plus tard. 

Le nom sui­vant rend hom­mage à Jacques Tri­ger (1801−1867), entre­pre­neur sar­thois et savant géo­logue. Celui-ci mit au point l’excavation par air com­pri­mé avec sas de décom­pres­sion, pro­cé­dé uti­li­sé par le tout jeune G. Eif­fel pour la pas­se­relle por­tant son nom à Bor­deaux en 1858… avant sa reprise du pro­cé­dé pour deux des piles de la tour Eif­fel assises dans un ancien bras de la Seine. 

Hen­ri Gif­fard (1825−1882) est logi­que­ment le voi­sin de Tri­ger : ce cen­tra­lien a deux pas­sions, les che­mins de fer et l’aviation ; il per­fec­tionne consi­dé­ra­ble­ment les injec­teurs avec son bre­vet de 1858 qui per­met­tra le déve­lop­pe­ment du pro­cé­dé Tri­ger. Il prône l’utilisation de la vapeur pour le plus lourd que l’air : sa renom­mée est à son comble avec le bal­lon cap­tif de 25 000 m3, clou de l’Exposition uni­ver­selle de 1878 aux Tui­le­ries, empor­tant 40 pas­sa­gers et donc en trois mois réa­li­sant plus de bap­têmes de l’air que depuis Montgolfier.

François Perrier (1833-1888), X1853François Perrier (1833−1888), X1853

Il déve­loppe une belle car­rière d’officier de cava­le­rie, obte­nant les étoiles de bri­ga­dier en 1887. C’est un spé­cia­liste de la tri­an­gu­la­tion, entré au Bureau des lon­gi­tudes en 1875, res­pon­sable du ser­vice de géo­dé­sie de l’armée en 1879. Aca­dé­mi­cien des sciences en 1880, com­man­deur de la Légion d’honneur en 1885 à titre mili­taire, il devient, curieu­se­ment, aus­si conseiller géné­ral de Val­le­raugue en 1880 dans les Cévennes, son lieu de nais­sance, puis pré­sident du Conseil géné­ral du Gard à par­tir de 1883 jusqu’à sa mort par rup­ture d’anévrisme. La Mai­son car­rée de Nîmes est lon­gée par l’avenue qui porte son nom.

Le der­nier nom de la façade illustre un Gene­vois, Jacques Charles, Fran­çois Sturm (1803−1855) : mathé­ma­ti­cien, pré­cep­teur du fils de Mme de Staël, il s’intéresse à la vitesse du son dans l’eau. « Mon­té » à Paris en 1825, il obtient un prix de l’Académie deux ans plus tard sur la com­pres­si­bi­li­té des liquides. On lui doit le théo­rème de Sturm en ana­lyse, publié en 1829, sur le nombre de racines réelles dis­tinctes d’une fonc­tion poly­no­miale dans un inter­valle don­né. Lau­réat en 1834, il entre à l’Académie des sciences en 1836, devient répé­ti­teur puis pro­fes­seur à Poly­tech­nique en ana­lyse et méca­nique, et paral­lè­le­ment suc­cède à Pois­son à la chaire de méca­nique de la facul­té des sciences. Offi­cier de la Légion d’honneur en 1847. 

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