Les polytechniciens inscrits sur la Tour Eiffel 1/4

Les polytechniciens inscrits sur la Tour Eiffel 14

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°804 Avril 2025
Par Jacques-André LESNARD

Ami lec­teur, as-tu remar­qué que le pre­mier étage de la tour Eif­fel est déco­ré d’une guir­lande de noms de savants ? 72 exac­te­ment. Les poly­tech­ni­ciens y figurent en nombre, illustres et moins connus. Nous ver­rons ici le rap­pel bio­gra­phique des moins connus, les illustres n’en ayant pas besoin. Au pas­sage, on ne se pri­ve­ra pas de com­men­ter tel ou tel patro­nyme non polytechnicien.
Vu le nombre de notices, l’article est décou­pé en quatre livrai­sons successives.

Le por­trait de Jean Vic­tor Pon­ce­let, X 1807 (cf. J&R n° 801) indi­quait que son nom figu­rait autour du pre­mier étage de la tour Eif­fel. L’idée en revient au concep­teur de la tour dès février 1889 : « Pour expri­mer d’une manière frap­pante que le monu­ment que j’élève sera pla­cé sous l’invocation de la Science, j’ai déci­dé d’inscrire en lettres d’or, sur la grande frise du pre­mier étage et à la place d’honneur, le nom des plus grands savants qui ont hono­ré la France depuis 1789 jusqu’à nos jours. » 

La sélec­tion des 72 noms, donc 18 par côté, est du seul choix final de G. Eif­fel, avec le biais de ne rete­nir que le der­nier siècle d’alors, car l’Exposition uni­ver­selle de Paris est celle du cen­te­naire de la Révo­lu­tion. Il pri­vi­lé­gie mathé­ma­tiques, sciences « dures » (cinq noms seule­ment concernent les sciences du vivant) et « appli­quées ». Les patro­nymes de plus de douze lettres, les pré­noms ou leurs ini­tiales, ont été écar­tés pour ces ins­crip­tions dorées en relief de 60 cm de haut, car cha­cune devait tenir entre deux consoles du bal­con du pre­mier étage et se lire depuis le sol.

Une proportion majoritaire de polytechniciens

Il est remar­quable d’y décomp­ter 34 poly­tech­ni­ciens selon Inter­net (47 % sur 72, mais 58 % en reti­rant du déno­mi­na­teur 13 noms de non‑X nés avant 1768, et donc ayant ter­mi­né leurs études avant la créa­tion de l’École). En ajou­tant dix ensei­gnants à l’X non anciens élèves, la pro­por­tion frô­le­rait alors les trois quarts ! La mémoire de bon nombre s’est bien effi­lo­chée en notre XXIe siècle, assez pour jus­ti­fier ci-après une courte notice pour cha­cun d’eux, d’où un enchaî­ne­ment de plu­sieurs articles successifs.

“Gustave Eiffel, admissible au concours de l’X de 1852, préféra opter pour l’École centrale.”

Rap­pe­lons que Gus­tave Eif­fel, admis­sible au concours de l’X de 1852, pré­fé­ra opter pour l’École cen­trale des arts et manu­factures, créée en 1829, qui lui était ain­si ouverte, plu­tôt que de redou­bler sa taupe. Trois « pis­tons » figurent dans la liste de ces savants de la tour Eif­fel. Par ailleurs trois membres de la liste sont enter­rés au Pan­théon : J. Lagrange, Lazare Car­not et G. Monge.

Com­men­çons par le côté Tro­ca­dé­ro (N.-O.).

Henri TrescaHenri Tresca (1814−1885), X 1830

Après les noms de Marc Seguin (pour les ponts sus­pen­dus et les chau­dières tubu­laires) et Joseph Lalande, astro­nome né en 1732, son nom figure en 3e posi­tion. Après l’X il fit l’École des ponts et on lui doit le cri­tère de Tres­ca pour le seuil de défor­ma­tion irré­ver­sible des maté­riaux. Il est aus­si l’auteur du mètre éta­lon inter­na­tio­nal de 1875, avec sec­tion en X pour la rigi­di­té de son alliage pla­tine (90 %) et iri­dium (10 %). Pro­fes­seur au Conser­va­toire natio­nal des arts et métiers, offi­cier de la Légion d’honneur, il est élu à l’Académie des sciences en 1872 et pré­side pen­dant quinze ans, de 1862 à 1878, la Socié­té des ingé­nieurs civils de France.

Jacques Antoine Bresse (1822-1883), X 1841Jacques Antoine Bresse (1822−1883), X 1841

Après Jean Vic­tor Pon­ce­let (X 1807) en posi­tion n° 4, hom­mage lui est ren­du en rang 5. Entré à l’X « dans les pre­miers », il opte pour le corps des Ponts, se dis­tingue à 25 ans par un article sur la résis­tance des pièces courbes, ce qui l’amène à embras­ser une car­rière d’enseignant à l’École des ponts et en paral­lèle à Poly­tech­nique, répé­ti­teur, assis­tant puis pro­fes­seur de méca­nique et de machines. Il appro­fon­dit ses études sur la résis­tance des pièces courbes, les flexions, avec les équa­tions de Navier-Bresse, et ulté­rieu­re­ment en hydrau­lique. Ins­pec­teur géné­ral des Ponts et Chaus­sées, grade som­mi­tal, il entre à l’Académie des sciences en 1880, année où il est éle­vé au grade d’officier de la Légion d’honneur. Il avait pré­si­dé le jury qui a rete­nu le pro­jet pré­sen­té par G. Eif­fel pour la construc­tion du célèbre via­duc de Garabit.

Jean Baptiste Bélanger (1790-1784), X 1808Jean Baptiste Bélanger (1790−1784), X 1808

En sau­tant Joseph Lagrange (en 6), illustre mathé­ma­ti­cien né en 1736, on arrive à ce mathé­ma­ti­cien, ingé­nieur des Ponts et Chaus­sées. Il est ame­né à s’intéresser aux canaux, d’où une spé­cia­li­sa­tion en hydrau­lique et plus encore en hydro­dy­na­mique (notam­ment l’étude du res­saut dans une sec­tion rec­tan­gu­laire). Il déve­loppe une car­rière d’enseignant à Poly­tech­nique à l’École des ponts ain­si qu’à Cen­trale, où il est admi­ré par l’élève G. Eif­fel, ce qui explique pro­ba­ble­ment son choix.

Pierre Louis Dulong (1785-1838), X 1801Pierre Louis Dulong (1785−1838), X 1801

Après le natu­ra­liste Georges Cuvier et l’astronome et mathé­ma­ti­cien Laplace en 8e et 9e posi­tions, on trouve ce nom. Il entre à Poly­tech­nique dans sa sei­zième année, ayant dû attendre un an l’âge mini­mum requis, en sui­vant à Rouen des cours de l’école de chi­mie. Sa san­té l’oblige à aban­don­ner l’école d’artillerie et il s’inscrit en méde­cine. Il trouve sa voie en deve­nant le pré­pa­ra­teur de Ber­thol­let, per­dant un œil et deux doigts en 1812 alors qu’il découvre le chlo­rure d’azote. Il pro­fesse un temps à l’École natio­nale vété­ri­naire d’Alfort, puis devient exa­mi­na­teur de chi­mie à l’X dès 1812, pro­fes­seur de phy­sique (1820−1829), puis direc­teur des études de 1830 à sa mort à 53 ans. Membre de l’Académie des sciences en 1823, il la pré­side pour l’année 1828. On lui doit de nom­breuses études sur les pro­prié­tés des gaz, notam­ment leur massique.

Michel Chasles (1793-1880), X 1812Michel Chasles (1793−1880), X 1812

Le patro­nyme sui­vant (rang 11) a mieux résis­té à l’usure du temps. Pré­nom­mé « Flo­réal » ! jusqu’en 1809, il entre 19e sur 184 au concours d’entrée et est mobi­li­sé pour la défense de Paris. À la sor­tie retar­dée en 1815, aucune place n’est offerte dans les corps civils. Sor­ti 2e, dans le Génie, il cède la place à un condis­ciple pauvre et démis­sionne, puisque son père lui offre un office… d’agent de change. Ce n’est qu’en 1828 qu’il se replonge dans les mathé­ma­tiques et son mémoire à l’Académie de Bruxelles en 1830 assoit son talent de géomètre.

Tar­di­ve­ment en 1841, il devient pro­fes­seur de machines et hydrau­lique à l’École poly­tech­nique, ain­si qu’en astro­no­mie. En 1846, il inau­gure la chaire de géo­mé­trie supé­rieure de la facul­té des sciences, entre à l’Académie des sciences en 1851 dont il était cor­res­pon­dant depuis long­temps. Il est qua­li­fié d’empe­reur de la géo­mé­trie par un savant anglais et on lui doit le terme d’homothétie (qu’il pro­non­çait téTie et non tés­sie). Il est com­man­deur de la Légion d’honneur en 1866. Un gla­cier des Ker­gue­len a été bap­ti­sé de son nom en 1961.

<yoastmark class=Claude Henri Navier (1785−1836), X 1802

Antoine Lavoi­sier, né en 1743, l’illustre chi­miste et fer­mier géné­ral guillo­ti­né, sépare Chasles d’André Marie Ampère (1775−1836) en 13e posi­tion : on se conten­te­ra d’indiquer que ce savant qua­si uni­ver­sel (dont la dis­trac­tion ser­vit de modèle au des­si­na­teur Chris­tophe pour inven­ter le savant Cosi­nus) fut répé­ti­teur à l’X en 1804, puis vingt ans pro­fes­seur d’analyse et de méca­nique de l’École, à par­tir de 1809.

L’ultime poly­tech­ni­cien du côté Tro­ca­dé­ro, en 16e place, est donc Navier. Il entre en mau­vais rang en 1802, mais réus­sit une brillante sco­la­ri­té, entre dans le corps des Ponts et devient ingé­nieur ordi­naire en 1808 dans le dépar­te­ment de la Seine : il y construit une dizaine de ponts en vingt ans (Choi­sy, Argen­teuil, Asnières…), deve­nant un remar­quable spé­cia­liste des ponts métal­liques sus­pen­dus, publiant sur le sujet un ouvrage de réfé­rence. Mais sa répu­ta­tion a été enta­chée par l’échec d’un de ces ponts à la hau­teur des Inva­lides (tas­se­ment de ter­rain obli­geant à la des­truc­tion du chantier).

En tant que théo­ri­cien, il s’intéressa à la méca­nique des fluides new­to­niens et publia en 1822 les équa­tions dites de Navier-Stokes. Il pro­fesse le cours de méca­nique appli­quée à l’École des ponts (de 1819 à sa mort). En suc­ces­sion de Cau­chy démis­sion­naire, il devient en 1831 pro­fes­seur d’analyse et de méca­nique à l’X. Aca­dé­mi­cien des sciences en 1824. Offi­cier de la Légion d’honneur, il est aus­si un éco­no­miste pré­cur­seur en ima­gi­nant une méthode de com­pa­rai­son coûts-avan­tages pour le choix des équi­pe­ments publics et leur uti­li­té, et il intro­duit des élé­ments de comp­ta­bi­li­té ana­ly­tique pour leur suivi.

Polytechniciens sur la Tour Eiffel côté Trocadéro

Les der­niers noms du côté Tro­ca­dé­ro, mis à part Chap­tal (18e et der­nier), sont peu connus : Legendre (17e, mathé­ma­ti­cien), Fla­chat (15e, ingé­nieur fer­ro­viaire dont Paris-Rouen, concep­teur des gares à char­pente métal­lique). Michel Che­vreul est en 14e posi­tion : né en 1786, chi­miste décou­vreur de la stéa­rine, direc­teur de la Manu­fac­ture natio­nale des Gobe­lins dès 1813, lié au Muséum natio­nal d’histoire natu­relle qu’il diri­gea, aca­dé­mi­cien des sciences en 1826, grand-croix de la Légion d’honneur en 1875.

Son cen­te­naire fut fêté avec éclat – féli­ci­ta­tions de la reine Vic­to­ria ! – et il eut droit à son décès dans sa 103e année le 9 avril 1889 à des funé­railles natio­nales… avant l’ouverture le 5 mai de l’Exposition, mais après le dra­peau d’achèvement, plan­té en haut de la tour, le 31 mars par G. Eif­fel, dont il venait obser­ver avec admi­ra­tion le chan­tier. Che­vreul est connu plu­tôt en his­toire de l’art, car c’est le décou­vreur de la loi des contrastes simul­ta­nés, qui eut une grande influence dans la nais­sance de l’impressionnisme.

Commentaire

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Bouis Xavierrépondre
17 avril 2025 à 18 h 40 min

Mon arrière arrière grand père Jules Pelouze grand chi­miste a son nom sur la Tour…et au moins 4 des­cen­dants X de mon côté fami­lial : Chris­tian, Emma­nuel ‚Xavier , et Fré­dé­ric Bouis . Par­cours éton­nant, qua­si auto­di­dacte, pro­fes­seur (dont à l’X je crois) et inven­teur (nitriles etc) apprit à Nobel à faire de la dyna­mite. Jean Dela­carte m’a­vait dit avoir eu son cours de chi­mie en main aux Poudres vers 1950…

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