Les polytechniciens inscrits sur la Tour Eiffel 1⁄4

Ami lecteur, as-tu remarqué que le premier étage de la tour Eiffel est décoré d’une guirlande de noms de savants ? 72 exactement. Les polytechniciens y figurent en nombre, illustres et moins connus. Nous verrons ici le rappel biographique des moins connus, les illustres n’en ayant pas besoin. Au passage, on ne se privera pas de commenter tel ou tel patronyme non polytechnicien.
Vu le nombre de notices, l’article est découpé en quatre livraisons successives.
Le portrait de Jean Victor Poncelet, X 1807 (cf. J&R n° 801) indiquait que son nom figurait autour du premier étage de la tour Eiffel. L’idée en revient au concepteur de la tour dès février 1889 : « Pour exprimer d’une manière frappante que le monument que j’élève sera placé sous l’invocation de la Science, j’ai décidé d’inscrire en lettres d’or, sur la grande frise du premier étage et à la place d’honneur, le nom des plus grands savants qui ont honoré la France depuis 1789 jusqu’à nos jours. »
La sélection des 72 noms, donc 18 par côté, est du seul choix final de G. Eiffel, avec le biais de ne retenir que le dernier siècle d’alors, car l’Exposition universelle de Paris est celle du centenaire de la Révolution. Il privilégie mathématiques, sciences « dures » (cinq noms seulement concernent les sciences du vivant) et « appliquées ». Les patronymes de plus de douze lettres, les prénoms ou leurs initiales, ont été écartés pour ces inscriptions dorées en relief de 60 cm de haut, car chacune devait tenir entre deux consoles du balcon du premier étage et se lire depuis le sol.
Une proportion majoritaire de polytechniciens
Il est remarquable d’y décompter 34 polytechniciens selon Internet (47 % sur 72, mais 58 % en retirant du dénominateur 13 noms de non‑X nés avant 1768, et donc ayant terminé leurs études avant la création de l’École). En ajoutant dix enseignants à l’X non anciens élèves, la proportion frôlerait alors les trois quarts ! La mémoire de bon nombre s’est bien effilochée en notre XXIe siècle, assez pour justifier ci-après une courte notice pour chacun d’eux, d’où un enchaînement de plusieurs articles successifs.
“Gustave Eiffel, admissible au concours de l’X de 1852, préféra opter pour l’École centrale.”
Rappelons que Gustave Eiffel, admissible au concours de l’X de 1852, préféra opter pour l’École centrale des arts et manufactures, créée en 1829, qui lui était ainsi ouverte, plutôt que de redoubler sa taupe. Trois « pistons » figurent dans la liste de ces savants de la tour Eiffel. Par ailleurs trois membres de la liste sont enterrés au Panthéon : J. Lagrange, Lazare Carnot et G. Monge.
Commençons par le côté Trocadéro (N.-O.).
Henri Tresca (1814−1885), X 1830
Après les noms de Marc Seguin (pour les ponts suspendus et les chaudières tubulaires) et Joseph Lalande, astronome né en 1732, son nom figure en 3e position. Après l’X il fit l’École des ponts et on lui doit le critère de Tresca pour le seuil de déformation irréversible des matériaux. Il est aussi l’auteur du mètre étalon international de 1875, avec section en X pour la rigidité de son alliage platine (90 %) et iridium (10 %). Professeur au Conservatoire national des arts et métiers, officier de la Légion d’honneur, il est élu à l’Académie des sciences en 1872 et préside pendant quinze ans, de 1862 à 1878, la Société des ingénieurs civils de France.
Jacques Antoine Bresse (1822−1883), X 1841
Après Jean Victor Poncelet (X 1807) en position n° 4, hommage lui est rendu en rang 5. Entré à l’X « dans les premiers », il opte pour le corps des Ponts, se distingue à 25 ans par un article sur la résistance des pièces courbes, ce qui l’amène à embrasser une carrière d’enseignant à l’École des ponts et en parallèle à Polytechnique, répétiteur, assistant puis professeur de mécanique et de machines. Il approfondit ses études sur la résistance des pièces courbes, les flexions, avec les équations de Navier-Bresse, et ultérieurement en hydraulique. Inspecteur général des Ponts et Chaussées, grade sommital, il entre à l’Académie des sciences en 1880, année où il est élevé au grade d’officier de la Légion d’honneur. Il avait présidé le jury qui a retenu le projet présenté par G. Eiffel pour la construction du célèbre viaduc de Garabit.
Jean Baptiste Bélanger (1790−1784), X 1808
En sautant Joseph Lagrange (en 6), illustre mathématicien né en 1736, on arrive à ce mathématicien, ingénieur des Ponts et Chaussées. Il est amené à s’intéresser aux canaux, d’où une spécialisation en hydraulique et plus encore en hydrodynamique (notamment l’étude du ressaut dans une section rectangulaire). Il développe une carrière d’enseignant à Polytechnique à l’École des ponts ainsi qu’à Centrale, où il est admiré par l’élève G. Eiffel, ce qui explique probablement son choix.
Pierre Louis Dulong (1785−1838), X 1801
Après le naturaliste Georges Cuvier et l’astronome et mathématicien Laplace en 8e et 9e positions, on trouve ce nom. Il entre à Polytechnique dans sa seizième année, ayant dû attendre un an l’âge minimum requis, en suivant à Rouen des cours de l’école de chimie. Sa santé l’oblige à abandonner l’école d’artillerie et il s’inscrit en médecine. Il trouve sa voie en devenant le préparateur de Berthollet, perdant un œil et deux doigts en 1812 alors qu’il découvre le chlorure d’azote. Il professe un temps à l’École nationale vétérinaire d’Alfort, puis devient examinateur de chimie à l’X dès 1812, professeur de physique (1820−1829), puis directeur des études de 1830 à sa mort à 53 ans. Membre de l’Académie des sciences en 1823, il la préside pour l’année 1828. On lui doit de nombreuses études sur les propriétés des gaz, notamment leur massique.
Michel Chasles (1793−1880), X 1812
Le patronyme suivant (rang 11) a mieux résisté à l’usure du temps. Prénommé « Floréal » ! jusqu’en 1809, il entre 19e sur 184 au concours d’entrée et est mobilisé pour la défense de Paris. À la sortie retardée en 1815, aucune place n’est offerte dans les corps civils. Sorti 2e, dans le Génie, il cède la place à un condisciple pauvre et démissionne, puisque son père lui offre un office… d’agent de change. Ce n’est qu’en 1828 qu’il se replonge dans les mathématiques et son mémoire à l’Académie de Bruxelles en 1830 assoit son talent de géomètre.
Tardivement en 1841, il devient professeur de machines et hydraulique à l’École polytechnique, ainsi qu’en astronomie. En 1846, il inaugure la chaire de géométrie supérieure de la faculté des sciences, entre à l’Académie des sciences en 1851 dont il était correspondant depuis longtemps. Il est qualifié d’empereur de la géométrie par un savant anglais et on lui doit le terme d’homothétie (qu’il prononçait téTie et non téssie). Il est commandeur de la Légion d’honneur en 1866. Un glacier des Kerguelen a été baptisé de son nom en 1961.
Claude Henri Navier (1785−1836), X 1802
Antoine Lavoisier, né en 1743, l’illustre chimiste et fermier général guillotiné, sépare Chasles d’André Marie Ampère (1775−1836) en 13e position : on se contentera d’indiquer que ce savant quasi universel (dont la distraction servit de modèle au dessinateur Christophe pour inventer le savant Cosinus) fut répétiteur à l’X en 1804, puis vingt ans professeur d’analyse et de mécanique de l’École, à partir de 1809.
L’ultime polytechnicien du côté Trocadéro, en 16e place, est donc Navier. Il entre en mauvais rang en 1802, mais réussit une brillante scolarité, entre dans le corps des Ponts et devient ingénieur ordinaire en 1808 dans le département de la Seine : il y construit une dizaine de ponts en vingt ans (Choisy, Argenteuil, Asnières…), devenant un remarquable spécialiste des ponts métalliques suspendus, publiant sur le sujet un ouvrage de référence. Mais sa réputation a été entachée par l’échec d’un de ces ponts à la hauteur des Invalides (tassement de terrain obligeant à la destruction du chantier).
En tant que théoricien, il s’intéressa à la mécanique des fluides newtoniens et publia en 1822 les équations dites de Navier-Stokes. Il professe le cours de mécanique appliquée à l’École des ponts (de 1819 à sa mort). En succession de Cauchy démissionnaire, il devient en 1831 professeur d’analyse et de mécanique à l’X. Académicien des sciences en 1824. Officier de la Légion d’honneur, il est aussi un économiste précurseur en imaginant une méthode de comparaison coûts-avantages pour le choix des équipements publics et leur utilité, et il introduit des éléments de comptabilité analytique pour leur suivi.
Les derniers noms du côté Trocadéro, mis à part Chaptal (18e et dernier), sont peu connus : Legendre (17e, mathématicien), Flachat (15e, ingénieur ferroviaire dont Paris-Rouen, concepteur des gares à charpente métallique). Michel Chevreul est en 14e position : né en 1786, chimiste découvreur de la stéarine, directeur de la Manufacture nationale des Gobelins dès 1813, lié au Muséum national d’histoire naturelle qu’il dirigea, académicien des sciences en 1826, grand-croix de la Légion d’honneur en 1875.
Son centenaire fut fêté avec éclat – félicitations de la reine Victoria ! – et il eut droit à son décès dans sa 103e année le 9 avril 1889 à des funérailles nationales… avant l’ouverture le 5 mai de l’Exposition, mais après le drapeau d’achèvement, planté en haut de la tour, le 31 mars par G. Eiffel, dont il venait observer avec admiration le chantier. Chevreul est connu plutôt en histoire de l’art, car c’est le découvreur de la loi des contrastes simultanés, qui eut une grande influence dans la naissance de l’impressionnisme.
Commentaire
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Mon arrière arrière grand père Jules Pelouze grand chimiste a son nom sur la Tour…et au moins 4 descendants X de mon côté familial : Christian, Emmanuel ‚Xavier , et Frédéric Bouis . Parcours étonnant, quasi autodidacte, professeur (dont à l’X je crois) et inventeur (nitriles etc) apprit à Nobel à faire de la dynamite. Jean Delacarte m’avait dit avoir eu son cours de chimie en main aux Poudres vers 1950…