Airbus H 225 Super Puma.

Les hélicoptères civils et leur avenir

Dossier : HélicoptèresMagazine N°767 Septembre 2021
Par Michel HANCART

L’hélicoptère s’est à la fois répan­du dans beau­coup de sec­teurs d’activité et limi­té à ces sec­teurs, alors qu’on l’imaginait dans l’après-guerre prendre une place beau­coup plus grande dans la vie cou­rante des indi­vi­dus. Les déve­lop­pe­ments tech­no­lo­giques actuels lui feront-ils prendre un nou­veau départ ?

Abs­trac­tion faite des for­mules indi­vi­duelles de type ULM, la gamme actuelle des appa­reils s’étend depuis l’hélicoptère très léger de type Robin­son ou Cabri (0,7 t) dédié à l’entraînement et au trans­port pri­vé jusqu’aux héli­co­ptères lourds assu­rant prin­ci­pa­le­ment les mis­sions de trans­port pas­sa­gers et la des­serte des pla­te­formes pétro­lières de type Air­bus Super Puma ou Sikors­ky S‑92 (11 t). Au-delà de 12 t, la puis­sance néces­saire au vol avec un rotor de taille rai­son­nable induit des ensembles dyna­miques aux nui­sances sonores et aux coûts d’exploitation dis­sua­sifs pour l’activité com­mer­ciale, d’autant plus qu’au-delà de 19 pas­sa­gers la régle­men­ta­tion impose un assis­tant de cabine, ce qui alour­dit encore le coût. Le seg­ment des vols tou­ris­tiques, de la sur­veillance des infra­struc­tures et du tra­vail aérien est domi­né par les héli­co­ptères légers mono­mo­teurs tels que Air­bus Écu­reuil, Bell JetRan­ger et leurs déri­vés (2,5 t). Les secours, l’évacuation sani­taire, la sur­veillance sont majo­ri­tai­re­ment inves­tis par les bimo­teurs légers de type Air­bus H135 et H145 (3,5 t). Les bimo­teurs moyens de type Air­bus H155 ou Sikors­ky S‑76 (5 t) inté­ressent plus par­ti­cu­liè­re­ment le cré­neau VIP, les vols d’affaires et la clien­tèle pri­vée for­tu­née. Enfin, grâce à leur grand rayon d’action, on trouve éga­le­ment les bimo­teurs moyens et lourds dans les opé­ra­tions SAR et éva­cua­tion sanitaire.

Airbus H 155.
Air­bus H 155.


REPÈRES

Les mis­sions des 50 000 uni­tés de la flotte mon­diale sont extrê­me­ment variées et la vision glo­bale du déploie­ment civil de l’hélicoptère peut se résu­mer en deux caté­go­ries : les mis­sions d’intérêt public où l’hélicoptère est incon­tour­nable du fait de sa capa­ci­té d’intervention rapide et ponc­tuelle (secours – catas­trophes natu­relles, SAR mer et mon­tagne… ; éva­cua­tion et trans­port sani­taire ; sur­veillance – police et sécu­ri­té civile) et les mis­sions à carac­tère pri­vé ou com­mer­cial por­tées par la flexi­bi­li­té des dif­fé­rentes manœuvres depuis la croi­sière jusqu’au vol sta­tion­naire et l’atterrissage ponc­tuel (des­serte des sites et pla­te­formes iso­lés en mer ; sur­veillance des infra­struc­tures – voies fer­rées, lignes élec­triques… ; tra­vail aérien ; entraî­ne­ment, aéro­clubs ; vols tou­ris­tiques ; taxis, vols d’affaire, trans­port VIP et loi­sirs ; trans­port pas­sa­gers en zones urbaines conges­tion­nées et entre cités). 


Le trans­port régu­lier de pas­sa­gers a été abor­dé de 1960 à 2000 entre Paris, Bruxelles et Amster­dam par Sabe­na (Sikors­ky S‑55 et S‑58), entre les aéro­ports de Londres (Sikors­ky S‑61), entre New York et ses aéro­ports, et encore d’autres ini­tia­tives en Asie et en Amé­rique du Sud. Ces dif­fé­rentes expé­riences n’ont pas eu de pro­lon­ge­ment signi­fi­ca­tif en rai­son de leur coût éle­vé, de la concur­rence du rail et de leurs res­tric­tions en vol tout temps. Dans un contexte éco­no­mique dif­fé­rent, seul le seg­ment pétro­lier off-shore repré­sente aujourd’hui une véri­table acti­vi­té de trans­port pas­sa­gers sur le modèle d’une ligne aérienne.

La situation technologique actuelle

En un demi-siècle d’évolution tech­no­lo­gique conti­nue, la tur­bine a défi­ni­ti­ve­ment sup­plan­té le moteur à pis­tons au-delà de 1,5 à 2 t de masse décol­lable, les maté­riaux com­po­sites ont été géné­ra­li­sés dans les rotors, les moteurs et les ensembles méca­niques ont été opti­mi­sés avec des alliages métal­liques per­for­mants, les aides au pilo­tage et à la navi­ga­tion ont appor­té plus de sécu­ri­té aux évo­lu­tions proches du sol, carac­té­ris­tiques de l’hélicoptère. La confi­gu­ra­tion bimo­teur s’est géné­ra­li­sée au-delà de 2,5 t de masse décol­lable, lorsque la panne moteur devient incom­pa­tible avec l’exécution de la mis­sion et le sur­vol de zones hos­tiles. La for­mule tri­mo­teur ren­con­trée par le pas­sé n’est pas opti­mi­sée en ren­de­ment et alour­dit les coûts. 

Des pro­grès consi­dé­rables ont donc été enre­gis­trés en matière de per­for­mance, de sécu­ri­té, de fia­bi­li­té et de confort. On est loin de l’image inquié­tante d’une machine com­pli­quée, bruyante et par­fois dan­ge­reuse per­çue au début de l’aventure. De ce fait, la tech­no­lo­gie de l’hélicoptère civil conven­tion­nel (un rotor prin­ci­pal et un rotor anti­couple), qui reste la plus simple et la moins coû­teuse en exploi­ta­tion (acqui­si­tion et entre­tien), a aujourd’hui atteint sa matu­ri­té. Au-delà de dis­tances fran­chis­sables com­prises entre 400 km pour les très légers et 1 000 km pour les lourds et de vitesses de croi­sière com­prises entre 200 km/h pour les très légers et 280 km/h pour les lourds, la marge de pro­gres­sion en per­for­mance devient asymp­to­tique. Théo­ri­que­ment, on pour­rait atteindre 350 km/h avec cette archi­tec­ture conven­tion­nelle, mais les sur­coûts engen­drés par le sur­di­men­sion­ne­ment des ensembles dyna­miques, les filtres anti­vi­bra­toires et l’insonorisation rendent l’exercice encore périlleux sur le plan de la rentabilité.

Airbus H 160.
Air­bus H 160.

Des défis à relever

Cepen­dant le par­cours n’est pas ter­mi­né, le défi concur­ren­tiel du mar­ché civil actuel pour l’essor de ce vec­teur de mobi­li­té que l’hélicoptère se doit d’être se situe au niveau des coûts d’exploitation, du confort et du vol tout temps. L’hélicoptère reste encore en retrait sur ces trois points par rap­port à un avion équi­valent en rai­son du sur­coût d’achat et de main­te­nance lié à sa com­plexi­té, des vibra­tions et du niveau sonore en cabine. À ces trois points essen­tiels s’ajoutent pour les pays déve­lop­pés à forte den­si­té urbaine le dur­cis­se­ment des régle­men­ta­tions envi­ron­ne­men­tales et un rejet socié­tal visant à limi­ter les nui­sances sonores et les auto­ri­sa­tions de sur­vol. À court terme, même si les mis­sions d’intérêt public semblent les moins mena­cées par les bar­rières au déve­lop­pe­ment citées ci-des­sus pour des rai­sons évi­dentes de soli­da­ri­té avec les ser­vices de secours, la conso­li­da­tion de l’activité héli­co­ptère et le déve­lop­pe­ment de nou­velles niches d’exploitation s’appuient sur le pro­lon­ge­ment des efforts dans les direc­tions sui­vantes : une action conti­nue sur la réduc­tion des coûts (fia­bi­li­té, sim­pli­fi­ca­tion de main­te­nance, consom­ma­tion) ; la réduc­tion du bruit à la source et l’optimisation des tra­jec­toires à la fois pour réduire le bruit en cabine et pour limi­ter les nui­sances exté­rieures en sur­vol et en approche ; l’extension du domaine de vol (condi­tions givrantes, VFR – Visual Flight Rules – de nuit, IFR – Ins­tru­ment Flight Rules – basse alti­tude) ; l’adaptation des contraintes régle­men­taires à l’IFR basse alti­tude, à l’insertion des héli­co­ptères dans les grands aéro­ports et à la créa­tion d’hélistations dans les métropoles. 

Quel avenir ?

Trois axes de recherche peuvent être exploi­tés simul­ta­né­ment pour par­faire l’adaptation de l’hélicoptère aux nou­velles attentes du mar­ché civil. 

L’hélicoptère taxi

Mal­gré quelques ten­ta­tives locales, ce seg­ment n’a jamais été réel­le­ment inves­ti alors qu’il appa­raît comme l’une des solu­tions au pro­blème de conges­tion urbaine. On constate en effet que la plu­part des héli­co­ptères com­mer­ciaux sont conçus en vue d’une grande poly­va­lence (vitesse, équi­pe­ments, alti­tude…) afin d’élargir au maxi­mum l’assiette de pro­duc­tion par sou­ci de ren­ta­bi­li­té, mais cela les péna­lise en masse et en coût. Dans la conti­nui­té de l’architecture actuelle et sous condi­tion d’études de mar­ché appro­fon­dies, une limi­ta­tion de l’ambition opé­ra­tion­nelle à 4 ou 5 pas­sa­gers, 150 km/h et 150 km de rayon d’action per­met­trait d’abaisser dras­ti­que­ment et simul­ta­né­ment les nui­sances sonores, la pol­lu­tion et les coûts, et de lan­cer un appa­reil vrai­ment adap­té à l’environnement urbain. Dans la pers­pec­tive plus loin­taine de la pro­pul­sion élec­trique, cet appa­reil allé­gé repré­sen­te­rait peut-être la seule chance de faire voler un héli­co­ptère conven­tion­nel dans ce cadre, lorsque les bat­te­ries auront lar­ge­ment dépas­sé le stade de per­for­mance actuel.

Airbus Combiné Racer.
Air­bus Com­bi­né Racer.

Le multirotor électrique

Dans l’esprit de l’empreinte envi­ron­ne­men­tale mini­male, l’autre façon d’aborder la mobi­li­té urbaine est de conce­voir un appa­reil VTOL (Ver­ti­cal Take-off and Lan­ding) exploi­tant les pro­grès des moteurs élec­triques et des sys­tèmes de régu­la­tion numé­riques sur la base de plu­sieurs rotors ani­més par des moteurs indé­pen­dants. Issue de l’architecture des drones, cette confi­gu­ra­tion per­met d’éliminer les trans­mis­sions méca­niques et abou­tit à un fuse­lage plus com­pact. La per­for­mance actuelle des bat­te­ries per­met d’envisager une masse décol­lable conve­nable avec un nombre de pas­sa­gers limi­té à trois et une auto­no­mie encore limi­tée. De nom­breux pro­to­types sont actuel­le­ment à l’essai, allant des qua­dri­ro­tors fixes ou incli­nables (CityAir­bus) au Volo­drone à 12 rotors.

Volocopter Multirotor électrique.
Volo­cop­ter Mul­ti­ro­tor électrique.

Les hybrides

Dans sa confron­ta­tion avec l’avion, l’hélicoptère reste péna­li­sé par sa vitesse pra­tique infé­rieure à 300 km/h et la ten­ta­tion est grande de com­bler ce qui est consi­dé­ré comme un fos­sé de mobi­li­té pour s’approcher de 500 km/h tout en gar­dant l’avantage du décol­lage ver­ti­cal. Une telle avan­cée per­met­trait par exemple de dou­bler le rayon d’action en mis­sion off-shore, d’augmenter signi­fi­ca­ti­ve­ment l’efficacité des mis­sions de sau­ve­tage et d’offrir l’avantage d’une croi­sière très rapide à toutes les mis­sions à voca­tion de trans­port de pas­sa­gers. Deux for­mules coha­bitent actuel­le­ment. Le conver­tible uti­lise deux rotors bas­cu­lants en extré­mi­té d’aile assu­rant le décol­lage ver­ti­cal lorsque l’axe est ver­ti­cal et la croi­sière en mode avion lorsque l’axe est hori­zon­tal. Cette confi­gu­ra­tion est en ser­vice dans l’armée amé­ri­caine (V‑22 Osprey) et en phase de cer­ti­fi­ca­tion civile chez Leo­nar­do (AW-609). Le pro­gramme Clean Sky a finan­cé un démons­tra­teur déri­vé de l’expérience de Leo­nar­do, le Next­Gen Civil Til­tro­tor à l’horizon 2023. Le com­bi­né uti­lise une pous­sée axiale addi­tion­nelle gref­fée sur la base d’un héli­co­ptère conven­tion­nel soit avec une hélice pro­pul­sive à l’arrière (pro­to­type Sikors­ky Rai­der), soit deux hélices pro­pul­sives fixes en extré­mi­té d’aile (pro­to­type Air­bus X‑3). Le pro­gramme Clean Sky a éga­le­ment finan­cé un démons­tra­teur héri­tier du X‑3 chez Air­bus (Racer) à l’horizon 2021. Ces deux scé­na­rios de rup­ture cor­res­pondent à une véri­table attente du mar­ché, mais les déci­sions de déve­lop­pe­ment indus­triel ne sont pas encore prises. La mise au point s’inscrira dans un nou­veau domaine de vol et la cer­ti­fi­ca­tion de ces machines impo­se­ra une adap­ta­tion impor­tante des règle­ments. Les deux prin­ci­paux obs­tacles à fran­chir seront la maî­trise des coûts (for­cé­ment plus éle­vés en rai­son d’une com­plexi­té accrue, sur­tout pour le conver­tible), pour assu­rer l’attractivité com­mer­ciale, et l’acceptabilité envi­ron­ne­men­tale en zone urbaine pour l’approche des héli­sta­tions, en rai­son du bruit et de l’intensité du souffle rotor plus élevés.

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