Les Fausses Confidences

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°551 Janvier 2000Par : Marivaux, dans une mise en scène de J.-L. CochetRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Il y a plusieurs manières de par­ler du théâtre et de ses auteurs. Celle des comé­di­ens, gens rom­pus à prêter leurs corps et leurs voix aux per­son­nages créés par les dra­maturges, et par­lant donc de ce qu’ils connaissent.

Celle des cuistres de Sor­bonne, ou d’ailleurs car il s’en ren­con­tre partout, qui s’adonnent à “l’explication de texte”, comme si un texte écrit pour être dit et écouté, c’est-à-dire sen­ti, se prê­tait en out­re à des bavardages pro­pres à faire pass­er le goût de la lit­téra­ture aux esprits les mieux dis­posés en sa faveur.

Celle des spec­ta­teurs comme vous et moi, de qui les gens de méti­er atten­dent surtout qu’ils payent leur place avant le spec­ta­cle, s’abstiennent de tou­ss­er pen­dant et applaud­is­sent après.

Les spec­ta­teurs, il est vrai, expri­ment par­fois leur juge­ment de façon déce­vante. Il suf­fit pour s’en con­va­in­cre d’ouvrir l’oreille à la sor­tie d’un théâtre. Témoin ce ver­dict jail­li de la bouche d’une dame bien vêtue, et le sachant d’évidence, à l’issue d’une des pre­mières représen­ta­tions au Théâtre-Français du Car­di­nal d’Espagne, de Mon­ther­lant : Oh, Mon­ther­lant, c’est tou­jours… euh… c’est comme ça, quoi. Je jure que je l’ai enten­du, et d’ailleurs noté le soir même dans mon sot­tisi­er, où je viens de le retrouver.

Bien que classé dans la caté­gorie des sim­ples spec­ta­teurs, j’aurais tout de même peur de vous décevoir si je me con­tentais d’un Mari­vaux, c’est comme ça, quoi. Car il s’agira de Mari­vaux aujourd’hui.

M. Jean-Lau­rent Cochet et son équipe jouent cet automne Les Fauss­es Con­fi­dences : un régal pour l’ouïe et pour l’esprit. Sans doute per­son­ne n’a manié le par­ler de la langue française avec autant d’élégance dans la sim­plic­ité que Mari­vaux. Et le terme de mari­vaudage, évo­quant un je ne sais quoi de mièvrerie badine, ne vaut rien pour exprimer cet enchante­ment. Les per­son­nages de Mari­vaux pra­tiquent volon­tiers la litote, non pas la litote d’ironie, mais celle de réserve, si l’on peut dire. Or ne pas faire éta­lage de ses sen­ti­ments est une forme de déli­catesse, et non de badinage.

Voltaire écrivant que Mari­vaux pèse des oeufs de mouche dans des bal­ances de toile d’araignée mon­trait moins de sûreté de juge­ment qu’une forte incli­na­tion à dire n’importe quoi, du moment que c’est amu­sant et méchant. Par un juste retour des choses, le théâtre de Voltaire n’intéresse plus per­son­ne depuis belle lurette, fors quelques éru­dits, au lieu que celui de Mari­vaux demeure, et emplit les salles à tout coup.

Tout sim­ple­ment parce que c’est un théâtre d’émerveillement devant les sur­gisse­ments imprévus de l’amour. Plusieurs de ses titres en por­tent la mar­que, asso­ciant l’idée d’aimer à celle de sur­prise, de hasard. Et si cela ne fig­ure pas dans le titre, cela du moins imprègne le texte. Théâtre non pas tou­jours de gens heureux, tant s’en faut, mais assuré­ment de gens illu­minés d’avoir au moins entre­vu la pos­si­bil­ité de le devenir.

Et si Mari­vaux s’arrête plus volon­tiers sur ces instants d’extase que sur les décep­tions qui les suiv­ent par­fois – cas de Mlle Mar­ton, dans Les Fauss­es Con­fi­dences, qui s’est crue choisie – c’est sans doute en écho à ce bon­heur de vivre et d’aimer, si goûté au temps que la pièce fut écrite (1737) que les Français, sans doute incon­scients des sec­ouss­es atten­dant les plus jeunes d’entre eux, avaient dénom­mé leur roi “ Le Bien-Aimé ”.

On ne saurait alors être trop recon­nais­sant à M. Cochet d’avoir fait renaître sous nos yeux un tel instant de bon­heur, en met­tant en scène et jouant avec ses comé­di­ens cette pièce, peut-être la plus éblouis­sante de Marivaux.

Sim­plic­ité des décors, raf­fine­ment du mobili­er, élé­gance des vête­ments, qual­ité de la dic­tion, finesse et dépouille­ment du jeu, tout con­cour­ait à notre félic­ité, dans une exquise fidél­ité au texte et à son époque. On voudrait être gâté ain­si chaque fois que l’on va au théâtre, ce qui n’est pas le cas.

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