Les États-Unis face à l’inéluctable renaissance du nucléaire

Dossier : L'électricité nucléaireMagazine N°643 Mars 2009
Par Jacques BESNAINOU (83)
Par Laurence PERNOT

Une atten­tion par­ti­c­ulière est portée à la diver­si­fi­ca­tion des ressources

Une diminu­tion de près de 50 % de la pro­duc­tion pétrolière intérieure depuis plus de trente ans et la stag­na­tion, sur cette même péri­ode, de la pro­duc­tion gaz­ière ont frag­ilisé la bal­ance énergé­tique des États-Unis. Si l’on y ajoute la paupéri­sa­tion plus glob­ale des ressources fos­siles en gaz et en pét­role, la con­cen­tra­tion des prin­ci­pales ressources mon­di­ales en zones géopoli­tiques insta­bles, le con­flit irakien, les prévi­sions à la hausse des con­som­ma­tions, et la hausse du prix du pét­role qui se con­firme depuis bien­tôt trois ans, il n’est pas sur­prenant que l’indépen­dance énergé­tique et la sécu­rité des appro­vi­sion­nements soient dev­enues pour la pre­mière puis­sance économique mon­di­ale deux des pri­or­ités de sa poli­tique com­mer­ciale et inter­na­tionale ain­si que des thèmes cen­traux de la cam­pagne prési­den­tielle de la fin de l’an dernier.

Repères
Avec respec­tive­ment 40 % et 23 % de la con­som­ma­tion mon­di­ale de pét­role et de char­bon, les États-Unis sont à la fois le plus grand impor­ta­teur et le plus gros con­som­ma­teur d’énergie.

Un nouvel eldorado pour l’industrie de l’énergie ?

La ten­sion est aujour­d’hui par­ti­c­ulière­ment pal­pa­ble. Elle s’est même encore accrue par la prise de con­science de l’im­pact des modes de pro­duc­tion d’én­ergie exis­tants sur le cli­mat et l’en­vi­ron­nement, et les pannes d’élec­tric­ité générales ou par­tielles qui affectent depuis quelques années des mil­lions de con­som­ma­teurs à tra­vers tout le pays.

Pas de volon­té continue
Il est une dif­férence majeure entre les straté­gies énergé­tiques française et améri­caine : c’est l’ab­sence aux États-Unis d’une volon­té poli­tique con­tin­ue, traduite par une remise en cause qua­si sys­té­ma­tique des pro­grammes en cours après chaque change­ment de majorité, qui men­ace les choix et les pro­jets de long terme.

C’est dans ce con­texte qu’avait été adop­tée, en août 2005, une nou­velle loi sur la poli­tique énergé­tique améri­caine, bap­tisée Ener­gy Pol­i­cy Act. Elle visait notam­ment à mod­erniser et à accroître la pro­duc­tion et la dis­tri­b­u­tion d’én­ergie domes­tique, avec une atten­tion par­ti­c­ulière portée à la diver­si­fi­ca­tion des ressources inclu­ant le nucléaire et les éner­gies renouvelables.

Cette poli­tique, qual­i­fiée par le gou­verne­ment de ” stratégie énergé­tique pour le xxie siè­cle “, offre à l’ensem­ble de l’in­dus­trie de l’én­ergie des per­spec­tives extrême­ment prometteuses. 

Énergies renouvelables et ressources fossiles

Mal­gré les incer­ti­tudes qui demeurent au lende­main des dernières élec­tions, aux­quelles s’a­joute une crise finan­cière sans doute la plus grave de toute l’his­toire améri­caine, on peut raisonnable­ment penser que qua­tre fac­teurs-clés vont tout par­ti­c­ulière­ment influ­encer la poli­tique énergé­tique des États-Unis dans les années à venir : la hausse des besoins, avec, notam­ment, en matière de con­som­ma­tion élec­trique, une aug­men­ta­tion prévue de plus de 50 % à l’hori­zon 2025 (source DOE-Départe­ment améri­cain de l’én­ergie) ; la diminu­tion de la dépen­dance énergé­tique du pays, via le développe­ment d’én­er­gies domes­tiques ; le change­ment cli­ma­tique ; la créa­tion d’emplois. Dans ce con­texte, les éner­gies renou­ve­lables dites ” vertes ” — solaire, éolien et bio­masse — auront, c’est cer­tain, une place priv­ilégiée. On par­le même d’une nou­velle dynamique qui pour­rait s’ac­célér­er avec la nou­velle admin­is­tra­tion et devenir un axe de développe­ment économique majeur dans les années à venir.

Un charbon ” propre ”

Les États-Unis sont les plus grands char­bon­niers du monde après la Chine

La posi­tion est moins claire, en revanche, quant à l’avenir des ressources fos­siles et du char­bon en par­ti­c­uli­er dans le mix énergé­tique améri­cain. Les États-Unis sont les plus grands char­bon­niers du monde. Deux­ième pays pro­duc­teur der­rière la Chine, ils déti­en­nent 27 % des ressources mon­di­ales. Dif­fi­cile donc de se pass­er du char­bon, en par­ti­c­uli­er dans le court terme, mais dif­fi­cile aus­si de le cau­tion­ner eu égard à sa respon­s­abil­ité dans le réchauf­fe­ment cli­ma­tique désor­mais perçu comme une réal­ité par l’opin­ion publique améri­caine. La solu­tion, d’ailleurs évo­quée par le nou­veau prési­dent élu, réside donc dans un investisse­ment mas­sif dans la recherche et développe­ment pour un char­bon pro­pre en par­ti­c­uli­er par la cap­ture et le stock­age du CO2 émis, sur lequel d’ailleurs on ne peut man­quer d’être scep­tique à court, voire à moyen terme.

Pas de solution sans nucléaire

Quel est l’avenir du nucléaire, la ques­tion est dif­fi­cile en ces temps de tur­bu­lences finan­cières et poli­tiques ? La pro­duc­tion d’élec­tric­ité d’o­rig­ine nucléaire représente 20 % de la pro­duc­tion élec­trique totale, sur la base de 104 réac­teurs aujour­d’hui con­nec­tés au réseau. Alors que la con­som­ma­tion énergé­tique n’a cessé de croître ces dernières années, la part du nucléaire s’est main­tenue mal­gré l’ab­sence de nou­velles con­struc­tions, en rai­son notam­ment de l’amélio­ra­tion con­tin­ue des per­for­mances du parc en ter­mes de disponi­bil­ité et de sûreté.

Une trentaine de projets
Con­cer­nant la con­struc­tion de nou­veaux réac­teurs, une trentaine de nou­veaux pro­jets ont déjà été annon­cés par les élec­triciens améri­cains, inclu­ant sept EPR d’Areva.
L’a­mont du cycle, à l’heure d’une ten­sion très forte sur les ressources et d’une hausse sig­ni­fica­tive des prix du marché, devient un enjeu majeur. Fait plus nou­veau, l’aval du cycle offre aus­si de nou­velles per­spec­tives. Rad­i­cale­ment opposés au cycle fer­mé depuis l’Ad­min­is­tra­tion Carter, beau­coup aux États-Unis con­sid­èrent aujour­d’hui le recy­clage du com­bustible usé comme une solu­tion poten­tielle­ment fiable, durable et économique.

En revanche, si les États-Unis souhait­ent main­tenir le nucléaire à ce même niveau, ce ne sont pas moins de 35 nou­veaux réac­teurs qu’il leur fau­dra con­stru­ire d’i­ci 2025 à 2030.

Y sont-ils prêts ? Beau­coup, y com­pris au plus haut niveau de l’É­tat, ont la naïveté de penser qu’on peut faire sans nucléaire. Les argu­ments avancés pour dénon­cer tout lance­ment d’un nou­veau pro­gramme de con­struc­tion tien­nent prin­ci­pale­ment au coût, au risque de pro­liféra­tion et à la prob­lé­ma­tique des déchets, aujour­d’hui aux États-Unis, et con­traire­ment à la France, sans solu­tion durable.

Auront-ils toute­fois le choix au regard de l’équa­tion qu’ils ont à résoudre entre la réduc­tion néces­saire de leurs émis­sions de car­bone, la diminu­tion des ressources fos­siles, l’aug­men­ta­tion de leurs besoins en énergie et, sans doute plus que jamais, le main­tien de leur com­péti­tiv­ité économique ? Claire­ment non ! Le nucléaire, aux États-Unis, n’est pas la solu­tion, mais, ici peut-être plus qu’ailleurs, il n’est pas de solu­tion sans nucléaire. Les prévi­sions, dès lors, sont plutôt optimistes.

Pour assur­er leurs besoins en énergie, les États-Unis vont donc entr­er dans une nou­velle ère d’in­vestisse­ments mas­sifs dans le domaine de l’én­ergie nucléaire. Pour les aider au développe­ment d’une énergie durable, pro­pre, fiable et com­péti­tive, ils auront besoin de bons parte­naires indus­triels et com­mer­ci­aux. La France, déjà forte­ment posi­tion­née et recon­nue comme un acteur de prox­im­ité majeur, a les com­pé­tences, l’ex­péri­ence et la tech­nolo­gie pour les accom­pa­g­n­er et les aider à relever les chal­lenges aux­quels ils sont aujour­d’hui confrontés.

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