LES CRISES ET LE XXIe SIÈCLE

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°647 Septembre 2009Par : Jacques Lesourne (48)Rédacteur : Paul CASEAU (54)Editeur : Paris – Odile Jacob 15, rue Soufflot, 75005 Paris.

Couverture du livre : Les crises et le XXIe siècle« Le XXIe siècle… va déployer un éven­tail de crises tota­le­ment nou­veau qui, en même temps qu’un effort de pros­pec­tive, exige une réflexion sur nos concepts. » Cette phrase de Jacques Lesourne montre bien que son but, au-delà d’un ensemble très riche d’analyses, a été de pré­ci­ser les concepts que nous uti­li­sons, d’en pro­po­ser de nou­veaux, mais aus­si d’en écar­ter cer­tains qui jouissent sou­vent d’un sta­tut sans aucun rap­port avec leur efficacité.

Le pre­mier de ces outils est le concept de sys­tème tel qu’il émerge aujourd’hui. Regar­der le monde à par­tir de l’approche sys­té­mique, c’est renon­cer aux visions sim­pli­fi­ca­trices (et nor­ma­tives), c’est don­ner un sens nou­veau à des concepts comme « démo­cra­tie » et « gou­ver­nance ». Le deuxième outil est celui d’évolution. Ce que Jacques Lesourne nous invite à rete­nir, c’est :

« Le mélange des com­por­te­ments d’adaptation, de mimé­tisme, de ratio­na­li­té, les résis­tances dif­fé­ren­tielles à l’innovation, la coexis­tence de durées de chan­ge­ment rapides et lentes, les essais, les erreurs, les bifur­ca­tions, les pièges, les explo­sions, les effondrements. »

Troi­sième outil, qui struc­ture le livre lui-même : c’est le choix de décrire le monde à par­tir de trois « points de vue » complémentaires :
– celui des bilans pla­né­taires et des res­sources globales,
– celui des « four­mi­lières humaines » et de leur organisation,
– celui de la géopolitique.

Changer notre regard

Cha­cun de ces points de vue conduit à un décen­tre­ment, et oblige le lec­teur à renon­cer à « ce qui consti­tue notre Cha­rybde et notre Scyl­la : le retard de nos men­ta­li­tés et le dan­ger des uto­pismes ». Je vais insis­ter sur cinq points pour les­quels ce décen­tre­ment me paraît très nova­teur. Le pre­mier est la défi­ni­tion sys­té­mique de la démo­cra­tie : « Un sys­tème com­plexe et par consé­quent sou­mis, par le jeu de ses élé­ments, au risque de des­truc­tion et de fonc­tion­ne­ment dégra­dé. » On est sur­pris de voir à quel point cette approche est féconde… et com­bien de ques­tions appa­rem­ment inso­lubles trouvent leur réponse une fois qu’on l’a adoptée.

Le second est le choix, pour décrire le monde, du concept de « plaques tec­to­niques » (le livre en retient six), et la récu­sa­tion du concept de « civi­li­sa­tions » cher à Samuel Hun­ting­ton. Ce qui est déci­sif, dans l’analyse pro­po­sée, c’est de consta­ter que les civi­li­sa­tions sont loin de for­mer des ensembles homo­gènes. De sorte que c’est le concept de plaque tec­to­nique qui joue un rôle opérationnel.

Le troi­sième point appa­raît dans la des­crip­tion des « four­mi­lières humaines », qui conduit Jacques Lesourne à noter une « diver­si­té éco­sys­té­mique » assez stu­pé­fiante, et à sou­li­gner qu’elle est des­ti­née à durer. États, mar­chés, mul­ti­na­tio­nales, médias, mafias : chaque cha­pitre fait décou­vrir un aspect des socié­tés humaines, et sou­ligne leur vita­li­té. Et aus­si le fait que chaque sous-sys­tème peut être source d’instabilité. Tout cela conduit à reve­nir sur la notion de Déve­lop­pe­ment durable, à sou­li­gner ses ambi­guï­tés et la confu­sion qu’elle entre­tient entre le « réel » et le « dési­rable ». Quant au Prin­cipe de pré­cau­tion, son his­toire semble coïn­ci­der avec notre refus de voir à quel point, dans un monde glo­ba­li­sé, per­sonne n’est pro­prié­taire de la notion de risque : « En quoi importe-t-il à l’humanité que les Fran­çais, 1 % de la popu­la­tion mon­diale, inter­disent les OGM si les sur­faces culti­vées qui y ont recours s’accroissent à grande vitesse tout autour du globe ?

Un pessimisme mesuré

De la notion de risque et d’aléa, on passe à celle de crise. Deux sous-sys­tèmes sont par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­ciles à sta­bi­li­ser. Le pre­mier est le sys­tème finan­cier. Le second, qu’il ne faut jamais oublier, est celui des taux de change entre plaques tec­to­niques. Le juge­ment de Jacques Lesourne sur notre capa­ci­té à amé­lio­rer les deux est rai­son­na­ble­ment… pessimiste.

Ces ana­lyses feront date, à la fois par leur nou­veau­té, et par la très grande cohé­rence de l’ensemble. Elles montrent la fécon­di­té des trois outils de départ : sys­tèmes, évo­lu­tion, sépa­ra­tion en trois approches com­plé­men­taires. Mais, bien enten­du, le plai­sir de la lec­ture va bien au-delà de cette arma­ture concep­tuelle que j’ai choi­si de sou­li­gner. Le lec­teur sera convié, au cours des der­niers cha­pitres, à dia­lo­guer avec l’auteur sur le sens de l’aventure humaine. Ce sera à cha­cun de se posi­tion­ner sur ces ques­tions, sur les­quelles Jacques Lesourne nous livre ses choix, sans édul­co­rer les dif­fi­cul­tés, et les incertitudes…

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