Les cadres dirigeants face aux nouveaux défis du marché du travail

Dossier : Vie des entreprises | Magazine N°808 Octobre 2025
Par Julia FABIANI

Depuis près de vingt ans, Julia Fabiani accompagne les cadres dirigeants dans un paysage professionnel en pleine mutation, où le portage salarial et le management de transition prennent le pas sur le CDI traditionnel. Face à cette précarisation, les dirigeants expriment des craintes liées à la perte de statut social et au déclassement, nécessitant un accompagnement juridique et stratégique.

Quelles transformations majeures observez-vous aujourd’hui chez les cadres dirigeants que vous accompagnez ?

J’assiste à une précarisation du statut des cadres dirigeants qui contraste fortement avec l’image traditionnelle de sécurité et d’ascension linéaire. Le CDI n’est plus la norme absolue : de nombreux dirigeants expérimentent aujourd’hui le portage salarial ou le management de transition. Pour la génération des 40-60 ans, cette évolution suscite une véritable inquiétude : ils redoutent la difficulté à retrouver un poste de même niveau en cas de rupture, d’autant que les postes à haute responsabilité se raréfient et que les exigences de flexibilité augmentent.

Quelles sont les craintes les plus fréquemment exprimées par vos clients ?

La peur majeure reste celle de perdre son emploi et, avec lui, son statut social et sa capacité à rebondir à un niveau équivalent. Beaucoup redoutent également le déclassement et l’isolement, surtout après des années d’engagement fort au sein d’une entreprise. Lorsqu’un contrat se termine, certains clients ont réellement le sentiment que «tout s’effondre» : cela représente à la fois une perte de repères professionnels et personnels.

Comment accompagnez-vous concrètement ces dirigeants à travers ces périodes d’incertitude ?

Mon approche dépasse le cadre purement juridique. Un audit contractuel et situationnel s’avère indispensable pour évaluer les risques, protéger ses droits et négocier au mieux une éventuelle sortie. Ensuite, je leur conseille souvent de s’entourer de coachs, de spécialistes du bilan de compétences ou d’outplacers afin de construire une stratégie de transition solide ; l’enjeu n’est pas seulement de défendre des intérêts mais de restaurer la confiance et d’anticiper un avenir différent, parfois en dehors de leur secteur d’origine.

Sur le plan des relations de travail, quels nouveaux défis voyez-vous émerger ?

Le désengagement touche désormais également les postes de direction : beaucoup de cadres dirigeants ne se reconnaissent plus dans les valeurs de leur entreprise et finissent par s’isoler. L’enjeu pour les sociétés devient alors d’impliquer leurs collaborateurs dans les décisions stratégiques, d’être plus transparents et d’offrir des perspectives évolutives. Sinon, la perte de sens peut accélérer le départ des profils expérimentés.

Quels sont les secrets pour une négociation contractuelle réussie ?

Il faut d’abord comprendre le cadre juridique de la relation (contrat de travail, mandat social, contrat d’expatrié, plan de stock-options). Ensuite, évaluer la situation du salarié sur le plan humain et psychologique, déterminer ses intérêts et besoins, et identifier ceux de l’entreprise pour comprendre le contexte global. Il est essentiel d’identifier les leviers de négociation, en repérant les fautes et manquements de l’employeur s’il y en a, puis d’affiner la stratégie en tenant compte des risques judiciaires. Les clés du succès résident dans l’écoute de son client, la compréhension de ses besoins et intérêts et de ceux de son employeur. Une attaque frontale sans analyse préalable de ces éléments mène souvent à un contentieux, qui est par définition aléatoire, long et impacte négativement le repositionnement du cadre qui ne peut pas tourner la page.

Que conseillez-vous à un cadre dirigeant confronté à l’incertitude ou craignant une rupture ?

Consultez sans attendre ! N’attendez pas que la situation se dégrade irrémédiablement. Prendre les devants grâce à un conseil juridique préventif vous permet d’anticiper les difficultés. Il est tout à fait possible d’être accompagné sans entrer dans le conflit. Et surtout, n’ayez pas peur de repenser votre trajectoire professionnelle : le marché évolue, vos talents sont transférables. La clé est d’oser l’anticipation, et non de la subir.  

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