Exemples de biofilms

Les biofilms : ces cités de microbes qui font tourner le monde

Dossier : BiotechnologiesMagazine N°726 Juin 2017
Par Nicolas BARRAUD (00)

Long­temps, les bac­té­ries ont été consi­dé­rées comme des êtres uni­cel­lu­laires auto­nomes. Il appa­raît main­te­nant qu’elles forment des com­mu­nau­tés com­plexes enve­lop­pées dans une matrice géla­ti­neuse. Ce sont les bio­films qui peuvent avoir des consé­quences néfastes quand ils inter­fèrent avec des pro­ces­sus d’ingénierie, ou bien lorsqu’ils abritent des patho­gènes. C’est pour­quoi ils attirent de nom­breux efforts de recherche. 

Invi­sibles à l’œil nu, les microbes n’attirent pas notre atten­tion au quo­ti­dien, ou bien uni­que­ment lorsqu’un dérè­gle­ment du sys­tème nous rap­pelle à quel point nous y sommes vul­né­rables. Et pour­tant, nous bai­gnons dans un monde qui repose sur ces êtres microscopiques. 


En haut : cycle de déve­lop­pe­ment des biofilms.
Au milieu : inter­con­nexion des cel­lules bac­té­riennes dans la matrice du biofilm.
En bas : orga­ni­sa­tion spa­tiale struc­tu­rée favo­ri­sant la coopé­ra­tion dans un bio­film à 3 espèces (mar­quées en bleu, rouge ou jaune).
© DR / K. LEE, SCELSE / M. MUKHERJEE, SCELSE

Dotés d’un arse­nal pro­di­gieux d’enzymes et pro­téines aux pro­prié­tés diverses, les micro-orga­nismes occupent les niches éco­lo­giques les plus extrêmes et sont les acteurs prin­ci­paux des cycles glo­baux des élé­ments essen­tiels à la vie sur terre (car­bone, azote, phos­phore, soufre). 

Long­temps, les bac­té­ries ont été consi­dé­rées sur­tout comme des êtres uni­cel­lu­laires auto­nomes, ce qui a per­mis notam­ment de grandes avan­cées dans la com­pré­hen­sion de la régu­la­tion géné­tique et la mise au point de for­mi­dables outils molé­cu­laires, à la base des prouesses de la bio­lo­gie moderne. 

Il appa­raît main­te­nant évident que la plu­part des bac­té­ries ne vivent pas seules, mais forment des com­mu­nau­tés com­plexes atta­chées sur les sur­faces et enve­lop­pées dans une matrice géla­ti­neuse qu’elles pro­duisent : les biofilms. 

A contra­rio, les bac­té­ries libres en sus­pen­sion résultent géné­ra­le­ment de la dis­per­sion du bio­film et, comme les graines des plantes, servent à étendre la colo­ni­sa­tion à de nou­velles sur­faces (voir croquis). 

REPÈRES

L’organisation sociale du biofilm repose sur la capacité des micro-organismes à communiquer via des signaux moléculaires, à coopérer et partager nourritures et tâches.
De plus, les conditions de couche limite à l’interface solide/liquide et les gradients qui s’établissent dans le biofilm favorisent le développement d’un ensemble hétérogène de cellules différenciées, créant ainsi une communauté aux caractéristiques proches des organismes multicellulaires.

DES BONS ET DES MAUVAIS BIOFILMS

Les inter­ac­tions entre les membres du bio­film per­mettent une large gamme d’activités qui peuvent être avan­ta­geuses, par exemple pour le trai­te­ment des déchets, la réha­bi­li­ta­tion des zones pol­luées, ou encore en méde­cine lorsque les bio­films de l’hôte défendent contre l’invasion de bac­té­ries pathogènes. 

“ La plupart des bactéries ne vivent pas seules, mais forment des communautés complexes ”

En revanche, la qua­si-omni­pré­sence des bio­films peut par­fois être néfaste quand ils inter­fèrent avec des pro­ces­sus d’ingénierie, ou bien lorsqu’ils abritent des patho­gènes. Ain­si, dans l’industrie, les bio­films peuvent dété­rio­rer les mem­branes de fil­tra­tion d’eau, souiller les sur­faces de trans­for­ma­tion agroa­li­men­taire, ou encore aug­men­ter le risque de conta­mi­na­tion dans les piscines. 

En milieu cli­nique, les bio­films sont sou­vent la cause d’infections chro­niques pra­ti­que­ment impos­sibles à éra­di­quer. Mal­gré les avan­cées tech­no­lo­giques, la redou­table capa­ci­té d’adaptation des microor­ga­nismes rend sou­vent le contrôle de ces com­mu­nau­tés très incertain. 

UNE FORTE RÉSILIENCE ET RÉSISTANCE AUX ANTIBIOTIQUES

Une fois qu’un bio­film est for­mé, il est très dif­fi­cile de le délo­ger, car ce mode de vie offre aux bac­té­ries plu­sieurs niveaux de pro­tec­tion sup­plé­men­taire par rap­port aux cel­lules en suspension : 

“ J’ai découvert un signal clé déclenchant la dispersion des biofilms ”
  • d’une part, la matrice géla­ti­neuse gène la dif­fu­sion de com­po­sés anti­mi­cro­biens ain­si que l’accès au bio­film des agents du sys­tème immu­ni­taire, tout en concen­trant les défenses bac­té­riennes telles que les molé­cules sécré­tées capables d’inactiver les antibiotiques ; 
  • d’autre part, la proxi­mi­té des cel­lules favo­rise la pro­pa­ga­tion rapide de gènes de résistance ; 
  • et enfin, d’autres carac­té­ris­tiques propres comme la pré­sence d’une petite pro­por­tion de cel­lules « per­sis­tantes » à méta­bo­lisme réduit (presque dor­mantes), qui tolèrent très bien les trai­te­ments antimicrobiens. 

Cette résis­tance accrue peut être un véri­table casse-tête. L’utilisation de plus fortes doses est inutile et impos­sible car cela endom­ma­ge­rait les maté­riaux ou bien le trai­te­ment lui-même ris­que­rait de poser un pro­blème de san­té publique. 

DÉVELOPPER DE NOUVEAUX OUTILS DE CONTRÔLE DES BIOFILMS

Les bio­films ont atti­ré de nom­breux efforts de recherche et ils com­mencent à être mieux compris. 

Recherche de biofilms
Les bio­films ont atti­ré de nom­breux efforts de recherche et ils com­mencent à être mieux com­pris. © KKOLOSOV / FOTOLIA.COM

Ain­si, chez cer­taines espèces, des gènes spé­ci­fiques impli­qués dans les étapes clés ont pu être iden­ti­fiés et de nou­velles solu­tions ciblant l’adhésion, la dis­per­sion, la com­mu­ni­ca­tion inter­cel­lules, ou les mes­sa­gers intra­cel­lu­laires ont été mises au point pour amé­lio­rer le contrôle des biofilms. 

J’ai décou­vert pen­dant ma thèse un signal clé déclen­chant la dis­per­sion des bio­films : le monoxyde d’azote (NO), une molé­cule signal uni­ver­selle dans les sys­tèmes bio­lo­giques, qui, quand il est pro­duit dans les bio­films, induit, via le mes­sa­ger secon­daire di-GMP cyclique, la dégra­da­tion des sys­tèmes d’adhésion et l’activation de la motilité. 

Avec des par­te­naires indus­triels de l’université où je tra­vaillais à Syd­ney, nous avons ensuite bre­ve­té une série de tech­no­lo­gies basées sur la libé­ra­tion de NO. Ain­si, des com­po­sés per­met­tant une acti­va­tion spé­ci­fique dans le bio­film peuvent être uti­li­sés pour trai­ter des mala­dies infec­tieuses chroniques. 

De plus, nous avons conçu de nou­veaux poly­mères et nano­par­ti­cules, capables soit de sto­cker du NO pour un relar­gage sur le long terme, soit de cata­ly­ser la pro­duc­tion de NO à par­tir de com­po­sés pré­sents dans l’eau, et qui peuvent être ain­si uti­li­sés pour des revê­te­ments antibiofilms. 

SINGAPOUR À LA POINTE DE LA RECHERCHE

Biofims impossible à déloger
Une fois qu’un bio­film est for­mé, il est très dif­fi­cile de le déloger.
© KATERYNA_KON / FOTOLIA.COM

Sin­ga­pour a récem­ment inves­ti plu­sieurs cen­taines de mil­lions de dol­lars pour la créa­tion du centre sin­ga­pou­rien pour l’ingénierie des sciences de la vie envi­ron­ne­men­tale, dont le pre­mier objec­tif est la com­pré­hen­sion du fonc­tion­ne­ment des biofilms. 

En com­bi­nant des exper­tises mul­ti­dis­ci­pli­naires en éco­lo­gie micro­bienne, géno­mique, micro­bio­lo­gie et ingé­nie­rie envi­ron­ne­men­tale, ces équipes tra­vaillent à déve­lop­per et amé­lio­rer les bio­pro­cé­dés gui­dés par les biofilms. 

Ain­si, par­mi les pro­jets phares figure la mise au point de nou­velles piles à com­bus­tible micro­biennes capables de créer de l’énergie à par­tir d’eaux usées ou l’optimisation de bio­films pour accé­lé­rer la trans­for­ma­tion de pro­duits chi­miques recy­clables sans géné­rer de déchets toxiques. 

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